Dans un magnifique papier intitulé Les Perdants magnifiques publié en mai dernier dans L’Equipe Magazine, tu écris : « C’est à Saint-Étienne que je dois les heures les plus riches, les plus intenses, les plus trépidantes de mon enfance. Cette équipe épique m’a fait rêver, m’a fait pleurer, m’a fait hurler de joie, gémir de désespoir, elle m’a contraint à fracasser des radios contre les murs de ma chambre, elle m’a fâché avec Dieu, elle m’a réconcilié avec Lui, elle m’a fait comprendre ce que le père de Quentin Compson, dans Le Bruit et la Fureur de William Faulkner, explique : « Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir et la victoire n’est jamais l’illusion que des philosophes et des sots. » Comment est née ta passion pour le football en général et pour Saint-Etienne en particulier ?
Ma passion pour le foot est née très tôt, ça a commencé par l’attrait de ce jeu, par le fait de taper dans un ballon. C’est venu naturellement, je n’étais pas maladroit et j’avais un amour instinctif pour le ballon. Dès que je voyais un ballon, j’étais comme un chien avec la baballe : même tout seul, ça m’a toujours excité de taper dans un ballon ! Et ça m’intéressait autant de faire un un contre un contre un gamin que de jouer un vrai match. J’ai joué au tennis aussi mais j’ai arrêté. Le côté collectif du foot m’intéressait : être dans une équipe avec des gens pour qui tu n’as peut-être pas beaucoup d’affinités mais qui une fois la partie commencée forment un groupe, tout ça me plaisait ! J’ai toujours joué au foot, que ce soit en club ou à la fac. En club, j’ai joué à un petit niveau : bon, j’étais un petit numéro 10 assez malin, avec une bonne vision du jeu. J’ai pratiqué assez longtemps en Bourgogne, en district jusqu’au jour où … Pendant un match, on était menés 2-0, il restait dix minutes de jeu sur ce terrain lourd de Bourgogne. J’hérite d’une balle, je suis très loin du but lorsqu’un type de l’équipe adverse me fauche par derrière. Et là je m’écroule et je me relève avec une fracture de la clavicule. Les tacles par derrière sont terrifiants ! Ca a été la fin de ma carrière ! Là je me suis dit pffff !!! J’avais 26-27 ans, j’étais au sommet de ma carrière (rires).
Aïe, fauché en pleine gloire comme Tibeuf lors de ce maudit match contre Nantes !
Oui, fauché en pleine gloire ! (rires) Là je me suis dit : « le football c’est un plaisir, si tu te retrouves à l’hôpital à cause d’un geste imbécile »… Ensuite j’ai rejoué mais je n’avais plus le feu sacré.
Pourquoi Saint-Etienne ?
Pourquoi Saint-Etienne ? (rires) Je suis né en 1967, j’avais huit neuf ans lors de l’épopée des Verts et je m’intéressais au football, je me souviens que je lisais Onze-Mondial. Pourquoi Saint-Etienne ? Je ne sais pas, c’est irrationnel ! Et puis il faut se souvenir qu’à l’époque il n’y avait qu’une ou deux chaînes de télévision. A chaque fois que les matches des Verts étaient diffusés, c’était l’évènement. Je m’identifiais à cette équipe, à certains joueurs comme Rocheteau. J’ai vraiment des souvenirs très nets de plusieurs matches de coupe d’Europe. Hélas j’ai raté Saint-Etienne/Split, mais j’ai vu les matches de la campagne européenne de 1976. Je revois les gens autour de moi quand je regardais le match, je me souviens avoir vu le match retour contre Kiev chez mon oncle. Je revois la finale… Ah vraiment, ce sont des souvenirs qui m’ont profondément marqué ! Saint-Etienne m’a apporté les heures les plus heureuses mais aussi les plus dramatiques et les plus douloureuses de mon enfance. Je n’ai pas eu une enfance malheureuse, loin de là , mais cette équipe a fait surgir en moi des émotions que je ne soupçonnais pas. J’ai un souvenir mémorable de la finale de coupe de France contre Reims en 1977.
