Ancien défenseur de l'ASSE et de l'OM, Bernard Bosquier ne sera pas pour Sainté dimanche soir. Mais Bobosse n'a pas oublié ses vertes années...


Que gardes-tu de tes vertes années ?
J'ai vécu une expérience extraordinaire à Saint-Etienne. En cinq ans sous le maillot vert, j'ai été champion de France quatre fois et j'ai remporté deux coupes de France. C'est exceptionnel de faire deux doublés. J'en ai fait un autre avec l'OM en 1972. On avait une super équipe, un moral d'acier, de supers entraîneurs. Monsieur Snella s'était déplacé spécialement avec Monsieur Paret à Sochaux pour me faire venir à Saint-Etienne. Mon seul regret, c'est que Jean Snella soit parti à la fin de ma première saison stéphanoise pour des raisons personnelles de divorce. Il m'a dit "Je t'ai fait venir, je reconnais, mais je suis obligé de partir." Je lui ai dit : "Moi, je suis venu à Saint-Etienne pour vous, je pouvais aller ailleurs, à Monaco ou à Marseille." J'étais venu spécialement pour Monsieur Snella, je ne m'étais pas trompé. J'ai connu ensuite un autre grand entraîneur, Monsieur Batteux. Il parlait beaucoup, il faisait beaucoup de conférences avant le match et après. Jean Snella m'a adressé la parole, s'est occupé de moi au bout de six mois. Je lui avais dit : "Monsieur Snella, depuis six mois je suis là !" Il m'avait répondu : "Ne t'inquiète pas, depuis six mois je te regarde. Je vois comment tu t'alimentes, je vois comment tu t'entraînes. A partir de maintenant, tous les lundis matins, tu viendras à neuf heures dans le bureau, on parlera ensemble." Pour moi c'était un entraîneur exceptionnel.

Quel a été ton meilleur match sous le maillot vert ?
Difficile de n'en retenir qu'un. Au-delà de mes performances individuelles, c'est toute l'équipe de cette époque que je retiens. Les Mitoraj, N'Doumbé, Fefeu, Hervé Revelli et tous les autres. Avec le recul, bien sûr, je me rends compte que j'ai fait des bons matches. Mais c'est aussi parce que toute l'équipe faisait de bons matches ! Bien sûr, je n'ai pas oublié certaines victoires qui ont marqué les esprits. Je me souviens notamment qu'on avait éliminé le Bayern de la Coupe d'Europe des clubs champions en gagnant 3-0 à Geoffroy-Guichard alors qu'on avait perdu 2-0 au match aller.
 
 
Cette saison-là, on a gagné la Coupe de France en écrasant Nantes 5-0. Ce match-là reste aussi un grand souvenir. Mais il y en a eu tellement d'autres...
 


De quel joueur étais-tu le plus proche à Saint-Etienne ?
Aimé Jacquet. Il avait une mentalité remarquable. Il prenait des conseils auprès des anciens au niveau technique, sur le placement... Dans l'équipe il y avait toujours deux trois joueurs qui parlaient, qui chapeautaient les anciens, les nouveaux. Mais j'ai rarement vu un joueur comme Aimé Jacquet. Pendant un an ou deux, il s'entraînait contre le mur du stade pour faire des passes de l'intérieur du pied parce qu'au départ, quand il est arrivé, il était un peu limité. En travaillant, il a progressé. En un an, il a tout récupéré. On s'entendait tous bien à Saint-Etienne. En déplacement, on restait à table jusqu'à neuf ou dix heures du soir. On discutait de qui jouait dans l'équipe adverse, s'il y avait des joueurs qui avaient déjà évolué dans ce club, etc. Cette ambiance exceptionnelle a rejailli sur les résultats. On n'est pas devenu champions quatre années de suite par hasard, ce n'est pas un truc qui arrive comme ça. Tu peux être euphorique sur un match sans avoir de complicité avec tes coéquipiers mais tu ne peux pas être performant cinq ans de suite sans osmose au sein d'un groupe.

