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Ou l'histoire d'un esclave qui trouva la liberté en Amérique...
S'il est une chose incontestable au sujet de Fredéric Piquionne, c'est qu'il n'a jamais laiss" personne indifférent.
Il y a tout d’abord l’originalité de son parcours initiatique. Il y a aussi ce jeu atypique, tout en puissance et en vélocité, étrangement doublé d’une certaine nonchalance, qui peut, au premier abord, surprendre le quidam, comme le supposé connaisseur… Il y a également un look et une belle gueule, qui ont pu créer quelques jalousies. Il y a bien sûr sa bougeotte bien connue qui ne l'a jamais laissé plus de 3 ans dans le même club.
Mais surtout, il y a ses valeurs et son image: celles d'un homme totalement déconnecté des réalités, frondeur, mercenaire et opportuniste. Alors que sa carrière est depuis longtemps terminée, on se souvient surtout de l'ancien buteur vert comme de l'Esclave qui a su se libérer des chaînes oppressantes de la progression sportive.
Mais tout celà nécessite de revenir un peu en arrière.
Frédéric Piquionne voit donc le jour le 8 décembre 1978 à Nouméa, Nouvelle-Calédonie. Pour autant, Fred est Martiniquais d’origine.
Fred Piquionne, une évolution capillaire qui traverse le temps
L'apprentissage autodidacte
Dès son plus jeune âge, le petit (car il a aussi été petit) Frédéric est mordu par le virus du foot. Il a six ans et il habite alors Aubervilliers, dans la région parisienne. Il intègre le club du CAP Charenton et joue déjà les terreurs devant les buts adverses. A cette époque là, Fred est un enfant malingre, petit et maigrichon. Il garde de cette période le souvenir du fameux France-Brésil en 1986 ou des Oranjes mécaniques (Van Basten, Gullit, Rijkaard). Il rêve de jouer en pro mais n’intègrera pourtant jamais un centre de formation…
Les débuts parisiens
A quinze ans, il se retrouve au Paris FC, le club phare du coin. Il passe alors directement des -17 ans à l'équipe senior, où il fait même quelques apparitions en National. Claude Landry, formateur au Paris FC, lui permet de se révéler à lui-même et le marque par sa pédagogie. Il est alors sélectionné dans l’équipe de Val-de-Marne, puis dans l’équipe de la Ligue de Paris. Il fait quelques essais dans des clubs professionnels (Metz, Le Mans), sans succès. Déçu de ne plus avoir la confiance des dirigeants du Paris FC, il part retrouver ses racines en Martinique, et signe au Golden Star de Fort de France (DH). Le premier transfert de dépit de sa longue carrière de patachon.
Frédéric Piquionne, un homme venu des îles
Le retour aux sources
Là bas, l’un de ses entraîneurs, Gilles Eustache, lui trouve certaines qualités et lui permet d’effectuer un stage à Nîmes, en D2. Alors qu'il était vendeur de chaussures à Fort-de-France, Piquionne décide de tenter sa chance une dernière fois et s'embarque pour le Languedoc. Pari gagné: il signe avec les Crocos un contrat d’un an et fait ses grands débuts contre Laval. L’attaquant vedette, Mickaël Pagis, venant d’être transféré à Sochaux, le coach Dominique Bathenay lui donne sa chance ce soir-là, pour une victoire 1-0. Il attendra toutefois quelques semaines avant d'inscrire son premier but lors d’un Caen-Nîmes (2-2) et ne jouera que huit matches en D2, pour trois buts. Lors de l’un de ces matches, il signe un doublé contre Cannes. Le Stade Rennais le repère alors et l’engage pour cinq ans. On est en 2001.
Découverte de la Ligue 1 et premières désillusions
Quand il débarque en Bretagne, Piquionne a 23 ans, arrive comme 5e attaquant et n'a aucune expérience dans l'élite. Autant dire qu'il part de loin et qu'il joue essentiellement en CFA. Petit à petit pourtant, il gravit les échelons et termine la saison 2001-02 en tant que titulaire en équipe 1. S'il débute dans l’élite le 28 juillet 2001 lors d’une déroute à domicile face à Auxerre (0-5), il attend le 22 décembre de la même année pour marquer son premier but (défaite 3-1 à Monaco). Au contact de Coach Vahid qui fut, rappelons-le pour les plus jeunes d’entre nous, un fabuleux attaquant avant de devenir un tyran, il progresse à vue d'oeil. Le recrutement souvent farfelu du Stade Rennais ne l’empêche pas de tirer son épingle du jeu. Ainsi, en 2002-03, il marque dix buts en 31 matches (dont un magnifique face à l’OM de Vedran Runje).