Tu racontes en effet cette anecdote dans Les Perdants magnifiques : « lors d’un séjour à l’hôpital pour une banale intervention sur une hernie, j’ai été sur le point d’exploser les fils de fer plantés dans mon aine, lors de la finale de Coupe de France contre Reims avec cette tête désespérée de Merchadier assénée à la dernière seconde du temps réglementaire, donnant le droit à Ivan Curkovic de venir saluer bien bas le Premier ministre, Raymond Barre. Et à moi de recevoir la visite impromptue d’un cortège d’infirmières affolées, ahuries de terreur par le vagissement d’un petit homme de dix ans, terrassé de joie et prêt à repartir, un sourire béat suspendu aux lèvres, pour une visite nocturne du bloc opératoire ! »
Quel souvenir ! J’ai aussi en mémoire le Saint-Etienne/PSV Eindhoven lors de la saison 1979/1980 : à l’aller, on avait perdu 2-0. Lors du match retour, mes parents recevaient des invités à la maison donc je n’avais pas le droit de voir la télé. J’étais obligé quand même de dire bonjour avant d’allumer la radio : après cinq ou six minutes de jeu, il y avait déjà 3-0… Incroyable ! Ce sens de l’épopée, ce côté irrationnel, ce panache, ce romantisme : c’est ça Saint-Etienne !
Qui t’a fait découvrir le bruit et la fureur de Geoffroy-Guichard ?
Geoffroy-Guichard, c’est l’équivalent du Parthénon pour un helléniste. C’est un lieu mythique, comme l’Olympia lorsque Brel y chantait ou les Beatles. Pour moi Geoffroy Guichard c’était ce stade, ce chaudron, le panneau publicitaire qui tournait dans le temps sur les quatre coins. Pour moi c’était un stade mythique peut-être précisément car je n’y avais jamais mis les pieds. Il y avait cette ambiance impressionnante et ce côté que je pressentais sûrement, qui s’est confirmé par la suite : ce côté populaire, du peuple stéphanois qui sortait des mines et qui allait supporter son équipe avec ferveur. Même si je n’y suis pas allé, ce stade a vraiment marqué mon enfance. Je suis allé pour la première fois au stade Geoffroy-Guichard tout récemment, en marge de la dernière fête du livre de Saint-Etienne. J’ai vu les Verts battre Le Mans 2-0.
Quel est ton premier souvenir de supporter stéphanois ? Quels sont les matches qui t’ont le plus marqué lors de ton enfance et ton adolescence ?
Mon tout premier souvenir, ma première émotion télévisuelle concernant les Verts, c’est peut-être la reprise de volée de Larqué contre Lens en finale de coupe de France 1975. J’étais chez mon oncle, à la campagne. Je me souviens également du but de Rocheteau lors de la victoire de Saint-Etienne à Glasgow en 1975. Ce sont les premiers souvenirs réels que j’ai. Parce qu’après évidemment, avec le temps, on a l’impression que j’étais à Split ou en demi-finale contre le Bayern ! (rires) Sinon, j’ai gardé des images très fortes de certains matches : le penalty d’Hervé Revelli sous la neige contre Chorzow par exemple. Je me souviens également d’un match contre les Grecs d’Aris Salonique dans le brouillard absolu, on ne voyait absolument rien ! Evidemment, il y a ce fameux match retour contre Kiev. Je me rappelle aussi un match retour de Coupe de France contre Nantes : les Verts avaient perdu à l’aller 3-0 à Marcel-Saupin, et au retour ils gagnent 5-1 après prolongation. C’est ce qui me plaisait dans cette équipe, cette capacité de renverser les situations les plus désespérées : les joueurs étaient de véritables héros pour moi, évidemment ! L’un de mes souvenirs les plus marquants, c’est aussi Hambourg/Saint-Etienne. Le match des Verts n’était pas télévisé, il me semble que c’était celui de Nantes. Il y avait quand même un bandeau qui défilait sur l’écran : Hambourg 0 – Saint-Etienne 1, Hambourg 0 – Saint-Etienne 2, etc. jusqu’à 0-5 ! Un véritable exploit car Hambourg avait une grosse équipe à l’époque. Je me souviens du match retour avec les chants « Allez Hrubesch montre nous tes fesses ! » (rires).
