Huitième épisode des confessions d'Helder Postiga à son docteur, par Rising42. A savourer sans modération !


Alloooooooooo ! Docteeeeeeeeeeeuuurrrrrr !

C’est Helder Postiga !

Je vous appelle de Lisbonne. Qu’est-ce que je fais à Lisbonne ? Ben figurez-vous que je me le demande bien. Je vais vous raconter...

Mais avant, dites-moi, quoi de neuf, Docteur ? Vous avez été malade toute la semaine ? À cause de mes brioches à la morue ? C’est vrai qu’il faut avoir l’habitude. Vous ne m’étonnez pas Docteur. J’ai donné celles que vous n’aviez pas mangées à Omar, le chien du gardien du stade, le Rantanplan de Geoffroy Guichard… Et je vous jure qu’Omar il bouffe tout, il mange à tous les râteliers… Il a un estomac en béton pour avaler n’importe quoi… Eh bien, il les a englouties sans mâcher, et une heure plus tard, il courait autour du stade comme un fou… Impossible de l’arrêter. On l’a retrouvé le lendemain matin dans le coma vers le Kop Nord… Deux heures de réanimation sous la tente à oxygène… Et, je ne vous parle même pas des panneaux publicitaires, crépis en jaune… On se serait crû à Nantes… Tous à repeindre. C’est Mazure qui était content… Il avait passé le week-end à peindre les grilles du stade, et il commençait à ruminer tout noir, rien que de penser qu’il devait retourner avec nous à l’entraînement, et courir après le ballon que personne ne veut lui donner. Moi, je vous l’avais bien dit, Docteur, quand on mange portugais, il faut bien mâcher, c’est indispensable pour une bonne digestion. Pourquoi croyez-vous que les vaches ruminent, vous ? Hein ?... Ben voilà, Docteur, vous avez tout compris…

Tiens en parlant de vache qui rumine, ça me rappelle le petit frisé qui n’arrête pas de venir nous voir dans les vestiaires… Vous savez, je vous en ai déjà parlé. Il est toujours derrière le petit excité avec l’écharpe verte. Je ne sais toujours pas qui sont ces deux énergumènes. Quand ils sont alignés avec le grand Argentin chauve, et Jacky Chan, on dirait les Frères Dalton... Oui, je sais, il en manque un. Mais mon petit doigt dans l’oreille me dit qu’il ne devrait pas tarder à entrer dans le capital… On dirait que le petit frisé a un chaos hostile dans la tête dont le dérèglement lui échappe... Un clone de Ribéry... Quant à l’autre, je crois bien que c’est le facteur… Déjà une fois, il nous a distribué des enveloppes avec des chèques… Et puis quand Piquionne fait une connerie… Je sais pas moi… Qu’est-ce qu’il fait déjà comme connerie, Piquionne ???... Il y en a tellement !... Attendez, je cherche… Tenez, quand il met des coups de tête, par exemple… Eh bien le facteur arrive avec une enveloppe et un chèque pour payer les dégâts. En plus, il faut reconnaître que la Poste française a un service bien supérieur à la Poste portugaise. Ici, pour chaque enveloppe remise, le facteur embrasse le destinataire, et il lui déclare son amour... Et même que pour la Saint-Valentin, le facteur nous a encore dit, à chacun, qu’il nous aimait. Même à Piquionne…C’est vous dire… Cet homme est un saint pour aimer Piquionne… Ou un inconscient… Ou un faux cul… Parce que Piquionne, lui, n’aime personne… Sauf lui… Surtout pas Mazure… Qui le lui rend bien… Même que quand il joue avec Mazure, il lui donne toujours la balle trop tard. Après, il tombe à terre, se tient la tête à deux mains, et il fait celui qui est désolé, en exprimant toute la détresse du monde, alors que moi je le vois ricaner lorsqu’il se relève en camouflant son visage... Docteur, le facteur, moi je vous le dis, c’est Saint François d’Assise revenu sur terre. J’ai juste peur qu’il nous prenne pour des pigeons. Vous savez, Docteur, je crois bien que ce type est un drôle de moineau… Je ne sais pas pourquoi… Mais je le sens…

Tenez, Docteur, lundi dernier il nous a tous convoqués à L’Etrat pour nous parler… Il était avec le petit frisé, la lumière éteinte qui lui sert d’ombre. Je me suis dit que, cette fois-ci, il n’allait pas nous faire des déclarations d’amour, et qu’on allait se prendre une engueulade mémorable. Tout le monde baissait la tête… Piquionne avait ses grandes oreilles basses… Eh bien, même pas de remontrances. L’amour fou, absolu. Docteur, j’ai des doutes… Mais enfin qu’est-ce que vous pensez ,vous, de deux types qui sont toujours ensemble… Hein ?... Et qui n’arrêtent pas de bisouiller tous les joueurs… Hein ? Ils ne seraient pas un peu, euuuh… Vous voyez ce que je veux dire, Docteur… Comme les Lyonnais, quoi… Vous connaissez la chanson !... Quoi, vous ne voyez pas… Il faut sortir, Docteur… À force de ne voir que des fous, vous allez finir par prendre un abonnement à Lyon… Bon bref…

