Directeur du centre de formation du SCO d'Angers et ancien entraîneur des U19 stéphanois, Abdel Bouhazama s'est confié avant la finale de Coupe Gambardella qui opposera les Verts de son ancien adjoint Razik Nedder au TFC samedi après-midi au stade de France (match à suivre à 17h15 sur France 4 et Eurosport 2).


Abdel, ça te fait quoi de voir les Verts retourner au Stade de France pour la finale de la Gambardella ?
Ça fait plaisir, bien sûr, d'autant plus qu'il y a Razik ! Je suis content que Saint-Etienne retourne au Stade de France. Cela montre la qualité de la formation stéphanoise. J'ai vu que l'entraîneur des pros avait félicité le centre de formation et Razik. Pour la demi-finale contre Bordeaux notamment Jean-Louis Gasset avait mis à disposition de la Gambardella William Saliba, c'est tout à son honneur. C'est bien que les Verts soient en finale pour le club, pour les éducateurs du centre de formation. Bien sûr Razik est un grand artisan de la qualification et de ce joli parcours, mais il faut associer les autres éducateurs, Laurent Batlles notamment car les meilleurs U19 qui jouent habituellement en N2 descendent en Gambard'. Il faut également souligner la qualité du travail de la cellule de recrutement dirigée par Gérard Fernandez. C'est grâce à elle que le club a pu recruter de très bons joueurs, comme William Saliba.

Tu as collaboré étroitement avec Razik Nedder pendant deux ans. Quels souvenirs gardes-tu de lui et comment juges-tu son évolution ?
On a travaillé deux ans ensemble avec les U19. A l'époque où il m'a rejoint, je crois qu'il travaillait avec les U13. Avec son emploi du temps et son activité principale qui était en dehors du foot, il avait un peu de temps de libre qu'il mettait à profit pour voir les séances d'entraînement. On avait sympathisé et je lui avais proposé de venir m'épauler. Avec l'autorisation du club ça nous a été accordé. Il était souvent avec moi sur les séances. On discutait, on échangeait. Je lui avais donné quelques séances à faire car c'est le meilleur des apprentissages. Quand tu mets les mains dans le cambouis, c'est le meilleur moyen de tester ta pédagogie et ta psychopédagogie. Je me souviens que Razik me posait beaucoup de questions. Il était toujours en questionnement, me demandait en permanence le pourquoi du comment. Il montrait de la curiosité, de l'intérêt. Tactiquement, il voyait que je faisais parfois l'inverse de ce qu'on a tendance à faire. Quand on mène au score, on a tendance à vouloir faire sortir un attaquant pour faire rentrer un défenseur mais moi j'étais plus sur l'inverse.

Razik a un projet basé sur le jeu et la possession.
Ce qui m'avait intéressé, c'était de voir son équipe jouer. Déjà en U13, Razik avait cette volonté de faire jouer ses équipes. Ça m'avait marqué. J'ai vu sur la chaîne de la FFF le match contre Lille à L'Etrat, ça m'a plu. On sent que son équipe est ambitieuse et a du caractère. Elle est à son image. Je pense aussi que le fait d'avoir été adjoint de Julien Sablé chez les pros lui a permis de toucher du doigt les exigences du très haut niveau. Je pense que le discours de Razik passe bien, il met beaucoup de rigueur et d'exigence. On sent que son groupe vit bien. Je crois qu'il met de la musique dans le vestiaire pendant les matches de championnat et de Gambardella. Razik est un garçon intelligent qui a su évoluer. Il ne fait pas du copier-coller. Comme je lui disais souvent, nous les entraîneurs on est tous des voleurs d'idées mais il faut toujours garder sa personnalité. Il faut avoir des convictions. Pas des certitudes car c'est dangereux. Parfois la limite est mince entre convictions et certitudes. Le but c'est de toujours essayer de se remettre en questions. Avec Razik on est resté en contacts, on discute.

