Il vient de fêter ses 78 printemps et a gardé une mémoire exceptionnelle sur son passage de 7 ans à la tête de l'ASSE. Alain Bompard a parlé passé, présent mais aussi futur avec Poteaux-Carrés.


Président, comment allez-vous ?

Je vais bien ! Quelques petites misères comme tout le monde liées à l'âge mais globalement ça va ! Il m'arrive de temps en temps d'aller à Saint-Etienne où j'ai gardé pas mal d'amis. J'ai la chance d'être à la campagne, dans une région de rêve, le Luberon. J'ai une belle maison, mon fils a acheté la maison mitoyenne de la nôtre, ce qui fait qu'il me rend visite plus souvent ainsi que mes petits-enfants donc ça me ravit !

Vous avez le temps de suivre un peu le football quand même ?

Oh oui quand même ! Je regarde les matchs des Verts bien entendu ! Et l'Equipe de France aussi.

Avec votre fils ?

Il nous arrive de les regarder chacun de notre côté, et parfois ensemble, de temps en temps !

Que pensez-vous du parcours de l'ASSE cette saison ?

Ah écoutez, c'est un peu triste ! C'est malheureux même. Je pense évidemment au staff, aux dirigeants et aux joueurs pour qui c'est une période difficile à vivre. Mais je pense avant tout aux supporters qui ne doivent plus rien y comprendre. C'est sûr que c'est un moment compliqué.

On dirait qu'on est revenus au moment où vous avez pris le club avec les difficultés sportives et financières ?

Oui, c'était le 12 décembre 1997 ! Chaque année, Philippe Masseguin (ancien photographe de l'ASSE, décédé en 2019, ndp2) m'envoyait un petit mot qui me disait "bon anniversaire Président !" A l'époque, l'équipe était dernière de D2, il y avait 43 millions de francs de passif. J'avais pris le risque énorme de m'engager pour essayer de faire la démonstration à mon fils qui avait réussi l'ENA que son vieux con de père n'était pas totalement fini et qu'il était capable de réussir un gros coup ! Et comme il est stéphanois et que son club de toujours depuis l'âge de 6-7 ans, c'est Saint-Etienne, ça a été un pari agréable à tenter.

La légende qui veut que votre fils vous pousse à reprendre les Verts, c'est donc vrai ?

Ah oui, il est vraiment pur stéphanois ! Il y a 3 ans, quand il a inauguré la Foire de Saint-Etienne, les habitants lui ont rendu un bel hommage, ils le considèrent comme une belle réussite stéphanoise !

De là à l'imaginer à un autre poste ?

Ah j'en connais un autre qui aimerait bien aussi ! (rires)

Entre nous, il pourrait y penser votre fils, ce serait possible ?

Ecoutez, s'il n'avait pas aujourd'hui des perspectives professionnelles énormes ... Quand vous dirigez un groupe comme Carrefour, c'est 400 ou 450 000 employés dans le monde, c'est 100 milliards de chiffre d'affaires, c'est colossal ! Ce n'est pas simple. Il fait partie des gens sollicités de toute part. Mais c'est dans un coin de sa tête ! Ca existe ! Il a passé avec moi les plus belles années de sa vie à Saint-Etienne ! Ce qu'on a vécu père et fils, ensemble, avec trois associés aussi exceptionnels, c'était super ! Il y avait l'Haïtien Guy Lavaud, qui est décédé. Lui, c'était comme mon frère ! Il y avait aussi Julio Santos Domingo, qui est mort également, et Thomas Schmider ! On a vécu quelque chose de magique ! J'ai la prétention de dire que j'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, mais rien n'a été égal à Saint-Etienne !

Vous avez permis au club de vivre sa première période faste depuis le début des années 80, avec cette remontée et ces années en D1.

