Ancien entraîneur de l'ASSE et ex-coach des deux prochains adversaires des Verts, Elie Baup s'est confié à Poteaux Carrés.
Que deviens-tu Elie depuis ton départ de l’OM en décembre 2013 ?
Au niveau du terrain, il y a eu des sollicitations à l'étranger auxquelles je n'ai pas donné de suite. Des clubs, des sélections nationales notamment en Afrique. J’ai eu des propositions venant d’Arabie Saoudite, du Qatar et de Chine... J’ai refusé pour des raisons personnelles, familiales... Je suis resté dans ce rôle de consultant à beIN SPORTS. J’ai été aussi en discussion avec un club pour un poste dans la coordination technique. Je reste un observateur, je regarde ce qu’il se passe. Ça m’intéresse bien de voir les matches, de voir les nouveaux entraîneurs, ce qu’ils font, le travail qu’ils amènent aussi. Je m’intéresse toujours au terrain, à travers beaucoup d’observations, de rencontres et à travers le rôle de consultant.
Tu es toujours sur beIN SPORTS alors que cette chaîne n’a plus les droits de la L1?
Là c’est un peu particulier, je suis toujours consultant de beIN SPORTS mais quelque part il n’y a pas d’activité. Les droits télés… C’est un peu compliqué. Il y a un peu d’attente par rapport à l’Euro qui viendra. Voilà, jen suis là pour le moment même s’il y a la possibilité toujours de faire quelques émissions. Mon rôle était sur la Ligue 1 à fond... On s’est mis d’accord pour suspendre, de toute façon j’ai des contrats en nombre de prestations. Tu n’as pas des contrats sur deux ans, trois ans, quatre ans…
Tu vis où ? Quelles sont tes activités ?
Je suis au pied des Pyrénées, je suis originaire du Sud-Ouest. Pas loin de Tarbes comme ville, après ce sont des villages. C’est dans la Vallée d’Aure. Je suis dans une ferme familiale que j’ai restaurée, j’ai unpetit élevage de chevaux. Je travaille là en pleine nature avec les chevaux. Et après je fais pas mal de vélo, route ou VTT en famille. J’ai des journées bien remplies. Tout va bien !
Quel projet cherches-tu aujourd’hui ?
J’ai fait de la formation longtemps, pendant 10 ans après j’ai été 16 saisons en Ligue 1 puis un rôle de consultant. Dans ma tête, j’ai envie d’avoir un autre rôle, plus général, du football qui englobe le projet sportif du club, de la formation, des pros, le recrutement, pour transmettre toutes ces expériences, tout ce vécu, et transmettre aussi mes observations que je continue à faire, à des jeunes éducateurs ou entraineurs ou à un club. Oui cela m‘intéresserait.
Selon Sud Radio, tu aurais fait le forcing pour succéder à Alain Casanova à Toulouse et Ghislain Printant à Sainté. C’est vrai ?
À chaque fois qu’il y a eu un club où je suis passé, et qu’il y a eu des changements, on a évoqué mon nom ou même ailleurs… Parfois il y a eu une part de vrai, d’autres fois il n’y a rien du tout… Je ne veux pas faire de commentaires là-dessus, une fois que c’est passé, c’est passé !
Ta dernière expérience en club a été à l’OM, le prochain adversaire des Verts. Que retiens-tu de ton expérience marseillais, quel bilan fais-tu de ton passage là-bas ?
Ce sont des clubs de passion au niveau populaire, la ferveur à Saint-Etienne c’est fort, Marseille c’est très fort aussi en termes de ferveur populaire ! Là-bas, il y a de l’excès aussi quand tout va bien... La première année on a fini second, il y avait des moments assez forts dans le sens positif. Après quand c’est un peu plus difficile, c’est excessif aussi ! Quand tu es dans des clubs comme ça d’expression populaire, tu sens que le foot est quelque chose d’important, comme une forme de religion. C’est un peu excessif… Il faut le vivre. C’est vraiment bien ! Quand tu es entraineur, tu es content d’avoir vécu ça, de connaître des clubs comme ça : Saint-Etienne, Marseille.