Toi aussi tu es membre des Razik fans !
Je suis vraiment ravi que Razik amène les Verts au Stade de France. Je garde d'excellents souvenirs de notre binôme. Il faisait un peu office d'adjoint avec moi, depuis le banc il voyait des choses, c'était intéressant. C'est toujours fructueux d'être dans l'échange et dans la concertation. Je trouvais qu'il avait des bonnes idées, des bonnes analyses des situations. Je suis fier pour lui, c'est un garçon travailleur et méritant qui a l'opportunité de marquer l'histoire des Verts. Ce n'est pas donné à tout le monde, beaucoup d'entraîneurs aimeraient être à sa place. Depuis l'époque où on a travaillé ensemble, Razik a grandi, il a gagné en expérience et en maturité. Je lis régulièrement ses réactions sur Poteaux Carrés, je trouve qu'il a un bon discours, une bonne approche. Il s'exprime bien, il sait ce qu'il veut. Je sais aussi comment il peut être dans le vestiaire avec ses jeunes. Je sais qu'il va leur donner du plaisir. Cette aventure en Gambardella, c'est bien pour lui, c'est hyper enrichissant. Parfois on est fait pour les jeunes, et parfois on est fait pour les pros. Ce sont deux métiers totalement différents pour moi. A l'instant où on se parle, je pense que Razik est vraiment fait pour les jeunes. Il a un vrai profil de formateur, sans tomber dans la "championite" même si la compétition est un apprentissage de la formation. Il a des convictions dans le jeu, dans la façon dont ses joueurs évoluent. Quand on voit son équipe jouer, on voit sa marque de fabrique. C'est bien.

Avec le recul, qu'est-ce qui prédomine : la fierté d'avoir emmené deux années de suite les Verts au Stade de France ou la déception d'avoir perdu ces deux finales ?
Une finale, ça se gagne. C'est l'expérience qui parle, on ne retient que les vainqueurs. Le temps a fait que ça s'est cicatrisé. Quand t'en perds une à la loterie des tirs au but avec en face une très belle génération monégasque - il y avait Kurzawa, Eysseric, Ferreira Carrasco, Appiah - il y avait quand même un sentiment de fierté. La seconde finale, contre Nice, je pense qu'on avait moins de qualités individuelles mais un meilleur collectif. J'ai davantage éprouvé un sentiment de culpabilité, je me suis dit que c'est peut-être moi qui avais raté quelque chose. On est fier quand on arrive en finale, on a l'impression que c'est un aboutissement. Mais non, l'aboutissement, c'est de gagner ! Avec le temps, la frustration des premières années qui ont suivi s'est estompée, je garde les bons souvenirs. Mais j'ai toujours ce sentiment d'insatisfaction, d'avoir manqué quelque chose. Est-ce qu'il y a quelque chose que je n'ai pas bien fait, que j'ai négligé ? Est-ce que je n'ai pas trop insisté sur des choses trop banales ? Bien sûr, à titre personnel et avec beaucoup d'humilité, avoir emmené deux fois de suite les Verts en finale, ça donne un sentiment d'honneur et de fierté. Mais on est des compétiteurs, on apprend à nos gamins à aimer gagner. Si on n'a pas gagné, c'est que quelque part je n'ai pas bien fait les choses. Je me rends compte quand même que l'ASSE s'apprête à jouer sa troisième finale de Gambardella en huit ans. Je crois que c'est le seul club dans ce cas. Mais on ne retient que le vainqueur. Quand je regarde le palmarès de la Fédé, il n'y a que le vainqueur qui est noté. Et la dernière fois que le club a gagné la Gambardella, c'était en 1998 avec Gérard Fernandez. Tant que t'as pas vécu la Gambardella, tu ne peux pas te rendre compte de ce que c'est quelque part. Il faut s'imaginer : le Stade de France, c'est le panthéon du football. Les finales des Coupes Nationales des pros se jouent là-bas, il y a du monde en seconde mi-temps. On représente le club. Gagner là-bas ça aurait été mieux. Mais il reste malgré tout de bons souvenirs. J'ai eu l'occasion recroiser en Ligue 1 certains de mes anciens joueurs : Ismaël Diomandé, Idriss Saadi, Pierre-Yves Polomat. Il reste plein de bons souvenirs de notre parcours.

