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Été 1986. Sur une petite piste d'atterrissage de la plaine du Forez, deux personnalités locales attendent patiemment que se pose un jet privé venant de Bulgarie.
A son bord se trouvent deux hommes, nouveaux espoirs du club stéphanois récemment promu: Georgi Slavkov et Georgi Dimitrov.
Si le premier Georgi est un buteur réputé, le second Georgi n'est rien de moins que l'une des stars de la World Cup 86 qui vient de s'achever...
C'est le 14 janvier 1959, derrière un rideau de fer qu'on imagine gelé, que le jeune Georgi voit le jour en plein coeur de l'hiver bulgare, lui conférant sans doute de naturelles prédispositions à vivre dans le froid.
Son village natal, Gredachevo, est proche de Stara Zagora, une petite cité agricole du centre de la Bulgarie qui n'a pour seuls joyaux que son université et son club de football. Le PFK Beroe Stara Zagora est en effet l'une des équipes les plus régulières du championnat national, malgré son palmarès vierge (à l'époque).
Entre les champs, les laboratoires et le carré vert, Georgi fait son choix et décide de faire carrière dans le football.
le Beroe Stara Zagora 1976-77 avec le jeune Dimitrov,
dernier rang, 2e à gauche
C'est évidemment au Beroe que ce grand défenseur atthlétique fait ses classes. Alors que le club local possède dans son effectif la terreur des surfaces bulgare des années 70 en la personne du buteur Petko Petkov, Georgi se spécialise dans le poste de défenseur central. Son gabarit impressionnant (1m88 pour 82kg dès l'adolescence) l'aide à développer un jeu rugueux et sobre, particulièrement apprécié dans ce football de contact qui se pratique alors à l'est.
Il n'a que 17 ans lorsqu'il est enfin lancé dans le grand bain lors de la saison 1976-77. Sans tarder, Dimitrov s'installe dans l'axe de la ligne défensive de Beroe et y dispute toute la saison, inscrivant même son premier but professionnel.
Le club phare du pays, le CSKA Sofia, ne tarde pas
à recruter la jeune pépite Dimitrov
A l'époque, la fierté nationale est le CSKA Sofia, que l'ASSE vient d'éliminer en 16e de finale de Coupe d'Europe des Clubs Champions. Le club de la capitale n'est pas le dernier pour repérer les talents en devenir et jette immédiatement son dévolu sur le jeune Georgi, 18 ans, qui a crevé l'écran dès sa première saison. L'intersaison 1977 est le début d'une longue histoire entre Dimitrov et le CSKA.
Immédiatement titulaire et bientôt capitaine indéboulonnable, Dimitrov va passer 9 saisons à Sofia, disputant 256 matches, inscrivant une trentaine de buts et raflant au passage 4 titres de champion et 3 coupes nationales.
En 1981-82, le club bulgare effectue un parcours extraordinaire en C1, disposant de la Real Sociedad, de Glentoran puis de Liverpool en quart de finale, au terme d'un match retour épique à Sofia (0-1, 2-0 ap). Éliminé en demi-finale par le Bayern Munich malgré une victoire éclatante à l'aller (4-3, 0-4), Georgi Dimitrov resplendit devant l'Europe entière.
Échange de fanions entre les capitaines Soumess
et Dimitrov lors de CSKA-Liverpool 1981-82
Mais l'Europe ne suffit pas et après une campagne de qualifications réussie (avec notamment un but lors de la victoire 2-0 de la Bulgarie contre la France), Dimitrov qualifie emmène son pays à la Coupe du Monde 1986. International depuis 1977, il comptera 77 sélections au cours de sa carrière, avec notamment 7 buts et 56 brassards de capitaine. Au sein d'un effectif plutôt homogène et plus tourné vers l'efficacité que le spectacle, Georgi est une superstar et un véritable patron en défense. Son Mondial mexicain verra la Bulgarie tenir tête au champion du monde italien puis à la Corée du Sud. Si l'Argentine les bat 2-0, cela n'empêche pas les Bulgares de se qualifier pour les 8e de finale en tant que meilleurs troisièmes.
