Dans la seconde partie de l'entretien qu'il nous a accordé à La Défense, Rachid Mekloufi tacle les dirigeants du football algérien, le jeu des Verts (qu'ils soient Fennecs ou stéphanois) et l'Olympique Lyonnais !


Vous étiez apprécié par les dirigeants bastiais, pourquoi n’avez-vous pas poursuivi l’aventure en Corse ? Vous souhaitiez retourner en Algérie pour des raisons personnelles ?

Non. A partir du moment où j’avais fait ma part de travail pendant la guerre, j’étais libre. Mais alors que j’étais encore sous contrat à Bastia, l’Algérie m’a envoyé quelqu’un : un ami personnel, un ami d’enfance, qui est venu m’emmerder. Il m’a dit : « Ecoute Rachid, il y a le ministère qui m’envoie pour que tu prennes le football en main, etc ». Bref, il m’a baratiné ! (rires). Je pouvais dire « non, foutez-moi la paix ! ». Mais bon, il m’a appâté, il m’a convaincu que je pouvais faire du bon travail en Algérie. Je lui ai dit : « Ecoute, moi je suis professionnel, j’ai un contrat, il faut que tu sollicites les dirigeants du SC Bastia. » Il est allé voir le président du club, qui était catastrophé. Il voulait me garder car je faisais du bon travail pour Bastia. Ils ont bataillé, et au bout d’un certain temps le président s’est rendu compte que son interlocuteur ne voulait rien entendre et ne lâcherait pas. Je suppose qu'ils ont dû trouver un arrangement lors des négociations pour que je parte.

En 1970, vous retournez en Algérie et vous prenez les commandes de la sélection nationale...

(Il coupe) Non, en 1970 je suis rentré mais finalement il n’y avait rien ! C’était quelque chose vraiment de terrible. On ne peut pas s’amuser avec cette histoire. J’avais une femme et deux enfants, etc. Ils m’ont un petit peu baladé. Finalement l’armée m’a sollicité. On m’a dit : « le service national va être instauré, il y a des jeunes qui vont rentrer à l’armée, il faut les former au football ». Là, c’était un poste plus concret, plus sérieux, plus costaud. A partir de là, on a commencé un travail de fond qui a permis au football algérien de se développer.

Votre travail a été reconnu et vous avez pris en charge la sélection nationale.

Oui, au bout d’une année j’ai tenté ma chance avec la sélection nationale. Mais cette première expérience à ce poste a été assez brève. A l’époque, il fallait prendre le football en entier avec une équipe de techniciens. Je pensais avoir les coudées franches mais finalement je me suis retrouvé au milieu de crabes qui m’ont complètement sabotés. Je suis resté une année et après je les ai envoyés balader.

Vous avez gagné les Jeux Méditerranéens en 1975 quelques semaines après la visite officielle de Valéry Giscard d’Estaing, première chef d’Etat français reçu à Alger depuis l’indépendance. Quels souvenirs avez-vous conservé de la finale remportée devant 70.000 spectateurs contre l’équipe de France amateur, dans laquelle jouait un petit jeune prometteur, Michel Platini ?

Je garde un excellent souvenir de ce match. Mais auparavant, il faut rappeler le contexte de mon arrivée à la tête de cette équipe. En juin 1975, l’équipe d’Algérie perd contre la Tunisie lors des éliminatoires des Jeux Olympiques. Le président de la République Boumédiène fait le ménage au sein de l’équipe nationale et de la fédération. Il appelle son conseiller du protocole et lui dit : « contacte Rachid, et dis lui qu’il va s’occuper des Jeux Méditerranéens. Qu’il se débrouille ! ». Moi j’ai accepté car mon équipe militaire était prête. Même si on n’était qu’à deux mois de la compétition, je savais que j’avais de très bons joueurs. On les prend, on les prépare, on les met en stage. On a fait des Jeux Méditerranéens merveilleux, on a pratiqué un jeu extraordinaire. Les garçons étaient vraiment extras. On est allé au bout de la compétition. Dieu m’a prouvé qu’il existait lors de la finale de la coupe de France contre Bordeaux en 1968. Je peux dire la même chose concernant cette finale à Alger contre la France lors des Jeux Méditerranéens. A la 89ème minute, on perdait 1-0 contre la France. Et puis tout d’un coup notre ailier droit déborde puis centre et un défenseur français marque contre son camp ! Un vrai miracle cette égalisation à la dernière minute du temps réglementaire ! On a gagné le match en marquant lors de la prolongation. C’était un match à risques… Si on avait perdu à domicile en finale contre la France, l’ancienne puissance coloniale, les gens seraient devenus fous ! Quoique…Ce qui s’est passé il y a quelques années lors du France-Algérie au Stade de France ne se serait jamais passé chez nous. Ce n’est pas notre éducation.

