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Le plus grand joueur algérien de tous les temps, Rachid Mekloufi, est né le 12 août 1936 à Sétif. Ce joueur exceptionnel, fantastique attaquant, a marqué l’histoire du football, et pas uniquement l’histoire du football stéphanois, tant par ses qualités de joueur que par un caractère hors du commun...
C’est à l’USM Sétif, dans sa ville natale, que ce surdoué fait ses premiers pas de footballeur, l’Algérie étant alors encore un département français. Il rejoint la Métropole en août 1954, âgé à peine de 18 ans, sur les conseils de M. Setboune, l’œil des Verts en Algérie. Cet enfant de famille nombreuse (six frères et soeurs au total) abandonne alors ses études de prothésiste dentaire, nécessité oblige, pour tenter de convaincre l’intransigeant coach stéphanois Jean Snella, le temps d’un seul entraînement.
Rachid Mekloufi découvre aussi pour l’occasion, la joie de jouer sur une pelouse, pour la toute première fois de sa vie, habitué qu’il était à évoluer sur les terrains poussiéreux et brûlés de son pays. Une demi-heure plus tard, Mekloufi est engagé.
Enfant, Rachid Mekloufi est déjà célèbre dans sa ville natale
"Pour qui connaît le football, sa classe apparaissait dès le premier toucher de ballon" précise alors Snella. Ce dernier, impressionné, décide même de l’aligner dans l’équipe dès le week-end suivant pour un match amical contre Grenoble. A côté de N’Jo Lea, son compère de toujours, il marque trois des six buts de son équipe pour une probante victoire 6-0. Le début de l’histoire - complexe - en Vert du plus merveilleux des Fennecs (dont l’appellation officielle date de 1982) vient de commencer !
Mekloufi sert Domingo pour le 1-0 contre Marseille en janvier 1955
De 1954 à 1958, Mekloufi est tout simplement éblouissant. Pendant 4 saisons sur le front de l'attaque, il dispute une centaine de matches et marque la bagatelle de 59 buts. Son nom fait déjà trembler toutes les défenses adverses alors qu'il n'a que 20 ans. C'est au même âge qu'il étrenne ses premiers galons avec l'équipe nationale: 4 matches avec les Bleus en 1956 et 1957, sans marquer certes mais son service militaire freine le rythme de ses sélections. Pas sa progression néanmoins car il en profite pour participer à la Coupe du Monde Militaire 1957 en Argentine.
France-URSS 1956, Mekloufi (au centre) est sensationnel avec les Bleus
Lors de cette année 1957 exceptionnelle, il remporte non seulement cette Coupe du Monde Militaire mais est également l’artisan principal du premier titre de champion de France du club en 1957, marquant, conjointement avec N’Jo Lea, 54 buts à la pointe de l’attaque verte et jouant souvent en position de meneur de jeu très avancé. Il est aussi le tout premier buteur de l’histoire européenne de l’ASSE en marquant à Glasgow contre les Rangers puis il remporte la Coupe Drago l'année suivante. Alors que se profile à l'horizon la fameuse Coupe du Monde suédoise de 1958, il est alors considéré comme l’un des plus grands espoirs du foot français.
Et but de Rachid Mekloufi, on souffre pour le portier lensois !
Mais la grande Histoire va rattraper sa petite histoire. En 1958, la guerre d’Algérie bat son plein. Une douzaine de joueurs algériens, dont Mekloufi, quittent la France pour rejoindre la Tunisie où s’est installé le FLN (Front de Libération National algérien): "Mon départ au FLN ne s'est pas passé comme prévu. Je devais disputer un dernier match avec Saint-Etienne, contre Béziers, et partir ensuite. Mais je me blesse à la tête, je suis hospitalisé. Arribi, qui jouait à Lens, et Kermali, de Lyon, sont venus pour me chercher à l’hôpital. On est parti en voiture. Quand on arrive à la frontière, le groupe de l’Italie est déjà dehors et la presse a commencé à évoquer les fuites des joueurs. Le douanier, heureusement, n’a pas écouté la radio, sinon ils nous arrêtaient. J’étais au Bataillon de Joinville, un militaire, j’aurais été traité comme un déserteur. Ça s’est joué à rien."
L'épisode FLN de Mekloufi est raconté en BD
dans l'album "Un maillot pour l'Algérie" (Dupuis)
Pendant quatre ans, jusqu’en 1962, ils seront les meilleurs représentants de leur pays à l’extérieur, devenant même un emblème de l’indépendance. Ce "onze de l’indépendance" comme on l’appelle alors, dispute 91 matches, de gala ou amicaux, pendant quatre ans, pour 65 victoires dont un retentissant 6-1 contre la Yougoslavie, 13 nuls et 13 défaites. Mekloufi, qui ne sera donc pas de la fameuse campagne suédoise dira plus tard à propos de cette période: "On raisonne aujourd’hui en terme de carrière, palmarès ou argent… La Coupe du Monde, bien sûr que j’aurais aimé la jouer mais ce n’était rien en regard de l’indépendance de mon pays".
Il ne sera évidemment plus jamais sélectionné sous le maillot tricolore.
Jean Snella retrouve un Mekloufi transformé à Genève en 1960
Pour cela, Mekloufi a quitté Saint-Etienne dans la clandestinité, il est renié en France. Entre temps, Jean Snella est devenu entraîneur du Servette de Genève, en Suisse. Il récupère son attaquant prodige(ieux) de 1960 à 1962. Rachid devient champion de Suisse en 1962, enthousiasmant les supporters locaux de son jeu allègre.