Arrêtons-nous maintenant à un autre passage de ton article Les Perdants Magnifiques : « Par chance, Saint-Étienne a eu le bonheur de perdre contre le Bayern. Surtout d’échouer d’un rien (…) Les vainqueurs n’intéressent que les courtiers en Bourse et les carnassiers de petite vertu. » Ce romantisme de la défaite a-t-il encore sa place aujourd’hui, les Verts n’ayant rien gagné depuis 25 ans ? Après tout, si les perdants peuvent être magnifiques, les vainqueurs peuvent l’être tout autant : le Brésil en 1970, l’Ajax de Cuijf, le Milan AC de Sacchi, le Barça de Romario ou de Ronaldhino par exemple…
A mon avis, la défaite est plus intéressante que la victoire. Je trouve toujours que le perdant est plus beau à regarder que le gagnant, dans sa morgue un peu outrancière. Saint-Etienne perdait avec cette espèce de fatalité, ce sort qui s’acharnait. Ah, cette finale, avec les fameux poteaux carrés…Pour moi, ça a un charme exceptionnel. Si les Verts avaient remportés ce match, je ne suis pas sûr qu’ils continueraient à avoir cette cote d’amour dans la France entière. Oui, je crois qu’il y a un charme dans la défaite. Enfin, pas tout le temps mais dans certaines défaites.
Ce charme n’a pas la même dimension lorsqu’une équipe va au bout, comme ça a été le cas des exemples que je viens de citer ?
Si, si, ça peut arriver : moi j’ai « joui » tout autant quand le Milan AC a gagné la coupe d’Europe des clubs champions. J’ai un faible pour cette équipe, pour son jeu que je trouvais le plus élégant, le plus classieux, le plus efficace. Ah, ce 4-0 infligé en finale au Barça entraîné par Cruyff, avec ce petit lob génial de Savicevic ! https://www.youtube.com/watch?v=no_qIIvt1sQ Cette maîtrise du jeu, cette intelligence… Même Desailly avait trouvé la lucarne sur une frappe enroulée ! Ce soir là , je savais que je vivais l’un des moments les plus beaux de mon existence. Je voyais une équipe qui appliquait un football idéal, un football de rêve. Ai-je retrouvé ces sensations après ? Oui, par intermittence, souvent par le biais de l’équipe des Pays-Bas, qui représente pour moi le fantasme du football, la fluidité. Johan Cruyff a dit : « ce ne sont pas les joueurs qui doivent courir mais la balle ». C’est très simple mais c’est ça le football que j’aime : la simplicité, la qualité du contrôle, la perfection de la passe. Cette équipe hollandaise me rappelle d’ailleurs Saint-Etienne : il y a ce même romantisme dans la défaite, avec ces deux finales de coupe du monde perdues. Je crois que ça forge les légendes. Je pense qu’on se souvient plus de l’équipe des Pays-Bas de 1974 que de l’équipe d’Allemagne.
En lisant ton article sur Les Perdants Magnifiques, on repense à Giotto dans Le Décaméron de Pasolini : « Pourquoi réaliser une oeuvre alors qu'il est si beau de la rêver seulement ?» La formule est-elle transposable à l’ASSE : pourquoi gagner la coupe d’Europe alors qu’il est si beau de la rêver seulement ?
En effet. Il y a une phrase de Brel que j’aime beaucoup : « mon père était un chercheur d’or, l’ennui c’est qu’il en a trouvé. » C’est vrai que quand tu atteints le but suprême, après tout semble fade. Je me souviens encore de Mats Wilander. Il bat Lendl en final de l’US Open et il devient numéro un mondial. Et après il raconte : « je suis dans ma chambre d’hôtel. Je regarde la ville devant moi. Toute ma vie j’ai rêvé d’être numéro un mondial. Et bien voilà , je le suis. Et maintenant ? ». Il dit que ce qui est affolant, c’est l’espèce de vide qui s’ouvre devant lui. C’est vrai qu’atteindre « l’inaccessible étoile » (pour reprendre une autre formule de Brel), c’est comme une petite mort. C’est pour ça que je préfère la défaite à la victoire. C’est couillon mais c’est comme ça !