Comment souvent dans ta carrière d’entraîneur, ta première saison a été très bonne et la seconde beaucoup plus délicate…
On a terminé deuxième du championnat la première saison, on s’est qualifié direct pour la Ligue des Champions mais on n’a pas pris de point dans notre groupe de Champions League. Il y a eu des gros matches, on a eu un tirage avec Dortmund, Arsenal, Naples, c’était vraiment costaud. Avec le club on était parti sur un projet, une intersaison où on a recruté que des jeunes car on n’avait pas les capacités financières de prendre des joueurs d’expérience. On a pris que des jeunes qui ont réussi derrière comme Brice Samba dans les buts, Benjamin Mendy arrière gauche, Florian Thauvin, Mario Lemina, Giannelli Imbula. On était parti pour prendre des jeunes joueurs à fort potentiel avec beaucoup d’avenir mais pour jouer la Ligue des Champions à ce moment-là, ils n’étaient pas prêts.
Ça n’a pas été une erreur mais sur le moment ça a été difficile. La preuve ils font une carrière et ont été des transferts importants ! Il y avait des joueurs qui étaient trop jeunes et on a pas eu les résultats escomptés. Ça reste une expérience positive. Ma vie je la vois positive. Les expériences que j’ai pu avoir dans tous les clubs, c’est du foot, du plaisir ! C’est magique quand tu es gosse, quand tu es jeune joueur : c’est un rêve ! J’ai eu la chance de faire du foot dans ma vie et de continuer toujours dans le foot. Bien sûr c’est douloureux sur le moment quand tu te casses la tête ! Quand tu essaies toujours de trouver le meilleur, c’est compliqué quand ça ne marche pas mais ça reste des choses incroyables à vivre !
Les Verts affronteront ce dimanche à Nantes un autre club que tu as entraîné.
C’est la seule fois que je suis arrivé en cours de saison, ça a été un peu plus dur ! Je suis arrivé, il y avait 0 point au bout de 6 matches. C’était vraiment compliqué et ça l’est toujours, entre le Président Kita et les supporters. Il y avait beaucoup de joueurs qui venaient de monter de Ligue 2, d’autres qui avaient été mis au placard. Il y avait beaucoup de monde, de gens écartés ! Il a fallu gérer tout ça ! En termes de mise en place du jeu et de gestion du groupe, c’était très compliqué. Mais Nantes c’est aussi un gros club. Quand tu connais la Jonelière, le centre d’entrainement, c’est vraiment un gros club. J’ai été à Bordeaux longtemps, à Saint-Etienne, à Nantes, à Marseille, à Toulouse. J’ai un parcours avec 700 matches officiels, une centaine de matches européens… De toutes ces situations, même les plus compliquées, j’en ai retiré de l’expérience, du plaisir.
Avant de devenir un des entraîneurs les plus expérimentés de l’élite, tu as fourbi tes armes à la formation.
Au départ, je suis éducateur et formateur. Je n'avais pas un plan de carrière pour aller avec les pros. Ce sont les circonstances qui ont fait que je me suis retrouvé avec les pros. Ma vocation, ma finalité, ce qui me plaisait beaucoup, c’était d'être formateur. La pédagogie, travailler avec des jeunes, ça m’intéressait énormément. Je suis rentré au centre de formation du TFC comme éducateur à 28 ans. Je m'occupais des cadets nationaux - ce qui correspond aujourd’hui aux U17 - et en même temps j'avais la responsabilité des gardiens. J’ai entraîné tous les jours pendant quatre ans Fabien Barthez. J’ai bien sûr eu d’autres gardiens comme Olivier Pédémas, Teddy Richert et des joueurs comme Laurent Battles, Thomas Fernandez, Jean-François Hernandez, Rémy Loret, Jean-François Soucasse, Jean-Philippe Delpech, Anthony Bancarel, etc...
Tu es toi-même un ancien gardien mais tu n’a pas pu faire la carrière pro dont tu rêvais…
Effectivement, j'ai eu une double fracture des cervicales dans un accident de circulation à 19 ans. Pendant 6 mois, je ne pouvais plus marcher. Après, j'ai quand même réussi à rejouer en troisième division.
