Coup de poker inattendu, le passage au 3-5-2 est le fait marquant de ce derby. Pourquoi, comment : essayons de répondre à ces deux questions.


I- Le problème de Galette

Revenons un peu en arrière (pour plus de détails, relire ça, par exemple). Le cycle que nous vivons actuellement tire ses origines de l'intersaison 2011, où l'effectif est largement remodelé et où Galette imprime sa marque avec la mise en place d'un 4-4-2 (avec une variante 4-2-3-1 Batlles). Les résultats sont encourageants ; néanmoins l'équipe souffre au milieu de terrain, trop facilement pris à défaut en contres et peinant à assurer avec régularité un relais efficace vers l'attaque.

A la fin de la saison, Galette teste un nouveau système, le 4-3-3, guère concluant au départ, mais qui va s'imposer comme le ferment de l'excellente saison 2012/13. L'équipe atteint début 2013 une maîtrise dans le jeu assez impressionnante, et l'on commence les comparaisons avec les glorieux aînés d'il y a trois décennies.

Pourtant, au début de la présente saison, deux facteurs conjugués font ressortir les limites du 4-3-3 : la baisse de qualité aux postes-clés (le pivot offensif et la sentinelle du milieu), mais aussi le départ d'Aubameyang. La vitesse et l'endurance d'Aubame compensaient largement la perte d'un joueur offensif axial ; les bonnes performances d'Hamouma n'atteignent pas ce niveau. Si les Verts ont de la maîtrise dans le jeu, ils pèchent par leur stérilité.

Galette teste une première solution : le retour à une variante du système précédent, avec Corgnet à la place de Batlles. Dans cette configuration, les défauts de 2011/12 reviennent. Surtout, les performances de l'équipe dépendent trop de la forme de Corgnet, capable selon les soirs d'éblouir tout un stade ou bien de sombrer dans un anonymat irrémédiable. Selon les états de forme de chacun, Galette alterne entre 4-2-3-1 et 4-3-3. Les résultats sont là, mais l'équipe impressionne moins qu'un an plus tôt.


II- L'intérêt théorique du 3-5-2

En plus de ces problèmes purement tactiques, Galette se trouve face à un problème humain. Si Brandao a retrouvé un rendement intéressant, avec Corgnet et des ailiers rayonnants par intermittence, l'animation offensive laisse à désirer. Au contraire, Erding, cantonné au banc, fait quelques entrées remarquées et peut prétendre à la titularisation.
Couronnée de réussite face à Sochaux, l'association Erding/Brandao, testée par défaut, n'est désormais plus une vue de l'esprit. Encore faut-il ne pas retomber dans les limites de l'époque Aubame/Sinama Pongolle.

C'est là que le 3-5-2 intervient. Théoriquement, il a le potentiel pour concilier la maîtrise du ballon possible en 4-3-3 (avec l'entrejeu à trois) et la présence dans la zone de vérité précieuse en 4-4-2 (avec deux attaquants axiaux). Mais, comme tout est question d'équilibre en football, le renforcement de l'axe dégarnit les côtés, laissés sur le papier à la charge des seuls latéraux.

Tout l'enjeu alors revient alors à compenser cette faiblesse sur le côté, en utilisant différents leviers :
- la qualité des latéraux, facteur désormais primordial
- la compensation dans le dos, assurée par l'arrière central correspondant, lui-même couvert par la présence deux joueurs défensifs (le n°5 et le n°6) dans l'axe
- la capacité des milieux-pistons et des attaquants axiaux à se déplacer dans la latéralité.


III- La mise en application dans le cimetière

Le résumé du derby a déjà été fait en détail ailleurs ; cet article décrit avec pertinence le contenu du match et ses dynamiques (même s'il surestime, à mon avis, la maîtrise stéphanoise). Concentrons-nous donc sur ce qui a motivé le passage à ce système : le travail des deux attaquants.