En tout cas, il s'est passé quelque chose de magique. Quand je suis arrivé en décembre 1997, c'était terrible ... on était derniers, et je ne vous parle pas de l'état du club ! Tu ouvrais une armoire, ça te tombait sur la tête ! Jusqu'au dernier match à Lille où on se sauve à l'arrachée. C'était un miracle ! Je m'en souviens comme si c'était hier ! On se sauve grâce à un but d'un type qui s'appelle Reginald Ray qui a marqué un but pour Le Mans et condamne Louhans-Cuiseaux à notre place ! Il marque dans les dernières minutes en plus ! Alexandre était à quelques rangs de moi dans le stade de Lille, il est arrivé en courant, il s'est cassé la gueule et me tombe dessus en me disant "Papa, Papa, on est sauvés !" Ah je peux vous dire que ce jour-là, j'ai entendu le bruit du canon, j'ai senti l'odeur de la poudre (rires) ! Et quelques mois plus tard, avec une équipe presque inchangée ... on remontait en D1 !



On n'avait pas d'argent, rien ... On a réussi à créer une symbiose avec ces mecs-là, on est restés invaincus pendant plus de 20 matchs (20 matchs de L2 + 2 matchs en Coupes, ndp2). Gérard Soler avait fait venir quelques beaux joueurs comme Kader Ferhaoui, qui avait été un capitaine remarquable. Il y avait aussi les gamins du coin, Adrien Ponsard et Bertrand Fayolle. C'était des mecs pas du tout cotés à l'époque ! On avait fait venir Patrick Revelles et un bon attaquant Nestor Subiat ! On a fait une saison incroyable ! J'étais tellement heureux que j'ai reconduit tout le monde ! On m'a dit "mais tu es fou, ça ne se fait pas, quand tu passes en D1, il faut changer d'équipe !" et bien moi j'ai dit que je ne toucherai rien ! On a renforcé l'équipe avec Alex et Aloisio, à droite on a pris Guel et Pédron à gauche. Je crois qu'on a eu une attaque champagne comme jamais, c'était incroyable ! Ca pétait dans tous les sens ! Rappelez-vous le 5-1 contre Marseille, le 5-4 contre Montpellier ... c'était un foot invraisemblable !





Qu'est ce qui faisait la différence dans cette équipe ?

Je pense qu'à l'époque tout le monde s'aimait ! Le staff avec les joueurs, les joueurs avec les supporters, les supporters avec tout le monde. Et je pense que le patron était un peu aimé de tout le monde aussi (rires). C'était un club familial, on n'avait pas de grande prétention mais on a réussi à terminer la saison à la 6eme place quand même ! Si on n'a pas le malheur des faux passeports qui nous a tués, dites-vous bien qu'on était partis pour quelques belles années ...

Justement, revenons sur cet épisode, comment vous le qualifiez aujourd'hui, c'était une erreur, c'était de l'aveuglement ?

Ah c'est une connerie monumentale de Gérard ! Il part au Brésil pour chercher un joueur et il rencontre Edinho, c'était quand même une référence au Brésil. En discutant tous les deux, Edinho lui dit : "Gérard, tes Brésiliens, si un jour tu veux les transférer, il vaut mieux qu'ils aient la double nationalité". Gérard lui dit "OK, tu le fais". Dans la foulée, il m'appelle pour me dire qu'il avait obtenu la double nationalité pour les brésiliens. Je n'ai pas été plus loin que cela, je me suis dit que c'était une bonne chose. Et malheureusement, un beau matin, notre voisin et "ami" a bénéficié d'une indiscrétion de la part de Bernard Lacombe qui a douté de la validité des passeports. Lyon a porté réclamation et moi j'ai dit "tant qu'on n'a pas vérifié, sortez les deux joueurs, on ne les fait pas jouer". Le lendemain, je vais déposer les passeports d'Alex et Aloisio au commissariat de Saint-Etienne. J'ai demandé au commissaire de vérifier leur authenticité, je lui dis "j'ai eu un différend avec les dirigeants lyonnais qui me disent que ce sont des faux, alors je tombe des nues !". Trois jours plus tard, ce brave homme revient en me disant "ils sont gonflés à Lyon ! Je peux vous dire que ces passeports sont archi-valables !" Qu'est ce que vous auriez fait à ma place ?