As-tu trouvé des éléments de réponses aux questions que tu posais sur ta part de responsabilité dans ces finales perdues ? Regrettes-tu des points précis dans la préparation et la gestion de ces matches ?
Quand tu fais des choses à l'instant T, tu penses bien faire. Puisque ça a marché les matches d'avant, tu penses pouvoir poursuivre sur ta lancée. Je me souviens qu'on avait terminé meilleure attaque de la Gambard', on avait tapé l'OM à Marseille 5-2. On avait éliminé 4-1 en demi-finale à Mérignac une très belle équipe troyenne où il y avait un certain Djibril Sidibé aujourd'hui champion du monde. Sur l'instant, je faisais les choses car j'étais convaincu que c'était comme ça qu'il fallait les faire. Après, avec le recul, l'âge et l'expérience, il y a peut-être des choses que je considérerais différemment aujourd'hui, c'est la gestion des émotions. Que ce soit les miennes, celles de l'environnement et surtout celles des joueurs. Cette gestion des émotions est la plus dure à maîtriser car elle n'est pas quantifiable. Comment les garçons vont appréhender l'évènement ? En quart ou en demi-finale, tu joues pour gagner. Mais je retiens qu'en finale tu joues pour ne pas perdre. Ce match-là est particulier, peut-être que dans ma causerie, quand j'ai dit que ce dernier match était le plus important, j'ai donné une autre dimension. C'est la vérité mais peut-être que dans ma communication j'aurais dû dire que c'était un match comme les autres pour essayer, sinon d'enlever la pression parce qu'elle existe, en tout cas de dédramatiser l'évènement. A un moment c'est de se dire "si on gagne, tant mieux, si on perd ce n'est pas grave on a fait du bon boulot." C'est peut-être là-dessus, sur les termes que j'ai utilisés, "on représente le club", que j'ai donné une pression supplémentaire à mes joueurs qui n'en avaient peut-être pas besoin.

Razik nous a dit qu'il ne souhaitait rien changer dans ses habitudes pour préparer ce match. Juju a ajouté qu'il fallait faire abstraction du contexte et se focaliser sur le plan du jeu. Pas évident pour des garçons de 17 ou 18 ans impatients de découvrir le Stade de France...
Je rejoins à 200% ce que dit Razik, Julien a complètement raison, mais l'évènement reste solennel. Quand des gamins pour la première fois de leur vie rentrent dans ce stade, c'est impressionnant ! Il y a 80 000 places, ce n'est pas tous les jours que tu évolues dans une enceinte pareille. Tu peux essayer de dédramatiser l'évènement mais tu ne peux pas complètement faire abstraction de l'environnement. Tu ne sais pas comment les gamins perçoivent tout ça. Chaque gamin est différent. Il y en a qui ont beaucoup de détachement, il y en a qui veulent endosser le costume du sauveur, du leader. Les gamins, tu ne peux pas leur expliquer que c'est pareil. Tu as beau les prévenir, tu as beau leur expliquer les choses, tu as beau faire des photos la veille au stade et avoir plein d'images dans la tête... Moi j'ai vu des visages autour de moi qui avaient changé. Au moment où on est arrivé au stade, quand on est descendu du bus et qu'on est allé aux vestiaires, c'est l'évènement qui t'écrase, qui est pesant. C'est la première fois qu'ils vont jouer au Stade de France. Je félicite les gamins du parcours qu'ils ont fait et si j'ai quelque chose à leur dire, c'est qu'ils en profitent au max. J'entendais les gamins dire "on ne va pas perdre aujourd'hui." A un moment donné, il faut se dire "on va jouer pour la gagner, peu importe la manière." Mais il ne faut pas que l'enjeu tue le jeu.

