Aujourd'hui Trifon est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas.


(Note du traducteur : vous et moi savons qu'il y a déjà belle lurette que Trifon Ivanov a passé l'arme à gauche. Et alors ? D'une part l'auteur n'a pas fait de l'exactitude chronologique sa profession de foi, de la véracité des faits et de la réalité historique des balises indépassables, alors si, consciemment ou non, il participe à l'illusion qu'il y a au moins quelque chose qui est passé à gauche dans le monde ces jours-ci, le traducteur serait bien mal avisé de rectifier le tir pour se conformer au certificat de décès. "Traduttore traditore", certes, mais il y a des limites. D'autre part, si cette version française devait commencer par "le 13 février 2016 Trifon Ivanov est mort", combien de lecteurs francophones aurions nous déjà égarés, rétifs à poursuivre une lecture aussi engageante qu'un formulaire cerfa pour l'immatriculation d'une automobile (cerfa n°13750-05) ? Ne serait-ce pas priver là, in fine, le dit lecteur francophone d'un incipit qui pourrait faire date non seulement dans la littérature bulgare, mais dans tout le landernau littéraire, celui qui se bouscule dans les cuisines des Drouant et les salons des ministères de la culture du monde entier en quête de gratin ? Car je ne sais pas vous, mais moi je trouve que "Aujourd'hui Trifon est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas.", eh bien ça claque sévère. C'est pas le premier Camus venu, tout figé dans la cire de son Nobel, qui l'aurait trouvé. Alors je vous parle même pas de cette vieille guimbarde de Dylan.)
(Saint-Louis qui, dit-on, rendait justice sous un arbre, la populace et ses écrouelles débordant sur sa gauche. Sur sa droite le clergé attentif, fidèle et régulier, prend des notes pour le procès en canonisation à venir, impartial et frondeur comme un parterre d'officiers nord-coréens à l'inauguration du salon du brushing par Kim III le bien-coiffé. Au centre, tel un avant-centre stéphanois, immobile comme un chêne au point de pénalty, Louis IX, qui ne l'est pas, 9, par hasard, distribue ses sentences implacables et définitives. Quelques promotions bien senties, Loïc sera dieu, Pierre sera pape, Gabriel ange, quant à Ronaël on verra plus tard ; quelques prédicateurs locaux intronisés cardinaux, et c'est bien le diable s'il ne l'obtient pas, le "Saint" devant son blaze. Il faut un miracle ? Mais les écrouelles suppurent toujours, et le peuple est toujours aussi mal fagoté. Alors un but de la tête et un 7/10 dans le Progrès suffiront.)
(Mais revenons à nos moutons, ou plutôt revenons à notre Trifon et à notre page de littérature balkanique.)

 

Trifon est mort comme le premier Michel Delpech venu, trop tôt, surtout qu'on n'avait pas encore fini les Michel.
(NdT : un internaute pourrait légitimement se sentir plagié pour celle-ci : "pas encore fini les Michel", que le traducteur a sans vergogne aucune copier-coller depuis le topic "Frédéric François n'est toujours pas mort ! " du remarquable site d'informations philosophico-footballistique poteaux-carrés. Sans vergogne car le traducteur se doit de préciser qu'il a "régionalisé" le texte original pour le rendre intelligible au lecteur du Loir-et-Cher féru de Trifonnades (nb : la trifonnade n'est pas une spécialité culinaire auvergnate à base de vieilles pommes de terre, rien d'improbable donc à ce qu'un romorantinais en soit féru).
Le texte original (Трифон умрял като Петър Петров... ) ne mentionne évidemment pas Michel Delpech, possiblement aussi inconnu à l'auteur que peut l'être au lecteur romorantinais Петър Петров (c'est-à-dire Petar Petrov, pour ceux qui n'auraient jamais joué au Ludogorets Razgrad ou au Zénith Saint-Pétersbourg et pour qui l'alphabet cyrillique est aussi abscons qu'un tweet de Yohan Mollo, qui lui non plus n'a jamais vraiment joué au Zénith Saint-Pétersbourg d'ailleurs). Par contre l'auteur écrit ce que l'on pourrait traduire littéralement : "surtout qu'on n'avait pas encore fini les Petar", on peut donc tout aussi légitimement se demander qui plagie et qui est plagié.)

 

Trifon est parti sans en faire tout un pataquès. A l'image de son jeu, sa mort a été sobre et efficace. Sans orgueil urbi et orbi tandis qu'il agonise. Non, Trifon ne faisait pas dans le gourou à paillettes, dans la pop-star sous pilule protéinée et dans froc à bretelles, dans l'icône générationnelle à gros message planétaire creux. Trifon était d'ailleurs au moins aussi souvent plein que creux.
(NdT : Le traducteur formule l'hypothèse que l'auteur fait référence ici à David Bowie, mort dans les mêmes eaux hivernales que Trifon Ivanov, mais peut-être pas dans les mêmes vapeurs. Il semblerait que l'auteur préfère le foie de Faulkner à celui de Ziggy Stardust, mais ce n'est qu'une hypothèse, il pourrait tout aussi bien parler d'une vague starlette de la télé-réalité bulgare, et le traducteur modeste doit bien avouer que sa connaissance de la culture bulgare ne va pas aussi loin.)

