Auteur du plus beau but stéphanois de l'histoire des derbys et ex-entraîneur de Raon-l'Etape, Jean-Philippe Séchet nous a confié ses impressions avant le 32e de finale de Coupe de France qui opposera ses deux anciens clubs ce dimanche après-midi.


Salut Jean-Philippe ! Vas-tu assister au match des Verts à Raon-l'Etape ?

J'aurais dû y assister, malheureusement je vais le rater. J'habite toujours en Lorraine, à Metz, mais je séjourne actuellement dans le sud dans le cadre de ma recherche d'activités. Je recherche un nouveau projet sportif, j'ai toujours ma boite de communication et je m'apprête à racheter un restaurant. Mais c'est ma femme et ma fille qui s'en occuperont, moi mon truc c'est le terrain et il commence à me manquer. J'ai quelques pistes et ne reste pas inactif. Je vais voir des matches en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg, en France, à tous les niveaux, pour m'enrichir. Mes diplômes me permettent d'entraîner jusqu'en National. Mais ce qui ma plairait c'est de prendre une équipe de jeunes. Des U17 ou des U19 d'un club pro ou une équipe de CFA ou de CFA2. Quoi qu'il en soit, j'aurais aimé voir ce 32e de finale car j'ai vécu des moments forts dans ces deux clubs. Même si ça s'est mal terminé, j'ai gardé des contacts à Raon, pas mal de joueurs que j'ai entraînés évoluent encore dans ce club malgré la descente en CFA2. J'aurais aimé être là pas seulement pour voir Raon mais aussi pour voir Saint-Etienne, une équipe que j'apprécie beaucoup.

Que retiens-tu de ton expérience d'entraîneur à Raon-l'Etape, qui a duré de juin 2012 à mars 2015 ?

Je retiens avant tout nos beaux parcours en Coupe de France. Deux années de suite, on s'est fait éliminer par Bordeaux. La première fois en 8e de finale, la seconde en 32e. C'était deux matches au couteau où on a manqué de chance face à des Girondins qui ont fait jouer leur expérience. Je retiens cette "facilité" à se mettre à hauteur des équipes professionnelles sur un match, à mettre beaucoup d'envie. Peut-être qu'inconsciemment ou pas les clubs professionnels lèvent un peu le pied ou pensent que ça va être facile. La première année, après avoir battu Istres, un club professionnel, on a vraiment frôlé l'exploit contre Bordeaux. Mais ils ont égalisé à quatre minutes de la fin avant de nous éliminer aux tirs au but.

En Coupe de France, comme Parasar l'a écrit dans ce potin, Raon épate. C'est quoi le secret ?

Ce potin est bien vu, effectivement le club a réussi à se qualifier 7 fois en 32e de finale en 9 matches. Il n'y a pas vraiment de secret mais c'est vrai qu'à Raon il y a une "culture Coupe". Lors de ces matches couperets, on arrive à se transcender pour pouvoir exister et même rivaliser avec des clubs a priori bien mieux armés. En championnat, Raon a été par le passé une place forte des Vosges en étant en National même si Epinal a été professionnel. Mais surtout ces matches de Coupe permettent à des joueurs de se montrer. Raon pour exister est obligé de faire preuve de malice, de faire signer des joueurs qui viennent de centres de formation, qui y ont été délaissés. Ces rencontres contre des pros - que ce soit au 7e tour, au 8e ou en 32e de finale voire plus loin si on arrive à passer – permettent à des joueurs qui ont connu le monde professionnel en tant qu'aspirant ou stagiaire de se remesurer à ces clubs pros et de se remontrer.

En Championnat, tu as connu des hauts et des bas avec Raon. Après avoir frôlé la montée en National, tu n'as pas terminé la dernière saison qui a vu le club descendre en CFA2.

