séléctionnez une date pour un autre éphéméride
Portrait d'un homme qui maniait aussi bien le coup de boule en tant qu'attaquant que le coup de fourchette en tant qu'entraîneur. Le grand (et gros) John Toshack...
Né le même jour que Jean-Michel Aulas, John Toshack avait sans doute dès le berceau une destinée propre à nuire au club de l'AS Saint-Étienne. Le Gallois s'intéresse pourtant au football beaucoup plus tôt que l'indétrônable tête à claques des présidents de foot français. A l'âge de 16 ans, il fait ses premières apparitions à Cardiff City, le club de sa ville natale et cinq ans plus tard, le jeune attaquant est déjà un héros local. Il marque quasiment un but par match et décide de quitter le Pays de Galles pour l'Angleterre.
Un vrai Beatle dans l'apparence en 1969 à Cardiff
Frankly Mister Shankly se l'offre pour 110.000 Livres Sterling et John rejoint les Reds de Liverpool en novembre 1970. La première année, Toshack a du mal à s'imposer en équipe première. Un Gallois, c'est un peu un plouc aux yeux des Anglais, fussent-ils du nord. Mais la saison suivante, Kevin Keegan débarque sur les rives de la Mersey et les deux hommes s'entendent à merveille. Ensemble, le géant et le lutin vont faire des ravages dans les défenses anglaises et européennes.
John Toshack est un avant-centre robuste et efficace, redoutable de la tête car il mesure six pieds et un pouce. Avec Liverpool, il inscrit la bagatelle de 96 buts en 246 matches. L'international gallois (40 sélections) gagne trois fois le Championnat, une fois la Cup, et remporte à deux reprises la Coupe UEFA (en 1973 contre Mönchengladbach et en 1976 contre Bruges).
Toshack prend le dessus sur Newton lors du derby de la Mersey 1972
Titulaire indiscutable et indiscuté à Liverpool, il remporte également avec son irrésistible équipe, la Coupe d'Europe des Clubs champions en 1977 et en 1978... face aux mêmes adversaires (Mönchengladbach en 1977, Bruges en 1978) !
S'il ne joue pas la finale contre les Allemands, Toshack participe au quart de finale contre Saint-Etienne en 1977. Au match aller à Sainté, il doit sortir sur blessure. Au match retour, il explose le nez d'Alain Merchadier dans un duel aérien avant de laisser sa place au bourreau des Verts, la carotte bionique David Fairclough. Première rencontre entre lui et l'ASSE, à son avantage déjà.
John Toshack et Alain Merchadier lors de Liverpool-ASSE 1977
A l'été 1978, Toshack retourne dans son pays natal et porte les couleurs de Swansea City jusqu'en 1984, ne disputant plus qu'une dizaine de matches par saison. C'est d'ailleurs dans la ville natale de la sublime Catherine Zeta-Jones que John fait ses débuts d'entraîneur. Une reconversion probante car "Coach Toshack" parvient à hisser le club de la quatrième à la première division britannique. Cette flatteuse réputation va permettre à Big John d'entamer une tournée européenne à rendre jaloux les Stereophonics et les Manic Steet Preachers réunis: le Sporting du Portugal (1984-85), la Real Sociedad (1985-89), le Real Madrid (1989-91), de nouveau la Real Sociedad (1991-95), La Corogne (1995-97), Besiktas Istanbul (1997-99) et de nouveau le Real Madrid (juillet-novembre 1999). Usé par son fan club espagnol, John est alors sollicité par Alain Bompard et Gérard Soler pour remplacer Robert Nouzaret, fraîchement débarqué à l'automne 2000.
Mais son expérience dans le Forez ne va pas constituer un souvenir impérissable pour les amoureux de l'ASSE...
