séléctionnez une date pour un autre éphéméride
L'ASSE a vécu une sale saison mais cette équipe n'en est qu'aux prémices de son épopée. La preuve, même dans l'adversité, elle trouve le moyen d'étoffer son palmarès...
La fiche du match
Dimanche 13 mai 1962 - Coupe de France - Stade Yves du Manoir
Finale: ASSE 1-0 Nancy
Spectateurs: 30.654 - Arbitre: M. Barberan
Buteur: Baulu (86e)
ASSE: Abbes - Cassado, Richard Tylinski, Sbaïz - Herbin, Domingo - Baulu, Guillas, Liron, Ferrier, Oleksiak. Entraîneur: François Wicart
Nancy: Ferrero - Adamczyk, Collot, Amanieu - Gauthier, Brezniak - Viaene, Florindo, Muro, Chevalier, Chrétien. Entraîneur: Mario Zatelli
Les faits du match
Drôle de fin de saison pour l'ASSE que celle de l'année 1962. En effet, les Verts sont relégués en D2 et pourtant ils sont qualifiés pour la finale de la Coupe de France ! Deux semaines plus tôt, un nul à domicile contre le Stade Français (1-1) a scellé leur destin et le dernier match de la saison face au SO Montpellier (qu'ils perdront de toute façon) n'y pourra plus rien changer: le premier non-relégable, l'Olympique Lyonnais, est à trois points...
Cette saison aura été fatale à l'entraîneur Henri Guérin, limogé au soir du 26 mars 1962 et remplacé par l'ancien joueur François Wicart. L'ASSE accède donc à la finale de la prestigieuse Coupe de France mais le public ne lui pardonne pas son échec en championnat. Face aux 7.000 supporters nancéiens, on n'en dénombre que 2.000 à soutenir les Verts ce jour là. En championnat, les Verts ne jouent plus que devant 5 à 6.000 spectateurs. Tous préféreraient troquer le billet pour la finale contre un meilleur classement (les Verts sont 17e lors d'une saison où les 4 derniers sont condamnés à la descente).
C'est si vrai que le club doit renoncer à son projet de train spécial pour Colombes. On espérait 4 à 500 supporters, ils sont moins de 100 à se porter candidats pour le déplacement:
"- Que voulez-vous ? grommelle Charles Paret, le secrétaire général du club, Nous sommes dans la situation délicate d'un père de famille qui marie sa fille et qui vient de perdre sa femme.
- Pas si grave ! se console Ferrier avec humour. Du moment que Baulu est là, tout est possible. A lui seul, il fait autant de bruit que 500 supporters"
L'ailier droit Baulu, c'est un peu la mascotte de Sainté. D'abord, c'est lui qui a marqué la plupart des buts qualificatifs de son équipe dans ce parcours de coupe: 7 sur 12. Mais surtout, il est préparé mieux qu'un autre au rendez-vous du 13 mai à Colombes: Baulu est de Colombes. Il y est né il y a 26 ans et il vient de s'y marier le 30 octobre dernier. D'ailleurs, ce jour-là, le Révérend-Père Dupé avait ajouté un post-sciptum à son prêche: "Rendez-vous avec ta femme pour les vêpres du troisième dimanche après Pâques.''
Le couple sera au rendez-vous de la paroisse. Et il ne sera pas le seul. Toute la noce est reconstituée avec une ribambelle de quémandeurs qui assaillent depuis un mois le restaurant du père Baulu à la Gare de l'Est.
Le président lorrain De Gaulle salue les futurs vainqueurs stéphanois
Jean-Claude Baulu, le petit ailier frondeur et volubile en est tout remué: "Je n'ai jamais connu que les 16e de finale avec Valenciennes. Les copains de banlieue vont me chambrer. En tout cas, ils vont m'obliger à bien jouer." Dans les tribunes en tous cas, il n'y a pas que les copains de banlieue de Jean-Claude Baulu.
On attend une belle assistance ministérielle. Le département de la Loire fait pousser les parlementaires comme la terre d'Antibes les oeillets. Ils sont nombreux à Colombes: M. Claudius-Petit, M. Max Fléchet, M. Michel Soulié, M. de Fraissinette et Lucien Neuwirth, anciens ministres ou députés. Manquera Antoine Pinay. Il y a deux ans, pour la première finale contre Monaco, il avait tenu à payer sa place. Cette année, il est retenu et s'est excusé.
Roger Rocher et René Domingo pénètrent
sur la pelouse de Colombes (photo l'Équipe)
Avant que M. Barberan ne donne le coup d'envoi de la finale, les Nancéiens, quatrièmes du championnat, sont logiquement favoris mais c'est oublier que les Verts ne comptent pas moins de sept internationaux français dans leurs rangs (Abbes, Tylinski, Domingo, Herbin, Ferrier, Guillas et Faivre) et qu'ils n'ont concédé qu'un seul but depuis les 32e. Ce 13 mai, sur la pelouse du Stade de Colombes, la défense stéphanoise est une nouvelle fois intraitable.