C'est alors la première fois que ce petit pays passe le premier tour de la compétition reine en 5 participations (seule la Dream Team de 1994 fera mieux) mais le Mexique, poussé par son public, achèvera le rêve de Georgi et de ses coéquipiers en s'imposant 2-0 à Mexico.
Georgi Dimitrov met en échec Claudio Borghi
lors d'Argentine-Bulgarie 1986
Ce dernier comptant parmi les vedettes de la grand messe mondiale, c'est un véritable coup que réussit Pierre Garonnaire en décrochant la signature du libéro bulgare à l'intersaison 1986. Dans l'ombre des Littbarski, Francescoli, Forster, Brown et autres César, Dimitrov pose donc ses valises dans le Forez, au sein d'une équipe qui retrouve la D1 après deux années de purgatoire: "Je connaissais Saint-Étienne avant d’y signer. J’avais joué contre elle avec le CSKA Sofia à la fin des années 1977. À cette époque, l’ASSE était très connue en Bulgarie. Elle avait la réputation de pratiquer un football plaisant et de nombreux grands joueurs avaientt porté ses couleurs dont, bien évidemment Michel Platini" (Le Progrès, 2017).
Et il n'arrive pas seul: il est accompagné de son compatriote, également international du CSKA, Georgi Slavkov, milieu de terrain à la réputation plus discrète.
Intronisé patron de la défense aux côté de Gros et Primard, Dimitrov joue donc son 1er match sous le maillot vert dès la première journée de championnat à Sochaux (3-3). Contrairement à ce que pourrait laisser penser ce match au cours duquel l'ASSE prend 3 buts, son intégration au sein de l'effectif et de la défense stéphanoise se passe plutôt bien. Il ne va d'ailleurs pas tarder à justifier la confiance que Kasperczak place en lui, en marquant, à l'occasion de la 4e journée, alors que les Verts reçoivent le PSG de Dominique Rocheteau et Gérard Houiller.
Dimitrov ouvre le score dès la 5e minute du match et permet à l'ASSE de remporter ce match 1-0 (sa première victoire de la saison) et également de confirmer son statut d'international buteur.
André Laurent et Pierre Garonnaire accueillent Dimitrov et
slavkov à l'aéroport de Bouthéon en 1986 (photo le Progrès)
Georgi jouera 37 matchs et aura l'occasion de marquer un deuxième but, toujours à GG, lors de la réception de Rennes en toute fin de championnat.
Cette victoire à 3 journées de la fin est alors capitale car les Verts sont 15e et affrontent un concurrent au maintien pour ne pas se retrouver dans la charette les reconduisant directement en D2. L'ASSE remportera ce match 2-0 grâce donc à Dimitrov et Krimau, terminant finalement à la 16e place avec la 2e meilleure défense, ce à quoi le grand Bulgare n'est pas étranger du tout.
Dimitrov fait rapidement de Geoffroy-Guichard son nouveau jardin
La saison suivante est exceptionnelle pour l'ASSE avec le retour aux manettes de Robert Herbin mais moins brillante pour Dimitrov. Ce dernier ne dispute que 17 rencontres et n'inscrit qu'un seul but, forcément décisif, celui de la victoire contre l'AS Cannes (1-0) à la 15e journée. Dimitrov ne joue même pas les 8 derniers matchs de la saison, ce qui n'empêche pas les Verts de terminer 4e au classement avec, ironie des statistiques, un bilan attaque-défense à l'opposé de la saison précédente.
En effet, la défense de fer de la saison 1986-87 s'est muée en une véritable passoire puisqu'elle se retrouve 19e tandis que l'attaque muette de la saison dernière s'est transformée, grâce au duo Garande-Tibeuf, bien épaulés par El Haddaoui, en une formidable machine à marquer (54 buts).