Ce n'est pas qu'il n'avait rien à dire, non, simplement il n'était pas assez prétentieux pour emmerder le monde avec son vide à lui. Trifon était dans le concret, pas dans la littérature. Trifon dégageait le plus loin possible, charge à Kostadinov de broder des alexandrins.
(NdT : le traducteur, c'est un avis personnel, trouve que l'inclination de l'auteur à faire passer Trifon Ivanov pour un bourrin, même si elle semble bienveillante, ne reflète pas la personnalité délicate de l'homme. Si le défenseur ne faisait pas dans la dentelle, l'artiste qui sommeillait en lui se plaisait à gratouiller Mr Tambourine Man à la guitare pour amuser la galerie entre deux yaourts, sans se douter que d'autres auraient le prix Nobel pour ça, amusant l'académie entre deux pétards (rien à voir avec Petar Petrov).)

Du sofiote stade de l'armée bulgare aux arènes sévillanes, des banques de Neuchâtel aux cafés viennois, Trifon n'aura laissé que des bons souvenirs et quelques poils de barbe dans les lavabos. Trifon était bon comme du bon yaourt, beurré comme une viennoiserie, mais maintenant que deviennent, que deviennent, les valses de Vienne ?
(NdT : il y a là une difficulté de traduction : le double sens de beurré en français pourrait laisser penser que l'auteur insinue que Trifon Ivanov eut été alcoolique. Il n'en est rien. Si littéralement le mot employé par l'auteur en bulgare correspond bien au français "beurré", celui-ci veut plutôt évoquer la douceur un peu grasse d'un croissant au beurre. Le traducteur, amusé par le double sens et ne trouvant rien de plus pertinent, l'a laissé tel quel.)
(Quant à ce que vient faire François Feldman là-dedans, le traducteur ne se l'explique pas.)


Eut-il posé ses valises dans le Forez et déployé sa chevelure dans les courants d'air de Geoffroy-Guichard, nul doute que Trifon serait devenu une icône à Manufrance, l'égal de Roger Rivière, Oswaldo Piazza ou Jean-Pierre François. "Je te survivrai", semble-t-il d'ailleurs nous dire de là où il est, car oui, si son corps est en bière, son souvenir nous survivra, et la bière aussi.
(NdT : cette évocation du patrimoine stéphanois qui tombe, il faut bien le dire, comme un cheveu dans le yaourt, ne doit pas étonner le lecteur. Si l'auteur était, on le sait, très proche de Trifon Ivanov, au point de lire cette oraison funèbre à ses obsèques avant d'appuyer sur le bouton play d'un vieux magnétophone qui fera résonner dans la petite église orthodoxe l'émouvante chanson de Jean-Pierre François (on pourra d'ailleurs utilement lire, pour s'en convaincre, cet excellent article sur l'excellent site d'informations politico-tactique Poteaux Carrés, l'auteur est aussi vaguement stéphanois, voire un peu gaga sur les bords, pour ne pas dire complètement.
Cet autre article ne laisse que peu de place au doute. Le traducteur suppute alors que l'auteur est peut-être également franco-bulgare, ce qui au fond ne serait pas plus curieux que carioco-qatari.)


Eut-il rendu les armes dans le Forez que Galtier ou Garcia, peu importe lequel, Galtier-Garcia, Garcia-Galtier, un des GaGa (NdT : qu'est-ce que je vous disais...), aurait pondu un 4-3-3 sapin en guise de dernier hommage.
(NdT : le traducteur s'est aperçu quelques lignes plus haut qu'en guise de chef-d'œuvre de la littérature bulgare, il vient de traduire une oraison funèbre à la con. Ses rêves de gloriole par procuration se sont effondrés.)

Repose en paix, Trifon, et allez les vert et blanc.
(NdT : n'écoutant que sa conscience professionnelle, le traducteur écoeuré finit le boulot et informe le lecteur peu au fait des codes vestimentaires dans le milieu du football que le vert et le blanc sont les couleurs de l'équipe de Bulgarie au sein de laquelle évoluait Trifon Ivanov. Le traducteur soupçonne l'auteur mesquin de profiter, sous couvert de patriotisme, de l'occasion nécrologique pour gagner un pari puéril.)

Désabusé, le traducteur abusé se dirige vers le frigo... Allez les verres de blanc.



Quelques mois plus tôt... :

- eh, Trifon, j'te parie 1000 levs que je suis cap' de dire "allez les verts" au micro d'une église orthodoxe pendant un enterrement !
- (toussotant) ok, pari tenu
- euh... paie à l'avance hein...