Et puis ensuite l'affaire s'est emballé, on s'est aperçu que des passeports de ce genre, il y en avait partout en France et en Europe. N'en pouvant plus, j'ai demandé au commissaire de police de revérifier pour être sûr. Il me dit "bon, écoutez, on va allez à Lyon où ils ont un système de vérification très poussé et on sera sûrs". Deux jours plus tard, il revient et il me dit "ce sont des faux". Qu'est ce que tu fais à ce moment-là ? Et après, c'était lancé, on a ramassé les 7 points de pénalité, Aloisio s'était fait les croisés en début de saison, ça a été la catastrophe. On aurait pu se sauver sur la fin vu qu'on nous a remis les points mais dans la tête, les joueurs n'étaient plus là, ils savaient que c'était direction la L2. Tout s'est cassé à ce moment-là. Mais on a continué le combat. Je m'étais engagé à ce qu'on revienne au plus haut niveau le plus vite possible. On a mis trois ans, c'est vrai, ça a été long mais j'ai rendu le club en première division !

Ne regrettez-vous pas non plus cette saison-là d'avoir renvoyé Robert Nouzaret très tôt, dès le mois de septembre ?

Oui, mais vous savez, j'ai fait partie de cette race de chefs qui décident mais qui sont capables de reconnaître leurs erreurs. Avec Robert, ça s'est fait sur un coup d'humeur. On venait de perdre à Strasbourg (3-2, le 23 septembre 2000, ndp2) et j'avais fait une réflexion dans le vestiaire qui était tout à fait justifiée et devant tout le monde, il a dit : "si t'es pas content, tu me fais le chèque et je pars demain". Et ça c'est pas quelque chose qu'il faut me faire, je l'avoue ! J'aurais eu l'intelligence le lendemain de lui dire "viens t'excuser et on arrête", il ne l'a pas fait, je n'ai rien fait non plus et ça s'est arrêté comme ça. Alors, oui, c'est une erreur. Une double erreur même. D'abord, on était au début de saison et deuxièmement, avec Nouzaret on aurait eu un défenseur dans l'affaire des faux passeports alors qu'on a eu un adversaire avec Toulouse.

Mais j'ai revu Robert, on se parle. Il a eu un AVC il n'y a pas longtemps, je l'ai appelé, j'ai pris de ses nouvelles. Je vais organiser dans quelques semaines un match dans le Luberon avec les anciens de 1998-2000, ils ont créé leur association. On va faire ça à côté de chez moi, ils passeront à la maison le soir et Robert sera là, évidemment !

Pas de rancœur envers Gérard Soler ou Robert Nouzaret donc ?

Gérard ce n'est pas pareil. Lui, c'est le talent mais il est toujours "border line". C'est sa nature, tu ne peux pas lui reprocher. Il a les inconvénients de ses avantages et inversement ! Mais je n'oublie rien ! Vous savez, dans l'affaire des faux passeports, je n'ai eu ni garde à vue, ni mise en examen. Il ne faut pas l'oublier. Malgré la longue enquête qu'on a subie. Ma responsabilité a été écartée dès le départ.

Vous avez parlé de votre départ de Saint-Etienne et du fait que vous avez laissé le club en L1 en partant, qu'est ce qui vous a fait passer la main ? On voit en ce moment que c'est un sujet pas simple à aborder pour Roland Romeyer par exemple.


Oh c'est une histoire ... Au moment de la remontée en L1, il nous manquait 1 million d'euros pour le mois de juin. Je demande donc à mes associés s'ils sont prêts à mettre la main à la poche. Puis, bon, ils avaient été secoués par l'affaire des faux passeports. Financièrement, quand tu retombes en D2, t'es à deux doigts de la catastrophe. Mon comptable me dit qu'il connaît un gars, qu'il m'adore et qu'il est prêt à rentrer à hauteur de 30% dans le club. Et il me présente Henri Grange. Je dis à mon expert comptable que c'est parfait dans ces conditions. On devait annoncer ça à la fin d'un match et le matin, Grange me fait prévenir qu'il est toujours OK pour mettre le million d'euros mais que par contre il voulait la présidence. Et comme j'avais annoncé à tout le monde qu'on avait un renfort financier, j'étais coincé. J'ai dit d'accord, je gardais la présidence du conseil de surveillance et lui prenait celle du conseil d'administration.

