Ancien milieu de terrain des vilains, des Verts et des Phocéens, Laurent Fournier nous a livré ses impressions avant les jeux olympiques d'hiver qui se dérouleront cette semaine dans le Chaudron.


Que deviens-tu Laurent ?
J'ai monté des stages de foot sur la région parisienne. De 1991 à 1998 j'ai joué ici. Mes enfants ont grandi ici, ils ont des copains et des copines. Tu ne peux bouger comme ci comme ça quand t'es très famille. Après, j'ai toujours envie d'entraîner mais le milieu est compliqué. De temps en temps je fais consultant sur les chaînes de télé. J'ai ouvert un restaurant à Feucherolles, dans les Yvelines.

Ton resto, l'Entrepotes, est basé à Feucherolles, rue du chemin vert. Tu pourrais ouvrir un autre resto à Sainté, L'Entrepotes au carré !
Pourquoi pas ! (rires) J'ai vécu de bons moments à Sainté. J'en discutais récemment avec des potes. Je me suis éclaté partout où je suis passé : à Lyon, à Sainté, à Marseille, à Paris. J'ai beaucoup aimé joué là-bas, notamment à Geoffroy. Quand t'as les supporters derrière toi, putain, c'est génial ! Je suis revenu à Sainté voir des matches, les gens ne m'en veulent pas d'avoir joué à l'OL, à l'OM et au PSG.

T'avais à peine 16 ans quand t'as fait tes débuts en pro chez les vilains, dont tu as défendu les couleurs pendant huit ans. Avais-tu été approché par les Verts avant de signer chez les banlieusards ?
Oui, j'ai eu des contacts avec Pierre Garonnaire. Mais à l'époque les milieux de terrain n'étaient pas trop convoités. L'ASSE cherchait plutôt des attaquants et a donc recruté Laurent Roussey et Laurent Paganelli. Mes parents étaient à Lyon, en signant à l'OL je restais dans le cocon familial, c'était beaucoup plus simple.

Quels souvenirs gardes-tu de ton expérience en banlieue ?
L'OL, c'était le club de mon enfance. Je suis né à Lyon, mon père était fan des Di Nallo, Chiesa... Mais il appréciait aussi les Verts. A l'époque, on a tendance à l'oublier maintenant mais il faut le dire, les Lyonnais étaient fans de Saint-Etienne. En ce moment on parle beaucoup de la rivalité débordante et parfois malsaine entre les supporters des deux camps, mais à l'époque les Lyonnais regardaient les Larqué et Rocheteau jouer contre le Bayern de Franz Beckenbauer et Gerd Müller. A l'époque toute la France soutenait les Verts en Coupe d'Europe des clubs champions. Aujourd'hui il n'y a plus de club qui fédère tout un pays derrière lui.

Quel est ton souvenir de derby le plus marquant de derby ?
Peut-être celui du 9 septembre 1980, à Gerland, quelques jours avant mon 16e anniversaire. J'étais remplaçant, il n'y en avait que deux à l'époque. T'arrives dans le tunnel, tu vois Platini, Rep, Lopez, Janvion, Santini... A 15 ans, quand tu vois que des grands joueurs comme ça, tu te dis "oh, putain, c'est chaud !". Je me souviens qu'on avait fait match nul 1-1 : Zimako avait ouvert le score mais Xuereb avait égalisé. Au match retour, j'ai joué dans le Chaudron. C'était très compliqué car j'étais au marquage de Platini, le meilleur joueur contre lequel j'ai joué dans ma carrière. Quand t'as joué contre Platini, t'as déjà réussi ta vie ! (rires) Ensuite dans ta carrière tu affrontes plein d'autres joueurs, mais ils ne te font pas rêver. Il avait d'ailleurs marqué l'un des buts des Verts, qui s'étaient imposés 3-2. Jouer dans le Chaudron contre une équipe mythique, surtout à 16 ans, c'est énormissime, fabuleux ! Les Verts me faisaient rêver, j'avais l'impression de m'identifier à eux.

En D2, t'as pris une sacrée rouste à Gerland en 1985 !
Effectivement, les Verts avaient gagné 5-1. On avait été catastrophique. T'auras quand même noté que j'ai sauvé l'honneur en toute fin de match. Enfin "sauvé l'honneur" façon de parler. Quand tu prends une telle gifle dans un derby, à la maison en plus, ça fait très mal. Je crois que les Verts ont connu ça à leur tour la saison dernière... Je me souviens qu'on n'était pas au niveau du Saint-Etienne de l'époque. En face il y avait de bons joueurs, Ribar et Daniel nous avaient fait très mal. Ferri avait marqué lui-aussi, j'avais joué auparavant avec lui à l'OL. Il y avait beaucoup de joueurs formés au club dans chaque camp, à l'époque la formation stéphanoise était en avance. Après Lyon est devenu beaucoup plus fort dans la formation.