Ton dernier roman Loin de quoi ? comprend plusieurs passages savoureux sur les Verts. La finale de 1976 a en effet une incidence sur la vie de Simon, le narrateur : « Si dans la nuit glasgowienne du 12 mai 1976, Bathenay Dominique et Santini Jacques n’avaient pas délibérément visé les poteaux carrés des cages allemandes de Sepp Maier et si Rocheteau n’avait pas été blessé, contraint de jouer les seules dix dernières minutes de cette rencontre fondatrice de tous mes forfaits la cuisse meurtrie dans un bandage obscène, ma vie, à n’en pas douter, aurait emprunté une toute autre trajectoire au lieu de se fourvoyer dans le ravin d’une existence sans relief. Peut-être aurais-je été moi aussi un gagnant, un winner, un battant, un enragé de la vie, un être positif, explosif, un boute-en-train infatigable, un meneur, un caïd, une petite frappe teigneuse.» Penses-tu que cette finale perdue a eu des répercussions sur le cours de ton existence ?
Ce n’est pas impossible. Si les Verts avait gagné ce match 3-0, je ne suis pas sûr que j’aurais eu le même engouement pour Saint-Etienne. Maintenant, est-ce que ma vie a changé parce que Saint-Etienne a perdu ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre ! Peut-être que oui, car le football fait partie de ma vie de manière très proche. Je pense que le football est une métaphore de l’existence. Je vis à travers le football comme je vis à travers la littérature. Pour autant, est-ce qu’il y a eu un déterminisme post-Glasgow ? Peut-être…
Un autre extrait de Loin de quoi ? évoque ce fameux match du 12 mai 1976 : « Le soir de la finale perdue contre le Bayern Munich, pour la première fois de sa vie mon oncle a pris un somnifère, moi j’ai eu droit à une tisane, il n’a pas dormi avec ma tante, il est resté toute la nuit à fumer sur le balcon, au matin il avait encore les yeux tout rouges, le visage défait, les traits décomposés. Moi non plus je n’avais pas fermé les yeux de la nuit. En silence, j’avais pleuré toutes les larmes de mon corps. J’étais inconsolable. Inconsolable je suis resté. Parfois je me dis que ma vie débutera vraiment le jour où les Verts deviendront champions d’Europe. » Penses-tu que ta vie débutera vraiment un jour ?
(Rires) Heu, je n’espère pas ! Ce que je voulais dire par là , c’est que je n’ai pas envie de voir les Verts en coupe UEFA ou en coupe Intertoto.
D’ailleurs tu nous dis pourquoi dans Les Perdants magnifiques : « Surtout ne pas revoir Saint-Étienne prise dans les phares glaiseux et vitreux de l’actuelle Coupe de l’UEFA, cette vieille dame honteuse et moribonde qui ne fascine que ceux qui y participent. Ce serait comme de découvrir que votre premier amour travaille désormais au comité départemental pour la défense de la vache charolaise, qu’elle vote Philippe de Villiers et se paye un orgasme devant la diffusion de la Star Academy ».
Par contre, j’aimerais voir Saint-Etienne en Ligue des champions face à des adversaires prestigieux. Mais pour en revenir à la finale de 1976, j’ai un souvenir très net de cette soirée. Je me revois très bien : je suis dans mon lit, je pleure, je pleure, je pleure comme un gamin peut pleurer de chagrin. Maman vient et se demande comment on peut se mettre dans des états pareils pour un match de football. Elle tente de me consoler en disant : « ne pleure pas mon chéri, ils vont gagner la coupe l’année prochaine ». Et moi je lui réponds : « nan, c’est cette année qu’il fallait la gagner ». Quelque part, je redoute le jour où Saint-Etienne sera à nouveau européen parce que je crois qu’on n’imagine pas mais l’attente et la pression médiatique seraient énormes. Bien sûr, je ne parle pas de l’UEFA mais de la Ligue des champions. Imagine que Saint-Etienne tombe avec Liverpool ou le Bayern. Je pense que toute ma génération comme ça retournera en enfance et revivra des émotions fortes. Je pense qu’il y aura une ébullition et une émotion à travers le pays qui seront exceptionnelles. Je suis persuadé que les Verts feront alors des audiences absolument monstrueuses.