Cette victoire en 1975 marque le début de l’âge d’or du football algérien. Après les Jeux méditerranéens, avez-vous continué d’œuvrer pour pérenniser le succès des Fennecs ?

De 1975 à 1979, on avait le pouvoir. J’étais avec les anciens joueurs du FLN : Kermali, Soukhane, Rouaï, etc. On avait fait en sorte de quadriller tout le football en Algérie, à travers toutes les régions. On avait fait ce que les Français avaient commencé à faire. On avait réussi à sortir de tout ce travail d’abord une élite de seniors, ensuite de juniors et enfin de cadets. Il y avait onze joueurs de haut niveau dans chaque sélection. Tous ces joueurs étaient drivés par des membres de l’équipe du FLN. Notre travail de fond a été récompensé par de bons résultats : par exemple, l’équipe nationale juniors a été championne d’Afrique en 1979 et est allée en coupe du monde à Tokyo. A cette époque, Boumédiène était toujours vivant et personne ne venait nous emmerder. Notre travail était sérieux et concluant. Le jour où Boumédiène est mort, le ministre s’est mis à s’immiscer dans notre travail. Il a commencé à me dire : « Ecoute Rachid, il faut virer Kermali parce qu’il n’est pas sérieux, etc. » Je lui ai répondu : « Ecoutez, Monsieur le Ministre, c’est quand même un garçon qui a qualifié notre équipe. Il n’est peut-être pas sérieux en dehors du terrain, mais professionnellement il est sérieux, il fait du bon travail, etc. » Le ministre n’a rien voulu savoir, il voulait prendre le pouvoir. Quand j’ai vu qu’il persistait au sujet de l’éviction de Kermali, j’ai fait une lettre de démission collective. Quand il l'a reçue, le ministre a réagi comme ça : « je m’en fous, ils m’ont fait un travail de dix ans.» Effectivement, jusqu’en 1990, l’Algérie a profité de toute la récolte que nous avons semée. Ensuite, ils se sont un peu inquiétés : « Madjer est vieux, Belloumi est vieux, qui on va prendre ? » Et bien personne ! Personne n’a repris le flambeau pour assurer la relève du football algérien.

Vous avez été rappelé pour entraîner la grande équipe d’Algérie, victorieuse de l’Allemagne en coupe du Monde… Quelle analyse faites-vous du parcours des Fennecs dans cette compétition ?

L’aventure de la coupe du monde 1982 a été merveilleuse, mais malheureusement les politiques se sont encore immiscés dans nos affaires. Avant de partir en Espagne, il y a un politicien qui a réuni nos joueurs. Il leur a dit : « écoutez, battez les Allemands et revenez tout de suite, vous n’avez pas besoin de faire les deux autres matches. » On a battu les Allemands 2 buts à 1. Les paroles du politicien sont restées dans les cervelles des joueurs. Personne n’était prêt pour les deux autres matches. On a joué notre deuxième match contre les Autrichiens. Tu fais match nul avec eux, t’es tranquille. Mais ils nous ont planté deux buts, on n’en a pas mis un seul… Les joueurs n’y étaient plus. On a tenté de les remettre dans le coup. Il fallait gueuler car ils étaient toujours au téléphone avec la famille, avec les copains. Les joueurs étaient complètement déconnectés, démobilisés. On a quand même réussi à gagner notre troisième match contre le Chili 3 buts à 2.

Malgré cette victoire, l’Algérie a été éliminée suite au match pipé entre l’Allemagne et l’Autriche…

Récemment, un joueur autrichien a reconnu que la victoire de l’Allemagne sur l’Autriche par un but d’écart était préméditée car elle permettait aux deux équipes de se qualifier. On peut comprendre à la rigueur la passivité des joueurs. Par contre, établir un plan de bataille en disant « attention, on se s’approche pas des buts, etc », c’est scandaleux de la part des responsables qui ont pu faire des réunions avec leurs joueurs pour leur donner de telles instructions. C’est gros quand même un tel arrangement ! Après ce match, la FIFA a revu le règlement de la coupe du monde : depuis 1986, les derniers matches de poule se disputent simultanément.

Vous avez présidé la fédération algérienne de football en 1988 mais vous n’êtes pas resté très longtemps à ce poste. Vous avez de nouveau présenté votre candidature en 2001 avant de la retirer juste avant le début du scrutin. Pourquoi ?

En octobre 1988, j’ai été désigné par le Ministre des sports juste avant qu’il y ait des manifestations dans les rues pour la démocratie. Quand j’ai vu ça, je me suis dit avec mon équipe qu’on n’avait pas le droit de rester à la tête de la fédération en étant désigné comme ça. On démissionne et on prépare des élections. Le ministre accepte notre démission et met un bureau provisoire. Il a fait abstraction de ce qui se passait dans les rues et il a continué dans la perspective d’une désignation, alors qu’on voulait des élections.