Le 20 février dernier, lors d'une conférence aux Sénioriales de Saint-Etienne, le conservateur du Musée des Verts Philippe Gastal a dit que l'équipe stéphanoise de la fin des années 60 était la plus talentueuse de l'ASSE, plus encore que celle qui a été finaliste de la Coupe d'Europe des Clubs champions. Partages-tu ce point de vue ?
Oui. Quand tu reprends un par un les joueurs, on avait une sacré équipe. Il y avait bien sûr Mekhloufi et Keita mais aussi pas mal d'autres joueurs : Durkovic, Mitoraj, Camerini, Fefeu, Revelli, Ndoumbé... Je ne vais pas tous les citer. Sur le terrain on démontrait qu'on avait vraiment une très belle équipe. On perdait très peu de matches, trois ou quatre dans une saison. On avait une équipe techniquement de haut niveau. La technique, c'est quelque chose qui me tient très à coeur. Je me rends compte en animant mes stages que les gosses qui viennent sont techniquement limités. A l'époque ce n'était pas le cas. Quand t'avais huit, neuf ou dix ans, tu faisais du travail technique, tu ne faisais pas du physique. Malheureusement dans certains clubs amateurs ou semi-professionnels, dans les équipes de jeunes de certains clubs pros, on met l'accent sur le physique. On n'a pas le droit ! Le football c'est un sport, c'est une passion, on n'a pas le droit de matraquer des jeunes au détriment de la technique. Je parle en connaissance de cause. J'ai des contacts avec des médecins et j'ai eu 68 000 gosses auxquels j'ai parlé tous les vendredis après-midi pendant une heure. Quand je vois le phénomène Mbappé, ce n'est pas un joueur qui a fait du physique. C'est un joueur qui a travaillé techniquement quand il avait de huit à douze ans. C'est à cet âge là que tu prends les gestes, après c'est trop tard ! A 16 ou 17 ans tu bosses le physique mais si tu n'es pas technique tu ne le deviendras jamais.

As-tu des regrets quand tu te remémores ton expérience stéphanoise ?
Je n'ai qu'un regret : avoir été viré proprement ou plutôt improprement par Monsieur Rocher ! Il nous a expulsés Georges Carnus et moi. Monsieur Rocher m'a même fait virer de l'école des Beaux Arts où je prenais des cours le soir alors que j'étais marié et que j'avais un gosse. Ça s'est mal fini alors que devais rester à Saint-Etienne. C'était réglé, deux ans auparavant j'avais demandé à re-signer. J'avais tout fait pour rester-là. Monsieur Roland Romeyer était dans une boite où je devais aller travailler après ma carrière. A 29 ans, j'avais demandé au président de signer quatre ans. C'est là où il m'avait répondu : "Tu veux venir pointer au stade ?" Je lui avais rétorqué :"On se retrouvera dans deux ans et vous verrez que je ne pointerai pas au stade." Deux ans après, j'étais le meilleur joueur de la tournée en Amérique du Sud. Je lui ai dit : "Je ne signe pas." Il l'a très mal pris, et ça a pris des proportions énormes avec Leclerc, le président de l'époque à l'OM. C'était la guerre entre les deux, ils se mettaient des piques chaque fois.

Tu as donc quitté Sainté pour Marseille en compagnie de Georges Carnus.
Pour moi Georges est l'un des meilleurs gardiens ayant joué en France ! Ce n'était pas un gardien super spectaculaire, il ne plongeait pas systématiquement. Mais Georges était un excellent gardien, toujours bien placé sur les frappes. Il savait très bien qu'en partant tous les deux, ce serait difficile de trouver des joueurs équivalents. C'est regrettable que Monsieur Rocher nous ait traité plus bas que terre. Il a pense qu'on s'était fait acheter alors que ce n'était pas du tout le cas.

Tu as marqué 23 buts sous le maillot vert. Le dernier c'était contre camp, au Vélodrome, quelques mois avant de jouer pour l'OM. Vous aviez répété ça à l'entraînement avec Georges ?
Je te promets que je ne l'ai pas fait exprès ! (Rires) Je me souviens très bien de cette action. Sur un débordement de Magnusson, j'ai mis le pied pour mettre le ballon en corner. Mais le ballon m'est passé sur le dessus du pied et a lobé Georges. Je n'étais pas dans l'axe du but, j'étais sur le côté. On n'a rien répété avec Georges et crois-moi, je me serais bien passé de marquer contre mon camp. J'avais malencontreusement ouvert le score après quelques minutes de jeu mais si ma mémoire est bonne on avait fait match nul 2-2.

