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Cédant à une idée reçue malheureusement bien répandue, beaucoup d'amateurs de football vous le diront: les gardiens africains sont souvent plus spectaculaires qu'efficaces.
"À part Joseph-Antoine Bell bien sûr" s'empresseront-ils d'ajouter...
Vendredi 24 juin 1994, 15h30, sortie des vestiaires du Stanford Stadium, Californie. Tandis que l’entraîneur Henri Michel et le capitaine Stéphane Tataw mettent sur le compte d’un arbitrage, à leurs yeux partial, la sévère défaite d’un Cameroun réduit à 10 face à un Brésil dominateur (0-3), Joseph-Antoine Bell vient de vivre son dernier match de football.
Samedi 25 juin, 11 heures, centre d’entraînement de l’université Sainte-Marie. Les quelques journalistes présents pour assister au décrassage des Lions Indomptables ne manquent pas d’observer que seuls les gardiens N’Kono (titulaire pendant le Mondial 90) et Songo’o (futur titulaire pendant le Mondial 98) sont à l’ouvrage.
Bell mis au supplice par Bebeto et le Brésil lors de la WC 94
Samedi 25 juin, 15 heures. Joseph-Antoine Bell annonce qu’il met fin à sa carrière de footballeur professionnel. Émotion et séquence explication: "J’ai décidé de ne pas jouer contre la Russie. J’ai décidé de ne plus jamais jouer au football, plus jamais dans l’équipe nationale. J’ai pris ma décision dans le car qui nous ramenait du stade de Stanford, après la défaite contre le Brésil".
Le gardien international camerounais aux 50 sélections met donc un terme à sa carrière sportive à près de 40 ans, avant même le dernier match de poule de la Coupe du Monde 1994. Fin de carrière atypique pour un joueur non moins surprenant.
Joseph-Antoine Bell, né à Yaoundé (Cameroun) le 8 octobre 1954, débute sa carrière en Division 2 camerounaise à l’âge de quinze ans. Pourtant, ce gardien prometteur, aux réflexes étonnants, n’hésite pas à mettre entre parenthèses un palmarès international naissant pour assurer sa complète formation scolaire. Ainsi, pendant qu’il termine en France ses études d’ingénieur en travaux publics, il manque un certain nombre de matches qualificatifs pour le Mondial 1982 et doit laisser son éternel rival Thomas N’Kono briller sur les pelouses espagnoles.
Bell avec le regretté Abega sous le maillot camerounais en 1984
C’est en 1984 qu’il va devenir incontournable. Après avoir débuté dans le club de l'Union Douala, le Camerounais part jouer à l'Africa Sports d'Abidjan, en Côte d'Ivoire. En 1981, il débarque en Egypte sous les couleurs de Al-Moqaouloun al-Arab, plus connu sous le nom d’Arab Contractors. Il y devient champion national, puis d’Afrique. La progression normale du futur meilleur gardien du continent noir.
Arrive la fameuse Coupe d’Afrique des Nations 1984, une compétition que le Cameroun n’a encore jamais remportée. Bell garde les buts des Lions Indomptables en demi-finale face à la Côte d’Ivoire, pays organisateur. Le Cameroun s’impose, il est alors titularisé en finale devant le Nigeria. Le Cameroun s'impose encore, remporte son premier trophée continental et Bell devient alors le gardien du Temple. Cette CAN lui permet de se faire connaître, et après un break d'un an pour parfaire sa formation professionnelle, c’est l'Olympique de Marseille qui flaire le bon coup et le fait signer sur la Canebière en 1985.
Battiston et Bell face à face lors d'un OM-Bordeaux en 1987
Il restera en Provence trois années dans la peau d'un titulaire indiscutable, pendant lesquelles il disputera près de 150 matches en première division tout en remportant la CAN une seconde fois en 1988 aux côtés de Roger Milla. Ce n'est qu'après ce trophée qu’il quitte le club phocéen pour signer à Toulon, où il ne restera qu’une seule saison. En 1989, il quitte la Méditerranée pour l’Atlantique, et signe à Bordeaux où il jouera deux saisons, jusqu’en 1991. Ses retrouvailles avec le Vélodrome sont tristement pathétiques: des bananes sont lancées en sa direction depuis les tribunes marseillaises et le scandale pousse la France du football à se pencher sur la montée du racisme dans les stades: "J'étais le premier gardien noir. Ça n'a pas été plus facile pour moi, mais ça l'a été pour ceux qui sont arrivés après moi. À l'époque, tout le monde pensait qu'un noir ne pouvait pas être assez sérieux ou assez intelligent pour être gardien de but. Les gens pensaient qu'on ne pouvait pas faire confiance à un noir à ce poste, qu'un gardien noir n'était pas fiable. Les gens ne s'attendaient pas à ce qu'un noir puisse être bon au poste de gardien, mais j'ai réussi à le prouver, et depuis le message est passé. C'est pourquoi j'affirme que c'est par le comportement que l'on peut faire changer les gens. Ceux qui pensaient que les noirs n'étaient pas assez sérieux pour être gardiens de but avaient raison à l'époque parce qu'ils n'avaient jamais vu de bon gardien noir. Une fois qu'ils en ont vu un, ils ont su qu'ils s'étaient trompés et c'est par des actes que j'ai fait évoluer leur opinion."
La carrière française de Joseph-Antoine Bell en une image
Au niveau sportif, la relégation administrative des Girondins et l'émergence de Gaëtan Huard poussent Joseph-Antoine Bell à laisser sa place. C’est alors qu’il choisit le dernier club de sa carrière, l'AS Saint-Etienne, qui peine à trouver un remplaçant valable à son icone Jean Castaneda.