En 2001, on a essayé de changer le mode d’élection de la fédération : au lieu de faire l’élection générale des gens et ensuite faire la formation du bureau, on a dit qu’on préférait des listes : une tête de liste avec son équipe, c’est plus concret, plus raisonnable. Je préfère travailler avec des personnes qui ont rejoint ma liste et qui sont dans la même orientation que moi plutôt que de collaborer avec des gens qui viennent à droite, à gauche. Notre idée de faire des listes a été acceptée, mais on a alerté le ministre sur les risques de magouilles. A l’assemblée, il y a avait tellement de gens qui n’avait rien à voir avec l’assemblée qu’on est sorti. On a préféré retirer notre candidature pour ne pas cautionner cette mascarade.

L’âge d’or du football algérien a pris fin avec la victoire des Fennecs en coupe d’Afrique des Nations en 1990. Quelles sont les raisons du déclin du football algérien ?

Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer ce déclin. Les dirigeants n’ont pas été à la hauteur. Les événements politiques et l’arrivée au pouvoir du FIS n’ont pas amélioré la situation. De plus, la pénétration de gens qui n’ont rien à faire avec le football a été néfaste. Les affairistes ont gangrené notre football. Avec eux, on ne peut pas faire un travail à long terme, un travail de recherche, un travail de fond. En plus de ça, il y a un manque d’infrastructures : nous avons des stades mais nous n’avons pas de terrains d’entraînement. Quand vous pensez que des clubs phares comme le Mouloudia ou Oran n’ont même pas un terrain pour aller s’entraîner, ça vous situe un petit peu le niveau des responsables après 1990. Le problème se situe à partir de 1982. On s’est occupé de cette équipe de 1982 en faisant abstraction de tout : de la formation, des infrastructures, etc. On a tellement suivi et pressé cette équipe de 1982 qu’en 1990 il n’y avait plus rien. Cette maladie du football fait que plus on avance et plus des personnes incompétentes gèrent ce football et plus les autorités se neutralisent : la fédération, le ministère, etc. Actuellement nous sommes à plat, nous n’avons plus rien. Quand vous pensez qu’aucune équipe, ni les juniors ni les cadets, ne s’est qualifiée au moins pour les championnats d’Afrique depuis 1982, on se pose la question : mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Après avoir pressé jusqu’au bout la génération 1982, on l’a carrément laissé tomber ! Au lieu de la prendre en charge et de la mettre dans des conditions intéressantes pour assurer l’héritage du football algérien, on a mis de côté ces joueurs, on les a oubliés. Personne n’a été formé, personne n’a été envoyé à l’étranger pour essayer de se recycler, etc. Il y en a juste un ou deux qui entraînent. Un garçon comme Rabah Madjer qui avait les qualités pour devenir un grand entraîneur en Algérie, ils l’ont complètement saboté, complètement détruit. On se pose la question : qu’est-ce qui se passe ? Ils ne veulent plus que le football algérien soit au top niveau ? Je me tue à le répéter à chaque fois qu’on me donne la parole : il faut absolument que l’Etat prenne en charge ce football, ce n’est pas normal qu’on se traîne comme ça.

Pensez-vous malgré tout que cette situation de crise et d’immobilisme prendra fin prochainement ?

S’il n’y a pas un noyau de gens de bonne volonté qui prennent en charge les choses le football, ce n’est pas de lui-même qu’il va rejaillir. Actuellement, tout est laissé à l‘abandon. Je le vois dans nos quartiers : ils devraient être cadrés et quadrillés mais nos jeunes sont délaissés. Il n’y a pas de politique de jeunes dans les clubs, dans les régions. Regardez un peu cette situation aberrante concernant les Jeux Méditerranéens : alors qu’ils ont lieu en juillet, le contrat de l’entraîneur prend fin en mai. Pourquoi les dirigeants ne font pas courir ce contrat jusqu’en septembre ? On est en train de voir ce football s’effondrer. Cette situation est râlante et désespérante. De temps en temps on balance des interviews mais ça ne change rien. J’ai l’impression que ça n’intéresse même plus les journalistes. C’est fou ! D’autant plus que lorsqu’on intervient dans les médias, ce n’est pas pour dénigrer mais pour construire, pour essayer de mettre en place quelque chose de durable. Hélas, on n’est pas écouté, rien ne change. Pourquoi ? Parce qu’il y a un pognon fou ! Il n’y a pas une seule personne qui avance dans ce football en se disant « je vais travailler pour le football ». Ils ne pensent qu’au pognon.

La sélection nationale compte des joueurs talentueux comme Karim Ziani (Sochaux) et Nadir Belhadj (Sedan). Pensez-vous que l’Algérie se qualifiera pour la CAN 2008 ?