Idriss Saadi nous a confié récemment que son équipe avait été impressionnée à l'époque par le Stade de France. Il conseille aux Verts de jouer samedi comme s'ils étaient à Aimé Jacquet. Pas évident...
Facile à dire. Le Stade de France, c'est le panthéon du football, c'est extraordinaire. Quand tu démarres la compétition, rien qu'avec les U19 nationaux, il y a déjà 56 équipes au démarrage. Quand tu te qualifies pour la finale, t'arrives dans un stade où il y a une histoire. Le stade où se jouent les finales de Coupe de France et de Coupe de la Ligue. Le stade où la France a été sacrée championne du monde en 1998. Bien sûr les gamins qui joueront n'étaient pas nés à l'époque, les plus vieux comme Kenny ou Charles Abi sont des 2000. Mais tous les U19 savent que ce stade a une histoire. Comme dit Idriss, il faut essayer de jouer comme si tu jouais dans tes repères habituels. Sauf que tu ne peux pas. Je comprends ce qu'il veut dire mais ce n'est pas possible. Tu cherches ta famille au deuxième ou au troisième niveau, t'as l'impression qu'elle est loin. Il faut peut-être essayer de faire abstraction de tout ça mais il n'y a pas de recette magique ! La deuxième finale, derrière l'OL jouait contre Quevilly. Les supporters lyonnais nous ont hués, ce n'était pas prévu !

Un peu quand même, non ? Je crois qu'ils ne nous aiment pas et on le leur rend bien.
(Rires) Oui mais ce que je veux dire c'est que t'as déjà un adversaire sur le terrain, et un autre dans les tribunes. Heureusement le public de Quevilly avait pris parti pour nous mais c'est quand même très particulier en termes d'ambiance une finale de Coupe Gambardella. Mais c'est une expérience super enrichissante. Une finale de Gambardella, ça remplace une ou deux années de championnat U19 juste sur un match en termes de pression et d'impact mental. Même moi je l'ai ressenti comme ça. Émotionnellement, il ne faut pas subir l'évènement. D'une certaine façon t'es obligé de le subir mais il faut résister à tout ça. Quand tu commences le match, le stade est vide. Et petit à petit ça se remplit, ça se met à gronder, ça applaudit. Le fait que les supporters de Paris ou de Rennes prennent parti pour une équipe, ça peut un peu changer la donne. Quand la tribune derrière les buts est à moitié remplie, ce n'est pas la même chose que quand elle est vide.

On peut pas essayer de faire fi de cet environnement ?
Avec le recul que j'ai de ces deux finales, c'est tout cet environnement que tu ne peux pas maîtriser. Tu peux essayer de canaliser certaines choses mais il y a un environnement qui te dépasse. Le tout est d'appréhender les choses de la meilleure des manières. C'est peut-être pour ça qu'il ne faut pas trop insister sur certaines choses. Faut-il dire aux gamins "attention, peut-être qu'en deuxième mi-temps il va y voir du monde" ? Non, peut-être qu'il ne faut pas aborder ces sujets-là. J'ai aussi conseillé à Razik de bien anticiper la problématique de la billetterie. La première finale surtout, les gamins pensaient plus même à l'échauffement de s'assurer que leur famille était bien dans les gradins. A un moment on rentre dans les vestiaires et je vois les gamins en train de textoter. Je me suis un peu fâché. Ils étaient inquiets de savoir si leurs proches avaient bien récupéré les places. Ce sont des petits détails mais l'idéal est de faire en sorte que les garçons soient dans une bulle, hermétiques, et qu'ils se concentrent sur un objectif commun, où tout le monde doit converger : gagner. Même le discours des dirigeants et de l'entraîneur des pros va être important. Je me souviens que Roland Romeyer était venu dans le bus, il avait dit des mots et je trouvais sur le moment que c'était bien. Mais avec le recul je me dis que les gamins sont partis en se disant : "on est les porte-drapeau du club, tout le monde attend qu'on gagne." Alors c'est sûr que c'est valorisant, tout le monde parle de nous, le président vient, c'est solennel comme mouvement. Mais les garçons sont partis avec le sac à dos rempli. Peut-être que la veille du match il ne faut pas faire d'entraînement trop long, aller au ciné, faire quelque chose qui sort de l'ordinaire. Mais si j'avais fait ça et qu'on avait perdu, je le serais dit "j'aurais dû faire comme j'ai l'habitude de faire."