Jean-Pascal Beaufreton a assuré un intérim moyen et son N°2, Gilbert Ceccarelli n'est pas considéré suffisamment performant. Joseph-Antoine Bell va alors naturellement trouver sa place dans les buts stéphanois de manière quasiment ininterrompue durant trois saisons. Il évoluera à l'ASSE de 1991 à 1994, pour un total de 108 matchs disputés, soit un tiers de ses 300 matches en 1ère division.
Bell défie les chocs thermiques entre l'ASSE et le Cameroun
Durant cette période douce-amère de l'existence de l'ASSE, entre folles espérances et grandes désillusions, Bell est de tous les matches marquants: la victoire face à Marseille en Coupe de France et l'élimination qui suit face à Nantes, l'affaire de la canette de Papin, la victoire à Gerland en 1993 ainsi que, et surtout, la dernière victoire de l'ASSE face à l'OL avant longtemps, à Geoffroy-Guichard. Ce match d'avril 1994, est également son dernier avec les Verts. Bell laisse alors la place à son successeur Robin Huc et décide de partir au sommet de sa gloire, juste après la World Cup 1994.
Joseph-Antoine Bell salue une dernière fois le public stéphanois
après la victoire contre l'OL (3-0) en avril 1994
Une Coupe du Monde qui sonnera donc la fin de sa carrière, après un match raté face au Brésil, futur Champion du Monde. Dans le long fil de sa carrière, cette compétition aura été un véritable caillou dans sa chaussure. Lors de la Coupe du monde 1990 en Italie, "Jobell" avait déjà été déclassé quelques heures avant le match d’ouverture contre l’Argentine, alors qu’il était annoncé comme titulaire avant la compétition. Le Cameroun s'était imposé 1-0 et avait réussi le meilleurs parcours d'une équipe africaine jusqu'a alors dans le tournoi mondial (quart de finaliste). Quatre ans plus tard lors de cette World Cup américaine, "Jojo" se boute lui-même hors de la cage des Lions après avoir encaissé deux buts contre la Suède et trois face au Brésil. Il assiste au dernier match de sa sélection depuis la tribune, un véritable carnage: tandis que l'ancien Vert Roger Milla (42 ans) inscrit un but historique contre la Russie (record du buteur le plus âgé en Coupe du Monde), son successeur Jacques Songo’o encaisse six buts dont 5 du seul Igor Salenko. Pour Bell, en revanche, c'est la fin du carré vert et le début d'un long combat de chefs dans son propre pays.
Joseph-Antoine Bell face à la Suède (2-2) lors de la World Cup 1994
Car bien que très sollicité à l’étranger (il a l’honneur de prononcer un discours à la tribune des Nations Unies à New York en 1994), l’ancien gardien de but des Lions Indomptables devient rapidement "persona non grata" au pays de ses ancêtres. Joseph Antoine Bell, entraîneur, puis chroniqueur à RFI, dirigeant et surtout grande gueule, subit en effet divers coups bas des instances de sa fédération, comme lors de son échec à la course pour la présidence de la Fécafoot (fédération camerounaise de football) en 1996. Son style et son verbe, assez autocentrés, ne plaît pas toujours et son franc-parler, tout autant que sa gestion particulière, lui vaut quelques déboires et quelques inimitiés. Il doit par exemple essuyer une suspension et la relégation de son club, l'AS Babimbi en juillet 2006, pour avoir brillé par son absence lors des deux premières journées du championnat de deuxième division. L'ancien double champion d’Afrique est également interdit de toute activité au sein de cette Ligue pour une durée de cinq ans.
Mais quelques flammes s’allument tout de même dans "le trou noir" dans lequel s’enlise Bell dans l’univers footballistique camerounais. En 2004, il est choisi par le Chef de l’Etat, pour faire partie de la Commission de relecture des textes de la Fécafoot. L'année suivante, c’est le Ministre des Sports et de l’Education Physique, Philippe Mbarga Mboa, qui sollicite son expérience, en le choisissant parmi les anciennes gloires qui accompagnent la sélection nationale à Abidjan pour le match au sommet des éliminatoires jumelées de la CAN et du Mondial contre les Eléphants de Côte d’Ivoire et les Pharaons d’Egypte. Il participe à une campagne de sensibilisation contre la Malaria en 2009, révélant que la malaria l'a lui même affecté lors de certains matches durant sa carrière.
Une reconnaissance tout aussi nationale que continentale (il est élu Meilleur Gardien Africain de tous les temps par l'IFFHS) que locale (il est nommé chef de son village, Mouandé, en 2012) mais "Jojo" reste plus prophète à l’étranger que chez lui, comme l'attestent lees élections municipales 2013 où il est sèchement battu. Après la FIFA et la chaîne de télévision Canal+, Bell travaille désormais comme consultant pour Radio France Internationale (RFI) et Africa 24.
Joseph-Antoine Bell en 2009
Et l'ASSE dans tout cà ? "Revenir à Saint-Étienne en tant que dirigeant ? Pourquoi pas… C’est du foot et la vie n’est pas figée. Donc je ne vois pas pourquoi aller à Saint-Étienne me serait interdit. Tout est possible mais je pourrais tout aussi bien voir ailleurs car à l’ASSE, il y a des gens qui n’ont pas joué à Saint-Étienne. Donc Joseph-Antoine Bell ne peut pas être destiné qu’à Saint-Étienne. Puis Joseph-Antoine Bell a gagné des matches dans toute la France. Donc je serais bien partout."
Oui, Joseph-Antoine Bell, c'est un style...