Ce que je vais dire vaut aussi bien pour l’Algérie que pour l’ASSE : une équipe qui n’a pas un fond de jeu, qui n’a pas une assise technique à la fois individuelle et collective dans le jeu, c’est une équipe qui est appelée à disparaître ou à faire des résultats comme ça, occasionnellement. J’ai vu le match Algérie-Cap Vert à la télévision : j’ai vu une équipe en bleu qui joue rationnellement, qui joue en déviation, qui occupe bien le terrain. Et j’ai vu des blancs en train de batailler, de courir avec les ballons, de faire des passes en avant. L’Algérie a quand même gagné le match 2-0, mais j’ai peur qu’elle soit en train de se détruire car elle n’a pas de fond de jeu. Elle n’a pas cette assise qu’on peut acquérir à l’entraînement à force de travailler les enchaînements. Prenez le match Saint-Etienne-Lyon : moi j’étais persuadé qu’à la mi-temps, les Verts allaient mieux se comporter parce que pendant les quinze minutes de repos, on peut discuter pour corriger ce qui ne va pas. Et bien je n’ai pas vu de changement dans le jeu en deuxième mi-temps. Il y a quelque chose qui cloche !

Au dernier classement de la FIFA, l’Algérie n’occupe que la quinzième place des pays africains. Votre pays a-t-il les moyens de redevenir une des grandes nations de football du continent ?

L’Algérie a les moyens matériels et les moyens humains de redevenir une grande nation du football africain. Il ne manque qu’une seule chose, ô combien importante : l’organisation et l’application d’une réelle politique de redressement du football. Quand on a un bon général qui fait un plan de bataille mais qui ne l’applique pas, ça ne peut pas marcher. Notre football a des qualités, il a de l’argent, il a des moyens humains extraordinaires. Le jeune joueur algérien est amoureux du football, plus que le jeune joueur tunisien ou marocain, pour moi il n’y a pas photo. Mais le jeune tunisien a l’encadrement voulu, a les infrastructures voulues, a le suivi voulu. Le jeune marocain aussi, à un degré moindre. Le jeune algérien est laissé à l’abandon. Il doit se débrouiller. Des centaines de pères de famille nous supplient de leur trouver un club pour que leurs enfants puissent s’entraîner et jouer. Mais on ne peut pas les orienter car il n’y a rien de sérieux, rien d’efficace, rien d’organisé. Et bien ça, c’est la faute des dirigeants actuels au niveau du football.

Dans la course à la qualification pour la CAN, le plus sérieux adversaire de l’Algérie est sans doute la Guinée, entraînée depuis quelques mois par Robert Nouzaret. Il a laissé de bons souvenirs aux supporters des Verts et aux supporters du Mouloudia d’Alger. Avez vous eu l’occasion d’échanger avec lui sur les Verts ou sur le foot algérien ?

Non, avec lui j’ai seulement échangé des coups sur le terrain ! (rires) S’il a pris la Guinée, c’est que cette sélection doit avoir une assise, doit avoir un fond de jeu intéressant. Elle compte des joueurs de bon niveau évoluant dans le championnat français. C’est en effet un concurrent sérieux pour l’Algérie. Les Algériens sont allés faire match nul à Conakry. Les Guinéens comptent trois points de retard, ils tenteront donc de venir gagner à Alger. Mais avant ce match, n’oublions pas qu’il y aura Cap Vert-Algérie et Guinée-Gambie. Si l’Algérie gagne au Cap Vert, elle pourra aborder le match contre la Guinée plus tranquillement, plus sereinement.

Concernant Robert Nouzaret, je n’ai pas d’affinités particulières avec lui. Je suis très méfiant envers les gens qui se déplacent beaucoup. Je ne suis pas d’accord avec les gens qui bougent trop facilement d’un club ou d’un pays à un autre. Quand je vois qu’un joueur change tous les ans de club, je me dis qu’il ne doit sûrement pas être fiable et propre. Il doit y avoir quelque chose qui cloche. Pour ce qui est de Robert Nouzaret, il a pas mal bourlingué : il a été deux fois en Côte d’Ivoire, il a été en Algérie, etc. Bon, maintenant, ce n’est pas pour ça que c’est un garçon qui est condamnable, au contraire. Il risque de me surprendre. C’est pour ça que je dis à l’Algérie : « méfiez-vous de la Guinée !»

Quelles fonctions occupez-vous actuellement à la CAF (Confédération Africaine de Football) ?

