ROYAL EXCELSIOR MOUSCRON
M. ENZO SCIFO
STADE LE CANONNIER
33, RUE DU STADE
7700 MOUSCRON
BELGIQUE
Cher Monsieur Scifo,
Certes on ne se connaît pas, mais j’ai tenu très vite à vous faire part de cet évènement considérable, celui de mon transfert en France, car je vous considère depuis que je suis né, et même bien avant ma naissance, comme mon Maître, l’exemple à suivre, le zénith du football belge. Je me souviens encore très bien de ce dimanche après midi de 1990 — j’avais 3 ans et quelques jours — lorsque vous menâtes, putain comme c’est que je cause moi, que vous menâtes donc cette équipe de tanches d’Auxerre vers une victoire éclatante contre cette équipe de sardines avariées de Marseille, sur le score imparable de quatre buts à zéro. Je me rappelle, lorsque vous avez marqué le troisième but, avoir sauté en l’air jusqu’au lustre du salon pour retomber dans le panier de Baudoin, le chat, tout en échappant mon biberon de Mort Subite qui, portant très bien son nom, s’écrasa malencontreusement sur la tête d’un voisin venu voir le match et qui succomba sur le coup. Ce qui, il faut bien le rappeler, ne fut pas le cas de Jean-Pierre Papin, quelques années plus tard dans un stade d’une ville perdue au fin fond de la France, dont je ne me souviens plus du nom. Pour tuer quelqu’un c’est juste une question de marque de bière, d’angle de chute ou de prime. Moi, j’ai fait cela par connerie — c’est vous dire si j’étais Belge déjà tout jeune. Car comme vous le savez, cher Monsieur Scifo, être Belge ce n’est pas une nationalité, c’est un métier, ça s'apprend. En tout cas, quel souvenir que ce but ! La gueule du chat ! Et l’enterrement du voisin avec ce cortège funèbre heureux : toute la ville de Liège derrière la fanfare et les majorettes ! Ce fut vraiment une mort joyeuse. Un bonne vraie mort belge.
Ainsi, le football et vous-même m’étreignirent déjà bien avant de venir au monde, lorsque, un soir au coin du feu, j’entendis mes deux parents, en effet j’en ai deux, ce qui, vous le savez, est nécessaire pour avoir des enfants, je les entendis donc débattre pour trouver comment ils allaient me nommer. A l’énoncé de tous les prénoms idiots qu’ils débitaient, je sortais de ma torpeur et, donnant des coups de pied violents dans le ventre de ma mère, je m’écriais : je veux m’appeler Enzo ! Mon père, con comme un panier belge, et ma mère, bigote comme une Fla, une Fla, une Flamande, crûrent que la voix venait du Ciel. Papa bascula le cul à la renverse et les quatre fers en l’air, et ma mère tomba à genoux et jura sur la friteuse qu’elle respecterait la volonté du Seigneur, et qu’elle appellerait le chicon qu’elle allait pondre du prénom de ce footballeur de génie, à savoir vous, avant que ça soye de moi que c’est qu’on parle, si vous me suivez. Malheureusement, lorsque je vins au monde, elle envoya mon père à la Mairie pour que je soye déclaré. Ce dernier, trop heureux de ficher son camp libre comme une hareng dans l'évier, suivant le chemin des écoliers, ou plutôt celui des boit-sans-soif, arrivant très éméché devant la secrétaire de l’Etat Civil, avait oublié le fameux prénom. Il chercha alors parmi tous les joueurs de football dont il pouvait encore se souvenir, et s’arrêta avec certitude sur Kevin Keegan. C’est ainsi que je fut prénommé Kevin. Je frémis à l’idée que le délire alcoolique de mon père eût pu le faire choisir parmi une tout autre corporation. J’aurais pu ainsi m’appeler Marcel, Lucien, Zébulon, Melkyor, ou pire, Fernand. Et quand je pense à Fernand !!!... Bref, vous connaissez la chanson, n'est-il pas ? Vous imaginez un peu ?… Fernand Mirallas… Avec un prénom pareil je n'aurais même pas pu tenir une baraque à frites, que ça aurait quasi fait marrer les moules. Alors que finalement, avec un prénom comme Kevin, faute d’Enzo, j’avais tout pour réussir. J’aurais pu faire du cinéma, être champion de Knokke le Zoute en ski nautique. J’aurais certes eu difficile, mais j’ai quand même bien tiré mon plan, puisque j’ai choisi et que chu footballeur professionnel, futur meilleur joueur du monde, actuellement en mouvement vers un stage intensif.