Le buteur martiniquais n'est pas extrêmement prolifique mais sa rapidité et sa percussion font très mal aux défenses adverses et ouvrent des brèches pour ses partenaires. Son talent est reconnu mais pour autant, Piquionne conserve une image nonchalante et des incidents éclatent entre lui et le public: insultes d'un côté, doigts d'honneur de l'autre, il manque d'en venir aux mains avec des supporters rennais, pourtant pas réputés pour leur agressivité. C'est le début de la fin pour lui. L’environnement lui devient hostile et sa 3e saison poussive (5 buts en 32 rencontres) accentue ce sentiment. A l'été 2004, il est devenu la tête de turc de son club et comprend qu’il est voué à l’exil.
En trois ans à Rennes, Piquionne a semble-t'il bien mûri
Les Vertes années
Au même moment, Elie Baup débarque chez les Verts. L'équipe vient de retrouver la Ligue 1 et n'a pour seul attaquant valable que le vaillant Lilian Compan. Le besoin d'un buteur de soutien se fait criant aussi Baup le contacte alors et "Piniok" (surnom donné involontairement par un jeune supporter des Verts au micro de Téléfoot), ne peut résister longtemps à l’appel du Forez.
Sa première saison à Saint-Étienne est une réussite: 16 réalisations en 42 matches et une qualification inespérée en Intertoto. Cet attaquant de pointe au gabarit impressionnant (1,88 m pour 77 kg) fait étalage de sa puissance et de sa vitesse de course pour perforer toutes les défenses de l’hexagone, même si la lucidité devant le but n’est pas son point fort. en revanche, son association avec Pascal Feindouno, l'autre trouvaille de Baup, fait merveille sur le front de l'attaque stéphanoise.
Au sein d'une équipe joueuse, médiatisée et performante, Piquionne attire tous les regards sur lui et sa vitesse devient une source d'angoisse pour ses adversaires. Il faut dire qu'outre son père, un ancien footeux, Fred a de qui tenir. En effet, l’un de ses oncles, qui porte le même nom que lui, n’est autre que l’entraîneur de l’un des relayeurs français champion du monde du 4x100m !
Le style Piquionne résumé en une image, ça déménage !
Pour autant sa saison 2005-06, sa seconde sous le maillot vert, est plus difficile pour notre héros du jour. Piquionne marque tout de même 6 fois en 34 matches de championnat (et une fois en Intertoto) mais le climat stéphanois se dégrade. L’hiver y est rigoureux et laisse des traces autres que physiques. L’équipe, après un bon début de saison, se disperse et Piquionne, malgré tout son courage, ne peut redresser la barre à lui seul.
Pire: de vieux fantômes ressurgissent. A la sortie d’un match ASSE-Toulouse de triste mémoire, il est victime (ou bien coupable) d’une altercation avec l’un des responsables d’un groupe de supporters verts bien connus. Des coups sont portés et l'affaire ébruitée. Pour calmer le jeu, il est suspendu par l'ASSE pour le match suivant, contre Sochaux. Malheureusement, il devient à nouveau le vilain petit canard de son club d’adoption. Des quolibets et des banderoles à l'humour douteux commencent à fuser dans Geoffroy-Guichard (dont le fameux "Piquionne, arrête de tuer les oiseaux"). Pourtant, Pik, esseulé à la pointe de l’attaque verte, donne tout ce qu’il a… Il termine la saison le moral dans les chaussettes, parle de départ mais il est finalement convaincu de rester par le duo Hasek-Roussey.
Parfois, le supporter est taquin à Saint-Etienne...
Et 2006-07 est un nouveau départ. Son entente avec Araujo Ilan, nouveau venu, fait merveille. Ensemble, ils réussissent un début de saison tonitruant sous les ordres de Hasek, se trouvent les yeux fermés et emmènent l'ASSE vers les sommets de la Ligue 1. Le malheureux incident est oublié. Piquionne redevient un chouchou du chaudron, même auprès du Kop Nord qui ne peut que se rendre à l’évidence devant le début de saison de cet attaquant racé et félin.
C'est alors que survient le drame, c'est à dire le mercato d'hiver 2006-07...