Mais dès le lendemain, il est arrivé au stade et s'est étonné auprès de certaines personnes. Il disait "ça fait deux fois que je viens à Geoffroy-Guichard et on me demande qui je suis. Quand je réponds que je suis le nouveau président, on me rétorque que le président est déjà là et que le président c'est Alain Bompard." Il m'a alors dit "tu t'en vas ou je reviens sur ma parole". J'ai piqué une énorme colère et je suis parti en promettant que je ne reviendrai pas. Mais comme entre temps, il n'a pas manqué de me critiquer dans les médias, trois mois plus tard, j'ai convoqué mes associés vu qu'on était majoritaires et j'ai dit "on vend le club et toi tu te casses !"

Et c'est Thomas Schmider qui reprend la main ...

Plus exactement, c'est Bernard Caiazzo qui décide de rentrer et de reprendre le club. Mais comme on a encore la majorité, on demande à Thomas Schmider de rester à la présidence et de protéger l'équipe. Mais Thomas s'est très très mal entendu avec Caiazzo, il m'appelait tous les jours pour me dire "ce type est un fou, je n'en peux plus". Un beau matin, s'il m'avait appelé pour me dire "il manque de l'argent, il faut dire à Caiazzo de se barrer", j'aurais trouvé l'argent. J'avais suffisamment d'amis pour ça. Mais le problème, c'est que Thomas a piqué une colère un matin, il a pris son chèque et il est parti. On s'est retrouvé démunis et c'était terminé. Voilà comment s'écrit l'histoire. On doit tout ça à ce brave Monsieur Grange.

Ce qui a fait exploser le club c'est aussi ce conseil d'administration à l'intersaison 2004 sur l'avenir du duo Antonetti - Villanova. Vous pensez que ça aurait fonctionné en L1 avec ce duo ?

Antonetti, c'est le type le plus extraordinaire que j'ai rencontré dans le football ! Il est d'une honnêteté, d'une intégrité, d'un courage rarissimes. J'ai suivi son affaire avec son épouse restée pendant longtemps entre la vie et la mort, pendant tout ce temps, jour et nuit, il ne l'a pas lâchée une seconde. Il a abandonné le football ... c'est un type fantastique. Quand je suis parti, il a déclaré "on vient de perdre un grand président" en parlant de moi. Ca n'avait pas plu à mes successeurs ! Mais à mon avis, celui que je voyais encore 10 ans plus tard à la tête des Verts, c'était lui ! Alors, heureusement, les dirigeants ont eu du bol, ils ont Galtier (rires) !

Je dis encore aujourd'hui que mes successeurs ont eu deux coups de chance dans cette décennie : Galtier et Ruffier. Si on met bout à bout le nombre de points que Ruffier a fait gagner à l'ASSE chaque année ... je peux vous dire que vous pouviez enlever quelques places au classement ! C'était un magicien ! J'ai eu des bons gardiens entre Janot et Alonzo, mais ce n'était pas Ruffier ! Ce type était extraordinaire ! La Coupe de la Ligue, ils la doivent à Ruffier ! Les séances de tirs au but, il a été fantastique !

Et il a été renvoyé du club de façon assez limite.

C'est pour ça que je dis que dans la vie, il ne faut jamais oublier ceux qui t'ont donné du pain ou de l'affection. Alors, même si Ruffier avait sûrement des torts, je ne sais pas tout de l'histoire, tu ne peux pas oublier tout ça ! Au moment où tu examines le truc, tu es obligé de te dire "non, attends, ça va pas se terminer comme ça entre nous !" Un Ruffier, tu le mets cette saison ... il était peut-être un peu moins bon, mais il n'était pas fini !

Toutes ces décisions mises bout à bout du duo Caiazzo - Romeyer ...