Ces deux finales ne se sont pas joué à grand chose...
Les finales se jouent très souvent sur des petits détails. La seconde me laisse un peu plus d'amertume car je ne sais pas si sur le ballon est renté ou pas sur l'ouverture du score niçoise. Autant contre Monaco on a fait ce qu'il fallait, il y a un penalty qui aurait pu être sifflé à la fin, un tirage de maillot sur Bilel Aouacheria mais on est tombé sur une belle équipe, à la fin on a perdu à la loterie des tirs au but. La deuxième finale, j'ai plus de mal à l'encaisser. Si on avait perdu 3-0 ou 4-0, je me serais dit "aucun regret, on a perdu contre plus fort que nous." Mais avait battu Nice en championnat deux fois, on les avait toujours dominés. Peut-être qu'on s'est dit qu'on allait jouer de la même manière alors que Nice s'est dit "on n'a rien à perdre." On a fait une très belle deuxième mi-temps mais le mal était fait, c'est dommage.

Ces deux générations de finalistes ne sont-elles pas globalement décevantes ? Le seul titulaire indiscutable cette saison en L1, c'est Ruben Aguilar, auquel l'ASSE n'avait même pas proposé de contrat pro...
C'est vrai mais Ismaël Diomandé a quand même été titularisé une quinzaine de fois en L1 cette saison à Caen, Pierre-Yves Polomat a gratté du temps de jeu à Sainté. Il y a aussi des garçons dont la progression a été entravée par des blessures. Je pense bien sûr à Idriss Saadi, qui s'est blessé sérieusement à Strasbourg, mais aussi à Kévin Mayi, qui joue à Brest, un club bien parti pour monter en L1. Bilel Aouacheria, qui comme Kévin et Polo a joué les deux finales de Gambardella, compte une trentaine de titularisations depuis qu'il a rejoint Moreirense, l'actuel cinquième du championnat portugais. Et bien évidemment Kurt Zouma a beaucoup de temps de jeu et fait une belle saison avec Everton, il a d'ailleurs été rappelé dernièrement en équipe de France.

D'autres joueurs ont eu du temps de jeu en Ligue 2 ou des "petits" championnats étrangers.
Oui, je pense à Jérémy Vachoux, qui a beaucoup joué la saison passée à Lens, ou encore à Ben Kamaroko, qui joue en D1 norvégienne. David Douline a joué à Clermont la saison passée et vient de faire une belle saison à Rodez, promu en L2. Pierrick Cros a joué deux saisons en L2 au Red Star. Kamel Chergui a joué un petit peu en L2 avec Châteauroux. Florian Milla a joué en L1 tchèque. En fait on se rend compte chaque année en Gambardella que parmi les finalistes t'as que quelques joueurs qui arrivent à vraiment s'imposer chez les pros. Pour s'imposer dans un club comme Sainté, qui joue le top 5 voire le podium en L1, il faut faut vraiment être costaud et avoir un sacré niveau ! Il n'y a que le petit Saliba pour l'instant en L1 alors que les Verts vivent une belle épopée en Gambardella. J'ai vu que l'ASSE a fait signer pro énormément de jeunes, mais c'est plus pour protéger des jeunes talents en devenir que parce qu'ils le méritent. A une époque on faisait signer en pro des stagiaires qui avaient déjà fait des bancs et des entrées en jeu en pro, des talents à la Kurt Zouma ou à la Allan Saint-Maximin.

Tu n'es pas un peu déçu de voir que des garçons comme Maxence Chapuis, Pierrick Cros, Kamel Chergui, Florian Milla et Jessim Mahaya jouent "seulement" en National 2 vu le potentiel qu'ils avaient laissé entrevoir en U19 ?
Le football amateur, le "football d'en bas" et il n'y a rien de péjoratif quand je dis ça, s'est amélioré. Ce n'est pas parce que tu ne signes pas pro dans ton club formateur ou seulement un contrat d'un an non renouvelé que t'es un mauvais joueur. Pour moi, faire quatre ou cinq ans dans un centre de formation c'est déjà un gage de réussite. Cela prouve que le recrutement a été bon, que la continuité du travail a été faite. La durée montre que le joueur avait de la qualité. Mais ensuite il y a l'exigence du haut voire du très haut niveau. Quand je vois jouer Saint-Etienne avec les Rémy Cabella, Wahbi Khazri, Yann M'Vila, Romain Hamouma, Youssef Aït Bennasser, Timothée Kolodziejczak.. Faut s'accrocher pour les déloger et prendre leur place ! Faut y aller quand même, y'a du lourd ! Pour en revenir à la Gambard, il ne faut pas oublier que ce ne sont que des ados, quelques uns s'imposeront chez les pros, certains feront des parcours très honorables au niveau amateur. Qu'ils gagnent où ils perdent la finale samedi, ils garderont de bons souvenirs de leur parcours. Bien sûr ils seront meilleurs s'ils soulèvent la Coupe. Pour les nombreux 2001 de l'équipe de Razik, soit ils la gagnent, soit c'est fini car la saison prochaine seuls les U19 première année auront le doit de disputer cette compétition.