Raon-l'Etape est un club amateur. Chaque année, mon budget était pratiquement divisé par deux. A un moment donné, on n'a plus les moyens de jouer dans la cour des grands. Quand ton budget est diminué, t'es obligé d'essayer de faire des coups à moindre coût ! Tu es obligé de recruter en DH, or tous les joueurs de DH ne peuvent pas s'imposer comme ça en CFA. La dernière année a été pénible mais je préfère retenir la superbe première année. Les joueurs avaient faim, ils étaient pratiquement tous sortis d'un centre de formation. Ils avaient su exister tout au long de l'année pour faire jeu égal avec des grosses écuries comme Grenoble et Strasbourg.

De quels joueurs raonnais les Stéphanois devront-ils particulièrement se méfier ?

Avant de se focaliser sur tel ou tel joueur, il faudra déjà que les Verts arrivent à gérer le contexte de ce match. Il faut venir jouer à Raon, hein ! (rires) C'est difficile, mais je sais que Christophe Galtier va préparer ses joueurs. On est de la même génération, j'ai joué contre lui plusieurs fois. C'était non seulement un bon footballeur mais aussi un garçon de tempérament. J'aime bien son style. Depuis qu'il a succédé à Alain Perrin, il fait du très bon boulot à Saint-Etienne. Il ne ferme pas le jeu, il arrive à placer des jeunes dans son équipe. Je pense qu'il va mettre en garde ses joueurs. L'année dernière, l'équipe réserve a joué ici, on avait gagné 3-0. Bien évidemment, ce ne sera pas la même équipe stéphanoise qui jouera dimanche mais ce n'est jamais évident de s'imposer à Raon-l'Etape. Bon, je dois reconnaître que la réserve de Sainté avait pris sa revanche au match retour, ils avaient gagné 3-1 à l'Etrat, je crois d'ailleurs que c'était mon dernier match en tant qu'entraîneur de Raon. Mais il ne faut pas croire pour autant que l'équipe première de l'ASSE va se balader. C'est toujours difficile de s'imposer à Paul Gasser et ce n'est jamais évident d'affronter des joueurs de qualité qui ont soif de revanche.

Tu penses à des joueurs en particulier ?

Je pense notamment au petit milieu de terrain congolais Trésor Nyamwisi. C'est un garçon de 25 ans qui vient du centre de formation de l'AJA. Il n'a pas su s'imposer à Auxerre mais il montre de belles choses depuis qu'il a rejoint Raon il y a trois ans et demi. Le petit Yohan Dufour est un véritable poison devant. Il s'est un peu loupé quand il est parti pour jouer à Epinal en National. Il est ensuite parti se perdre à Virton en Belgique mais il est revenu à Raon. Il a un potentiel énorme. D'autres bons joueurs ont signé depuis que je suis parti et auront à cœur de montrer contre Saint-Etienne qu'ils ont le niveau pour jouer un peu plus haut. Il y a notamment Abdou Dampha, un milieu de terrain qui vient de l'ASNL, mais je crois qu'il ne pourra pas jouer contre Sainté. Raon a également profité de la trêve hivernale pour faire signer plusieurs joueurs mais je ne sais pas s'ils seront tous qualifiés pour ce match de Coupe.

Même si Raon compte quelques bonnes individualités, Sainté en étant sérieux doit s'imposer sans trembler, non ?

Même si quelques joueurs de Raon peuvent sur leurs qualités intrinsèques poser des problèmes aux Stéphanois, c'est surtout la mentalité qui va faire la différence, l'état d'esprit. Quand un club professionnel ne marque pas assez vite, ça peut devenir de plus en plus compliqué pour lui au fil des minutes. Et il y a toujours une part d'inconnu dans un match de reprise après la trêve hivernale. Attention, le froid et la pluie sont en train de faire leur retour dans les Vosges ! (rires) Saint-Etienne va devoir jouer dans un petit stade champêtre, il y aura une ambiance exceptionnelle car plus de 5 000 spectateurs sont attendus, du jamais vu à Raon. Je l'ai vécu en tant que joueur : quand un club pro ne marque pas de suite, que le "petit" lui résiste, l'exploit devient possible. Plus le temps passe et plus il joue pour le club amateur si le club pro n'a pas réussi à débloquer la situation assez tôt.