Tu as quitté le TFC pour l’ASSE en 1991. Qui t'a fait venir et pour quelles missions ?
Je suis venu chez les Verts pour continuer mon travail de formation. C'était André Laurent le Président. Il cherchait un formateur pour diriger le centre de formation, remettre en place la formation qui avait été un peu mise de côté. Il n'y avait pas de classe à horaires aménagés, pas de groupe de travail. Je suis venu pour faire ce travail, mettre en place le fonctionnement du centre de formation. J'ai créé des groupes, minimes, cadets, la réserve. J'ai structuré ces trois groupes. J'ai fait venir des gars comme Alain Blachon, Christian Larièpe.
À Tézenas-du-Montcel, on a institué des horaires aménagés. J'avais été voir le directeur de cet établissement pour mettre en place ces classes à horaires aménagés et en même temps je m’occupais du recrutement des jeunes pour permettre de recruter des jeunes. On a ainsi recruté des joueurs comme Willy Sagnol, Bafé Gomis. On a fait en sorte que les garçons aient en même temps une scolarité. Il y avait aussi Sébastien Pérez, les joueurs de cette génération. On a mis en place un Sport Etudes, des groupes de travail.
On était à l'Etivallière, il manquait des terrains d’entraînement. Avec Jean Boulay, Georges Aubert et Le Crédit Agricole, on a réussi – surtout eux - à acheter l'Etrat et bâtir le centre de formation. D’ailleurs Roland Romeyer était à l’époque responsable, dirigeant de la réserve. Il était avec moi.
Avoir contribué à structurer la formation à l’ASSE, c’est un motif de fierté pour toi ?
Oui, pour moi c’est très important. Après, il y a eu chez les pros cette fameuse équipe avec Roland Wohlfarth, Gérald Passi, Laurent Blanc. Cette équipe devait être européenne, elle a fini au-delà de la 10ème place, je ne sais plus combien … Du coup, il a fallu dégraisser, il y a eu des problèmes financiers. Le président Yves Guichard était venu à la place d’André Laurent mais il a fallu dégraisser. Avec les jeunes que j'avais (Bastou, le regretté Aulanier, Greg Coupet, Stéphane Santini) il a fallu aller avec les pros. On m’a dit « t’y vas ». C'était une période compliquée. Mais le centre c'était un super projet, le plus gros travail que j'ai fait à Saint-Etienne. Donc oui, j'ai beaucoup de fierté car tout a été mis en place. C'était le départ d'un beau truc qui continue. À l'époque, les jeunes étaient logés à la tribune Geoffroy-Guichard. Il y avait des chambres, on prenait les repas, il y avait la cantine, et pendant une saison je dormais là-bas. J'étais logé-là en tant que directeur du centre. C'était incroyable, c’était magnifique !
Le centre de formation et d’entraînement porte désormais le nom de Robert-Herbin. Roby, ça représente quoi pour toi ?
Par rapport à cette période-là, celui qui était très proche et qui avait la fibre, c'était Pierre Garonnaire, qui était venu me voir. C'est grâce à lui que j'ai fait la connaissance de Robert Herbin. J’admirais bien sur l’entraîneur mythique des Verts d’autant plus qu’il était passionné par le développement des jeunes. À l'époque, ils avaient réussi, grâce à une formation verte vachement travaillée, grâce à l'intégration que faisait Robert Herbin. Il avait toujours des idées de travail magnifiques. Robert Herbin, c'était un maître. C’était le football. Tu rencontres peu de gens comme ça dans ta vie !
Après Pierre Garonnaire est devenu agent. Il continuait d’être intéressé par nos jeunes. Il avait des joueurs comme Philippe Cuervo et Christophe Deguerville dans son écurie. Je les ai toujours entendu dire que la formation à Saint Etienne se devait d'avoir quelque chose de fort. Gérard Fernandez aussi travaillait avec nous, Alain Blachon, Christian Larièpe et d'autres gars, même le père de Sébastien Pérez. Tous ces gens-là avaient vocation à travailler avec les jeunes. C'était l'identité des Verts d'avoir une formation de grande qualité. Tu rencontres Garonnaire, Herbin, ils te parlent beaucoup de leur réussite à travers le travail qu'ils ont fait avec les jeunes.