La saison suivante, tu t'es vengé en inscrivant l'un des deux buts victorieux des vilains à Gerland.
Oui, Jean Casteneda s'en rappelle encore. J'aimais bien lui en reparler quand j'étais à Marseille. Je revois encore l'action : j'étais à la limite de la surface côté gauche, je mets l'intérieur du pied et le ballon a fini dans le petit filet. Il a eu du mal à se baisser, c'est normal, il était grand ! (rires)

Tu n'as jamais perdu un derby sous le maillot vert !
Effectivement. En championnat, j'ai gagné le premier 1-0, je m'en souviens bien, c'est Thierry Gros qui avait marqué. Il avait trompé Lemasson. D'ailleurs, lui aussi a joué à l'ASSE et à l'OM. On est finalement très peu dans ce cas, plus récemment il y a eu Bafé Gomis mais je ne sais pas s'il y en a eu d'autres ! Au retour on avait fait 0-0 à Gerland, je m'étais fait insulter, c'était sympa ! (rires). Je me souviens aussi d'un match de préparation qu'on avait joué à Feurs. C'est Raymond Domenech qui prenait l'équipe de Lyon. Avec Sainté, c'était Robert Herbin qui venait. Je crois qu'on avait gagné 9-0, on leur avait explosé la gueule aux Lyonnais ! Voilà, c'est des souvenirs qui sont sympas.

T'as vécu aussi intensément le derby des deux côtés ?
Oui. Le derby tu donnes vraiment le maximum, t'es à fond dans ton équipe. Je l'ai vécu aussi intensément des deux côtés. T'es obligé de donner le maximum par rapport aux supporters, notamment les mecs qui viennent tous les matins à l'entraînement. J'ai joué les PSG-OM et machin mais pour moi le seul derby, c'est Sainté-Lyon. Le clasico PSG-OM, c'est un truc qui a été monté de toutes pièces pour valoriser Canal Plus et mettre du monde devant la télé à 20h30 le dimanche avec des mecs qui se mettent des coups ! (rires) Pour moi le seul engouement, même si je suis déçu par rapport à ce qui se passe en ce moment, toute cette méchanceté, c'est le derby. Pour moi le foot, c'est du plaisir, c'est s'éclater. Saint-Etienne - Lyon, c'est le top des tops. Sainté-Marseille, c'est pas mal non plus comme affiche. On en fait des tonnes avec les PSG-OM mais ça n'a pas la même authenticité.

Chez les vilains, tu as joué sous la houlette de deux Robert qui nous sont chers : Herbin et Nouzaret. Quels souvenirs gardes-tu de ces deux entraîneurs ?
Robert Herbin a énormément compté dans ma carrière. Je l'ai eu à Lyon et il m'a fait venir à Sainté. C'est lui qui m'a permis de revenir en première division chez les Verts alors que l'OL était en D2. J'ai beaucoup appris de lui, notamment dans sa responsabilisation des joueurs. Il savait faire confiance aux joueurs. Dans toutes les grandes équipes où j'ai joué, à Marseille et à Paris, j'ai eu la chance de retrouver des entraîneurs qui fonctionnaient comme ça. Je comprends pourquoi il a eu les résultats qu'il a eus. Quand tu as des joueurs intelligents, et je me mets dedans (rires), tu peux tout leur demander et leur faire confiance. En ce qui concerne Robert Nouzaret, je profite de cet entretien pour lui présenter mes excuses. Quand je l'ai eu, j'étais jeune et la jeunesse ne fait pas toujours faire les bons choix par rapport aux gens qui t'encadrent. Je pense que c'était un mec bien mais je pense n'avoir pas tout donné. Mais depuis j'ai compris ce que c'est qu'être un joueur professionnel.

Peux-tu nous rappeler le contexte de ton départ de Lyon pour Sainté ?
J'étais en fin de contrat à l'OL et avec ma famille on avait décidé de s'en aller. On en avait marre de rester en Ligue 2. Nantes, Monaco et Montpellier m'ont sollicité mais Robert Herbin m'a convaincu de venir le retrouver. Il me faisait confiance et il l'a démontré : lors de mes deux saisons à l'ASSE, je crois que j'ai joué 76 matches, tous en tant que titulaire. Même si je venais de Lyon, j'ai le souvenir d'avoir été bien accueilli à Sainté. Je me souviens qu'à l'époque ma femme m'a dit : "putain, c'est extraordinaire, les gens sont gentils ici." Ce qui me déçoit en ce moment, c'est qu'on ne retrouve plus ça. La rivalité entre les Lyonnais et les Stéphanois, c'est bien, mais quand l'ambiance devient haineuse et délétère, je ne cautionne pas.