De 1988 à 2004, j’étais membre de la commission technique de la CAF qui était appelée chaque année en réunion pour donner des idées pour l’évolution du football. On faisait des stages d’entraînement de différents niveaux aux pays qui le demandaient. J’étais amené à me déplacer régulièrement pour former ces stagiaires dans de nombreux pays africains. C’était un travail sérieux mais il y a beaucoup de choses qu’on a développées, qu’on a dites en réunion qui sont restées lettre morte. Un exemple parmi d’autres : je leur ai fait une proposition en ce qui concerne les joueurs de double nationalité. Je leur ai dit : « écoutez, les joueurs qui jouent une fois avec une équipe nationale, ils sont foutus. Si un joueur franco-algérien est en France et qu’il joue une fois en équipe de France cadets ou juniors, il est condamné à jouer en équipe de France A. Ce n'est pas normal. Ce joueur qui a la double nationalité, permettez-lui au moins de pouvoir faire un chois jusqu'à l’âge de 20 ou 21 ans. » Il y a des joueurs qui ont patienté et n’ont pas voulu répondre de suite à l’équipe algérienne car ils espéraient jouer en équipe de France. Au lieu de considérer mon initiative, la CAF a mis cette idée dans le tiroir. C’est finalement la FIFA qui l’a reprise et l’a développée. J’aimerais que la CAF soit plus entreprenante, plus efficace dans le développement du football. Ils organisent des stages à droite et à gauche mais ça manque de suivi. Aujourd’hui, je fais toujours partie de la CAF mais on m’a mis dans la commission des footballeurs. C’est la commission des gens connus : Salif Keita et Georges Weah en font partie. C’est une commission bidon. Il y a un ordre du jour léger, léger, léger. C’est une commission de remerciements, une commission honorifique qui ne permet pas de faire du travail concret.

Choqué d’apprendre votre désignation comme commissaire au match Mali-Burkina Faso des moins de 17 ans, Hakim Laâlam a écrit dans Le Soir d’Algérie du 25 novembre 2006 : «Incorrigible rêveur, indécrottable nostalgique d’un feu follet vert, d’un sorcier faisant bouillonner un stade qui ne s’appelait pas encore le «chaudron», je n’arrive pas à visualiser cette image d’une main courante, d’une table en bois, d’une chaise au bord de terrain, et de Mekhloufi assis sur cette chaise et penché sur cette table, en train de noter les petits faits et gestes de 22 Maliens et Burkinabés de moins de 17 ans tapant dans un ballon. Que voulez- vous, c’est plus fort que moi ! Ce n’est pas du mépris pour ces jeunes footballeurs. Mais c’est juste du respect pour une idole. Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue. » Que vous inspire cette réaction ?

Disons que cette réaction situe la personne et sa vision du football. Finalement, quand on fait ce qu’il dit, c’est-à-dire aller sur le terrain pour noter les faits et gestes de jeunes joueurs, et bien je considère que c’est l’ABC du football ! Si on ne commence pas par là, on n’arrivera jamais à développer le football au plus haut niveau. Tous ces garçons qui me témoignent leur respect n’ont pas toujours conscience que si le foot algérien est devenu ce qu’il était en 1982, c’est parce qu’on est allé dans les villages, on est allé manger des sandwichs, on est allé voir des pauvres pour les lancer et les faire progresser à travers les football. Certains s’imaginent que le football c’est la grande parade, les gueuletons, etc. A l’heure actuelle, le football algérien est au plus bas, sous terre. Si on ne commence pas par accomplir ce travail de base au contact des plus jeunes, on arrivera à rien… Personne n’oblige personne. Si je n’avais pas voulu aller au Mali pour suivre ce match des 17 ans en tant que commissaire, je n’y serais pas allé. Mais le football est un sport populaire, on n’a pas le droit de négliger le travail de base. Il faut s’impliquer. En tant qu’exemple du football algérien, j’estime qu’il est de mon devoir d’effectuer de telles missions. Peut-être que le journaliste dont vous venez de citer les propos a voulu faire passer un message pour le football algérien. C’est une façon d’interpeller les responsables du football de notre pays en leur disant « regardez, ce garçon va au fin fond de l’Afrique pour effectuer un travail que vous avez négligé ». C’est sans doute le sens qu’il convient de donner à ses propos car Le Soir d’Algérie est un journal d’opposition.

En conclusion de son article « Mekloufi, un footballeur français dans la guerre d’Algérie » (Actes de la Recherche en sciences sociales, juin 1994), l'historien Pierre Lanfranchi souligne que vous n’avez jamais été attaché de manière durable à une fonction correspondant à vos compétences et à votre talent. « Cette impossibilité à s’établir chez Rachid Mekhloufi repose fondamentalement sur une impossibilité, de la part d’instances officielles du football algérien, à reconnaître une compétence produite et consacrée sur ce qui est demeuré le « terrain de l’adversaire ». On touche aux limites de l’universalisme du sport qui ne vaut que s’il est intégré, donc retraduit, dans la logique des cultures nationales ». Partagez-vous cette analyse ?