L'aventure coaching commence en 1984 à Swansea pour Toshack
John Toshack garde un souvenir ému de ses matches contre Saint-Étienne en Coupe d'Europe: quelques semaines après son arrivée, il déclare que l'ASSE est un "géant endormi qui ne demande qu'à se réveiller pour redevenir un grand club". Rappelant souvent (trop au goût de Nouzaret) que l'équipe prenait trop de buts avant son arrivée (20 en dix matches), Toshack redéploie le 4-4-2 classique de son prédécesseur en un 5-3-2 qu'il affectionnait déjà à Madrid. Le Gallois se défend pourtant d'être un homme défensif et rappelle à qui veut l'entendre qu'aucune équipe espagnole n'a marqué autant que son Real de 1990, soit 107 buts.
A Saint-Étienne où il découvre tout, John Toshack utilise deux joueurs de couloir, Carteron à droite et Potillon à gauche (auxquels il demande de faire le surnombre dans les phases offensives), un libéro à l'ancienne, Jean-Guy Wallemme toujours capitaine, et deux stoppeurs, Mettomo et Kvarme, recentrés dans ce système.
Il change les hommes au milieu de terrain, conserve Pédron à gauche mais fait de Luiz Alberto son demi-défensif axial et de Laurent Huard, remplaçant sous Robert Nouzaret, son milieu droit. En attaque, Alex et Sanchez, les deux rescapés des blessures, occupent les places à prendre.
Un oeil acéré et de bonnes bajoues, John Toshack à Saint-Étienne
Victimes des choix du nouveau technicien, Sablé, Sarr et Guel laissent leur place avec l'arrivée du Gallois, qui mise sur l'expérience avant tout, mais qui semble pourtant plus disposé à faire tourner son effectif que Nouzaret. Pédron est mis sur le banc à Bordeaux (1-2), Potillon et Huard à Marseille, Luiz Alberto redescend à Lyon et Sarr semble revenir en grâce suite à la victoire contre Toulouse (1-0).
John Toshack rassure l'équipe avec ce système dense à défaut d'être toujours défensif. Repliée à l'extérieur, où elle obtient deux 0-0 (Bastia, Lens) et concède trois courtes défaites (Marseille, Bordeaux, Lyon). A Geoffroy-Guichard, l'équipe parvient à faire le jeu sans se faire prendre par la première contre-attaque venue. Mais de football-champagne il n'est question que contre Troyes (4-1), un soir où tout réussit à Alex.
Les résultats assurent l'adoption de Toshack auprès du public. Venu avec des méthodes plus "à poigne" que celles de Robert Nouzaret, le Gallois impose le short à ses joueurs, quelles que soient les conditions d'entraînement, et ritualise ses relations avec la presse. Mais il ne fait pas forcément l'unanimité au sein du staff. Rudi Garcia, alors entraîneur adjoint dira plus tard à son sujet: "A part "Bonjouuuuur", Toshack ne prononçait aucun mot de français. Mon anglais et mon espagnol devaient lui servir de lien avec les joueurs. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Curieux mode de fonctionnement que le sien. Alors que Robert accordait beaucoup d'importance à la relation humaine, si essentielle dans notre univers, Toshack n'y prêtait guère attention. Le matin, en arrivant, il lançait un "hello" à la cantonade, sans jamais saluer personnellement les joueurs présents dans le vestiaire. Il mettait de la distance entre eux et lui. Il ne se montrait pas désagréable mais je pressentais, à son attitude, qu'il ne ferait pas de vieux os parmi nous. Il arrivait au stade dix minutes avant l'entraînement, me prenait dans un coin pour me donner les consignes de base, et hardi petit "Rouuudi""
Ne parlant pas français, Toshack communique comme il peut sur le banc
Le drame survient lors de la trêve hivernale. Un matin, Big John débarque à l'Étrat la voiture remplie, dirige sa séance d'entraînement et repart discrètement dans sa voiture de fonction comme à son habitude. C'est la dernière fois qu'on le revoit du côté de Saint-Étienne.