(il coupe) Oh vous savez, le duo Caiazzo - Romeyer, je n'ai pas vraiment de sympathie pour eux. Mais je connais la difficulté de ce poste. Président de l'ASSE c'est dur ! Mais ce qui me paraît contraire à la logique en général, c'est la double appartenance. Ce duo de présidents, je n'arrive pas très bien à comprendre. Pour moi, un chef est fait pour cheffer et il n'y a pas plusieurs chefs ! Sinon tu ne t'en sors jamais ! Aujourd'hui, je pense qu'il faudrait parler d'une seule voix. Alors, remarquez que ce n'est pas un handicap quand tout va bien ! Mais en revanche, quand ça va mal ... A un moment donné, les médias, le staff, les joueurs, les supporters, ils veulent connaître l'identité du chef ! Pour pouvoir tirer sur lui quand ça ne va pas ou l'aimer quand ça va bien. Et ils n'en veulent pas deux (rires) !

Surtout quand les deux n'ont pas l'air de s'entendre particulièrement bien

Ah c'est ce qu'on dit ... J'ai suffisamment de réseaux à Saint-Etienne pour vous dire cela : c'est ce qu'on dit ...

Pour vous ce sont deux présidents qui ont fait leur temps à Saint-Etienne ?

Un jour, Roland m'a dit qu'il voulait mourir à Saint-Etienne et que ses cendres soient répandues dans le but, côté Kop Sud ou Kop Nord, je ne me souviens plus. Quand tu entends ça, tu te dis que c'est dangereux ! A un moment donné, il faut savoir passer la main. Ils auraient dû chercher un autre partenaire il y a 4-5 ans, ne pas être trop gourmands. A l'époque, ils auraient pu trouver un investisseur. Mais je pense que Roland ne veut pas vendre et l'autre veut vendre très cher. Ce n'est pas simple !

Vous avez été approché par des investisseurs à l'époque ?

J'avais tenté d'obtenir des offres par un cabinet mais ça n'avait pas fonctionné. Et sans compter que je demandais 10 fois moins cher qu'aujourd'hui. Il faut bien voir que quand j'ai vendu le club, je n'ai pas gagné d'argent. Mes associés et moi on a récupéré nos billes et c'est tout.

Quand les présidents actuels estiment que le club vaut 50 millions d'euros ou plus, c'est surévalué pour vous ?

La vie c'est une éternelle partie d'offre et de demande. Il y a toujours un acheteur et toujours un vendeur. Mais il faut décider le prix ! Aujourd'hui, il y a un élément nouveau par rapport à mon époque puisque tu as des investisseurs étrangers qui ont investi fortement dans des villes importantes. C'est plus facile de trouver un partenaire pour Nice, Marseille, Paris, Lyon que pour Saint-Etienne. Ce n'est pas la Riviera, ce n'est pas une ville de fête, c'est plus difficile.

Ca joue vraiment ce critère ?

Ah oui bien sûr ! Et puis il y a d'autres éléments, si tu as un aéroport à 500m du stade et que tu viens des Etats-Unis ou du Qatar, c'est plus facile. Tu te poses, 5 min après t'es dans un palace 5 étoiles ... on parle de types qui vivent de cette façon ! Je pense que demander de telles sommes ... comment dire ... moi j'ai vendu le club 13 ou 14 fois moins cher. Et je ne vois pas vraiment la différence au niveau du classement !

Saint-Etienne est donc forcé à jouer un rôle de faire-valoir en L1 ?

Ce sera très très dur pour que les Verts retrouvent la Champions League. Mais c'était déjà vrai à mon époque. Mais c'est un club qui reste attractif grâce à son public, son histoire, son vécu ... il a des atouts énormes. Il doit pouvoir, s'il est bien géré, gagner une Coupe de France tous les 3-4 ans et terminer dans les 6 premiers chaque année. Mais aller chercher Paris, Monaco, Lyon, Marseille ... ce sera difficile. Après, il faut voir que le budget des Verts l'an passé était de plus de 100 millions d'euros ... c'est trois fois plus qu'à mon époque. C'était le 5e ou 6e budget de la L1. Les droits TV ne sont plus les mêmes, les partenariats non plus et puis ils ont réussi des coups incroyables sur le marché des transferts. Ca fait 15 ans qu'ils vendent leurs meilleurs joueurs, ils auraient presque une équipe de Ligue des Champions aujourd'hui !