Le Lorrain Viaene, très en verve, tire sur le poteau, mais se blesse rapidement. Les Nancéiens, handicapés par les blessures de Viaene et Adamczyk, restent prudents. Longtemps indécise grâce aux prestations des gardiens Abbes (Saint-Étienne) et Ferrero (Nancy), la partie bascule à 4 minutes de la fin du temps réglementaire.
Jean-Claude Baulu se montre une fois
de plus décisif en Coupe (photo l'Équipe)
Avant la rencontre, voyant tous les politiques présents dans le stade, le gardien Claude Abbes avait jugé: "Tout cela, c'est bien réconfortant, mais l'ennuyeux, c'est que nous ne pouvons pas espérer le soutien du Général de Gaulle. Nos adversaires de Nancy portent la croix de Lorraine. Un handicap pour nous !"
Ce ne sera pas un handicap. Au contraire, alors que l'on s'attend à disputer les prolongations, Baulu, bien relayé par "Robby" Herbin, crucifie Ferrero de près et inscrit le but de la victoire. L'ASSE recevra la Coupe des mains du Président de la République. Sa première Coupe de France !
Les faits de l'après-match
M. de Fraissinette, député-maire de Saint-Étienne, révèlera comme un secret d'Etat: "A la mi-temps, le Général de Gaulle m'a dit qu'il souhaitait la victoire de Saint-Étienne. Et j'ai remarqué, au moment du but de Baulu, qu'il a été le premier à se lever pour applaudir".
Malgré ses désillusions et les rancoeurs, le club a bien fait les choses. Tout en préparant sérieusement cette finale, il n'a pas négligé le rayon des festivités. La coutume demeure la coutume.
Ainsi, toutes les femmes des joueurs ont été invitées. Elles ont été logées dans un hôtel confortable, à deux longueurs de la Gare Saint-Lazare et les retrouvailles avec leurs maris, ont été programmées au Lido, le soir même, dans l'euphorie présumée de la victoire. Les frais de toilette eux-mêmes ont été réglés par le club et la prime promise en cas de succès, relativement élevée pour l'époque (1.500 FF).
Le capitaine René Domingo, porté par les siens (photo l'Équipe)
Seule ombre au tableau: la mise en quarantaine de Jacky Faivre. L'ailier droit, sermonné par le Comité Directeur en raison de son manque de participation à la vie du Club, a été tenu à l'écart de la finale et des festivités. Il n'est pas à Paris ce dimanche.
Mais pour le reste, quelle fête ! Il y a même eu un télégramme d'encouragement de Brigitte Bardot. B.B. est alors en pleine gloire. René Domingo, le capitaine de l'ASSE, qui n'est pourtant pas du genre à s'émouvoir, jure, dans un moment d'extase, de le faire encadrer.
Les Verts s'amusent au Lido pour fêter leur succès
Mais c'est aux Halles, que se jouera la prolongation. Aux Halles, où les Verts rameutés autour d'une soupe à l'oignon, tombent sur Charles Trenet et Marlène Dietrich. Le premier ne se fait pas prier pour joindre sa note personnelle à l'enthousiasme général.
"Une chanson ! Une chanson !" clame le coeur des Stéphanois. Et Charles Trenet, les yeux chavirés de plaisir, emporte la petite troupe dans le sillage de ses trémolos. Il chante "La mer".
Marlène Diétrich s'abandonne à une séance de signatures impromptues, ce qui change un peu les joueurs de Wicart, qui avaient distribué leurs autographes à longueur de soirée. Tout cela conduit les Stéphanois jusqu'aux lueurs de l'aube. Un petit roupillon jusqu'à midi. Puis direction Gare de Lyon.
L'ASSE avait quitté Saint-Étienne dans l'indifférence, elle la retrouve... dans une liesse de carnaval. Les Verts ont poussé le scrupule jusqu'à ne débarquer chez eux qu'au moment de la sortie des usines. De toutes les rues, à vélo ou en tram, des vagues de supporters retranchés dans l'amertume de la descente, prennent spontanément le chemin de la gare. Le grand boulevard qui plonge sur celle-ci, crache le petit peuple de Saint-Étienne en meute exubérante et désordonnée: 30.000 personnes dans la rue. Un défilé, des réceptions, des discours. Un camion de l'entreprise Rocher a été frêté en char de victoire. Et la régie Renault a envoyé 3 Floride S décapotables. L'une bleue, l'autre blanche et la troisième rouge.
Retour triomphal pour Oleksiak, Tylinski, Baulu et Herbin à Saint-Étienne
Du balcon du "Progrès de Lyon", Domingo présente la Coupe à la foule. La clameur n'en finit plus d'enfler. Et tout de suite, c'est le nom de Baulu que toutes les voix scandent sur un rythme frénétique.