En quoi la Gambardella est-elle une compétition à part chez les jeunes ? Comment expliques-tu qu'elle soit plus valorisée qu'un titre de champion de France U17 ou U19 par exemple ?
Je pars du principe que, quelle que soit la compétition, il faut gagner. Il ne faut pas minimiser les titres de champion de France chez les jeunes, l'ASSE avait d’ailleurs réussi à en décocher un il y a six ans avec les U17 nationaux entraînés par Gilles Rodriguez et Lionel Vaillant. Ce qui est intéressant sur les championnats, c'est que c'est sur du moyen terme - long terme. Mais dans les championnats, tu ne mets pas tes meilleurs joueurs. Les meilleurs U19 ne jouent pas en championnat des U19 nationaux mais en réserve. Les meilleurs éléments du centre de formation s'entraînent avec les pros, font des bancs en Ligue 1. Aujourd'hui les championnats ne sont pas très révélateurs de la santé d'un centre de formation, en tout cas de la qualité des joueurs qui sont en centre de formation. La Gambardella par contre, c'est là où tu mets tous tes meilleurs éléments, tes meilleurs joueurs. C'est la compétition dans toute sa splendeur. Tu gagnes ou tu perds, tu passes ou t'es éliminé. Plus tu avances dans la compétition, plus ça devient intéressant et plus tu te rends compte de la dimension qu'elle est en train de prendre. Tu te dis : "on n'est plus qu'à trois matches du Stade de France", "on n'est plus qu'à deux matches", "on n'est plus qu'à un match". Et quand t'y es, le plus gros des matches c'est celui-là ! Parfois le match, tu ne te le fais pas contre l'adversaire, tu le fais contre toi-même. Comment tu vas faire pour ne pas changer ta façon de jouer, sans pression. Tu joues des matches couperets alors qu'un championnat, tu perds, tu peux te rattraper. La Gambardella, c'est la compétition des clubs, c'est la vitrine. Si tu gagnes la Gambardella, on dit que t'as un super centre de formation. Il ne faut pas dénigrer le championnat U19 mais tu ne mets pas tes meilleurs éléments dans ce championnat.

La Gambardella permet aussi de se frotter à des équipes qu'on n'affronte pas habituellement.
Tout à fait, c'est hyper intéressant de se jauger avec des équipes de divers horizons. A cet égard la finale fera office d'exception car Sainté et Toulouse sont depuis pas mal d'années dans le même groupe en championnat. Mais les tours précédents, les Verts ont affronté d'autres bons clubs formateurs comme Sochaux, Auxerre, Nantes, Lille, Bordeaux. La Gambardella, c'est aussi la petite sœur de la Coupe de France. Les premiers tours, les clubs amateurs y participent. Et quand tu tombes sur eux, tu joues chez eux. Tu joues parfois sur des terrains pas évidents, il y a parfois des traquenards. Comme la Coupe de France, la Gambardella réserve son lot de surprises. Les Verts ont évité qu'il y en ait une dès son entrée en lice, elle a dû batailler pour l'emporter sur le terrain du FC Lyon, un bon club régional qui leur a donné du fil à retordre. Et comme en Coupe de France, il y a de belles histoires, des retournements de situation. A Auxerre la situation était bien mal embarquée, les Verts jouaient à dix et ils étaient menés 3-1 à quelques minutes de la fin. Ce jour-là les garçons de Razik Nedder ont fait un exploit. Je crois que c'était un match charnière. Cette équipe, qui a du potentiel, a aussi montré ce jour-là de la solidarité et de la cohésion. Ce que je retrouve regrettable, quand tu as utilisé 20 ou 22 joueurs sur toute la compétition, c'est que tu sois obligé de n'en prendre que 16 pour la finale. T'es obligé de trancher, et c'est difficile de le faire car tu sais que tu vas faire plusieurs malheureux. Je trouve que la Fédé devrait autoriser un plus grand nombre de remplaçants.

