Jean-Michel Larqué se confie à Poteaux Carrés à quatre jours de la finale de Coupe de France qui opposera ses deux anciens clubs.


Jean-Michel, ton aventure avec Dame Coupe de France a démarré bien avant ton fameux but contre Lens…

Ma longue d’histoire d’amour avec la Coupe de France a en effet débuté bien avant. Elle a commencé dès l’enfance en tant que spectateur. Quand j’étais gamin, du CE2 jusqu’en cinquième, comme je n’étais pas un trop mauvais élève, mon père m'offrait la récompense de l’année. Cette récompense, c’était de monter à Colombes voir la finale de Coupe de France. C’était le dimanche après-midi. Il y avait la coupe nationale des Cadets, puis la finale de la Coupe de France puis la finale de la Coupe Gambardella.

Mon histoire d’amour a commencé comme ça mais j’ai connu une première déception amoureuse en 1968. Cette saison-là, j’avais joué en 32e de finale contre Sedan à Reims mais aussi lors de notre difficile victoire contre Angoulême à Bordeaux en demi-finale. Mais je n’ai pas été retenu pour la finale pour diverses raisons. Il y avait les évènements de mai 1968, j’avais 20 ans et j’étais étudiant à Lyon et je ne pouvais plus me déplacer. Les portables n’existaient pas, c’était compliqué de communiquer.

Je me suis retrouvé même pas remplaçant pour cette finale contre Bordeaux. Je me souviens d’avoir eu avec Albert Batteux une discussion où j’avais pleuré. Je lui avait dit : "Monsieur Batteux, je comprends que vous fassiez jouer Rachid, c’est tout à fait normal, il n’a pas de souci mais comprenez aussi que je sois très triste et déçu parce que je ne sais pas si j’aurai un jour une autre occasion de rejouer une finale de Coupe de France !" C’était la finale de Rachid, qui a d’ailleurs mis les deux buts de la victoire. Salif aurait pu aussi jouer la finale, il y avait du monde sur la ligne…

Heureusement vous avez tous les deux eu l’occasion deux ans plus tard de jouer cette finale contre Nantes et vous avez volé dans les plumes des Canaris !

On était favori mais les Nantais étaient des adversaires qui ne nous réussissaient pas trop, surtout à l’extérieur. Mon premier match en pro, j’avais perdu 5-0 à Saupin. C’est sur le même score qu’on a battu Nantes lors de cette finale de 1970. Cette rencontre a été un cavalier seul avec comme grand fait d’armes des buts de garçons qui ne marquaient pas beaucoup parce qu’ils donnaient les ballons : Patrick Parizon et Georges Bereta. Il y a eu ensuite ce but tout à fait improbable de Roby, qui veut redresser la balle de la tête et qui trouve la lucarne opposée. Bien servi par Salif, Hervé a ensuite mis deux buts.



Ce match a été un long calvaire pour les Nantais et une belle récompense pour nous car on faisait à nouveau un doublé. Moi je jouais au milieu de terrain avec Aimé Jacquet. On avait une équipe exceptionnelle. J’ai souvent joué avec des équipes exceptionnelles à Saint-Etienne…. Je me souviens de ce long parcours au stade de Colombes entre les vestiaires et la sortie de ce long tunnel lugubre qui débouchait derrière les poteaux, dans le virage. Les pauvres Nantais étaient encore plus jaunes que leur maillot. Je crois qu’ils ont perdu une grande partie du match dans ce tunnel !

J’avais 22 ans et j’avais été élu joueur de la finale bien que n’ayant pas marqué de but. Ça me rappelait plein de souvenirs, mes déplacements à Colombes où j’étais de l’autre côté du grillage. Mon premier titre à Colombes, qui était celui du concours du jeune footballeur. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’AS Saint-Etienne et Pierre Garonnaire sont venus me chercher. Colombes a donc été pour moi une étape importante de ma vie de footballeur.

C’est au Parc des Princes que tu as remporté ta deuxième finale de Coupe de France contre Monaco quatre ans plus tard.