Tout à fait Bobosse, grâce à des buts de deux autres futurs phocéens : Salif Keita et Georges Bereta...
Ah, Salif... Un jour, je suis arrivé au stade à Saint-Etienne, j'ai vu un grand black tout maigre qui s'entraînait. J'ai dit à Monsieur Batteux : "Mais c'est qui ce phénomène ?" Il était incroyable. Ce que Salif a fait, c'est extraordinaire ! Il ne faut pas le juger sur sa période marseillaise, car à l'OM il y avait quatre joueurs, on n'avait droit qu'à trois donc il n'a pas fait ce qu'il fallait. Mais à Saint-Etienne, il a vraiment fait un malheur. Salif Keita est le meilleur joueur de l'histoire de l'ASSE avec Rachid Mekhloufi.
 
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J'ai eu la chance de jouer avec deux autres joueurs exceptionnels à l'OM : Josip Skoblar et Roger Magnusson. Georges Bereta était aussi un très bon joueur, je suis resté en contact avec lui. On formait une bande de copains chez les Verts. Il y avait de la solidarité entre nous, un véritable esprit de groupe. Il n'y avait pas de problèmes entre nous, on se disait les choses comme on devait se les dire. Sur le terrain il y avait deux ou trois aboyeurs qui replaçaient les jeunes. C'est important d'avoir des joueurs qui chapeautent dans une équipe. Quand j'étais jeune, à Sochaux, c'est Ginès Liron qui me chapeautait. C'était un avant-centre passé par l'ASSE. A l'OM, j'ai chapeauté Rolland Courbis, François Bracci, Albert Emon... Aujourd'hui, je ne vois plus trop ça sur le terrain. Je ne vois pas des joueurs faire des gestes pour replacer leurs coéquipiers.

A l'ASSE, tu n'as pas été que joueur. Tu as également été directeur sportif en 1989-1990. Si tu n'as pas occupé longtemps ces fonctions, tu as fait venir de bons joueurs chez les Verts...
 
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Oui, je suis allé chercher Lubomir Moravcik en Tchécoslovaquie. A Saint-Etienne, il a mis quelques mois avant de faire voir ce qu'il valait exactement. Du coup le président m'a dit : "Tu t'es trompé sur ce joueur. Tu t'en vas." C'est pour ça que je suis parti au bout d'un an et demi. Le président m'a donné trois mois de préavis donc je n'ai pas attaqué le club. Pourtant, il était venu avec moi voir jouer Moravcik en Italie. A l'époque il était emballé. Lubomir Moravcik m'a donné raison par la suite mais c'était trop tard, j'avais déjà pris la porte. C'était pourtant un super joueur, je crois d'ailleurs que Bernard Tapie avait proposé une somme extraordinaire pour essayer de le récupérer. C'est moi aussi qui ai découvert Grégory Coupet, je l'ai fait venir du Puy-en-Velay. J'ai également fait venir des joueurs comme Sylvain Kastendeuch, Jean-Pierre Cyprien, Titi Camara. Je me suis battu avec Monsieur Garonnaire pour que Sébastien Perez puisse avoir sa chance. Comme Sébastien était amateur et pas au centre de formation à l'époque, il ne pouvait pas aller avec les pros. J'ai fait en sorte qu'il puisse avoir sa chance et là encore la suite m'a donné raison. Je pense que j'avais l’œil et que je l'ai toujours. En 2013, je m'étais battu pour Thauvin. J'avais déclaré à l'époque au Phocéen : "Vous allez voir, ce jeune, dans deux ans, on en reparle." On voit où il en est aujourd'hui. Et j'ai annoncé récemment que les petits Maxime Lopez et Boubacar Kamara seront d'ici deux ans en équipe de France. Ça se voit. Tous les gosses qui sont venus à mes stages et qui sont devenus professionnels, je les ai vus. Que ce soit Alain Boghossian, que j'ai vu qui était venu quand il avait dix ans, Michel Pavon, etc. Tu vas le voir une, deux, trois fois. Pour Moravcik pareil, je savais que je ne m'étais pas trompé. En plus de ça, c'était un gars extraordinaire.