William Saliba jouera très certainement contre Toulouse ce week-end. En finale de Gambardella le samedi ou en L1 le dimanche ?
Je sais que Saint-Etienne a une priorité, la course à l'Europe donc le championnat. Je ne serais pas surpris que les Verts jouent à guichets fermés dimanche après-midi car ils ne sont pas très loin de la troisième place qualificative pour le tour préliminaire de Ligue des Champions. Après, je ne suis pas à la place de Jean-Louis Gasset. C'est une décision du club, qui doit venir de l'entraîneur des pros. Si Timothée Kolodziejczak n'était pas suspendu, il aurait pu jouer avec Loïc dans l'axe avec Polo latéral gauche. Parfois on peut essayer de jouer sur deux tableaux, mais il peut arriver alors qu'on perde sur les deux. Si Saliba ne joue pas en Gambardella, Razik trouvera une solution. Il met à juste titre en avant la notion de groupe et dispose d'autres joueurs qui ont démontré leurs qualités à ce poste lors des tours précédents. Contre Lille, il a fait jouer Tshibuabua et Halaimia, contre Bordeaux il y avait Fofana à côté de Saliba. Je suis convaincu que l'ASSE saura prendre la meilleure décision. Moi à l'époque j'aurais aimé avoir Kurt Zouma et Allan Saint-Maximin contre Nice. Peut-être qu'on aurait gagné... mais peut-être qu'on aurait perdu quand même ! Christophe Galtier avait besoin de ces deux joueurs, il est venu me voir, ça s'est passé en toute tranquillité, dans la sérénité. C'est l'entraîneur des pros qui décide, c'est normal. La priorité des priorité, c'est les pros ! Que Saliba soit là ou pas samedi, la finale ne se résume pas à lui, ce sera la victoire d'un groupe.

La finale de Gambardella sera l'occasion pour les médias de mettre un coup de projecteur sur la formation de l'ASSE. Elle vaut bien mieux que la 20e place du dernier classement des centres, non ?
Oui. Le classement des centres, il faut en avoir deux lectures. Si on n'a qu'une première lecture brutale, terre à terre, tu te dis que la 20e place est significative. Oui et non en fait. Il y a des critères d'efficacité, avec dedans les sélections en jeunes, les participations aux matches pros des jeunes, le nombre de contrats pros signés, plus la scolarité et le niveau de diplôme des éducateurs. Le PSG aujourd'hui, pour moi c'est le plus grand club formateur d'Europe. Le nombre de joueurs parisiens qu'on peut retrouver en L1 ou dans le top 5 européen, c'est énorme ! Mais est-ce que le PSG a gagné la Gambardella ces dernières années ? Est-ce qu'ils vont toujours loin ? Non. Monaco l'a gagné avec Mbappé car ils avaient le joueur "plus", mais ils ne vont pas toujours très loin.

Les vilains non plus...
Lyon est aussi l'un des meilleurs clubs formateurs, ça fait longtemps qu'ils n'ont pas fait une finale. La Gambardella peut montrer une qualité de ta formation mais elle ne dit pas tout de ta formation. Quel est le projet club, est-ce que les meilleurs joueurs montent en réserve et en pro et quelque par la Gambard passe au second plan... il y a plusieurs façons de voir les choses. Pour les supporters, c'est bien car ça va donner du grain à moudre. Moi je me souviens qu'à l'époque des supporters m’interpelaient en me disant : "Vous allez en finale mais il n'y pas de jeunes qui jouent en pro !" Mais il a l'époque ce n'était pas évident de rentrer dans l'équipe de Christophe Galtier qui se bagarrait pour décrocher une place en Coupe d'Europe. A Angers on a beaucoup de 2000 et de 2001 qui s'entraînent avec les pros, on s'est fait éliminer au premier tour de la Gambard'. Est-ce à dire qu'on est un mauvais centre de formation ? Je ne pense pas. Mais la finale de Gambardella va donner un coup de projecteur sur les Verts, je trouve ça bien car il faut saluer le travail qui est fait à l'ASSE, pas que cette année mais aussi des années précédentes. Il y a un travail de fond qui est entrepris à Sainté, un projet de formation, un projet club.