Disons que c’est plus une analyse politique qu’une analyse sportive. Quand je fais une analyse rétrospective du travail que nous avons fait avec mes camarades de l’équipe du FLN, je pense que nous avons réussi à inculquer dans notre approche ce travail professionnel, organisé, structuré qu’on avait connu en France. Pendant quatre ans, de 1974 à 1979, on a mis en marche des structures solides et sérieuses. On n’avait peut-être pas les moyens financiers à l’époque, mais on a fait preuve de disponibilité et on a consenti des sacrifices. On a réussi à relancer le football. Mais les autres n’ont pas eu la possibilité de continuer le travail. Les autorités n’ont rien compris, c’est ça qui est terrible.

Que pensez-vous de l’élection de Michel Platini à la présidence de l’UEFA ? Le croyez-vous capable de redonner des valeurs au football et de lutter contre les dérives du foot-business ?

C’est une bonne chose qu’un homme de football soit au top niveau des hautes instances européennes. Maintenant, sa tâche sera loin d’être facile. Il faut absolument qu’il s’entoure de gens qui ont la même approche que lui. Son premier cercle doit avoir absolument la même approche que lui. Comme ça, il pourra essayer de sensibiliser les décideurs en leur faisant passer le message suivant : le football sera encore plus riche s’il est bien joué, s’il y a un spectacle, s’il y a moins de violence, s’il y a une approche familiale au niveau des stades. J’étais aux Etats-Unis en 1994 pour assister à la coupe du monde en tant que technicien de la FIFA. C’était une vraie fête, les gens venaient au stade avec leurs enfants, etc. Il faut absolument œuvrer dans ce sens là : le foot doit être une fête, et pas une guerre. Pour moi c’est primordial.

Etes-vous favorable au recours à la vidéo dans le football ?

Si on introduit la vidéo, on va faire un football de riches. Je n’y suis pas favorable car l’un des charmes du football est sa spontanéité. Si la technique et l’électronique s’infiltrent dans le football, on pourra dire adieu au football. Le football n’est pas une science exacte. Non, non et non ! Si un jour on arrive à ça, c’est la mort du football.

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Zinédine Zidane lors de son voyage en Algérie de décembre dernier ? De quoi avez-vous parlé ?

Je l’ai vu car l’équipe du FLN était invitée à le rencontrer à plusieurs réceptions. J’ai l’impression qu’il était timide. Il n’osait pas me regarder. Je pense que son père a dû le briefer sur moi. J’estime que c’est un garçon qui peut faire un équilibre entre l’Algérie et la France. Quand j’étais à Saint-Etienne, j’étais un équilibre entre les deux pays. Zidane représente actuellement la même chose : il est aussi à l’aise en France qu’en Algérie. Il est adoré dans les deux pays. Il y a quelque chose qui se transmet dans le football. On n’aimerait pas que des fachos mettent à mal ce football. Par ailleurs, il faut s’efforcer de préserver la popularité et l’universalité de ce sport. C’est pour ça que je suis hostile au recours à la vidéo. Et il faut que la coupe du Monde soit vue par tout le monde, et pas uniquement par les riches. C’est un petit reproche que je fais à la FIFA. En Afrique, beaucoup de personnes n’ont pas vu la dernière coupe du monde. C’est quand même anormal !

Avez-vous fait l’objet d’insultes racistes lorsque vous étiez joueur ? Pensez-vous que le racisme qui existe aujourd’hui dans le football est plus fort qu’à votre époque ou qu’il est plus médiatisé ?

En sport et en football, ce racisme est beaucoup plus une déstabilisation de l’adversaire qu’autre chose. Quand on insulte un garçon comme Eto’o, c’est pour le déstabiliser, pour le rendre bourrique. La même chose se passait quand nous on jouait. A Saint-Etienne, je n’ai jamais entendu d’insultes racistes. Mais à l’extérieur on en entendait, certains supporters de l’équipe adverse essayaient de nous déstabiliser. Il faut que les joueurs confrontés à ce genre de problème gardent la tête froide et redeviennent humbles et accessibles en contactant les populations, en allant à leur rencontre. Il ne faut pas jouer les stars et faire preuve d’humilité.

Zidane a joué lors du match amical France-Algérie du 6 octobre 2001. Ce premier match officiel entre les deux pays a tourné au fiasco, la partie a été interrompue suite à l’envahissement du terrain par des dizaines de spectateurs. Etiez-vous au Stade de France ce soir-là ? Que pensez-vous de la vive émotion suscitée par ce match bien au-delà du milieu sportif ?

