Le tournant de la défaite samedi contre Lille a sans doute été l'exclusion peu après la demi-heure de jeu de Loris Néry pour un tacle très appuyé sur Béria. Une décision rare concernant les Verts qui n'avaient compté que deux exclusions l'an dernier dont une seule pour un tacle (celle, discutable, de Bergessio àNice). Tentative de décryptage de ce qu'est la "faute grossière".
Commençons par quelques rappels historiques. La faute grossière est née en 1998, pendant la Coupe du Monde en France. À ce moment-là , le législateur du football a souhaité canaliser un peu la fougue de certains joueurs dont l'engagement excessif provoquait moult blessures plus ou moins graves. Le tacle était particulièrement visé, notamment celui effectué par derrière. Pendant quelques temps, pas mal de raccourcis médiatiques ont d'ailleurs résumé à tort la faute grossière à ce seul tacle par derrière. Pourtant, un tacle par derrière - même fautif - n'est pas toujours à ranger dans la case "faute grossière" et il existe de nombreux autres cas de fautes grossières (tacle, semelle, coup de coude…).
Qu'est-ce donc qu'une faute grossière ? La FIFA l'a défini ainsi : "Un joueur se rend coupable d'une faute grossière s'il agit avec excès d'engagement ou brutalité envers un adversaire lorsqu'ils disputent le ballon quand il est en jeu". Elle se distingue donc du comportement violent qui intervient en dehors de toute lutte pour le ballon et peut concerner n'importe qui (adversaire, partenaire, bancs de touche, arbitres, spectateurs...). La faute grossière ne peut, elle, être commise que sur un adversaire.
Ceci posé, nous pouvons nous pencher sur le cas de la faute de Néry. Déroulons le fil de l'action : les Lillois sont en position offensive sur le côté gauche et le ballon parvient dans les pieds de Béria qui tente de repiquer vers l'intérieur. Dépassé, le jeune latéral stéphanois se lance dans un tacle trop virulent et surtout aucunement maîtrisé, manque le ballon et vient toucher de la semelle le tibia de la jambe droite de son adversaire. L'arbitre siffle la faute et brandit rapidement un carton rouge. À vitesse réelle et depuis la caméra centrale de la télévision, on est étonné de cette exclusion. Cependant, d'autres plans viendront immédiatement renforcer la décision de l'arbitre, notamment celui duquel est extrait la capture d'écran ci-dessus. De cet angle, qui est pratiquement celui de Piccirillo (situé hors cadre à droite de l'image, entre 5 et 10 mètres de l'action, soit le placement idéal), on voit nettement que tous les ingrédients de la faute grossière sont présents : l'excès d'engagement puisque Loris ne maîtrise simplement pas son geste, aucune partie de son corps ne touchant le sol au moment du contact et celui-ci intervient un long moment après que le ballon ait été hors de sa portée, la vitesse de l'intervention, très, trop élevée, la direction du geste, en diagonale et, conséquence des trois points précédents, la fameuse mise en danger de l'intégrité physique de l'adversaire. Sur ce dernier élément, l'image est même accablante car, à un crampon près, la jambe de Béria peut céder, son pied restant un instant vissé au sol. L'exclusion est donc difficilement contestable.
Quelques questions se sont ensuite posées. D'abord, la décision a-t-elle été prise trop rapidement ? On l'a vu, le placement de Hervé Piccirillo est optimal. Dans l'instant, il a pu juger de l'action. On a reproché à Varela, pendant Sochaux-ASSE, une trop grande virulence dans ses décisions. Ce n'est pas le cas ici. Dans son attitude très calme et en aucun cas "vengeresse", l'arbitre montre que cette exclusion n'est pas une réaction épidermique : il a vu toute l'action, a analysé le risque pour l'intégrité physique de la victime. Sur une potentielle exclusion, on ne doit certes pas prendre sa décision à la légère mais il n'est pas possible non plus de tergiverser : le risque d'attroupement et d'altercation entre joueurs est très important.
Une autre interrogation a été formulée : aurait-il dû simplement avertir Loris Néry et éventuellement revenir sur cette décision en cas de blessure sérieuse du latéral lillois ? Réglementairement parlant, cette possibilité existe bien : dans le chapitre sur les décisions de l'arbitre, on note "l'arbitre ne peut revenir sur une décision que s'il réalise que celle-ci n'est pas la bonne ou, à sa discrétion, après avoir consulté un arbitre assistant ou le quatrième officiel, le tout sous réserve que le jeu n'ait pas repris ou que le match ne soit terminé". Et une circulaire concerne précisément le cas du "jaune transformé en rouge" depuis quelques années. Cependant, cette disposition doit être comprise plutôt dans l'autre sens car elle est censée permettre à l'arbitre de corriger une erreur grave où il aurait mal jugé une blessure avérée et penserait s'être précipité en ne donnant d'abord qu'un avertissement à un joueur cassant par exemple la jambe de son adversaire. Au passage, rappelons qu'une blessure avérée n'est pas nécessaire pour sanctionner une faute grossière d'un carton rouge. Précisons enfin qu'une décision ne peut être changée si le jeu a repris depuis. Ainsi, si l'arbitre avait choisi de sanctionner Néry d'un avertissement, puis que Béria avait été évacué avant que le médecin ne détecte une grave blessure et que le coup-franc soit effectué, il n'aurait pas été possible de corriger pour un carton rouge.