Puis en 1962, la guerre d’Algérie s’achève enfin et l’équipe du FLN se disloque. Les clubs tricolores demandent alors aux instances du football le retour de leurs exilés et avec Jean Snella, Rachid repasse la frontière pour effectuer son grand retour à l'ASSE. Pourtant, à une époque où l'information ne circule pas aussi vite qu'aujourd'hui, certains s’inquiètent des réactions d'un public qui n'était pas forcément au courant de son retour. Mais la réaction du Chaudron est formidable: "A mon retour à Saint-Étienne, le club n’allait pas bien à l’époque, l’affluence était en berne. Lors de mon premier match à Saint-Étienne, face à Limoges, elle avait doublé et tout le monde avait peur de ce qui pouvait se passer. Quand je suis rentré sur le terrain, je n’étais pas fier. J’ai été accueilli par un silence glacial. Et puis j’ai touché mon premier ballon. Je ne sais pas ce que j’ai fait, un geste incroyable dicté par je ne sais qui et ça a été l’ovation. J’ai compris que les gens n’étaient pas venus voir le fellagha ou le déserteur. Ils étaient venus voir le footballeur. Le public stéphanois est connaisseur"
En effet, Geoffroy-Guichard explose de joie: Rachid est de retour. Mekloufi, qui avait commencé avec les N'jo Lea et Rijvers, joue désormais davantage milieu de terrain, organise le jeu pour ses jeunes partenaires: Herbin, Jacquet, Larqué ou Revelli. Il est l’artisan de la remontée des Verts en D1 et de l'obtention de son deuxième titre de Champion de France, acquis immédiatement l'année de son retour en D1, sept ans après le premier, cas unique.
Grand retour de Mekloufi, ici buteur à Strasbourg , dans l'ASSE de 1962-63
Joueur à part entière de la toute jeune équipe d'Algérie, Mekloufi est désormais l'un des meilleurs joueurs du championnat de France et peut-être du monde. Sa saison 1966-67 ne fera que le confirmer: c’est la consécration pour l’enfant de Sétif qui remporte son troisième titre et est sacré meilleur joueur du championnat. Un nouveau titre suit en 1967-68 et, pour son dernier match sous le maillot vert, en finale de la Coupe de France contre Bordeaux, Mekloufi réalise un doublé pour une victoire 2-1. La fin de cette belle histoire s’achève par un triomphe. Il quitte donc les verts qui le remplaceront par un autre africain, un certain... Salif Keita !
En finale de Coupe 1968, un doublé resté dans l'histoire du foot français
4 titre de Champion, une Coupe de France, un doublé Coupe-championnat, une Coupe Drago, 337 matches, 152 buts, c’est aussi cela Rachid Mekloufi. Il est alors le meilleur buteur de l'ASSE, il ne sera détrôné que par Hervé Revelli quelques années plus tard.
Ses dernières années de footballeur, Mekloufi va les passer à Bastia où il devient entraîneur-joueur de 1968 à 1970. Il devient ensuite sélectionneur de l’équipe nationale d’Algérie, remportant les Jeux Méditerranéens en 1975. Il est surtout l’un des deux entraîneurs de la grande équipe d’Algérie de 1982, qui terrasse l’Allemagne grâce à deux buts de Madjer et Belloumi, avant d’être éliminée suite à un match honteusement arrangé entre l’Allemagne et l’Autriche. Il souffrira longtemps de ce scandale mais les Fennecs prouvent au monde entier que leur football, à l’image de celui de Mekloufi, très technique et créatif, peut renverser des montagnes.
Mekloufi entraîneur malheureux de la sélection algérienne en 1982
Après cette amère expérience, il devient un moment le premier dirigeant du football algérien en 1988. Cette tentative sera de courte durée: écœuré de voir son football incapable de lutter contre le pillage des Européens, il finit par rapidement jeter l’éponge.
Rachid occupe par la suite quelques responsabilités au sein de la CAF (Confédération Africaine de Football) et est nommé en 2012 ambassadeur de l'ASSE par Roland Romeyer: "C’est un immense plaisir pour moi, et une fierté d’être nommé ambassadeur de l’AS Saint-Etienne. Cela m’a permis de me rendre compte des précieux services que j’ai rendus à ce club mythique. (...) Je suis honoré par l’attribution d’une place à vie dans la tribune officielle du stade Geoffroy-Guichard. J'aurai la tâche de représenter le club dans les différentes manifestations en tant qu’ancienne figure de l’ASSE."
Rachid Mekloufi au Musée des Verts en 2015
Il réside avec son épouse, à La Marsa en Tunisie, conclusion d’une carrière bien remplie, mais jamais entachée du moindre carton jaune, pour celui qui restera à jamais l’enfant prodige de Sétif et de Saint-Étienne: "A mon arrivée, j’ai trouvé les Français merveilleux, d’une gentillesse extraordinaire, d’une curiosité remarquable. Une ville comme Saint-Étienne qui était une ville noire, je l’ai trouvée belle parce que le contact humain était magnifique. Je ne voyais que de la gentillesse autour de moi, c’est ce qui m’a fait adhérer totalement à Saint-Étienne. C’est d’ailleurs pour ça que Saint-Étienne, pour moi, c’est sacré. C’est ma deuxième ville de naissance".
Pour en savoir plus sur ce monument du football, profitez-en pour lire ou relire le long et passionnant entretien que cette figure mythique du club avait accordé à Poteaux-Carrés en 2007:
Interview de Rachid Mekloufi (1/2)
Interview de Rachid Mekloufi (2/2)
Sources: Le Miroir du Football, "Un maillot pour l'Algérie" de Rey, Galic et Kris (Ed. Dupuis)