Brandao et Erding forment un couple d'avants traditionnel : l'un plus à l'aise dans le jeu aérien et en fixation, l'autre plus rapide et mobile. Tous deux vont jouer très haut sur la pelouse, et offrir deux types de solutions :
- une de jeu long aérien, dans l'axe et venu de très loin en arrière : l'enjeu pour les stéphanois est alors de disputer les deuxièmes ballons, pour pouvoir écarter au plus vite sur les latéraux (Fig 1)
- une de jeu long à terre, utilisé avec un bloc équipe plus haut placé, dans le dos des défenseurs, pour combiner en triangle attaquant/milieu/latéral (Fig 2)
Les deux solutions doivent aboutir à un centre, deux Verts a minima devant se situer dans la surface de réparation à la réception.


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Fig 1 : Sall réalise une longue ouverture aérienne pour Brandao à la lutte avec les vilains ; Lemoine, intelligent, est à la retombée du ballon, et ouvre pour Trech de l'autre côté


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Fig 2 : La difficulté est de faire remonter le bloc équipe, mais une fois cela fait, il suffit à François Clerc de lancer Erding le long de la ligne, dans le dos de Bedimo, pour ensuite aller travailler en triangle sur le côté


Etonnamment, les attaquants (y compris Gradel après son entrée) ont très peu joué en décrochage, ce qui a rendu le liant attaque/défense très compliqué à opérer, tout en réduisant la variété du jeu stéphanois.
Par conséquent les Verts ont très peu tiré au but - seulement 6 frappes - et affichent un ratio nombre de passes dans les 30 derniers mètres/tirs catastrophique : il fallait environ 19 passes dans le derniers tiers du terrain pour tirer une fois au but, ce qui est la pire performance de la saison, comparable seulement aux déplacements à Lille et à Bordeaux (et quasiment le double de la moyenne habituelle des ligériens).

Pour ce qui concerne les aspects défensifs, la première mi-temps a été particulièrement difficile : le pressing d'Erding et Brandao n'a le plus souvent servi à rien. La faute à l'organisation de l'entrejeu lyonnais, la sentinelle Ferri permettant de créer le surnombre au milieu, et de créer des décalages en cascade. Le constat a été fait par Galette, et le pressing sera réorganisé après la pause, redonnant une meilleure maîtrise aux Verts qui construiront mieux leurs actions au milieu (jusqu'au passage lyonnais en 4-2-4, qui était sans aucun doute la meilleure chose à faire pour eux). Pour autant, côté stéphanois, le décalage n'est jamais venu dans l'axe, mais toujours des ailes, confirmant le poids limité des deux attaquants.


IV - Attention aux illusions de l'euphorie...

On le voit donc : ce 3-5-2 (bien adapté, c'est important, à la neutralisation de l'adversaire du soir), n'a toutefois pas permis aux Verts de montrer un visage flamboyant. La victoire méritée ne doit pas masquer les limites offensives et défensives observées dimanche. En termes statistiques (possession de balle, présence dans la zone de vérité, nombre de frappes), ce match est assez comparable au déplacement à Toulouse, qui n'est pas vraiment une référence.

Pour autant, le contexte très particulier de la rencontre empêche de tirer la moindre conclusion définitive. Ne sous-estimons pas non plus la nouveauté de cette tactique, qui rompt avec les principes basiques des quatre années de Galtier aux commandes, et qui ne peut pas être maîtrisée sur un claquement de doigts.

Au final, la seule certitude à avoir est la suivante : ce 3-5-2 est idéal pour exploiter les qualités des arrières latéraux offensifs. Avec Trémoulinas, Clerc, et éventuellement Tabanou, l'ASSE a quelques cartouches à faire valoir. Et surtout, Galtier commence à avoir l'embarras du choix tactique. Alors, coup ponctuel ou match annonciateur, à la manière du déplacement à Caen en avril 2012 ? L'avenir nous le dira.