Donc, la semaine a été studieuse…On a visionné plein de vidéos. Le coach me faisait de la peine… Il commençait à nous expliquer sereinement des stratégies d’attaques et surtout de défenses en dessinant sur son tableau noir… Et puis, plus il avançait dans ses dessins et ses explications, plus Piquionne avait le regard transparent… J’étais assis à ses côtés, et même qu’à un moment, j’ai approché mon oreille de la sienne… Vous ne me croirez pas, Docteur, mais j’ai entendu la mer... Le coach devenait alors tout rouge, pour virer au violet. Il mangeait sa dernière casquette… Et de rage écrasait sa craie sur le tableau… Piquionne, croyant qu’il avait signé son œuvre, se levait d’un seul bon et applaudissait à tout rompre, criant au génie et disant qu’il avait vu les mêmes dessins au Musée d’Art Moderne… Et puis de temps en temps quand même, nous allions nous entraîner… Il y avait plein de supporters… Bien plus que d’habitude… Ils n’étaient même pas fâchés… Sauf un qui voulait faire la peau de l’un d’entre nous… Mais on n’a pas compris qui il cherchait. Moi je lui ai proposé Piquionne… Et les copains ont tous proposé Mazure… Moi je ne dis rien, Docteur… Mais je l’aime bien Mazure… Il me fait de la peine, lui aussi. C’est notre plombier polonais. D’habitude ce sont les Portugais qui ont le rôle du plombier polonais en France, avec le salaire par-dessous la jambe… Mais ici, c’est Mazure… Il est pratique… Il change les fusibles… Quand il n’y en a pas, il sert lui-même de fusible… Quoique, Docteur, je me demande s’il n’est pas un peu polonais, Mazure… Il s’appellerait Mazurka ou Mazurkowski que ça ne m’étonnerait pas. Parce que maintenant les Portugais sont bien considérés en Europe. Comme dirait José Mourinho, mon maître, les clubs européens de niveau ont tous besoin de nous, les joueurs du Tiers Monde. Un sage ce José. Janot, lui, pensait… Ce qui est nouveau… Il était très en colère après le public qui nous avait sifflés lors du dernier match. Il disait que, lui, quand il avait un ami au fond d’un trou, il ne rebouchait pas le trou, il lui envoyait une pelle pour creuser… Enfin, quelque chose comme ça… Moi j’ai tout de suite pensé que le type au fond du trou se prenait la pelle sur la tête et qu’il aurait mieux valu lui envoyer une échelle… Le raisonnement de Janot ne tient pas. Et puis, tout réside dans la qualité du trou. Beaucoup des supporters des Kops sont dans un trou sombre, et pour eux les Verts restent leur seul ciel bleu. Alors que les joueurs, pour la plupart, sont dans un trou doré, avec tout le confort et le ciel bleu en prime. Bien sûr quand on ne connaît pas l’orage et qu’on a la chance d’être adulé par une foule de passionnés, on prend le mauvais pli, et on prend son abonnement sous les cocotiers toute l’année. Enfin, moi ce que j’en dis… De toute manière, Docteur, personne ne m’écoute, sauf vous...

Mercredi je n’ai pas regardé Lyon à la télévision. Je ne voulais pas avoir de problèmes avec les supporters… Vous savez ici, Docteur, on ne rigole pas avec ça… Entre les Beninouioui du Sud et les Beninonon du Nord, il vaut mieux prendre un air con de circonstance. Donc, je ne sais pas le résultat du match… Ici personne n’en parle… Sauf Piquionne et Zokora qui en parlent entre eux… Zokora mitraille Piquionne et Piquionne esquive les mots… J’ai crû comprendre que Piquionne appréciait en connaisseur les coups de tête de Cris… Sauf que Cris est l’inverse de Piquionne. Quand Cris met un coup de tête à quelqu’un, il se fracture le nez. Pas Piquionne. Mais il faut bien dire que Cris a un regard aux abonnés absents, donc il est excusable. Et puis jouer à Lyon n’arrange sans doute pas la sauce.