Tu as beaucoup joué mais l'équipe n'a pas brillé. Tu as fini à la 14e place ta première saison verte et à la 15e ta seconde ? Comment tu l'expliques ?
C'est vrai que je ne m'attendais pas à ce que l'équipe ait autant de difficultés. La saison d'avant, l'équipe avait fini à la quatrième place. Je pense d'ailleurs que ça reste la dernière fois que cette place n'a pas été qualificative pour la Coupe d'Europe. Quoi qu'il en soit, le groupe n'avait pas trop changé à l'intersaison, il y avait encore le duo d'attaque Tibeuf-Garande. Il y avait de jeunes joueurs, Robert Herbin était toujours-là, il voulait mettre en place une ossature collective assez impressionnante. On a fait une première partie de saison très difficile mais L'Equipe a rappelé récemment qu'on est la seule équipe à s'être maintenue en ne comptant que 11 points après 18 journées. Il fait dire qu'on a fait une super deuxième partie de saison. Notre victoire 4-3 contre le Racing d'Enzo Francescoli a été un déclic. On a enchaîné en gagnant à Lens et en battant Laval. On n'a perdu que deux matches, à Marseille et à Sochaux.

Tu te sentais bien dans cette équipe stéphanoise ?
Franchement oui, il y avait une bonne ambiance entre les jeunes et les anciens. C'était l'époque des Clavelloux, Beaufreton, Castaneda, Garande. Il y avait aussi des joueurs comme Recordier. Et bien sûr je n'oublie pas Tibeuf, qui s'est hélas blessé gravement la saison après mon départ de Saint-Etienne. Si on avait commencé la saison comme on l'a fini, on aurait pu être pas mal ! J'ai aimé cette expérience stéphanoise car j'avais des affinités avec quasiment tous les joueurs, je faisais un peu la jonction entre les jeunes et les anciens. Je me souviens de soirées avec Haon et Clavelloux et je m'entendais bien avec Castaneda, Garande, Sivebaek, Ceccarelli. Moi j'ai adoré les gens là-bas. Respect les Stéphanois !

Te souviens-tu des huit buts que tu as marqué sous le maillot vert ?
Non. Le but que je retiens, c'est celui que j'ai mis contre Nantes : une tête au second poteau sur un centre de Pierre Morice. je me souviens de la passe décisive que j'ai fait à Patrice Garande contre Laval, on avait gagné 1-0. Mais je me souviens surtout des saucisses à Geoffroy-Guichard. Mes parents étaient comme des fous ! A chaque fois qu'ils venaient me voir dans le Chaudron, ils mangeaient des saucisses. Ils me disaient qu'elles étaient exceptionnelles ! (rires) Je me rappelle aussi le but victorieux que j'avais mis à Valenciennes en huitième de finale de Coupe de France sur un coup franc de Pierre Haon, on avait gagné 4-3 après prolongation...

C'était lors de ta seconde saison. Cette année-là, le parcours des Verts s'est hélas arrêté en demi-finale dans le Chaudron.
Je m'en souviens bien, ça a d'ailleurs été mon dernier match sous le maillot vert. Montpellier avait gagné sous la pluie grâce à un but de Canto. Notre parcours en Coupe avait été sympa mais on avait vécu une saison compliquée en championnat. Jean Castaneda et Patrice Garande sont partis à l'intersaison, c'est difficile quand les cadres ne sont plus là. Le club était en pleine restructuration mais pour moi, Sainté, c'est une étape. Une belle étape. Si je n'avais pas joué à Sainté, je pense que je ne serais jamais allé à Marseille, je ne serais jamais allé à Paris et je n'aurais jamais gagné la Coupe d'Europe. A l'ASSE, j'ai découvert l'engouement, la pression, des gens sympas. Cette expérience stéphanoise m'a marqué. Les longueurs avec Herbin, les sauts à la corde (rires).

Ton départ de Sainté pour Marseille a fait jaser à l'époque. T'avais signé à l'OM juste avant d'affronter les Phocéens à GG en avril 1990 ? As-tu levé le pied face à ton futur club ?
Non, je n'ai pas signé à Marseille avant ce match. Je ne me serais pas permis de faire ça par rapport à mes coéquipiers et à Robert Herbin. Je n'ai rien d'autre à dire là-dessus, ce match s'est déroulé normalement. On n'a pas perdu, on a fait 0-0. Sincèrement, je ne vais pas m'expliquer sur un truc qui n'a pas eu lieu, OK ? J'ai été interrogé par la police. Quand un mec vous dit dans le vestiaire "allez, va doucement aujourd'hui, tu vas être avec moi l'année prochaine", c'est bon, ça va ! Moi j'en fait plein des trucs comme ça mais il faut arrêter. On aurait perdu 12-0 ou 13-0, je veux bien mais on n'a pas perdu.