Tu n'as porté le maillot vert qu'une saison alors que tu as entraîné Raon quasiment trois ans. Ton cœur battra pour le club vosgien ce dimanche ?

Je suis effectivement resté plus longtemps à Raon qu'à Sainté, j'ai entraîné des joueurs que j'apprécie et qui vont tenter de réaliser l'exploit. Mais moi je suis de Grenoble. Et l'ASSE, c'est non seulement le club de la région mais le club de mon cœur. J'étais courtisé par Lyon l'année où j'ai signé à l'ASSE mais j'ai préféré rejoindre les Verts. Je n'ai pas hésité car Saint-Etienne, ça reste le club mythique du football français. Dimanche je n'aurai pas de favoris. J'espère juste qu'il y aura un beau match et que tout le monde sera content. Il y aura bien sûr un perdant mais je ne souhaite pas que Sainté mette une raclée à Raon. J'espère que Raon fera bonne figure et posera des problèmes à Saint-Etienne. Je sais très bien que Raon ne gagnera pas la Coupe de France. Si Sainté pouvait la remporter ce serait bien quand même, d'autant plus que ça fait près de 40 ans que ça n'est pas arrivé. Ça me toucherait vraiment que les Verts aillent au bout ! En 1976 j'avais dix ans, je n'ai pas vécu l'épopée de plain-pied mais j'ai quand même côtoyé les joueurs à l'époque. Saint-Etienne restera toujours Saint-Etienne…

Que retiens-tu de ton passage à l'ASSE ?

Le Chaudron. C'est un stade qui m'a d'ailleurs marqué bien avant que je signe à Sainté. J'ai pris quelques roustes à Geoffroy-Guichard quand j'étais adversaire des Verts. La première, j'avais 19 ans, c'était avec Grenoble. On tenait le 0-0 à un quart d’heure de la fin, mais les supporters stéphanois se sont mis à encourager encore plus leurs joueurs et on a pris trois buts lors du dernier quart d’heure. L’ambiance était tellement incroyable que je regardais les tribunes au lieu de regarder le ballon ! Je suis revenu dans le Chaudron sept ans plus tard avec Nancy, j'ai encore perdu 3-0. Les deux saisons suivantes, j'y suis retourné avec Metz. Rien à faire, je suis encore rentré bredouille en Lorraine ! Mais j'ai quand même réussi à battre les Verts à Geoffroy-Guichard. C'était avec le PSG, on avait gagné 3-1 et j'avais même marqué à Grégory Coupet le dernier but de la rencontre. Ce qui est marrant, c'est que la saison d'après j'ai marqué pour les Verts contre Paris. J'avais trompé Bernard Lama sur penalty et on avait fait 1-1.

C'était ton deuxième but sous le maillot vert, sachant que tu avais marqué le premier en débu de saison lors d'une écrasante victoire contre Guingamp. Mais c'est bien sûr ton troisième et dernier but stéphanois qui est resté dans toutes les mémoires.

Oui, et c'est super sympa que vous ayez mis la vidéo de ce but dans l'éphéméride consacrée à ce match ! [ndp2 : merci Danish !] Mon fils ne m'a jamais vu jouer, quand il a vu le but il s'est demandé si c'était bien moi qui l'avait marqué ! (rires)

Nous aussi !