Donc Vendredi nous nous sommes envolés , en avion, je précise, vers Le Mans, pour un petit séjour de vingt-quatre heures. Au Mans, il y a une belle cathédrale, très belle même, où la reine Henriette a été couronnée. Il doit être très difficile de se loger au Mans, car partout dans la ville il y a des panneaux Loué !... Les Manchots roulent comme des dingues, en montant sur les bordures des trottoirs… Le Mans n’a pas de supporter. Ou alors pas beaucoup. Ou alors même presque pas. Ils ont été décimés, comme les cochons de la Sarthe, par la spécialité locale, une espèce de viande grasse et filandreuse que l’on tartine sur du pain. Le pire, c’est que les survivants de cette hécatombe sont devenus dépendants de ce poison, et continuent à en manger et même d’en faire manger à leurs invités. Je ne vous dis pas, Docteur, mes brioches à la morue, à côté, c’est de la friandise. Quand nous sommes arrivés au stade, on ne voyait que du vert aux alentours. Et dans le stade toute une tribune était emplie par les nôtres. On se serait crû à Geoffroy Guichard les soirs de victoire… Je veux dire sans les sifflets… Le coach, hyper angoissé, avait apporté des changements dans la composition de l’équipe. Au lieu d’un 4-4-2, ou d’un 4-3-3, d’un 4-5-1, ou encore d’un 3-3-4… Oui, c’est çà, Docteur, prenez des notes… Eh bien, nous avons commencé le match en 5-2-3… En deuxième mi-temps, nous avons transformé les positions en 6-2-1 : Feindouno, ne servant plus que de plante verte, n’a été conservé que comme un élément du décor ; Piquionne, très combatif, comme à son habitude, il faut le dire, et très fantaisiste dans la finition, je dois aussi le souligner, avait glissé en défense centrale pour dégager le ballon avec des triples axels dont il a le secret, et même un triple lutz ventral qui a bien failli envoyer Janot à l’hôpital. Nous avons terminé le match en un 9-0-1 inédit, qu’on ne voit que très peu dans le football moderne, mais assez fréquemment dans le championnat d’Afghanistan. Mais comme dit de Coubertin, amélioré par Tapie :

l’essentiel est de participer en gagnant par tous les moyens.

Ce qui est ennuyeux au Mans, c’est le bruit des moteurs… Le coach criait comme un sauvage , mais nous on ne l’entendait pas… On aurait dit un mime… Un pantin désarticulé… Quoi qu’il en soit, nous avons obtenu un super résultat, en jouant comme des morts de faim… Avec, comme d’habitude, un Loïc Perrin appliqué, combatif et brillant… S’il n’y avait que des joueurs comme lui, on n’en serait pas là, à être contraints de défendre à la Kalachnikov pour nous sauver. Un David Hellebuyck retrouvé, aux dires de certains. Moi je n’ai rien retrouvé puisque je ne l’avais jamais vu jouer ainsi. Il faut dire que la rentrée de mon copain Basto lui a laissé un peu de liberté créatrice. J’espère en tout cas que le match brillant qu’il a joué lui fera perdre son moral en deuil. Quand je pense que les copains maintenant me bâillonnent à chaque fois que je veux chanter un fado, alors que David exprime toujours librement sa pensée funèbre, sans aucune menace !... C’est injuste ! Sinon, moi, je suis très content parce que j’ai marqué un but… À la suite d’un excellent corner de Sablé, en prolongeant une tête de Piquionne, qui de toute manière n’avait aucune chance de rentrer dans les cages sans mon intervention. Je n’ai pas beaucoup existé dans ce match, mais j’ai quand même assuré l’essentiel… C’est ce qu’on demande avant tout aux buteurs, non ? En tout cas, nous avons gagné… Sans génie mais sans carottes pour nous faire avancer, juste la crainte d’une révolution populaire… Donc pas tout à fait comme des ânes, mais pas loin…

Bon, Docteur, me revoilà au Portugal… Ce n’est pas que je n’aime pas Saint-Etienne, mais l’air du pays va me ressourcer… Et puis ici, au moins, il y a moins de fous, sans doute grâce à l’air marin qui nettoie les cerveaux, et le fado y est apprécié.

Meu amor meu amor
Meu nó de sofrimento
Minha mó de ternura
Minha nau de tormento:
Este mar não tem cura
Este céu não tem ar
Nós parámos o vento
Não sabemos nadar
E morremos morremos
Devagar devagar

Mon amour, mon amour,
Ma souffrance,
Ma montagne de tendresse,
Mon navire de tourment,
Cette mer n’a pas de repos,
Ce ciel n’a pas d’air.
Nous avons arrêté le vent,
Ne savons pas nager,
Et nous mourrons, nous mourrons,
Doucement, doucement.


Tiens il faudra que je chante cette belle chanson d’amour aux deux Dalton bisouilleurs.

Docteuuuuuuuuuuuuuuuuuu ! Vous allez rire ! Je ne suis pas à Lisbonne depuis une heure que l’on m’apprend que le match amical entre le Portugal et l’Arabie Saoudite se joue à Dusseldorf…. !!! Adieu fado, saudade, morue et mouettes…. Il va falloir que je me mette à la choucroute et aux saucisses. Pour la choucroute, j’ai hâte de découvrir… Mais pour les saucisses, je suis habitué avec Piquionne. !!! Bon, c’est pas tout ça, mais il faut que je trouve un avion très vite pour l’Allemagne, sinon Scolari va m’envoyer terminer ma carrière dans les favellas de Rio de Janeiro…

Docteur, je vous rappelle un de ces jours. D’ici là portez vous bien !...

Auteur : Rising42