Dans Loin de quoi ?, le narrateur rêve deux fois des Verts. Après avoir refusé de faire un enfant à Léa car il craint de donner la vie « à un pauvre petit juif sans défense » entre autres tares « supporter de Marseille, du PSG, de Rennes, de Guingamp», Simon rêve de son fils vêtu d’un pyjama rayé marquant le but de la victoire de Saint-Etienne contre le Bayern de Munich.
Après avoir été réveillé par son père, Simon fait un autre rêve étrange : «J’avais une arme à la main, des grenades pendues autour du cou, des rangées de cartouche autour de ma ceinture, le bandeau de Vilas dans les cheveux, le maillot Manufrance scotché à mon torse, des protège-tibias qui montaient au-dessus des genoux. » Le commandant lui demande ce qu'il doit dire aux autorités. Simon répond : « vous n’avez qu’à leur dire que je milite pour le retour immédiat de Saint-Etienne en première division ». Vous vous foutez de moi ? Je ne plaisante jamais, JAMAIS, tu as entendu le dépressif chronique avec les Verts. Pigé ? Je crois. Barre-toi maintenant. Il est retourné dans son cockpit. Je ne sais pas ce qu’il leur a raconté, toujours est-il que dans la minute suivante, j’avais le stade Geoffroy-Guichard en direct. Au milieu du Rond Central, je tenais à bous de bras la coupe d’Europe. Juste avant de réaliser que je me tenais debout au milieu de mon lit, les bras levés et la tête ensanglantée.»
Comme Simon, t’arrive-t-il de rêver des Verts ?
Evidemment ! Oui, j’ai rêvé de cette finale. Bon, là c’est le juif qui parle : c’était quand même Saint-Etienne contre Munich. C’était quelque part – arf, c’est très compliqué tout ça- la revanche du petit juif contre le kapo SS. C’était quand même une question politique, quoi, qui est tout le temps restée et qui s’est perpétuée à travers Séville 1982. C’est peut-être pour ça aussi que ce match a fait l’objet de toute une mythologie : les rencontres entres Allemands et Français sont toujours compliquées. Alors oui bien sûr j’ai dû rêver des Verts et ce serait extraordinaire de gagner la coupe d’Europe contre le Bayern un de ces jours ! (rires)
Loin de quoi ? se déroule à l’époque où les Verts étaient en deuxième division. Simon s’ennuie au restaurant, il est « juste soucieux de connaître le résultat de Saint-Etienne contre Lorient. » Prétextant une atroce migraine, il rentre chez lui et apprend que les Verts ont perdu. Il est bien sur d’humeur maussade : « Pas cette année que les Verts remonteraient en première division. Encore une saison où il faudrait feindre de s’enthousiasmer pour des rencontres d’anthologie contre Gueugnon ou Wasquehal ». Personnellement, comment as-tu vécu les nombreuses saisons que le club a passées en D2 depuis 25 ans ? Ta fidélité aux Verts est-elle restée intacte après les trois descentes que l’ASSE a connues ?
Je suis toujours resté fidèle. C’est ça qui est beau, c’est là qu’on reconnaît les vrais supporters des faux supporters. Comme je dis dans le livre, j’ai gardé une dette imprescriptible vis-à -vis de Saint-Etienne. Les Verts m’ont donné tellement que je dois leur être fidèle. A titre d’anecdote, quand j’étais à Vancouver - les Verts étaient alors en seconde division - je suivais les matches sur Internet et je sortais après chaque journée le classement sur mon imprimante. Je suivais les matches grâce à Internet, avec neuf heures de décalage. Je me revois encore dans cette maison à Vancouver en train de suivre fébrilement les matches le samedi à 11h00. Je vivais avec intensité ces matches là , comme je continue à les vivre d’ailleurs. Je crois que ça me poursuivra toute ma vie, à moins que Saint-Etienne gagne la Ligue des champions… Quelle que soit l’équipe, quel que soit l’entraîneur, quelle que soit l’ambiance, je suis resté vraiment un supporter. J’écoutais à la radio tous les matches, j’ai ensuite suivi sur Internet tous les matches… Ah, l’influence que ça a, que ça avait et que ça aura sur mon humeur après ! Quand Saint-Etienne gagne, je suis sur mon petit nuage, j’attends le matin avec impatience pour aller acheter L’Equipe et pour voir les buts à la télévision. Par contre, quand Saint-Etienne perd, ça me chagrine, ça m’énerve, ça m’attriste. Je ne vais jamais acheter L’Equipe le lendemain d’une défaite, jamais ! J’ai un rapport passionnel avec Saint-Etienne.