L'attitude de Rudi Garcia, elle aussi, a été mise en cause. En effet, quelques instants avant cette exclusion, on l'entendait très distinctement dans le micro d'ambiance mettre la pression au quatrième arbitre en réclamant un carton rouge - inexistant à mon sens - à Paulao, le tout avec un gros mensonge sur un SMS qui devrait vraiment lui valoir une petite convocation chez les anciens copains de Rocheteau. Quelle part ont pu prendre ces jérémiades dans la décision prise à l'encontre du latéral droit ? Télévisuellement parlant, l'impression est forcément mitigée, la coïncidence semblant grosse. Pourtant, sans nier que la pression que peuvent mettre les entraîneurs, les joueurs, le public ou Vercoutre puisse produire des décisions biaisées (positivement ou négativement d'ailleurs), cela semble peu probable dans ce cas précis. Garcia s'adresse au quatrième arbitre pendant que le central est loin et pas à portée de voix. La communication aurait pu se faire via les oreillettes, mais les arbitres donnent généralement pour consigne d'éviter les messages susceptibles de n'apporter que déconcentration et de se borner aux transmissions "à valeur ajoutée". Concrètement, quel aurait été l'intérêt pour Piccirillo d'apprendre que deux minutes avant, Garcia pense qu'il aurait dû sortir un rouge ? En lui indiquant cela, le quatrième aurait nui à sa prestation et s'est est sans doute gardé. Éventuellement, mais c'est loin d'être sûr, tant la parole d'un entraîneur dans le feu de l'action est prise avec des pincettes par les arbitres, il aurait pu lui rapporter ça à la mi-temps. Or, l'exclusion s'est produite avant.
Dernier point très discuté, la comparaison avec une autre faute commise un peu plus tard dans la soirée lors de Marseille-Rennes par Diawara. Un autre tacle très spectaculaire pourtant sanctionné seulement d'un avertissement par Rudy Buquet.
Cette décision peut sembler à deux vitesses : des similitudes sont présentes comme la vitesse excessive de l'intervention ou la non-maîtrise du geste. Pourtant, il existe bien des différences entre ces deux tacles. Une image arrêtée comme celle ci-dessus ne reflète évidemment pas l'ensemble de l'action, mais elle permet au moins de comparer l'endroit du contact, la cheville pour le Rennais, le tibia pour le Lillois. De même, le degré de maîtrise est visiblement différent : Diawara est en partie en contact avec le sol, même si sa jambe au contact est légèrement en l'air contrairement à Néry. Dernière différence, le pied touché du Rennais est en l'air pendant que celui du Lillois est au sol. Cela semble peu important, pourtant, c'est une différence majeure quant à la dangerosité des deux gestes : les blessures très graves sont pratiquement toujours provoquées par un contact concomitant avec un appui, la force à laquelle résister étant forcément plus prononcée en cas d'appui.
Toutes ces observations ne sont pas innocentes car elles cadrent parfaitement avec les consignes reçues par les arbitres fédéraux (et régionaux) sur l'appréciation des tacles avec la semelle : l'angle d'impact doit être jugé plus grave quand il vient de haut en bas en diagonale (voir l'interview que Jean-Charles Cailleux avait accordée à Poteaux Carrés), surtout si le pied de la victime est en contact avec le sol. Concrètement, en touchant son adversaire plus haut, le Marseillais aurait dû être exclu. Par contre, même en touchant Béria au niveau de la cheville, le Stéphanois aurait pu l'être.
Dans les textes, on parle de trois degrés d'intensité pour les fautes comme les tacles : l'imprudence, la témérité et l'engagement excessif. L'imprudence ne sonne lieu à aucune sanction disciplinaire. La témérité se définit comme "agir en ne tenant aucunement compte du caractère dangereux ou des conséquences de son acte pour son adversaire". L'excès d'engagement - dont il est question, souvenons-nous, dans la définition de la faute grossière - dépeint "l'attitude d'un joueur qui fait un usage excessif de la force au risque de blesser son adversaire". Le tacle de Diawara est à ranger dans la deuxième case et celui de Néry dans la troisième. C'est là un des paradoxes du football, la faute du Marseillais est sans doute beaucoup plus volontaire que celle du Stéphanois et, pourtant, c'est bien le second qui devait être exclu.