L’été 1994, tu as succédé à Jacques Santini à la tête de l’équipe première. « Elie Baup a tout fait pour me faire virer » a déclaré en 2013 au Progrès ton prédécesseur avant d’en remettre une couche sur So Foot il y a deux ans : « Élie Baup m’a fait un enfant dans le dos. Il a voulu jouer sa carte personnelle en me sacrifiant aux yeux des dirigeants et futurs dirigeants de l’époque." Quelle est ta version de cette succession ?
On ne m'a pas donné le choix. Jacques Santini, je respecte vachement ce qu'il a fait, l'entraîneur qu'il a été. On s'est connu à Toulouse. C'est quelqu'un d'important dans ma vie d'éducateur. Je connais très bien son travail, et j'ai beaucoup de respect pour lui. Mais là, quand j'ai pris l'équipe une, j'étais avec la réserve. C'est d'ailleurs Jacques Santini qui m'avait demandé d'aller avec la réserve, de ne pas être avec les pros. Et derrière il y avait cette équipe avec Moravcik, Passi, Wohlfarth, Laurent Blanc, Piotr Swierczewski. Il y avait une grosse équipe. Il y a Larqué qui est arrivé avec le président Guichard. L’entraîneur des gardiens Jean-Noël Dusé était déjà là mais ils ont fait venir Blaquart. L'adjoint de Santini, c'était François Blaquart.
Un nouveau président est arrivé, Michel Vernassa. Larqué m'a dit : « tu es sous contrat avec le club. On est dans une situation financière périlleuse et difficile. Il n'y a pas le choix. On va essayer de régler au plus vite le départ de certains joueurs pour alléger la masse salariale et il faut que tu prennes l’équipe une. » Tu me sors des phrases, moi je n'ai jamais répondu aux déclarations qu’il y a pu y avoir ci-là. Le foot c'est comme ça. Il y a aussi des gens qui ont pris ma place après. Je n'étais pas l'adjoint de Jacques Santini, j'entraînais la réserve. Ce sont les clubs qui décident. Le pire c'est que c'est Larqué, qui avait été le grand soutien de Santini, qui m'avait demandé de reprendre l'équipe.
La saison 1994-1995, l’ASSE a fini antépénultième mais est restée dans l’élite car la Ligue a invalidé la montée de l’OM. La saison suivante, le club a terminé avant-dernier et est descendu.
Je n’ai pas fini la deuxième saison c’est Dominique Bathenay qui m’a remplacé après une défaite contre Gueugnon. C’était un truc terrible, on a eu le car pillé par des supporters. Tout ça c’est dans les annales…
Comment as-tu vécu cette période délicate ?
Encore une fois, ce sont des expériences, c’est l’amour des verts… Quand il n’y a pas de résultat, c’est normal que l’entraîneur en fasse les frais. Aujourd‘hui avec le recul, tu comprends bien, il n’y a pas le choix, il faut bien bouger quelque chose, il faut bien chercher à faire quelque chose. Après ce sont des expériences richissimes, positives et j’ai un grand respect pour tout ce qui a été fait, pour le club. La preuve, je regarde toujours avec autant de plaisir, de passion tout ce qui se passe chez les Verts. Je reste toujours en contact avec Roland Romeyer ou Caïazzo, des gens du club, Primard, Fernandez, Blachon quand il y était... Je reste toujours avec ce regard particulier puisque pour moi ça reste des bons moments. C’est le métier, quand tu n’as pas les résultats, tu en fais les frais c’est normal. Mais à la formation c’est pas ça. La formation, tu bâtis. Après est ce que je pouvais refuser et rester à la formation ? J’y serais peut-être encore, je n’en sais rien. La situation ne m’a pas donné le choix et puis j’y suis allé aussi…
Quel joueur t’a le plus marqué lors de ton premier passage chez les pros ? Lubo Moravcik, Laurent Blanc, Grégory Coupet ?