Oui. C’est une finale qui a été assez compliquée. Je me souviens qu’on avait déjà bataillé en demi-finale huit jours plus tôt pour battre Reims au Parc des Princes. On avait gagné 1-0 grâce à un but de Dominique Bathenay. Cette saison-là était la première saison pleine de la seconde génération de l’ASSE. Pour moi la première c’est Roby, Rachid et Aimé, avec qui on avait été quatre fois consécutivement champions de France de 1967 à 1970. La saison 1973-1974 est le début de l’aventure de la deuxième génération, celle des Verts de 1976. On avait une équipe très jeune car la moitié était constituée par des gamins qui avaient gagné la Coupe Gambardella trois ans auparavant : les Synaeghel, Merchadier, Santini, Patrick Revelli, Christian Lopez, Christian Sarramagna…

On est arrivé quand même un peu à bout de souffle pour cette finale. La rencontre a été beaucoup moins enlevée que la finale contre Nantes, on était lessivés par le championnat puisque c’était le premier titre de ceux qu'on appellera ensuite les Verts de 1976. On a souffert mais on a su faire la différence grâce à des buts de Christian Synaeghel et Alain Merchadier. Delio Onnis a réduit le score mais on a su préserver notre avantage. C’était une petite finale, on en avait plein les bottes ! On avait été sacré champions de France mais on n’avait pas de marge de sécurité, on gagnait les matches un peu à l’arrache.

L’année suivante, tu as brillé en marquant contre Lens l’un des plus beaux buts de l’histoire de l’ASSE et des finales de la Coupe de France. Ton futur acolyte Thierry Roland s’est enflammé à juste titre en commentant ce pion : "Quelle reprise de volée sensationnelle, extraordinaire ! Oh là là ! Des buts comme ça, messeigneurs, croyez-moi, on n’en voit pas souvent ! Formidable !"



J’ai de grands souvenirs de cette rencontre. Comme Georges Bereta était parti en cours de saison à Marseille, j’avais été nommé par le président Roger Rocher et par Roby capitaine de l’équipe. Papa et Maman Larqué étaient dans les tribunes. C’est indicible, je ne peux pas commenter ce que j’ai ressenti. Ce sont des émotions qui restent 45 ans plus tard.

Et 45 ans plus tard, on ne se lasse pas de revoir ce but, ton équilibre parfait sur cette frappe.

Tu sais, j’avais appris avec mes précédents éducateurs comment on manquait une reprise de volée et comment on la réussissait. Ça se joue au millimètre par rapport à la trajectoire du ballon, au millimètre par rapport à l’impact du ballon sur la surface de frappe, au millimètre sur la trajectoire de la jambe de frappe.... Toute chose que j’aimais, moi j’aime décortiquer les gestes techniques. Je pense qu’un footballeur est d’abord quelqu’un qui maîtrise le ballon et non pas un gars qui court le 100 mètres en moins de onze secondes et qui saute 1m90 en hauteur.

Je reste fidèle à mes principes de joueur de ballon. Quand on dit d’un joueur que j’étais un vrai footballeur, pour moi ça veut tout dire. Quand on dit d’un footballeur qu’il a des qualités athlétiques, ça veut dire que ses qualités techniques sont à revoir. Pour revenir à mon but contre Lens, il y a un alignement des planètes : le centre de Doudou Janvion qui arrive parfaitement, devant moi il y a un Lensois, je crois que c’est Farès Bousdira, qui saute mais effleure à peine le ballon, et ma reprise finit sous la barre du gardien André Lannoy.

Cela reste à tes yeux le plus beau des cent buts que tu as inscrits en équipe première sous le maillot vert ?

Oui. On parle des coups francs contre Kiev et Eindhoven mais évidemment ce but contre Lens est à part. Il a été élu plus beau but des finales de Coupe de France. J’aurais mauvaise grâce à dire que ce n’est pas le plus beau ! C’est le plus beau, celui qui reste le plus dans les mémoires.

Du coup ce but du break a occulté la belle ouverture du score d’Osvaldo Piazza sur un parfait une-deux avec Hervé Revelli.



C’est la réflexion que fait toujours Osvaldo. Il dit : "Yé marrqué lé prremier boute, mais perrsonne sain souvient" ! Et pourtant c’était le plus important. En revoyant les images, on ne peut qu’apprécier la justesse de ce une deux. Mais sur le moment, je ne te cache pas que j'ai surtout apprécié le tableau d’affichage.

Robert Herbin était ton coéquipier lors de ta première finale, ton coach lors des deux suivantes. Que retiens tu du joueur et de l’entraîneur ?

Roby était un joueur qui avait un énorme volume de jeu. C’était un très bon joueur de tête, il était intelligent dans les déplacements, c’était un superbe athlète. Sans avoir une frappe de balle exceptionnelle, il a marqué pas mal de buts. Il a ensuite été en tant qu’entraîneur beaucoup plus bavard que ce qu'on a dit de lui. Le portrait qui est fait de Roby est souvent complètement à côté de la plaque. Il y en a pas mal qui ne le connaissaient pas et qui ont décidé de faire de Roby un taiseux alors que c’était tout le contraire.