L'Esclave
De mémoire de supporter, jamais aucun joueur n'aura autant symbolisé la mascarade du mercato que Piquionne. Alors qu'il est en pleine lumière et que son entente avec Ilan est redoutable, Fred lance un ultimatum à Roland Romeyer peu avant les fêtes: il veut partir pour l'Olympique Lyonnais, où le président Aulas le réclame pour pallier à un secteur offensif décimé par les blessures.
Sinon ? Il refusera de rejouer avec les Verts. Romeyer refuse. Le bras de fer est engagé.
Le bras de fer entre Piquionne et Romeyer n'aura aucun vainqueur
L'affaire, courante en cette période de tractations prend toutefois un tour médiatique inattendu lorsque l'OL décide de se montrer impatient et annonce publiquement son intérêt pour d'autres joueurs offensifs. Piquionne ne veut pas laisser passer sa chance et voir un autre lui ravir sa place à la pointe de l'attaque lyonnaise. Ses déclarations fracassantes ("S'ils continuent à me traiter comme un esclave, je ne me laisserai pas faire. On arrêtera tout et je retournerai en Martinique") finissent de le mettre au ban de son club en plus de le ridiculiser. De son côté, Roland Romeyer qui ne veut pas perdre la face déclare que Piquionne ne partira pas: "C'est une décision ferme, définitive et irrévocable".
Las, lorsque l'OL recrute finalement le Tchèque Milan Baros, il est trop tard pour rabibocher les deux parties: Piquionne est transféré à Monaco fin janvier, le seul club à vouloir de lui. Ne resteront de tout cà qu'un sentiment de gâchis incroyable, le ridicule éternel pour les deux protagonistes du bras de fer et l'émergence du jeune Bafétimbi Gomis pour le remplacer à la pointe de l'attaque stéphanoise...
Piquionne lui-même semble se demander dans quelle galère il s'est mise
Le retour du traître
Sur le rocher, Piquionne fait peu de vagues. Il se coupe les dreadlocks, décide de se faire petit et marque 5 buts en 6 mois. Assez peu en regard des 6M€ versés par Monaco pour l'acquérir mais conforme à ses statistiques. Néanmoins maintenu dans l'effectif, Pik peine à retrouver son niveau dans un club en déliquescence et tombe peu à peu dans l'anonymat (8 buts en 36 matches en 2007-08). Dans l'intervalle, il est sélectionné en équipe de France à la surprise générale pour affronter l'Autriche en mars 2007. Ce sera son unique sélection.
Caramba, encore un tir raté !
Et puis la période de mercato reprend à l'été 2008. Pourquoi ne pas retenter sa chance ? C'est ce que se dit l'Olympique Lyonnais en le recrutant pour 4,75 M€. Avoir délesté l'ASSE de son meilleur buteur sans claquer un sou pour le racheter à bas prix un an et demi plus tard: serait-ce le meilleur coup de Jean-Michel Aulas ? Rien n'est moins sûr au vu des performances pathétiques que proposera Piquionne sous le maillot lyonnais.
Tout cà pour... cà ?
Si Monaco avait eu la décence de ne pas l'aligner contre l'ASSE, Alain Perrin n'hésite pas à lancer dans un Geoffroy-Guichard furieux lors du premier derby de la saison puis à le titulariser lors du derby retour à Gerland le 1er février 2009. Complètement à côté de ses pompes, Piquionne gâche une balle de but en s'écroulant tout seul inexplicablement puis se fait expulser après deux fautes stupides. Les supporters lyonnais ne le lui pardonneront pas.
A la fin de l'année 2008, les Cahiers du Foot lui remettent le Ballon de Plomb pour l'ensemble de son oeuvre. Et pour parachever le tout, il est également condamné à verser une amende de 1000€ + 1500€ de dommages et intérêts à la victime de son coup de tête deux ans plus tôt. Après 26 matches et seulement 4 buts, il est prêté avec option d'achat au club anglais de Portsmouth, l'occasion pour lui de faire ses premiers pas dans le championnat de ses rêves...
Le derby de Piquionne: une performance entrée dans la légende...
De l'autre côté de la Manche
Il faut dire que le style de Piniok semble taillé pour la PremierLeague: une rapidité indéniable, une puissance athlétique certaine, un jeu de tête excellent et une maladresse pas très importante au vu du nombre d'occasions obtenues dans un match. Mais Portsmouth n'est pas un foudre de guerre et le club se retrouve bien vite en queue de peloton. Or quand on est attaquant, il est difficile de briller dans une équipe en perdition et malgré ses 11 buts, Piquionne vit une saison cauchemar: 7 défaites consécutives pour commencer le championnat, une menace de faillite permanente, 4 propriétaires et 3 entraîneurs différents puis 9 points de pénalité au club suite à son redressement judiciaire. La relégation est définitivement acquise dès le mois d'avril et le Martiniquais doit retourner à l'OL contre son gré.