A la surprise générale, il abandonne l'équipe sans donner d'explication ni publique ni privée. Rudi Garcia en garde encore une rancoeur vivace: "Le 2 janvier 2001, alors que nous l'attendions dans le bus qui devait nous conduire à la Grande-Motte pour le stage de reprise, Soler nous pria de partir sans tarder. "Il ne sera plus votre entraîneur" nous informa-t-il la voix cassée, avant d'intimer l'ordre au chauffeur de démarrer. Certes, Toshack logeait dans un hôtel, refusant de s'installer dans une maison; certes, il ne participa pas à l'arbre de Noël des salariés du club; certes, je ne le voyais pas très impliqué dans son activité; certes, il paraissait détaché de la vie du groupe, mais de là à ce qu'il nous quitte du jour au lendemain sans même nous adresser le moindre mot d'adieu..."
John Toshack se demande ce qu'il est venu faire dans cette galère
Il quitte les Verts pour la Real Sociedad de San Sebastian, qu'il avait déjà dirigée deux fois, et où il possède une maison. Son adaptation personnelle à Saint-Étienne a été moyenne: il avait même repoussé une séance à cause de la pluie. En revanche, son ardoise astronomique à la Poularde, prestigieux restaurant de la plaine du Forez, provoquera des sueurs froides à la direction de l'ASSE...
Après diverses piges à la Real Sociedad, Catane et Murcie, John Toshack devient en novembre 2004 sélectionneur du Pays de Galles. Il signe un contrat de 5 ans avec sa fédération mais y passera 6 sur le banc. C'est bien mieux que sa première expérience en la matière: en effet, il avait déjà occupé ce poste en 1994, mais à l'époque avait démissionné au bout d'un mois !
Toshack dirige sans succès le Pays de Galles pendant les années 2000
Moult échecs aux diverses campagnes de qualifications internationales plus tard, il quitte ses fonctions en septembre 2010 et est nommé un an plus tard sélectionneur de la Macédoine. Le naturel revenant au galop, le Gallois démissionne en août 2012 suite au refus de la fédération balkanique de le laisser résider en Espagne durant son mandat...
Mais l'intenable technicien britannique n'en est plus à un contre-pied près. Dès l'été 2013, le revoilà nommé entraîneur, loin de son Espagne chérie ou de son pays natal: il signe au FK Khazar Lankaran, le club nouveau riche du championnat... d'Azerbaïdjan. John Toshack y restera huit mois avant d'être démis de ses fonctions. Il ne rebondira qu'en juin 2014, en signant pour deux saisons avec le Wydad Athletic Club de Casablanca, qu'il amènera au titre national et en demi-finale de la Ligue des Champions (africaine).
Toshack à Khazar (à prononcer très vite) en 2013
Licencié après cette élimination (ça rigole pas au Khazakstan), il se repose durant deux ans et remet le bleu de chauffe en prenant le volant du Tractor SC, un club iranien qui semble alors fait pour lui. Mais John ne perce pas en Perse et l'aventure ne dure que 3 mois avant qu'il ne tire une dernière révérence anticipée, supportant mal l'ingérence de la fédération iranienne dans les affaires sportives de son club.
Enfin, on apprend en février 2022 que son hygiène de vie semble rattraper Toshack le bon vivant: souffrant d'une sévère pneumonie en raison d'une infection au COVID-19, le Gallois est admis en soins intensifs. Il survit mais tire un trait définitif sur sa carrière d'entraîneur à l'âge de 72 ans.
Toshack et Shäfer, deux coachs européens en Iran en 2018
John Toshack aura donc fait bien plus de mal à l'ASSE que de bien, que ce soit en tant qu'adversaire ou entraîneur. Sa désertion fut forcément vécue comme une trahison par les dirigeants et les joueurs, mais l'on peut également l'interpréter comme la revanche brutale d'une profession, entraîneur, sur une époque qui les considère souvent comme jetables. Toshack invente à sa manière le club jetable. Peut-être aussi avait-il surestimé le potentiel de l'équipe. Il n'hésitait jamais à dire à haute voix combien il la trouvait lente, et la dernière image que le public gardera de lui est celle d'un entraîneur montrant le chiffre "15" avec ses mains et poussant des hurlements. Pendant les arrêts de jeu de Lyon-ASSE, les ennemis héréditaires l'emporteront en effet sur un coup de tête de Christophe Delmotte... le numéro 15.