En tant que directeur de centre de formation du SCO, partages-tu la vision des responsables de la formation stéphanoise ?
Il y a bien sûr des dénominateurs communs. Comme vous l'a rappelé récemment Razik, un centre de formation travaille au service des pros. Moi aussi, c'est ce qui m'importe ; aujourd'hui, on doit alimenter les pros avec des jeunes joueurs de talent. Ensuite, on connaît tous la statistique : il n'y a que 2% des joueurs formés qui deviennent pros. Cela montre la difficulté, on est dans un système très élitiste. C'est aussi pour ça que l'on forme des hommes, pas que des joueurs. Mais le centre que je dirige est beaucoup plus jeune que celui de l'ASSE. Nous à Angers, on a que six ans d'ancienneté. A Sainté, ça se compte en décennies. Le temps est incompressible, le temps d'avance qu'à Saint-Etienne, je ne pourrai jamais le rattraper. Ensuite chaque centre a ses spécificités, ses modes de fonctionnement en fonction des ressources dont il dispose. Il nous arrive d'échanger entre directeurs de centre, c'est toujours intéressant.

Tu le fais notamment avec ton homologue stéphanois Philippe Guillemet je présume !
Bien sûr, j'échange avec Philippe, qui s'occupait des U15 et de la préformation à l'époque où j'étais à l'ASSE. Moi je suis encore entraîneur, je m'occupe de la réserve en plus du centre car j'aime le terrain. Philippe a une autre position, il est "au-dessus de la mêlée." Quand je discute avec lui, je me rends compte qu'on a des problématiques communes : les comportements des jeunes, des ados, sont les mêmes qu'ils soient à Sainté ou à Angers. L'environnement familial, les agents et pseudo-agents, c'est pareil. Les agressions des pays européens, nos petits voisins espagnols, anglais, allemands, italiens qui veulent piquer nos jeunes, on a tous ces mêmes problématiques, sauf qu'elles se resituent dans l'environnement propre du club. Saint-Etienne doit composer avec la rivalité du voisin lyonnais. Dans ma région, nos rivaux sont Nantes, Rennes, Lorient. A mon sens le fond des problématiques est le même, les formes divergent. Saint-Etienne par exemple a tendance à faire signer énormément de jeunes pros, même ceux qui n'ont pas encore goûté aux pros. On a été récemment en séminaire en Allemagne, ce qui se fait là-bas est intéressant. Mais franchement, ce que l'on fait chez nous, c'est quand même pas trop mal. Pourquoi les grands championnats viennent prendre nos meilleurs jeunes ? Parce qu'il y a un savoir-faire français. Il faut être fier de ça ! Il faut le revendiquer. Les clubs se donnent les moyens de bien travailler la formation sur les plans structurels et humains. D'un club à autre, les dimensions sont différentes. L'ASSE n'est pas le SCO, le SCO n'est pas l'OL. Les profils de joueurs que l'on peut recruter les uns et les autres sont complètement différents. Moi je suis plus sur la proximité et la régionalisation, alors qu'aujourd'hui Saint-Etienne est plus sur du national et de l'international. A Angers on est un tout petit centre de formation et notre budget est en corrélation avec celui de l'équipe première. On a le 19e budget de Ligue 1, mais au SCO la formation a toute sa place en tout cas dans le projet du club. L'ASSE aujourd'hui se donne plus les moyens d'enrôler des joueurs plus expérimentés ayant une certaine valeur sur le marché pour essayer d'accrocher le top 4. Comme l'exigence du club monte, il faut que l'exigence des jeunes qui arrivent en-dessous soit optimale, qu'ils aient un gros talent.

 

Merci à Abdel pour sa disponibilité