Heureusement, il est transféré dans la foulée à West Ham où il signe un contrat de 3 ans. Mêmes espoirs, mêmes déceptions: Piquionne joue beaucoup (41 matches), marque de temps en temps (9 buts) et est relégué en fin de saison. Sa seconde année chez les Hammers, en Championship, sera anecdotique: 21 matches, 2 buts, un prêt à Doncaster non concluant... Bref, encore une fois, il est temps d'aller voir ailleurs.
La trilogie anglaise de Piquionne n'aura pas
laissé de grands souvenirs aux supporters britanniques
Vers un Nouveau Monde
Comme bien souvent dans ces cas-là, le réconfort vient de la terre mère, en l'occurrence la Martinique, qui le sélectionne pour jouer la Coupe Caribéenne des Nations 2012. Piquionne y marque le but de la victoire contre Cuba pour son premier match, récidive face à la Guyane et emmène son équipe en demi-finales contre Trinité-et-Tobago. Mais malheureusement, il loupe le dernier tir au but et la Martinique est éliminée aux portes de la finale.
Le Martiniquais Piquionne face au Canada lors de la Gold Cup 2013
West Ham ne comptant plus sur lui à son retour de prêt, cette escapade martiniquaise est le déclic qui lui fait envisager la vie de l'autre côté de l'océan: malgré zéro match joué lors de la saison 2012-13, le club des Portland Timbers (MLS) le recrute en février 2013. C'est le début d'une nouvelle vie en Oregon où son statut de joueur européen lui assure une place de titulaire, qu'il honore de buts régulièrement (29 matches, 7 buts) au grand plaisir des fans américains, loin d'avoir de lui l'image d'un esclave en fuite...
Piquionne un bucheron ? En MLS, c'est un compliment !
Mais un an plus tard, l'arrivée du Nigérian de Copenhague, Fanendo Adi le pousse sur la touche. Devenu un poids avec son salaire d'Européen, Piquionne voit son contrat résilié par les Timbers et se retrouve sans club à l'été 2014. Dure vie que celle d'un esclave ! Le voilà forcé de revenir en France, où le club de Créteil-Lusitanos (L2) lui offre une place sur le front de son attaque.
Dans ce club où il retrouve son ancien coéquipier Herita Ilunga, Piquionne reprend goût au football physique et rigoureux, inscrivant quelques buts décisifs malgré son âge de plus en plus avancé.
A Créteil comme ailleurs, Piquionne court
toujours après son rêve de liberté
Mais après avoir goûté au Chaudron, au Rocher, aux Tropiques et au rêve américain, il est difficile de se contenter de la grisaille cristolienne. Aussi dès l'été 2015, il signe dans le 13e club de sa carrière (et pas le moins exotique), en l'occurrence le Mumbai City FC, richissime club indien. A 36 ans, dans cette Indian Super League au recrutement ronflant, Piniok devient coéquipier avec d'anciennes pointures comme Manuel Friedrich, Fredrik Ljungberg ou Nicolas Anelka. Au contact de ces grands joueurs, Piquionne semble abandonner le choix sportif pour devenir l'esclave des roupies...
A Mumbai, Piquionne passe du pays des Cowboys au pays des Indiens
La délivrance vint-elle avec la fin de sa carrière de joueur professionnel ?
Car à partir de 2022, Fredo raccroche les crampons et décroche les professions: il devient consultant sur Canal+, RMC Sport et France Info, il intègre le staff technique de l'US Créteil en tant qu'entraîneur des attaquants, il est nommé manager général de sélection martiniquaise, il obtient son certificat d'entraîneur CEAD, il suplée Jean-Luc Vasseur au sein de l'équipe féminine d'Everton...
Bref, si auparavant on ne l'arrêtait plus, désormais c'est lui qui ne s'arrête plus. Piniok s'est afranchi, il court, il vole vers son destin, fait ce qu'il veut et ne laisse plus personne le maintenir à un rôle contraint et forcé.
En bref, il est libre Fred...
D'actions brouillonnes à discussions brouillones, il n'y a qu'un pas