C’est sûr que Roby n’était pas du genre à vociférer sur le banc de touche… je ne l’ai jamais entendu hurler, je ne l’ai jamais entendu gueuler. Il considérait qu’il donnait les clés de la maison aux joueurs sur le terrain. Il avait des relais, Ivan Curkovic pour la défense et moi pour le milieu de terrain et l’attaque. Il considérait que c’était à nous qu’incombait cette tâche. Roby pendant les matches ne parlait pas mais avant les matches, dans les réunions, dans les préparations, aux entraînements, il parlait, il donnait des conseils, il nous communiquait ses principes de façon précise, et je crois qu’on les appliquait plutôt pas mal...

Ceux qui disent que Roby était un peu taciturne… C’est totalement faux ! Je me souviens par exemple de quelques fêtes que nous faisions à Saint-Genest-Malifaux, lorsque nous fêtions les titres de champion de France dans la maison du président Roger Rocher. Roby n’avait rien de quelqu’un qui était marginal, il se mêlait spontanément à la fête, il aimait beaucoup faire la fête avec notamment un autre garçon dont ce n’est pas du tout l’image, Aimé Jacquet. Quand on faisait des fêtes, Aimé était l’un des meneurs.

En 1977, tu as connu une autre déception amoureuse. Comme en 1968, tu as joué en Coupe de France, mais tu as été privé de finale.

Moi qui n’avais jamais connu de blessure de ma carrière hormis des petites élongations ou une petite déchirure sans gravité, j’ai eu mon lot... Et ça ne s’est pas très bien terminé avec Roby qui m’a écarté de l’équipe. Je dois reconnaître que je n’étais pas performant à ce moment-là. C’est normal que je n’aie pas joué la finale. Je n’ai pas pris part non plus aux quart de finale et à la demi-finale mais j’ai joué en 16e de finale contre Auxerre et en 8e de finale contre Rouen.

D’ailleurs je tiens à préciser que je n’ai pas gagné trois Coupes de France. J’en ai gagné cinq. C’est quand même extraordinaire de considérer que quelqu’un qui joue dix minutes sur 38 matches est champion de France et qu’à côté de ça on prive Coupe de France ceux qui n’ont pas joué la finale alors qu’ils ont joué plusieurs matches les tours précédents. C’est comme si on disait que Laurent Blanc n’est pas champion du monde ! Je vais donc modifier les cartes de visite que je n’ai pas et j’écrirai dessus cinq coupes de France.

En 1977, tu as quitté Sainté pour le PSG. Que gardes-tu de ton expérience de trois ans là-bas, où tu auras eu plusieurs casquettes (joueur, entraîneur, manager général) ?

C’était compliqué. Cela n’avait rien à voir avec Saint-Etienne. Quand on sort d’un club structuré comme l’ASSE, à l’époque le Paris Saint-Germain c’était le folklore avec le mauvais côté de l’amateurisme c’est-à-dire des terrains d’entraînement qui n’en étaient pas, des vestiaires qui n’en étaient pas, etc. Mais par contre cette période a été enrichissante sur le plan humain. J’ai gardé des relations exceptionnelles avec le regretté président Francis Borelli. C’était un homme attachant, chaque fois qu’on se voyait on se témoignait une véritable amitié. Et puis il y avait des garçons avec qui je suis toujours en contacts, que je vois ou que j’ai par téléphone : les Jean-Claude Lemoult, François Brisson, Carlos Bianchi, Moustapha Dahleb. Je suis parti car je considérais que je n’étais pas fait pour ce métier, c’est tout ! Mais humainement j’en garde de bons souvenirs, et pour moi c’est important dans un sport collectif.

Est-ce à dire que tu ne seras pas 100% pro-Stéphanois vendredi prochain pour la finale de Coupe de France qui opposera tes deux anciens clubs ?

La question s’impose mais la réponse s’impose tout autant. Je serai sans réserve pour les Verts, évidemment ! Il y a tout à gagner pour les Verts. Ils sont tellement peu favoris, leurs chances sont tellement minimes… Il va falloir jouer ce match de Coupe de France comme Andrézieux l’avait fait contre l’Olympique de Marseille.