"- C'est maintenant qu'on réalise, murmure Claude Abbes.
- Regardez-les, hurle le Président Rocher, Voilà bien des têtes de vainqueurs. Ils sont déjà remontés en D1!
M. Lambertin, secrétaire général de la Préfecture, ira jusqu'à prétendre: "J'ai tout compris. Vous avez fait exprès de descendre. Vous avez tout gagné: le titre de Champion de France en 1957, la Coupe cette année. Il vous manquait celui de D2, ramenez-le vite"
Le ballon du match est désormais exposé au Musée des Verts
(photo le Progrès)
Du coup, la descente prend l'allure d'une saison de diversion. On se penche sur les chiffres. Et tout est prétexte à redoubler d'encouragements.
"N'oubliez pas, insiste le Président Rocher, que vous n'avez jamais été surclassés. Vous avez souvent été battus de très peu (13 défaites par un but d'écart). Sur le plan des individualités, vous n'avez rien à envier aux autres. Saint-Étienne compte 8 internationaux: Rijvers (Hollande) et 7 français. Seuls Reims et le Racing peuvent en dire autant. Nous gardons le même effectif. Nous allons retrouver notre place parmi l'élite. Ce sera une formalité."
Roger Rocher n'insiste pas sur l'instabilité qui a coûté sa place en D1 à l'équipe. L'ASSE passait du jour au lendemain d'un succès très net à un échec aussi retentissant. Elle était capable de battre Nîmes (5-0) et Monaco (5-1), mais aussi de perdre devant Metz (6-0). La Division 2 tombe finalement comme un mal profitable. Elle est l'occasion de faire le point et de rectifier les erreurs. Presque de repartir un zéro.
La foule en liesse devant le balcon de l'hôtel de ville
La Saviez-vous ?
- C'est donc la première Coupe de France de l'ASSE, qui en remportera 5 autres. C'est également la première fois qu'un club relégué la décroche. Seuls Nice (1997), Strasbourg (2001) et Lorient (2002) réussiront cette performance paradoxale bien plus tard.
- Avec un seul but encaissé durant toute la compétition, l'ASSE bat le record de la meilleure défense de l'histoire des vainqueurs de la Coupe de France, un record qui ne sera battu qu'en 1993 par le PSG avec... aucun but encaissé !
- Pour parvenir en finale, les Verts avaient dû se débarrasser auparavant du Mans (3-1), de Toulouse (1-0), de Lens (3-0), de Béziers (3-0) et d'Angers (1-0). Ils n'auront pas joué un seul match à domicile de tout leur parcours...
- Ce n'est pas l'ASNL qui affronte l'ASSE lors de cette finale de Coupe de France mais le FC Nancy, premier locataire du stade Marcel-Picot. Malgré cette deuxième finale perdue, le club lorrain est alors à son pinacle. Bientôt, le FCN sera relégué en D2 puis redeviendra amateur avant de fusionner avec le CO Villers-lès-Nancy et de disparaître en 1968.
- Quinze jours plus tard, à Limoges, les Verts feront honneur à leur trophée en remportant haut la main le Challenge des Champions, qui les opposera au champion de France, le Stade de Reims, sur le score de 4-3. Faivre se réconciliera avec sa direction en inscrivant un doublé.
- Roger Rocher ne s'était pas trompé: avec une équipe taillée pour la D1, l'ASSE ne fait pas de vieux os en D2. Les Verts marchent sur l'eau durant toute la saison 1962-63 et terminent champions de France de 2e division avec seulement trois défaites.
- François Wicart, entraîneur par intérim de l'ASSE, lors de cette finale, a l'habitude de jouer les utilités: il avait déjà remplacé au pied levé René Vernier sur le banc des Verts après son limogeage en 1960. Après le remerciement de Guérin, il endosse donc pour la seconde fois le rôle d'entraîneur et, relégation oblige, conduira l'ASSE durant toute la saison suivante avant de céder sa place à Jean Snella qui remportera d'emblée le second titre de Champion de France de l'histoire du club.
- Passé par le Stade Français et l'US Valenciennes, Jean-Claude Baulu, le héros du jour, est à l'ASSE depuis deux saisons et il y restera jusqu'en 1964. S'il n'a jamais affolé les statistiques (21 buts en 83 matches, un ratio faible pour un avant-centre de l'époque), il vit son heure de gloire ce jour-là: "Je suis arrivé à Saint-Étienne à la mi-octobre 1961, et je n’ai marqué que trois buts en championnat. Mais 13 en six matches de Coupe de France ! J’avais la réussite en coupe". Baulu terminera sa carrière en D2, à l'Olympique de Marseille en 1965.
La une de l'Équipe du lendemain
Sources
- La fabuleuse histoire de Saint-Etienne - Gérard Le Scour - Patrick Mahé - Robert Nataf
- Allez les Verts - Dominique Grimault et Patrick Mahé
- OM4ever
- Blog Sur la route des Verts