Tu n’as pas envie de sortir un joueur, ce sont des moments forts. Voir Grégory Coupet devenir professionnel et voir la carrière qu’il a faite... Laurent Blanc qui a été un pilier de l’équipe de France championne du monde... C’est partager du travail, une vie professionnelle avec des gens de haut niveau. Il y a des gens qui n’ont peut-être pas eu cette trajectoire mais avec qui c’était très intéressant de travailler. C’est un métier où humainement si t’es sérieux, réglo et tout c’est toujours très intéressant, très positif, quelque chose qui fait une vie. Je ne veux pas dire des noms. Il y en a, tu les sais toi-même. Tout ça c’est du baratin, du journalisme mais quand t’as la fibre, le fond, c’est le travail de terrain, les équipes, le choix des orientations tactiques, le choix des joueurs, c’est tout ça la passion, c’est le terrain ! Ce n’est pas ce qui brille, ce qui ne brille pas, les échecs, c’est un tout. La globalité fait que c’est une passion, t’as la chance d’avoir vécu toutes ces expériences. Il faut retenir ça, c’est tout !
Après un long passage chez les Girondins marqué par un titre de champion de France et une Coupe de la Ligue, tu as fait ton retour chez les Verts en 2004.
J’avais fait sept ans aux Girondins, j’étais sur le marché. J’étais en lice avec d’autres. Je me rappelle, il y avait Alain Perrin, Guy Lacombe. Il y avait plusieurs entraîneurs qui étaient sollicités. Ils m’ont choisi, je suis venu.
Tu as succédé à Frédéric Antonetti, qui venait de faire monter le club.
C’était bizarre, moi les dirigeants sont venus me dire qu’ils cherchaient un entraîneur, que Villanova (ndp2 : directeur sportif de 2002 à 2004) n’était plus là et que comme Villanova n’était plus là, Antonetti quittait aussi le poste. Moi je n’ai eu que cette version, je n’ai rien vérifié, je n’ai pas été voir tout ça.
Anto semble t’en vouloir, il a refusé de de te serrer la main quand vous vous êtes recroisés…
Tu fais ressortir toujours des trucs ! (rires) Mais bon il faut dire que là tu choisis des sujets qui ont existé mais c’est toujours pareil ! Si ce n’était pas moi qui venais, c’était Denoueix, Lacombe, Perrin. On était en concurrence. Les mecs, ils ne se fixent pas de prendre un entraîneur, il y en a plusieurs. Moi je ne sais pas ce qui s’est passé. L’histoire est partie de Villanova. Ils n’ont pas gardé Villanova pour le recrutement, derrière ils disent comme Villanova n’est plus là, Antonetti, il ne continue pas avec nous. Ils te sortent cette version, tu ne cherches pas. Peut-être que quand on m’a dit ça, son départ n’était pas officialisé. Tu vois ce que je veux dire.
Ponctuée d’une qualification pour la Coupe Intertoto, cette saison 2004-2005 a été réussie. Quels souvenirs en gardes-tu ?
C’était vraiment une équipe de cœur à l’image de Jérémie Janot. Il y avait beaucoup de cœur, beaucoup d’enthousiasme, beaucoup de solidarité. Avec Sablé, Zokora, Piquionne, j’avais fait venir Feindouno, Camara qui était revenu, un super gars. Vincent Hognon, super… Il y avait toute une dynamique autour de joueurs très solidaires, très professionnels. C’était une belle aventure avec de belles personnes. C’étaient vraiment des bons mecs, des gars qui aimaient le maillot vert, qui aimaient être équipiers, qui aimaient faire partie d’un groupe. C’était magnifique. J’étais avec Daniel Sanchez, avec Jean-Christophe Hourcade le préparateur, Jeannot Déès comme entraîneur des gardiens. Il y avait une unité avec les kinés Forissier, Garcia, le doc Demonteil. C’est un succès collectif qui partait des joueurs mais aussi de tout un staff, de toutes ces personnes. Personne ne peut s’approprier le succès. C’était vraiment une belle dynamique collective.
La saison suivante avait bien démarré (4 nuls et 3 victoires dont une 3-0 contre le PSG) mais la deuxième partie de saison c’est un peu parti en sucette. T’expliques ça comment ?