Entre ce que j’ai vu l’an dernier et ce que je vois cette saison, évidemment il y a des préparations plus sereines et plus positives. Mais le premier match que j’ai vu la saison dernière, c’était le derby. C’était dans un contexte très compliqué et pourtant les Verts l’ont gagné. Parfois on a des préparations à l’envers qui ne correspondent pas du tout à ce que l’on voulait faire et le match se passe bien.

Quoi qu'il en soit, vendredi, les Stéphanois ont tout à gagner. Il va falloir faire preuve des vertus stéphanoises : la solidarité, l’altruisme. Il faudra se serrer les coudes et que tout le monde en fasse un peu plus sur chaque action.

Claude Puel est-il l’homme de la situation pour faire franchir un palier l’ASSE ?

Ecoute, je pense que les entraîneurs sont importants dans un club. Je pense aussi que les joueurs le sont. Claude Puel est un bon entraîneur mais aujourd’hui, a-t-il l’effectif pour rivaliser avec le PSG ou d’autres ? Je crains que non. Mais sûr un match, j’espère que oui.

Vois-tu d’un bon œil sa volonté de lancer des jeunes et de les faire progresser ?

Oui, mais enfin, à l’ASSE, quand il y avait des jeunes, moi mes cadres s’appelaient Aimé Jacquet, Rachid Mekhloufi, Robert Herbin, Georges Carnus. Il y avait trois ou quatre jeunes, Georges Bereta, Hervé Revelli, Patrick Parizon et moi. Et dans l’équipe de 1976, il y avait Ivan Curkovic, Osvaldo Piazza et moi-même, car j'étais passé d’encadré à cadre. Il est important que les jeunes ne soient pas livrés à eux-mêmes, qu’ils aient des cadres, et que ces cadres remplissent leur rôle en étant exemplaires et investis. On ne peut pas demander à une douzaine de jeunes de tenir la maison verte à bouts de bras.

Que t’inspire la mise à l’écart de Stéphane Ruffier, désormais mis à pied ?

J’ai connu cette situation avec Roby donc je comprends cette décision. Je comprends Claude Puel. Un jour j’ai pris la place d’un titulaire pour commencer ma carrière de footballeur. Un jour Ruffier a pris la place d’un autre gardien pour débuter sa carrière de footballeur professionnel. Ce n’est que la vie d’un groupe. Quand on me parle de séparation ou de décision, ça me fait rire, et pas uniquement dans le sport. Quand j’entends certains collègues de la télévision qui s’en vont et qu’on dit "on aurait pu être plus propres"… Moi quand je suis parti de TF1, quand j’ai été viré de TF1, on peut chercher la première ligne où j’ai critiqué TF1 ! On m’a viré de TF1, les patrons de cette chaîne ont pris cette décision, je n’y suis plus, point final. Point final ! C’est la vie ! Un jour j’ai pris la place d’un garçon qui s’appelait Bernard Père pour commencer à commenter les matches. J’en ai bien profité et 30 ans après quelqu’un a pris ma place pour commenter les matches. Les séparations, ça se passe toujours mal, jamais ça ne se passe bien. C'est comme ça, t'as pas d'autres choix que de l'accepter.

Loïc Perrin va peut-être faire vendredi sa dernière apparition sous le maillot vert. Qu’en penses-tu ?

C’est probable. Loïc est quelqu’un qui aura vraiment marqué l’histoire de l’AS Saint-Etienne. Mais je pense qu’il aurait pu davantage la marquer. J’apprécie beaucoup le joueur mais je pense qu’il a manqué le coche à un moment donné de faire une petite ou une bonne carrière internationale, peut-être de sa faute, peut-être parce qu’il n’était pas fixé à une place. Il y a eu des situations défavorables, des blessures d’une part, des changements de poste d’autre part. Il était milieu de terrain, ensuite on l’a mis latéral, après il s’est fixé en défense centrale. Je pense que ça ne lui a pas rendu service. Si c’est son dernier match vendredi, j’espère qu’il se terminera par un résultat positif. Ce serait vraiment magnifique pour Loïc de terminer sa carrière sur une coupe de France. Il le mérite.

Un prono ou un message à passer aux Verts pour cette finale contre Paris ?

Je ne me hasarderai pas à faire un prono. Mon message : "votre seule chance est d’être à 120% de vos moyens, et les moyens, ça se passe dans les jambes mais aussi dans la tête et dans le cœur ! Transcendez-vous !"

 

Merci à Jean-Michel pour sa disponibilité