C'est d'autant plus méritoire qu'on a joué à 10 contre 12, nan ? Allez, j'arrête de te taquiner.
Crois-moi, j'ai annoncé à Robert Herbin le 30 mai que je signais à Marseille. 15 jours après je crois qu'il a été viré de Saint-Etienne et remplacé par Christian Sarramagna. Contrairement à ce qui a été dit dans les médias, je n'ai pas touché de chèque de l'OM le jour de Saint-Etienne - Marseille. J'avais une clause libératoire dans mon contrat avec l'ASSE, Arsène Wenger m'avait contacté en décembre pour que je vienne à Monaco. Monsieur Bez et Monsieur Couécou sont quant à eux venu me voir chez moi à Saint-Chamond pour me dire de signer à Bordeaux. En fin de saison j'ai fait le choix de signer à Marseille parce que l'OM jouait la Ligue des Champions.

Tu as d'ailleurs été jusqu'en finale de cette compétition, remportée par l'Etoile Rouge aux tirs au but à Bari. Quels souvenirs gardes-tu de ton expérience européenne ?
J'ai eu la chance d'évoluer là-bas avec des joueurs exceptionnels, des cadors. J'ai appris énormément à leur contact. J'ai joué avec des mecs rigoureux, qui t'apprennent le football. Côtoyer Franz Beckenbauer, pour moi, c'est énorme ! Même si tu n'es pas titulaire, tu t'accroches et t'arrives à faire des trucs, à progresser. J'ai gagné mon premier titre de champion avec l'OM, j'y ai joué une finale de C1 et une finale de Coupe de France. Mais je ne suis resté qu'un an là-bas car Tapie m'a viré. Il m'a échangé avec Angloma. OK, d'accord. Au début je n'étais pas trop d'accord mais quand tu signes deux ans à Marseille et qu'on t'en propose trois... Je n'ai pas à me plaindre de ce transfert car il m'a permis de vivre des moments exceptionnels au PSG, avec pas mal de trophées à la clé, dont une Coupe d'Europe !

Comment qualifierais-tu les publics de Lyon, Sainté et Marseille ?
D'une certaine façon, ils se ressemblent, ils sont fans de leur club, ils ont envie que leur équipe gagne. Après, il faut être conciliant parfois. J'ai bien aimé les propos de Mandanda après le match nul de l'OM contre Monaco. Il a dit aux supporters : "ce n'est pas comme ça que vous allez nous aider." Les joueurs ont des faiblesses, pour qu'ils réussissent, il faut les mettre en confiance. Ils ont besoin de soutien, pour moi c'est important. Il s'est passé pas mal de trucs à Sainté la saison passée, notamment après les déroutes à domicile contre Lyon et Monaco mais ça va nettement mieux, le plus est à fond derrière l'équipe et Sainté n'a pas perdu un match à la maison cette saison. Il s'est passé pas mal de trucs à Lyon, le public n'est pas toujours derrière son équipe. Or un joueur a besoin de sentir du soutien voire de l'amour. C'est important. Un joueur ne fait jamais exprès de perdre.

Comment sens-tu les jeux olympiques d'hiver qui vont se dérouler cette semaine dans le Chaudron ?
Plutôt bien. En tout cas l'ASSE aborde ces deux chocs avec confiance. Le Chaudron va bouillir contre les Olympiques ! La grande force de cette équipe, c'est l'entraîneur. Je suis fan. Jean-Louis Gasset a été longtemps numéro 2 de Laurent Blanc, je l'ai vu évoluer à Paris. Son binôme avec Ghislain Printant fait la différence. Je trouve qu'il est assez proche des joueurs tout en étant exigeant. Son management me plaît. Son équipe est très cohérente. Sainté a un autre atout : Wahbi Khazri. C'est un joueur capable de faire la différence à tout moment. Il a une forte personnalité. Il en faut des joueurs de son talent et de son tempérament, ça permet à une équipe de se surpasser. Quand t'as une star - je pense que c'est une star - ça tire toute l'équipe vers le haut si elle joue le jeu. Si les mecs ont envie de bosser pour lui comme nous on bossait pour Ginola ou Weah, ils ont tout à gagner. L'ASSE peut aussi s'appuyer sur un gardien excellent, imposant.

Tes pronos pour les JO et pour le podium ?
Je vois une victoire de Sainté contre Marseille et un nul contre Lyon. Si je donne un autre prono sur le derby, je vais me faire défoncer ! (rires) En ce qui concerne le podium, je vois évidemment Paris champion. Derrière, ce sera serré mais je vois Lyon deuxième et Sainté troisième. Je vois l'OM quatrième car je ne pense pas que Lille va poursuivre sur sa lancée.

 

Merci à Laurent pour sa disponibilité