On n’a pas que d’l’amour, ça non.
La haine aussi faut qu’elle se répande, sans que ça freine.
Ca tombe bien, le derby arrive !
Bon ok, on n’en est pas forcément fiers. Comment expliquer à ce voisin qui ne me connaît qu’à travers de plates formules de politesse pincée (« quel étage ? , vos enfants vont bien ? bonne soirée … ») ce tonitruant « yessss » ayant réveillé l’immeuble mercredi dernier au moment où Lyon se retrouvait Apoel ? Comment assumer que le résultat de l’ennemi juré produise sur mon humeur les mêmes effets que les résultats de mon club chéri ? Par quelle alchimie, ce simple MF 91 graffité sur un platane de la place où j’habite, en plein cœur de Lyon, et devant lequel je passe tous les jours, m’apporte au quotidien une (certes éphémère, je vous rassure) profonde joie, moi qui, à la manière d’un Idéfix fait homme ne tolère pourtant pas qu’on touche à un arbre ? Qui peut m’aider à expliquer à ma fille que j’abhorre plus que tout le club de cette ville où je crèche aujourd’hui, cette ville où je suis venu de mon plein gré pour accomplir un destin professionnel que d’aucuns, certes peu nombreux, m’envient, cette ville, qui football mis à part m’est finalement plutôt sympathique ? Comment sans dévoiler mes penchants les plus bas, avouer à ce Directeur de la Com qui connaît mon goût pour le foot, pour quelle raison je refuse avec une régularité sans faille les invitations qu’il s’acharne avec un zèle idiot à me proposer pour les matchs à Gerland ?
On ne sait comment se faire pardonner
Même si on a droit quelques excuses
Déjà effrayé par ma passion sans limite pour les Verts, mon entourage a-t-il l’esprit si grand ouvert qu’il saurait admettre que, au même rythme et dans les mêmes proportions, mon humeur balance au gré des résultats des Vilains ?
Qui peut comprendre que, habituellement si prompt à sortir la christophe cocarde pour fêter le résultat de tel ou tel sportif français, je célèbre avec tant de ferveur les malheurs de mon voisin, et néanmoins … voisin, sur la scène européenne ? Pas grand monde apparemment. Notre haine est sans nuance et si certains se bornent à ne pas la comprendre, la majorité la réprouve. Et nous-mêmes la maudissons, cette haine qui assombrit notre humeur les soirs de victoire ennemie, lestant notre passion verte d’un bien lourd boulet.
Est-ce que nos coeurs ont rétréci ?
Est-ce qu'on en sortira grandis?
Difficile d’être affirmatif sur ce point. L’homo supporteris acharnus est aussi un être doué (oh l’autre comme il se la pète) de raison. Et à nos instants de faiblesse, notre raison, et notre éducation nous conduisent vroum vroum à conclure qu’il serait peut-être plus digne ne pas souhaiter si ardemment le malheur de notre prochain, fut-il vilain. Et, qui sait, ce petit jésus qui nous punit, il est peut-être moustachu et porte un sigle PLM sur sa sainte tunique, ce qui expliquerait l’éternité de notre calvaire sans titre. Par crainte donc de représailles, ou par calcul cynique (Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, ça les fait vivre plus longtemps), on en viendrait presque à se dire, qu’il faut délaisser le mépris pour l’indifférence, abandonner la haine pour une tranquille neutralité.
Une fois de plus on fait ce qui nous arrange
Il fallait qu'on vous le dise
C'est dit, c'est fait
Une tranquille neutralité. Certes…. Et puis les images refont surface, et la nausée abonde : ce pénal inexplicablement oublié sur Ilan, cette expulsion scandaleuse de Diatta, la jambe de Compan en miettes à Gerbeland, les cotillons et les scalps peints, l’attentat de Pjanic sur Matuidi, la joie déplacée de Gomis, le mur à 11 mètres face à Benzema, les doigts d’Aulas pour rappeler le score, l’allusion à la play station, Bastos qui chambre le kop sud…. Une tranquille neutralité ? Simplement, humainement et définitivement impossible.
Faut bien qu'on la mette quelque part
Qu'on la mette quelque part
Qu'on la mette quelque part...
Car enfin, tout est là : nous viendrait-il à l’idée de juger l’opprimé qui hait son oppresseur ? de blâmer la victime qui déteste son bourreau ? Opprimé, Oppresseur, les mots sont trop forts ? Forts comme l’attente de voir enfin un arbitre, au 21ème siècle, oser siffler un pénal en notre faveur dans un derby. Forts comme le poids d’Aulas dans les instances pour réduire la glorieuse incertitude du sport à son profit, en mettant une pression perpétuelle sur les arbitres (efficace si on en juge le match contre Lille de samedi, quinze jours après les jérémiades face au PSG), en obtenant une répartition des droits TV ultra élitiste, en s’exemptant du premier tour de la Coupe de la Ligue ou en modifiant les règles sur les joueurs extra communautaires quelques semaines après avoir contribué, en la rendant l’affaire publique, à faire sanctionner l’ASSE pour ses faux-passeports.
Alors dans ce football moderne qui à tous les étages n’autorise guère le rêve pour les moins fortunés dont nous sommes, fatalement la frustration cherche une cible et se mue en haine. Et la cible est là , outre A47, tellement bien incarnée par son antipathique (trop doux euphémisme) président qu’il en devient naturel et donc excusable, voire hygiénique, de lui souhaiter le pire, à lui et à son club.
Vous avez encore des scrupules ? Dites vous qu’en football on a rarement démontré que les bons sentiments faisaient les belles victoires…
Encore un zeste de culpabilité au fond de l’âme, balayez le en méditant cette citation d’Albert Camus (qui s’y connaissait en football) dans Caligula : « Il n'y a que la haine pour rendre les gens intelligents. »
Allez les Verts !