Ce soir-là, j’étais au stade avec ma femme. Je lui ai dit : « j’ai envie d’aller voir les responsables pour qu’ils ne fassent pas jouer les hymnes. » Bon, je me suis ravisé. Mais en fait, les incidents ont commencé au moment des hymnes. Pour ce match amical là, on aurait pu faire l’impasse sur les hymnes nationaux. On aurait pu mettre une chanson d’Enrico Macias par exemple (rires). Il y a eu des sifflets sur chaque hymne, et dès ce moment là il y a eu une mauvaise ambiance. Ensuite ça s’est calmé et l’invasion du terrain a commencé au quatrième but des Français, me semble-t-il. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nos émigrés avaient peur de prendre une dizaine de buts. C’est pour ça qu’ils sont rentrés sur le terrain. Là, si j’avais été responsable de la fédération française, j’aurais pris Zidane et je lui aurais demandé de dire des mots d’apaisement. Je suis persuadé que ça aurait calmé tout le monde et que tout serait rentré dans l’ordre. Maintenant, en ce qui concerne le comportement de ces garçons qui ont envahi le terrain… C’est votre éducation, ce n’est pas la nôtre ! Si vous venez en Algérie et qu’on joue l’hymne national, ça m’étonnerait qu’on siffle La Marseillaise et que ça se termine par une invasion du terrain. Je crois que c’est votre éducation qui n’est pas bonne, d’autant plus que certains stadiers censés faire barrage étaient partie prenante...

Souhaité par les présidents Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac, le traité de "partenariat d'exception" entre la France et l’Algérie a été bloqué par la polémique suscitée par la loi française du 23 février 2005, évoquant le "rôle positif" de la colonisation. L'article contesté a depuis été abrogé mais les négociations restent en panne. Les autorités algériennes exigent la repentance de la France pour la colonisation de 1830 à 1962, avant toute reprise des discussions sur ce traité d'amitié. Jacques Chirac récuse cette notion : « nul ne peut être rendu comptable des actes commis par ses aïeux. Mais nous devons comprendre et reconnaître les erreurs passées, pour ne pas les répéter" (Le Monde du 22 mars 2007). Quel est votre avis sur cette délicate affaire ? Quel regard portez-vous sur l’état actuel des relations franco-algériennes ?

Ce n’est pas une mince affaire. Les relations entre la France et l’Algérie n’ont jamais été faciles. D’un côté comme de l’autre, il y a toujours des tiraillements. C’est le temps qui fera que tout s’apaisera. Peut-être que dans dix ou quinze ans, on ne se rappellera même pas qu’il y a eu une guerre entre l’Algérie et la France. Je pense que les relations ne sont toujours pas apaisées car ce qui s’est passé entre les deux pays est encore trop récent. On veut aller plus vite que la musique, or d’un côté comme de l’autre, des gens ont gardé des séquelles. Mais je reste persuadé qu’un jour ou l’autre, tout s’arrangera, tout rentrera dans l’ordre. Je connais le peuple algérien, c’est un peuple qui pardonne. Quand un Algérien parle de la France, c’est avec gentillesse. La majorité du peuple français pense la même chose. Il y a hélas une petite frange qui n’a pas tourné la page de l’Algérie française. C’est comme ça, il faut laisser le temps au temps et nos deux peuples vivront en amitié et en harmonie.

Revenons à nouveau sur le terrain du football. Vous partagez votre temps entre Alger et La Marsa (Tunisie). Malgré la distance, continuez-vous de suivre avec attention le parcours de l’ASSE ?

Oui, plus que jamais ! Bien sûr, je suis resté fidèle à Saint-Etienne. Je suis toujours en contact avec Bereta et Mitoraj. Je continue de suivre avec attention le parcours des Verts. A distance, c’est avant tout le résultat des Verts qui m’intéresse. Quand je suis sur place, je m’informe de l’évolution du club. J’ai profité de mon actuel séjour en France pour voir les Verts au Parc des Princes puis à Geoffroy-Guichard contre Lyon. Je connaissais le football déployé par les Verts, qui n’était pas très concluant, pas toujours très beau et qui manquait d’assise. Ils m’ont surpris à Paris : ils ont bien joué, il y avait une bonne circulation de balle, ils ont occupé le terrain de façon rationnelle, etc. Ils ont gagné le match car ils ont développé un bon football.

Ilan a marqué ce soir là un but exceptionnel. Quel est le plus beau but que vous avez inscrit sous le maillot vert ?

Ilan a mis un but extraordinaire. Quel retourné ! moi je ne marquais pas des buts comme ça et j’aurais du mal à vous dire quel est le plus beau que j’ai marqué. Peut-être mon tir des trente mètres qui finit dans la lucarne sur le terrain des Glasgow Rangers, en coupe d’Europe.

Qu’avez-vous pensé de la prestation des Stéphanois lors du derby ?