Quant à mon patronyme de Mirallas, je n’ai pas d’explication. Une chose est sûre, ce nom est prédestiné. Vous devez savoir que lorsqu’un jour lointain on demanda à André Gide quel était le plus grand poète français, il répondit, sans doute jaloux : Victor Hugo, hélas. Alors, dans bien des années, dans toutes les écoles de Belgique, après la prière pour le Roi, tous les instituteurs et les instituteuses diront : Sauriez-vous me dire quel fut le plus grand joueur de football de Liège Sud ? Kevin Mirallas, hélas ! La gloire. J’aurai ma tombe du footballeur inconnu sous l'arc de triomphe de Bruxelles en projet, ma statue dans toutes les églises du Royaume, aux côtés de cette éberluée de Jeanne d’Arc. Elle, avec son épée. Moi avec mon ballon, mes Adidas neuves et mon carton jaune. Mais avant d’en arriver là , mon cher Maître, il me faut bâtir cette carrière flamboyante. En fait c’est plutôt Jeanne d’Arc qui a eu une carrière flamboyante. La mienne sera, disons plutôt : fulgurante, comme la comète de Haley. Vous ne voyez quasi pas la comète tellement qu’elle va vite, mais vous avez tout le loisir d’en contempler la queue tellement qu’elle tire loin.
Alors, j’ai commencé à apprendre à Liège tous les coups tordus de ce sport , et puis comme mes entraîneurs n’avaient plus rien à m’apprendre au niveau de ce qui faut savoir, je suis allé à Lille, cette ville du Nord de la France, tellement triste, qu’un jour, un canal s’est perdu, et même aux dernières nouvelles il paraît qu'il se serait pendu, le pauvre biquet. D’ailleurs, le gris des lieux avait déteint sur mes deux entraîneurs. Le Glaude Puel qui avait le cœur à marée basse, et qui gueulait du bord de la touche comme une corne de brume, pour que je tire dans les cages, et que j’arrête de décrocher les nuages. Lolo la Pipe, son adjoint, un type si effacé à l’époque, si gris avec son pull qu’il se fondait dans le brouillard, si bas qu’il faisait l’humilité, et l’humidité, même qu'il sentait la transpiration jusqu'en plein hiver par moins 20°C. Avec Lolo la Pipe, j’ai beaucoup appris. J’ai appris comment prendre la place d’un titulaire, comment faire du chantage sans y toucher. Enfin, tout allait bien, jusquà ce que Lolo s’en aille. A Saint Claude, ou chez un autre saint, mais je ne savais pas trop lequel. Alors j’ai demandé à un copain des Services Secrets belges de lancer une recherche. J’étais peinard en Chine, en train planter des buts avec les Diablotins rouges, lorsque j’appris de sa bouche dans un mail que le saint en question s’appelait Etienne. J’en reviendais pas. J’avais joué en mai à Saint Etienne devant ce public d’excités, et devant Lolo la Pipe, et je ne l’avais même pas remarqué. Il faut dire qu’il avait abandonné alors son pull gris qui tenait debout tout seul tellement qu'il y avait transpiré, et que, sans la brume, il n’avait pas le même aspect fantomatique, mais il ressemblait plutôt à un canonisé auréolé de projecteurs sous contrat précaire à durée plus que déterminée.
Alors mon sang n’a fait qu’un tour et s’est arrêté net, et j’ai dit aussi sec que je voulais aller jouer à Saint Etienne, illico presto, et recto verso. Ca a pas été triste. Les Lillois ne voulaient pas me laisser partir, et Lolo la Pipe voulait à tout prix me faire venir. Moi quand j’ai entendu ça, je lui ai donné mon prix. Et il m’a dit que ce n’était pas donné, mais qu’il fallait que je vienne le voir, et qu’il s’occuperait de régler l’affaire avec les deux Présidents du club, qui ne peuvent pas se blairer, l’un qui tire à hue, l’autre à dia. Même que Lolo la Pipe m'a dit qu’un des ces quatre, à force, ils vont aller droit dans le mur. Même que lui il est train de construire le mur, et qu’après l'enterrement il compte bien prendre leur place, et devenir ainsi le premier Président entraîneur. Enfin bref, j’expédie donc les affaires courantes en Chine et je rentre directement à Saint Etienne, avec une escale au Crédit Suisse de Genêve pour récupérer quelques malettes vides.
A mon arrivée, Lolo la Pipe m’attendait à l’aréoport Antonetti, nommé ainsi parce qu'il paraît que vous arrivez à Saint Etienne en riant et que vous en repartez en pleurant. Lolo la Pipe était toujours le même. Il n’avait pas changé. Avec son regard par en dessous, et son air de dire : je vais te baiser la gueule. J’étais content de le voir. Dans la voiture ça sentait le tabac. Et durant le trajet entre l’aréoport et le stade, il m’a tout expliqué en gueulant parce qu'on avait ouvert grand les vitres de la décapotable pour respirer et qu'on ne s'entendait pas parler avec le bruit des camions.
Il m’as dit : Mon petit Kevin, si je t’ai fait venir ici, c’est parce que j’ai une équipe de pipes, et qu’il m’en manquait une pour achever ma collection, et par là même parvenir à mes fins. Si tu joues le jeu, je te jure que je ne serai pas ingrat. Je serai au sommet et toi tu auras l’insigne honneur de te prosterner devant moi et de m’offrir ton dos lorsque assis sur mon trône je voudrais reposer mes pompes. Tu seras mon Iznogoud. Crois moi, mieux vaut être au sommet de la pyramide, même le cul en pointe, que d’être à la base à se lamenter.