Que t'inspire le parcours de l'ASSE cette saison ?
Les Verts ont des hauts et des bas. Cette équipe de Saint-Etienne peut être euphorique, comme beaucoup d'équipes que je vois ponctuellement à la télé. Mais elle traverse parfois des périodes un peu plus compliquées. Le fait est que l'ASSE est quatrième, ça montre qu'elle est quand même moins irrégulière que beaucoup d'autres. Actuellement les Verts comptent deux points d'avance sur les Marseillais, ça prouve qu'ils ont des qualités. Je ne vois pas souvent les Verts donc je me garderai bien d'émettre un avis tranché les concernant. En tout cas je trouve Khazri très bon, c'est un buteur. A ce propos, Marseille a tardé à faire celui qui va lui sauver la saison : Balotelli. On peut dire ce que l'on veut de ce joueur - je ne le connais pas, je ne sais pas s'il est fou- mais je vois qu'il a déjà marqué trois buts en quatre titularisations. Balotelli fait du bien à Marseille comme Brandao avait fait du bien à l'OM et à l'ASSE. Balotelli est un joueur imposant, adroit. Avec lui, l'OM a repris du poil de la bête. Cette équipe a pris dix points sur les quatre derniers matches. Bien sûr tout est possible dimanche mais je pronostiquerais plutôt une victoire de l'OM. Les Marseillais sont sur une bonne dynamique, ils ont une occasion rêvée de se rapprocher de la locomotive qui est devant. Et ils joueront devant 55 000 spectateurs.

La Chaudron, c'est pas plus fort que le Vélodrome en terme d'ambiance ?
Oui mais c'est parce que c'est plus resserré, ce n'est pas la même configuration, le stade n'est pas le même. Je trouve que le stade est trop grand à Marseille, ils auraient dû faire un stade comme à Saint-Etienne, de 40 000 à 45 000 places maximum. Les publics des deux clubs ne sont pas les mêmes. A Sainté, la mentalité est homogène. Quand les Verts perdent des matches, les gens ne sont pas contents mais ils restent mesurés. Alors qu'à Marseille, tu montes à 200% quand ça va et à moins 500% quand ça ne va pas. A Marseille, soit c'est l'euphorie, soit t'es un vrai bourrin ! Le Marseillais ne connaît pas de juste milieu.

Cela fait 40 ans que les Verts n'ont pas gagné au Vélodrome, et à t'écouter cette longue période de disette ne prendra pas fin demain.
En tant que "Marseillais", j'espère qu'elle durera au moins 41 ans ! (rires) Attention, hein, je n'ai rien contre les Verts. J'ai joué plus longtemps à l'ASSE qu'à l'OM mais ça fait plus de 25 ans que je suis dans la région marseillaise. Je m'occupe toujours de faire des stages dans le Vaucluse, ça fait la 39e année. Même si je ne vais pas voir tous les matches, je fréquente régulièrement le Vélodrome. Mais je reste attaché à Saint-Etienne. A chaque fois que j'y retourne, je suis reçu de façon royale, que ce soit par Roland ou par Bernard Caïazzo. Je monte de temps en temps à Sainté car j'ai encore des amis là-bas.

Un dernier mot Bernard. Dans La Provence, tu as présenté l'affiche Marseille-Sainté comme un "derby". Mais le seul vrai derby, c'est celui qui oppose les Verts aux vilains !
Je le sais, mais quand je vois que certains parlent même de derby pour Marseille-Paris... Je ne vois pas où est le derby mais ce n'est pas grave ! Avant, les derbys, c'étaient Nîmes-Alès, Montpellier-Nîmes, des matches opposants des clubs géographiquement proches. Mais dans le fond on est d'accord, ça me surprend quand on utilise ce terme pour d'autres affiches. Et je te rejoins sur le fait que le plus gros véritable derby de France est celui qui oppose Saint-Etienne à Lyon. J'en ailleurs d'ailleurs joué quelques uns. Je retiens surtout ceux de notre fameuse saison 1969-1970. A l'aller, on avait gagné 7-1 à Gerland trois jours après avoir éliminé le Bayern de Munich. Et au retour, on avait de nouveau écrasé les Lyonnais 6-0.


Quelle belle époque ! Merci Bobosse pour ta disponibilité... et allez les Verts dimanche soir !