Gros, Musquère, Dimitrov, El Haddaoui et Garande,
une idée de l'ASSE version 1987-88 (photo le Progrès)
Mais pourquoi cette mise à l'écart progressive ? Dimitrov a largement le niveau sur le terrain mais la légende raconte qu'il excelle alors également... en boîte de nuit et accessoirement en baston une fois les 4 grammes dépassés. Nouveau riche à peine désoviétisé, le Bulgare voit son nom apparaître régulièrement sur les mains courantes des commissariats de police de la ville. Les bruits courent, la presse en fait écho dans les faits divers et Robert Herbin, pour qui l'hygiène de vie est une valeur inestimable, a tôt fait de le remplacer par une jeune pousse du centre de formation, Pierre Haon. A l'intersaison 1987, Georgi Dimitrov repart vers sa Bulgarie natale sans avoir trouvé sa terre de cocagne.
Face à Nantes à l'automne 1987, Dimitrov dispute
l'un de ses derniers matches en vert (photo le Progrès)
Refroidi par ce saut dans l'inconnu et tandis que son compère Slavkov se sauve au Portugal, lui retourne d'abord au CSKA Sofia, avec qui il remporte un nouveau doublé Coupe-Championnat de Bulgarie puis tel un éléphant se rendant au cimetière, il s'en va finir tranquillement chez le rival du Slavia Sofia (club qui accueillera bien des années plus tard un certain Daisuke Matsui). Après quelques piges sans conséquences au Maccabi Tel-Aviv (Israël) et à Linköping (Suède), le grand brun met un point final à sa carrière de joueur au début des années 90.
Dimitrov s'impose devant Julio Salinas (Slavia-Barca 1989)
Si l'on ignore comment il occupe les 15 années qui suivent, Dimitrov refait surface au 21e siècle lorsqu'il rejoint, en qualité de coach, le FC Marek Dupnista (à vos souhaits) en 2007. Ce petit club de milieu de tableau de l'élite bulgare, qui avait battu Dimitrov et son CSKA en finale de la Coupe de Bulgarie 1978, est alors dirigé par le controversé Yordan Andreev, magnat local qui entretient des rapports conflictuels avec les supporters.
Georgi arrive, constate les dégâts et repart dès le mois de mars 2008, alors que le Marek est dans une situation sportive délicate. La vente du talentueux Enyo Krastovchev et la guerre larvée entre le président et certains vétérans de l'équipe achèvent de le convaincre de démissionner pour retourner au CSKA, son club de toujours, où l'attend un poste de Directeur du centre de formation.
Georgi Dimitrov en 2008
Il prend sa retraite définitive du monde du football en 2010 et devient alors un consultant privilégié, de par son statut et sa connaissance du CSKA, pour commenter les multiples rebondissements de la vie du club de la capitale durant les années 2010, qui le verront remporter plusieurs Coupes de Bulgarie, tout en étant racheté deux fois, en faisant banqueroute, en perdant son statut professionnel puis en le récupérant de manière rocambolesque au détriment du Levski Sofia...
Autant de péripéties dont la (meilleure) conséquence sera de multiplier les apparitions télévisuelles de la légende Dimitrov, alias "Jacky" pour les intimes, et de son non moins légendaire débit... de paroles !
Atteint d'un cancer pour lequel il revenait régulièrement se soigner à Saint-Étienne, Georgi Dimitrov décède le 8 mai 2021 à Panagyurichté, à l'est de Sofia. Ses funérailles seront très suivies dans son pays où il aura marqué sa sélection de son empreinte, préfigurant la génération dorée qui brillera au Mondial 94.
Réunion de vieux copains entre Georgi Dimitrov et
Gilles Peycelon (au centre) en 2009
La minute culturelle
Attention à ne pas confondre Georgi Dimitrov, l'ancien Vert, avec son parfait homonyme, Georgi Dimitrov donc, qui fut, après la Seconde Guerre Mondiale, le premier ministre bulgare de 1947 à 1949, et qui eut la particularité d'avoir été accusé en 1933, par le jeune régime hitlérien de l'époque, d'être à la tête du complot communiste ayant conduit à l'incendie du Reichstag. Ce farouche Stalinien ne fut en effet jamais en mesure d'égaler la mesure et le calme du géant de Stara Zagora (sauf peut-être en fin de soirée arrosée)...
La carrière de Georgi Dimitrov en un clin d'oeil
Sources
Old School Panini
Pes Miti del Calcio
ASSE Stats
Wikipedia