J’y ai rien compris. Mais j’ai dit d’accord, parce que ma mère m’a toujours conseillé de dire oui à toutes les propositions qu’on me ferait et de réfléchir après. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai failli me marier avec un travelo. C’était moins une. Mais pour le boulot ca ne risque rien, puisque la signature ou la parole d’un footballeur ne vaut rien juridiquement si on sait acheter la Ligue. Alors qu'avec un travelo la Ligue ne peut rien faire bien qu'il y en ai un à sa tête. Il faudra quand même que je fasse gaffe à Saint Etienne, car j’ai appris que, quelques années auparavant, ils ont odieusement obligé un esclave violent et rebelle à respecter son contrat et sa signature après avoir engagé un bras de fer avec lui, et qu'ils ont fini par l'exiler dans une Principauté lointaine. Donc prudence et cul cousu !...
Alors que je vous explique. Ici, à Saint Etienne, c’est pas très compliqué. J’ai déjà pigé quelques principes. Je suis, en effet, resté quelques jours, juste le temps de signer mon contrat bidon, et de voir jouer le derby contre cette équipe de dikke lamzak* de lyonnais. D’ailleurs, j’ai vu jouer sur la fin du match l’esclave échappé dont je parlais. Vraiment choqué le mec. On dirait une poupée gonflable, comme on en voit dans le port d’Amsterdam, où ca sent la morue jusque dans le cœur des flics.
* lamzak : un sac à merde (insulte). « Dikke lamzak ! » se traduit par « Gros sac à merde ». Wikipédia. Source sérieuse.
Donc voilà ce que j’ai appris.
- il ne faut jamais trinquer avec le Premier Président Exaequo, car, comme il est en permanence sous pression, une seule goutte de trop pourrait le faire tomber dans une crise de délirium, voire dans un coma éthymologique. Et après on risque d’être condamné à avoir la conscience dérangée à perpétuité, comme le Manekenpiss qui montre ses bijoux de famille à tout Bruxelles.
- il ne faut jamais croire le Premier Président Exaequo Bis qui parle plus vite que sa langue, qui est menteur et tordu comme un arbitre de Ligue 1, et surtout faire gaffe à sa manie de tuer le mardi tous ceux qu'il veut adopter le lundi.
- il faut toujours se méfier de Jérémie Janot, qui est, aux dires de Lolo la Pipe, un joueur honnête, franc et talentueux, donc dangereux pour le groupe. D’ailleurs, ca n'a pas loupé. La première fois que je le vois, il me tend la main pour m'en serrer une. Moi suspicieux j’avais les miennes sur mes poches, on ne sait jamais. Il m’en attrape une de force. Il me secoue comme un noyer, avec un grand sourire carnassier, et me débite un truc en japonais. Résultat : j’ai le scaphoïde et le lunatum enflammés, ce qui va m’handicaper sérieusement dans les surfaces de réparation pour chatouiller le gardien adverse ou mettre la main au cul des défenseurs, ou ailleurs.
- pour avoir des primes, il faut apprendre à chanter la chanson des vestiaires les soirs de victoires ou de branlée pas trop excessives. C’est pas difficile. Ca fait : Présidents, Présidents, Présidents, Présidents, Présidents, Présidents, Han … etc… Et quand on chante, il ne faut surtout pas faire de fautes d’orthographe en oubliant le pluriel, puisque les Présidents sont deux. Et là , normalement, les primes tombent.. Après on n’a plus qu’à se la couler douce, le temps de les dépenser. Puis on redonne un coup de rein, et on redemande d'autres primes… Si on peut avoir une petite Coupe d'Europe de temps à autre, ça amuse les cons dans les tribunes, et puis voilà , on attend le tremplin pour Arsenal, Chelsea ou Valenciennes.
Bon, mon Cher Monsieur Scifo, je vais devoir vous laisser, car, ici à Knokke le Zoute, la mer monte, et j'ai honte, les crabes aussi, et le soleil décline. Et ce soir je dois faire mes bagages pour rejoindre mon nouveau club dès demain. J’ai hâte d’y être. Je vous écrirai mes premières impressions de joueur sur orbite vers la gloire, et j’espère que vous voudrez bien me nourrir de votre expérience.
Je voudrais terminer par cette citation trouvée dans l’Evangile selon Saint Luc, que ce dernier criait d’une voix sonore dans le désert du Neguev:
Pipe du soir rend le patron plein d’espoir !
Avec mes respects.
NB. Quelques expression ou formes de style purement belges ne sauraient engager la responsabilité de l'auteur sur de prétendues fautes. Amen.
Lettre de Kevin Mirallas à Enzo Scifo
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