Quand je suis venu à Saint-Etienne pour voir le derby, je ne m’attendais pas forcément à voir les Verts faire un grand match technique, mais j’attendais de leur part du courage et de l’engagement. Or les autres ont pris sept cartons jaunes, les Verts n’ont reçu aucun avertissement. Ils n’ont même pas eu une égratignure. Ça veut dire quoi ?! On les a vus errer sur le terrain, sans rien dans la tête, sans tactique, sans circulation de balle, sans hargne. Un derby, ce n’est pas ça ! Lors d’un derby, au moins tu as de la « niaque » !

Quels sont vos souvenirs de derby les plus marquants en tant que joueur ?

On les a quasiment toujours mis plus bas que terre parce qu’on avait un autre état d’esprit. On avait un esprit conquérant car on était vraiment désireux de montrer notre suprématie régionale. On n’avait pas le droit de perdre contre Lyon. Et le fait est qu’on a souvent gagné de belle façon. J’ai notamment le souvenir d’une victoire 5-4 à Gerland et d’un joli 6-0 à Geoffroy-Guichard. Le derby n’est plus ce qu’il était. Ce n’est pas pour ça qu’il faut dire aux joueurs « on va les tuer », mais au moins il faut afficher de la hargne, du courage quand on joue contre Lyon ! Le football permet beaucoup de choses mais pour ça il faut aller au contact. Là, c’était nul et ça m’inquiète un petit peu parce qu'avant Saint-Etienne avait ses assises, sa façon de jouer… Même si on n’était pas toujours champions de France, on avait un vrai fond de jeu.

Avez-vous été choqué par les incidents qui se sont produits dans les tribunes et de la polémique qu’ils ont suscitée ?

Je n’ai pas trouvé que ces incidents étaient très graves. Il n’y a pas eu mort d’homme mais de simples inscriptions sur une banderole. Le président de Lyon rouspète, mais qui étaient les provocateurs ? Qui a envoyé le premier fumigène sur les supporters adverses ? Les Lyonnais ! Il y a eu un enchaînement d’incidents regrettables mais à part l’émanation de gaz, il n’y a pas eu de dégâts. Je crois qu’il ne faut pas exagérer. J’ai l’impression que les gens veulent faire de Lyon un intouchable. En fait ça m’agace car techniquement, dans le fond, les Lyonnais ne méritent pas toutes ces louanges. Personnellement, je crois que Lyon profite de la faiblesse des autres équipes pour être au top niveau. Cette équipe n’a pas l’envergure que nous avions à l’époque. Je respecte davantage l’équipe lyonnaise qui nous rendait coup pour coup dans les derbys que l’équipe actuelle, qu’on a tendance a surestimer. D’ailleurs à chaque fois qu’une équipe du championnat de France se rebiffe et leur rentre dedans, les Lyonnais perdent. Je me souviens par exemple que Rennes les a battus chez eux. Les Lyonnais vont peut-être voir cette interview avec curiosité (rires), mais moi je dis que Lyon, c’est surfait !

Avez-vous le sentiment que l’ASSE reste un club populaire en Afrique, même si les Verts n’ont plus gagné de titres depuis 1981 ?

Quand je parcours l’Afrique, c’est comme quand je vais à Saint-Etienne. Quand je vais à Saint-Etienne et qu’on me présente à un jeune, il dit « ah oui, mon père m’a parlé de vous ! ». En Afrique, c’est exactement la même chose. Quand on prononce mon nom, on pense tout de suite à Saint-Etienne. Les Verts sont toujours connus en Afrique. En Afrique du Nord, c’est en partie grâce à moi. Avec Salif, je crois qu’on a contribué à la renommée de Saint-Etienne sur le continent africain. C’est vrai que depuis 25 ans le club n’a rien gagné, mais les Verts sont encore connus.

Pour finir l'entretien, je vous propose de répondre au questionnaire de Proust revu et corrigé par poteaux-carrés. Votre équipe préférée ?

Saint-Etienne.

L'équipe que vous détestez ?

Lyon.

Votre geste technique favori ?

Le changement de piste.

Le son, le bruit du stade que vous aimez ?

La clameur du public juste après un but.

Le son, le bruit du stade que vous détestez ?

Le silence.

Votre juron, gros mot ou blasphème favori lors d'un match ?

Con !

Un footballeur pour illustrer un nouveau billet de banque ?

Pelé.

Le métier du foot que vous n'auriez pas aimé faire ?

Masseur.

Le joueur, l'entraîneur ou l'arbitre dans lequel vous aimeriez être réincarné ?

Jean Snella.

Si le Dieu du foot existe (on aurait entraperçu sa main lors d'un Angleterre-Argentine resté célèbre), qu'aimeriez-vous après votre mort, l'entendre vous dire ?

Saint-Etienne est champion de France !