Paradoxalement, le produit de ces ventes ne se retrouve pas forcément investi sur de nouveaux joueurs ... On a toujours l'impression que Saint-Etienne est à court d'argent.

Oui, eh bien ça s'appelle la gestion ! (rires) Quand je vois qu'on vend Saliba et Fofana pour près de 70 millions ! Vous vous rendez compte ? Attendez, avec ça, vous devriez vous gaver aujourd'hui ! Avec cet argent, tu devrais avoir d'autres joueurs que ceux de cette saison. Ca, je n'arrive pas bien à comprendre mais ce n'est plus mon problème !

Mais ça attise la curiosité des supporters, parfois leur colère !

Et je pense que la direction a une sacrée chance cette saison : c'est qu'il n'y a pas de public dans les stades ! Croyez-moi, avec autant de défaites, j'ai connu les supporters bruyants pour moins que ça ! Moi je n'ai jamais eu de problème avec les supporters ! J'ai connu un envahissement de terrain à la fin du match contre Guingamp qui nous envoyait en L2 après les faux passeports (2-2, 19 mai 2001, ndp2). C'est moi qui suis descendu sur le terrain malgré les CRS. J'ai fendu la foule et j'ai demandé aux supporters de retourner dans les tribunes. Et ils passaient devant moi, et certains me demandaient "c'est sûr Président, vous restez la saison prochaine malgré la deuxième division ?" Je n'ai jamais eu de problème avec les supporters !

Je me souviens d'un jour à Auxerre, on avait eu un souci. Les CRS refusaient de les laisser partir et le ton était monté. Les CRS allaient charger, Alexandre m'appelle et me dit "viens vite Papa, il y a un souci en bas". J'arrive au milieu des CRS et je leur demande ce qu'il se passe. Ils me disent "on charge, ça va péter". Je leur ai dit "je m'occupe de tout. Vous reculez de 3 pas." Ils ont refusé mais j'ai insisté. Ils ont fait 3 pas en arrière, j'ai approché des supporters et je leur ai dit "allez, à la maison !" Ils sont sortis sans un bruit. Tu sais, dans la vie, si tu donnes de l'amour, les gens te le rendent ! Ne jamais l'oublier.

Ca montre le respect qu'ils vous témoignaient

Moi je les aimais ! C'est aussi con que ça ! Regardez la façon dont j'en parle aujourd'hui ! Je n'ai rien à vendre, je ne vais pas faire un retour, je ne tente pas une OPA. Je parle avec mon cœur !

Si vous faites un retour, ce sera avec votre fils alors s'il décide de venir !

Ah j'aimerais bien ! Je suis sûr qu'il réussirait ! Par rapport à moi, il a des réseaux financiers ! Il connaît tous les patrons du CAC40 ! C'est un avantage. Et puis Alexandre est exceptionnellement intelligent, chacun le sait, mais aussi exceptionnellement gentil ! C'est sa marque de fabrique. Il est d'une simplicité, d'une gentillesse. Les supporters l'adoraient à l'époque, il allait les voir tout le temps ! Mais il m'a dit que vous lui aviez écrit il n'y a pas longtemps ! Il m'a expliqué qu'il avait reçu des dizaines et des dizaines de messages de stéphanois lui demandant de reprendre le club !

Ah vous voulez parler de l'édito récent que nous lui avons consacré !

Oui ! Il m'a dit "c'est incroyable la foule de messages que j'ai reçus !"

Si jamais il veut nous répondre, il peut !

Vous savez, on parle souvent de tout ça ... Je peux vous dire que ce n'est pas aussi loin que ça. La question c'est techniquement comment c'est possible ? Mais je l'espère autant que vous ! (rires)

Il aurait pu vous faire un beau cadeau d'anniversaire, vu que c'était il y a quelques jours !

Oui, j'ai fêté mes 78 ans le 12 mars dernier, et je peux vous dire que j'ai reçu un message de tous mes joueurs ! Vous savez quoi ? Même Alex Dias m'a écrit !