C’est toujours pareil, on maîtrise moins. Il y a beaucoup de gens qui s’immiscent. C’était compliqué parce que tout d’un coup, il y a eu Damien Comolli qui était directeur sportif la première année, après il y a Omar Da Fonseca qui est arrivé. Il y avait deux directeurs sportifs, deux présidents, il y avait aussi Tuong Cong qui était dans la dynamique. Il y avait beaucoup de décideurs. Il y avait un nombre incroyable de gens qui voulaient décider, qui décidaient et toi t’es l’entraîneur là au milieu avec les joueurs… Ce n’est pas toujours aussi simple que ça.
Quel regarde tu portes sur le binôme présidentiel ? A l’époque, ils avaient peu d’expérience. Comment as-tu vécu le fait qu’il y ait deux têtes ? Est-ce que c’était pesant comme mode de fonctionnement ?
La première année, ils ont pris leur marque. Il a fallu qu’ils trouvent un fonctionnement. Ils l’ont trouvé depuis puisque Bernard est sur Paris avec un rôle. Dans l’exécutif, c’est Roland. Dans cette période-là, ils cherchaient le meilleur fonctionnement. Tu ne peux pas être à deux à décider. Enfin si, tu peux être à deux mais à un moment donné, il y a des domaines où une seule personne doit décider quand même !
Les dirigeants outrepassaient-ils leur rôle en pesant sur le sportif ? On se remémore notamment le cas de Sébastien Mazure…
Outrepassaient, non, mais étant donné qu’il y avait deux directeurs sportifs, il y en a un qui avait une vision, on joue en 4-3-3 et l’autre qui disait non, il vaudrait mieux jouer en 4-4-2. C’est compliqué quand tout le monde veut décider et s’immiscer dans le domaine sportif. Ce n’est pas si simple que ça. La preuve, moi il me restait une année de contrat, c’était compliqué et j’ai démissionné sans prendre l’année de contrat sans rien. J’ai fait jouer ma clause libératoire et je suis parti à Toulouse. Je trouvais ça assez compliqué cette ingérence globale de tout le monde. À l’époque, c’était un peu une armée mexicaine à l’ASSE.
Quatorze ans après ton départ, Roland Romeyer et Bernard Caïazzo sont toujours à la tête du club. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur leur coprésidence ?
Attention, il faut leur tirer le chapeau… Il faut reconnaître aussi qu’ils ont mis l’argent, ils sont toujours là, ils gèrent financièrement, il y a eu de très bons moments avec Christophe Galtier, il y a eu la coupe d’Europe qui est revenue... Il faut leur tirer le chapeau pour leur persévérance, leur amour du club et leur présence. Voilà, ça a quand même amené de la stabilité. Alors aujourd’hui, ils ont le manager général qui est plus qu’un entraîneur, qu’il fallait aussi pour mettre de l’ordre, pour tenir la baraque au niveau sportif. Là ils ont la chance d’avoir un super mec, en l’occurrence Claude Puel.
Pascal Feindouno est-il le joueur le plus talentueux que tu aies eu à Saint-Etienne sous tes ordres ?
À chaque fois tu me demandes des trucs comme ça. Blanc, Coupet et maintenant Feindouno ! Écoute, je l’ai eu à Bordeaux. C’est une longue histoire entre nous deux. Il a marqué le but du titre en 1999, on a joué la première place toute la saison, mais ça a marqué les esprits. Je l’ai fait rentrer, il avait 17 ans, il a marqué le but du titre. Après, il appréciait mon travail, il m’a accompagné à Saint-Etienne. J’ai un lien à la fois professionnel et affectif avec lui, avec d’autres joueurs aussi… C’est quelqu’un que j’apprécie vraiment et qui m’a rendu 1000 fois sur le terrain. Je lui dis merci, c’est un plaisir quand je le vois. Sa joie, sa bonne humeur… c’est quelqu’un de formidable ! Avec lui, la vie est toujours belle, c’est incroyable.
Julien Sablé a toujours été très élogieux à ton égard, y compris lorsque tu étais critiqué. À l’époque où tu étais sur le banc de l’OM, Juju avait déclaré au Phocéen qu’il était prêt à venir à pied ou en rampant te rejoindre à Marseille. Quel souvenir tu gardes de votre collaboration et de ses qualités ?