Cette année, Saint-Etienne va-t-il battre Lorient ?
Non ! Je ne crois pas. C’est très étrange, mais quand je joue au Loto Sportif à Cote & Match (ou je suis assez doué d’ailleurs), je ne parie jamais sur Saint-Etienne. Pour moi ils perdent à chaque fois. Je préfère penser qu’ils perdent pour ne pas être déçu. Contre Lorient, je verrais bien un match nul 1-1 mais bon, j’espère que les Verts vont gagner, hein !
Peux-tu nous donner ton équipe-type stéphanoise « post-Platoche » ?
Hou là , je ne peux pas te la donner en entier car il faudrait pour te répondre que je me replonge dans mes archives et mes vieux France Football ! Mais bon, je mettrais certainement Moravcik, Alex et Laurent Blanc. Peut-être Kastendeuch. Je mettrais également Pédron, j’aimais bien ce joueur. Un joueur comme Perez aurait sans doute sa place, il me semblait être complètement dans l’esprit stéphanois.
Le meilleur joueur de l’histoire de l’ASSE ?
Rocheteau.
Le pire joueur de l’histoire de l’ASSE ?
Je vais dire Castaneda mais c’est méchant ! Il a parfois fait du bon boulot mais il est ensuite parti à Marseille.
Que penses-tu du début de saison des Verts ?
Je le trouve satisfaisant et intéressant. Avec un peu de chance, les Verts peuvent tirer leur épingle du jeu.
Oui, tu verras, on va se qualifier en coupe UEFA !
Ah non, surtout pas, il ne faut pas la jouer si ça arrive. On risque d’avoir Saint-Etienne contre le FC Vilnius, ça n’a pas de gueule ! Vu la qualité de groupe stéphanois, vu qu’il n’y a pas la CAN, si l’équipe reste en place et Heinz confirme le talent qu’il a laissé entrevoir quand je l’ai vu jouer, je pense que les Verts ont un coup intéressant à jouer, ils peuvent faire mal. Hasek dirige bien son équipe tout en laissant une certaine fantaisie au jeu. Le jeu des Verts n’est pas extraordinaire mais vu le niveau du championnat, ce ne serait pas honteux qu’ils accèdent à une des trois premières places.
As-tu assisté à certains de leurs matches cette saison ?
J’ai assisté à Saint-Etienne/Le Mans. Je découvrais Geoffroy-Guichard, j’étais vraiment comme un gamin. J’ai vraiment apprécié l’ambiance bon enfant, l’enthousiasme juvénile même si l’équipe a parfois des absences. Elle a parfois du un peu de mal à concrétiser sa domination, ce qui est toujours un peu frustrant. Parfois les joueurs sont un peu fébriles alors qu’ils n’ont pas trop de raisons de l’être. Mais Saint-Etienne peut compter sur un gardien de classe internationale et sur de très bons soldats à l’image de Sablé. Des joueurs pas forcément géniaux mais qui remplissent ardemment leur rôle. J’ai vu également ce match un peu étrange contre l’OM. L’équipe marseillaise était un peu atone mais ça fait toujours du bien de les battre nettement ! Je ne sais pas trop quoi penser de Gomis. Il est un peu brouillon, je ne mesure pas trop son potentiel. J’ai peur que ce ne soit qu’un feu de paille. J’ai trouvé Heinz vraiment excellent contre Marseille. C’est le genre de joueur que j’aime, quel que soit le club dans lequel il évolue : un joueur élégant, précis dans les passes et intelligent dans le jeu. Maintenant, c’est à lui de s’épanouir complètement à Saint-Etienne, tout en sachant qu’il ne faut pas qu’il soit trop bon parce que sinon il partira, c’est évident. Je pense que si Saint-Etienne peut faire la différence cette année, c’est grâce à ce genre de joueur.
Quels sont les atouts et les faiblesses de ce groupe ?