Je vous assure que c'est bien moi ! (Rires) J'ai marqué un but incroyable dans un derby. Pas n'importe quel derby. LE derby, celui qui oppose les Verts aux Lyonnais. J'ai joué des Metz-Nancy, des Louhans- Gueugnon, j'ai vécu aussi Paris-Marseille. Le vrai derby, c'est quand même autre chose ! L'ASSE et L'OL sont deux clubs qui s'opposent en totalité. Leur rivalité est historique et existera toujours. Je suis content et fier d'avoir marqué ce but-là contre Lyon. Malheureusement cette saison-là s'est soldée par une descente en deuxième division. C'est le regret que j'ai quand je repense à mon expérience stéphanoise, j'ai le sentiment d'être tombé à une mauvaise période. Elie Baup s'est fait remplacer juste avant ce fameux derby. On n'a pas eu le temps de travailler sur du long terme. On avait pourtant fait un super début de saison, on frôlait les places européennes. Mais il y a eu une multitude de blessures, on a perdu pied. Cette année-là, le club a lancé beaucoup de jeunes, certains sont devenus talentueux par la suite. C'est dommage, on n'a pas laissé le temps à Elie de travailler. S'il y avait eu un peu plus de stabilité, si on avait laissé travailler l'entraîneur sur du long terme, on aurait sans doute réussi à s'en sortir. Quand le projet club saute au bout de trois matches perdus, c'est difficile de travailler.

Heureusement la donne a bien changé depuis, c'est d'ailleurs en bonne partie grâce à sa stabilité que l'ASSE est performante depuis plusieurs années.

Tout à fait. Les deux présidents ont fini par trouver leurs marques, ils travaillent dans la durée, cherchent à pérenniser le club. Ils font confiance au staff technique sur du long terme, sans tout remettre en cause quand le club traverse un coup de mou. Christophe Galtier et Thierry Oleksiak font du très bon boulot avec les pros. Idem pour Bernard David au centre de formation. Je le connais bien car on a joué ensemble à Grenoble. J'ai le sentiment qu'il y a vraiment de la compétence à tous les étages à l'ASSE.

Suis-tu les matches des Verts ? Que t'inspire leur parcours ?

Il m'arrive en effet de regarder les matches de Saint-Etienne. C'est une équipe que j'aime voir jouer. C'est une équipe qui ne ferme pas le jeu, qui va vers l'avant, qui propose parfois un football alléchant. Certaines équipes jouent surtout pour ne pas prendre de buts. Ce n'est pas le cas de l'ASSE, que je trouve assez ambitieuse dans le jeu. Sainté a l'avantage d'avoir une charnière très athlétique, très bonne, et un excellent gardien, qui a du caractère. C'est dommage que Robert Beric se soit blessé sur ce tacle de Jordan Ferri lors du derby. Mais bon, ça fait partie du jeu, des risques du métier. J'espère qu'on va le revoir assez vite sur les terrains. Il y a des garçons vraiment intéressants à l'ASSE. Des joueurs confirmés bien sûr, qui ont déjà beaucoup de bouteille et ont fait leurs preuves depuis de longues années en L1. Mais aussi de jeunes joueurs prometteurs. Certains m'ont tapé dans l'œil quand Raon a affronté la réserve de l'ASSE la saison dernière. Si les impresarios ne leur font pas perdre pied, ils pourront faire très mal en première division. Je n'ai pas de nom précis qui me vienne en tête mais je peux les retrouver. Je garde toutes les feuilles de matches et je souligne les noms de tous les joueurs qui m'ont agréablement surpris.

Quelle place peut viser l'ASSE cette saison en Ligue 1 ?

Si un ou deux bons éléments viennent s'ajouter, cette équipe peut faire très mal. C'est sûr qu'on n'ira pas chercher le PSG qui est sur une autre planète. Mais aujourd'hui il faut truster la deuxième place. Sainté a une vraie carte à jouer dans la configuration actuelle de la Ligue 1, où n'importe quelle équipe peut batte n'importe quelle équipe. C'est le sérieux et surtout l'envie de jouer qui permettra de faire la différence.

 

Merci à Jean-Philippe pour sa disponibilité.