Tu m’as parlé de Feindouno, l’enthousiasme, c’est incroyable Feindouno comme c’est une belle personne. Et Sablé, c’est une belle personne : professionnalisme, fidélité, engagement total. Voilà, c’est quelqu’un de direct, il était capitaine. Il était un parfait relais pour l’entraîneur que j’étais. Et humainement, il savait aussi faire passer des messages à l’entraîneur par rapport à ma gestion, ce qu’il voyait se passer dans le vestiaire. C’est quelqu’un de très droit. Je souhaite qu’il soit entraîneur un jour. Il a été précipité quelque part un peu trop tôt peut-être. Là, il est avec Puel, il a aussi été dans le staff un peu avant avec Gasset et Printant. Il continue son apprentissage et peut-être qu’un jour il sera l’entraîneur des verts. Je lui souhaite, il le mérite. Je l’apprécie vraiment.
Bon nombre de supporters stéphanois gardent un souvenir mitigé de ton second passage à la tête de l’équipe première. Les critiques portent d’une part sur le jeu plutôt défensif et peu attrayant (76 buts marqués et 73 but encaissés en 76 matches), et sur le fait que tu ne faisais quasiment jamais tourner ton équipe. T'es d'accord avec ça ?
Entraîneur défensif, ça, ce n’est pas vrai. Parce qu’à Bordeaux, j’étais la meilleure attaque et l’équipe qui avait le plus d’occasions. On a fini avec le meilleur buteur, Sylvain Wiltord, et le meilleur joueur, Ali Benarbia.
Oui mais tu fais référence à Bordeaux. Je parle en l’occurrence de Sainté… Certains supporters auraient aimé un jeu plus tourné vers l'offensive.
Oui, mais à Saint-Etienne j’ai été pragmatique. Si tu veux, l’équipe venait de Ligue 2, il fallait s’adapter par rapport à l’effectif. J’ai essayé de faire l’équipe la plus équilibrée possible, d’avoir des résultats. La preuve, les résultats ont été là. Le seul truc qu’on pourrait me reprocher c’est d’être pragmatique et de ne pas être dogmatique. Dogmatique, c’est à tout prix vouloir faire des choses même si tu n’as pas l’effectif pour. Si je fais le bilan de ma carrière, peut-être que je regrette un peu ça parce que j’étais souvent… Au départ, j’étais avec des idées offensives, comme à Bordeaux et tout ça. Et après, par rapport aux résultats, aux situations… Comme beaucoup, il y a un certain pragmatisme. Regardes ce qu’a fait André Villas-Boas dimanche soir à Paris : il a mis le bloc bas, tout ça. Donc quelque part on est quand même jugé sur les résultats. Donc voilà, que je ne sois pas dogmatique au niveau offensif mais pragmatique, c’est vrai
Quid de ta propension à ne quasiment jamais faire tourner l’équipe ? Certains joueurs, notamment des jeunes, ont pâti de cette situation et auraient aimé avec leur chance.
C’est vrai. Ça, c’est un peu vrai. C’est quelque chose que je devrais corriger si c’était à refaire.
J’étais parti sur le fait d’avoir une équipe à seulement 15 ou 16 joueurs. Il y avait à l’époque Alex Ferguson qui était à Manchester et qui ne tournait jamais, on disait tout le temps que ça permettait d’avoir les automatismes, dans le jeu comme sur les coups de pied arrêtés. Je regardais parce qu’en tant qu’entraineur, tu te nourris aussi de ce qui se fait au plus haut niveau. Mais peut-être que ça, c’est une erreur. Si c’était à refaire, peut-être que j’essaierai de gérer un peu mieux, d’intégrer plus de joueurs. Malgré tout, Bafé Gomis a débuté en L1 avec nous. Ce n’était pas évident. Mais bon, on a tous le droit à des critiques, je les accepte, il y a une part de vérité.
Quel regard portes-tu sur l’ASSE d’aujourd’hui ? Apparemment, tu tiens en haute estime Claude Puel.