Je trouve que le groupe est assez homogène, sans réelles lacunes mais sans véritable génie. A mon grand étonnement, je trouve que Landrin est à l’aise. Discret à Paris, il semble s’être épanoui à Saint-Etienne. Dernis est pas mal, je le trouve percutant. Derrière, c’est parfois un peu brouillon mais l’équipe s’en sort souvent, parfois grâce à Janot. On sent qu’il y a vraiment une équipe, un vrai groupe de qualité qui est en train de se former. Le seul bémol que je mettrais actuellement, c’est la performance d’Ilan. On attend beaucoup de ce joueur, et je pense qu’on a raison. C’est un joueur très fluide, technique et intelligent mais il semble manquer un peu de confiance pour l’instant. Mais globalement, le groupe est solide. S’il ne se désunit pas, il peut faire quelque chose de grand. J’aimerais bien qu’il décroche une coupe, pas la coupe de la Ligue que je n’apprécie pas mais une coupe de France. Ce serait chouette de voir les Verts gagner au Stade de France.
Que penses-tu de l’hégémonie de l’OL sur le championnat de France ?
Mais quelle hégémonie ? Oui, bon, d’accord, les vainqueurs ont toujours tort, oups, les vainqueurs ont toujours raison. Mais je n’ai pas une grande sympathie pour l’équipe lyonnaise. Pas en raison de sa rivalité avec Saint-Etienne. J’ai à peu près les mêmes sentiments pour Lyon que ceux que j’avais pour l’OM par rapport à Milan AC. Moi j’étais à fond pour Milan, parce que ce club représentait le football. Van Basten et Rijkaard, c’était pas Papin et Di Méco, quoi ! Paolo Maldini, c’est quand même autre chose que Carlos Mozer, etc. Certes, Lyon est une machine très belle, très efficace, très industrielle avec un banc de qualité. L’OL survole le championnat de France, mais bon ma foi ce n’est pas tellement compliqué quand on un a peu d’argent et un peu d’audace. Mais j’attends avec délectation de les voir se prendre une raclée contre n’importe laquelle des équipes qualifiées pour les quarts de finale de la Ligue des champions. Si Lyon remportait la coupe des champions – c’est déjà arrivé qu’un club un peu faible gagne cette compétition – ça deviendrait insupportable. Aulas se déclarerait candidat à l’élection présidentielle et tout ça.
Ce club sera-t-il un jour capable de rentrer dans le cœur des Français et devenir aussi populaire que Sainté ?
Non jamais, mais ce n’est pas de sa faute. Lyon joue à Lyon. Et quand on pense à Lyon, désolé mais ça ne fait pas rêver. Avec ma copine, ça ne nous viendrait pas à l’idée de faire un week-end à Lyon. On va aller à Toulouse, à Nice ou à Montpellier, mais Lyon… Lyon, c’est un peu comme Bordeaux : deux villes bourgeoises, bien assises sur leurs richesses, qui ne dégagent aucun charme. Et là je parle comme ça, d’images mentales qu’on a de Lyon. A part la bonne bouffe, Lyon n’évoque pas grand-chose pour moi. Ce n’est pas une ville « bandante », excitante.
Et tu trouves que Sainté est une ville « bandante » ?
C’est précisément le charme de Saint-Etienne : dans la difficulté et dans l’adversité, avec un climat et un environnement pas évidents, Saint-Etienne parvient à produire du spectacle et à bénéficier du meilleur public de France. Je considère que Lyon est un phénomène de mode qu’on essaye d’incruster comme ça à travers TF1 dans la conscience française. Mais je pense que les vrais amateurs de football ne s’y trompent pas. Pour l’instant, les Lyonnais n'ont pas de match référence. Si cette année, ils perdent 2-0 contre Chelsea à Stamford Bridge et qu’au retour ils claquent 4-1 à Gerland, il y aura peut-être un déclic qui sera enclenché. Mais je n’y crois pas trop…
Interview de Laurent Sagalovitsch (1/2)
Ancien critique littéraire àLibération et aux Inrockuptibles, Laurent Sagalovitsch a publié l'an dernier son troisième roman : Loin de Quoi ? (Ed. Actes Sud). Saint-Etienne occupe une bonne place dans ce livre car son auteur est un inconditionnel des Verts. Entretien.
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