Depuis le Brésil ?

Oui, il m'a écrit : "bon anniversaire mon Président préféré, signé le Petit Prince de Geoffroy-Guichard" (rires)

Quel joueur !

Oui, ça a été aussi un gros sujet de chamaillerie avec Robert Nouzaret. Quand on est partis au Brésil pour récupérer Aloisio que Robert avait repéré, Gérard me dit : "regarde le petit numéro 7 qui joue à côté de lui, il a l'air étonnant". Pendant toute la rencontre, j'ai observé Alex et quand on a entamé la négociation, j'ai dit "je prends les deux !" Et Robert n'a pas apprécié qu'on lui impose le second. Et il me l'a laissé pendant 2 mois et demi sur la touche !

Jusqu'à ce match contre Nancy !

Et tu sais pourquoi il joue ce match ?

Dites-nous !


Parce que j'avais demandé à Robert de le mettre titulaire ou au moins de le faire rentrer. Si on voulait le vendre, il fallait au moins qu'on le montre un peu ! A la mi-temps, Patrick Revelles se blesse et Alex rentre. Il marque et fait marquer Aloisio, il a fait un match incroyable, c'était du délire dans le stade !



Et je me souviens des titres des médias ! C'est Didier Bigard qui avait écrit je crois "le petit prince de Geoffroy Guichard" ! Un très bon journaliste qui écrivait bien et qui connaissait parfaitement le football. C'était un des rares qui pouvait venir jusqu'à mon bureau pour me dire "Alain, là tu fais une connerie" (rires)

Ah aujourd'hui, ça ne fonctionnerait plus comme ça !

Et c'est dommage ! C'est comme ça qu'il faut que ça marche. Mais ça a changé. Tiens, une anecdote : quand j'ai travaillé pour Arles Avignon lorsque j'étais à la mairie d'Avignon, on s'est rendu à Lyon pour un match et je croise Bafé Gomis. Bafé moi je l'ai eu quand il était en cadet. Il me dit : "depuis que vous êtes parti, ce club n'est plus une grande famille". Je lui ai demandé pourquoi et il me répond "quand j'étais en junior à l'Etrat, vous veniez aux entraînements, vous partagiez un repas avec nous, c'était une famille et ce n'est plus ça aujourd'hui". Mais voilà, en tout cas, je souhaite de tout cœur à mes successeurs qu'ils s'en sortent parce que ce n'est pas encore gagné !

Non, le match contre Nîmes de dimanche sera important (interview réalisée juste avant la victoire des Verts chez les Crocos, ndp2)

Il faut être très vigilant ! Il faut savoir trouver les bons mots parce que tu peux faire un pas de plus et te sauver sinon ... Mais les joueurs sont des hommes, il faut leur expliquer que c'est leur intérêt, c'est l'intérêt du club. Personne n'oubliera que ce sont eux qui ramèneront le club en L2 si ça doit se produire. Il faut savoir prendre la parole à ce moment-là.

Je me souviens de Frédéric Antonetti qui me disait toujours : "Président, vous venez dans le vestiaire quand vous voulez, mais vous prenez la parole 4 fois dans l'année, pas plus. Et à chaque fois, vous frappez fort !" Mais si vous aboyez à tous les matchs, ça ne sert à rien ! Et Antonetti sait ce qu'il dit ! Regardez ce qu'il fait à Metz avec le cinquième du budget de Saint-Etienne ! Et puis je connais bien les Messins vu que mon fils a épousé une messine ! Je connais bien l'esprit lorrain ! Là-bas, Antonetti est adulé. Ils l'ont conservé pendant 1 an et demi alors que c'était Vincent Hognon sur le banc.

Un autre de vos anciens !

Un type bien Vincent ! Comme toute l'équipe de la remontée en 2003-2004 ! C'était encore mon équipe puisque, même si je suis parti en décembre, on l'avait construite quelques mois avant ! On avait retrouvé l'esprit de 1999-2000 !

Merci au Président Bompard pour sa disponibilité