C’est vrai. Il fait jouer les jeunes et je vois ça d’un bon œil, surtout aujourd’hui par rapport au contexte financier des clubs et les difficultés avec le Covid pou les clubs ont des difficultés de chercher des ressources financières. Et à Saint-Etienne, pour permettre aux mêmes actionnaires d’exister, de pas partir dans les bras d’un fond d’investissement américain ou autres, il faut avoir des idées. Les idées de Claude Puel, de faire jouer les jeunes, elles sont très bonnes. Après, il est frontal par rapport aux cadres, et ça il faut le faire, ça vraiment… Parce qu’il y a des gros salaires, tout ça, il faut comprendre le contexte économique, etc. Voir les fins de cycle pour certains joueurs. Il fait des choses remarquables, fortes, et moi je dis qu’il fait des choses pour le club.
Jessy Moulin a succédé à Stéphane Ruffier en tant que gardien numéro un. Que t’inspire cette nouvelle hiérarchie des gardiens à l’ASSE.
Moi, je parle du travail global que peut faire Claude Puel, c’est lui qui sait le mieux comme il doit gérer ça. Moi, quand je vois ça, je pense surtout à Jessy Moulin, je le trouve incroyable le gars. Quand j’étais là, il était déjà là, il était la doublure de Jérémie Janot. Quand tu le vois je ne sais pas combien d’années après… Il a été à droite à gauche, il a toujours été la doublure et aujourd’hui, l’année dernière, il fait des matchs incroyables. C’est plus ça qui m’impressionne. Quand je l’ai connu à Saint-Etienne, c’était déjà un vrai gardien capable de faire des choses invraisemblables. Il avait la folie du gardien, quoi ! En plus, chauffé par Jérémie Janot, on a eu le droit à quelques numéros exceptionnels ! Jessy, c’est vraiment un kamikaze. Il est capable de faire un saut périlleux dans les vestiaires avec des crampons vissés. Ça situe le bonhomme (rires).
Projetons-nous sur le match de jeudi. Tu sais que Saint-Etienne n’a pas gagné au Vélodrome depuis 1979 ? Avec toi, on avait failli l’emporter, mais Marseille avait égalisé à la 96ème minute sur un but de Koke...
Je me souviens bien de ce match. J’ai été expulsé du terrain. L’arbitre a ajouté un temps supplémentaire incroyable. Il rajoutait des minutes sans arrêt. Je me rappelle que j’étais fou de ça !
Penses-tu que Sainté peut enfin mettre un terme à cette malédiction de 41 ans ?
Moi aujourd’hui ce que je vois, c’est qu’avec ce Covid, avec une préparation un peu différente, on n’a pas trop de repères. Alors, on voit Marseille qui vient de faire ce super résultat à Paris. On peut tout imaginer, on ne sait pas… Le résultat d’avant-hier soir va donner de la force aux Marseillais. Après, le Vélodrome sans ses supporters… pour l’adversaire, ce n’est pas pareil. Quand il y a tous les supporters, c’est un stade incroyable, quoi !
J’ai vu le dernier match des Verts contre Strasbourg. Il y a une dynamique qui se met en place. Bon, il y a la situation de Wesley Fofana, un super joueur. Mais bon, malgré tout, quand ils sont sur le terrain, les gens jouent l’intérêt collectif. Ça a toujours été le point fort cette notion collective des Verts dans toute l’histoire de l'ASSE. Quelque part, on ressent un peu ça aujourd’hui. C’est cette notion d’équipe, avec Claude Puel à la baguette.
Est-ce que les Verts vont créer l’exploit ce jeudi ? Difficile à dire. En théorie, Marseille est favori avec sa victoire à Paris. L’OM a trois hommes forts que j’ai eu l’occasion d’entraîner lors de mon expérience à Marseille. Steve Mandanda, que j’ai eu depuis le début, ainsi que Florian Thauvin et Dimitri Payet, que j’ai entraînés six mois. Ce sont des joueurs d’expérience, des internationaux. Après, on ne peut pas exclure une belle performance des Verts. Ce sera un match très intéressant à suivre !
Merci à Elie pour sa disponibilité et aux potonautes titigreenfan, valie, Kabigon, Stamp, toon et mouche à rayures pour la retranscription