Deuxième épisode des confessions de Bilos à Diego. Merci à Rising42 !


Señor Diego Armando MARADONA
Hospital Neuro Psiquiátrico Jose T. Borda
Servicio Cura de Agua Mineral y a los Legumes Verdes al Vapor
1.602 Buenos Aires
Argentina

San Esteban, le 26 août 2006

Mon Cher Diego,
Mon Cher Maître,

Quelle immense joie fut la mienne lorsque je vis arriver sur mon balcon Ignatio Ramirez Gomez, votre pigeon voyageur, exténué, mais sain et sauf après cette traversée de l’Océan Atlantique qui nous sépare, et porteur de votre précieux message et du petit sachet de poudre blanche, que vous me dites avoir fait venir spécialement pour moi de votre fournisseur colombien attitré et estampillé. Je vous remercie infiniment de ce geste, mais je dois vous informer de l’arrivée dans le club vert d’un jeune Colombien qui vient tout juste d’être transféré de Boca Juniors où il était prêté, et qui a été envoyé ici pour me tenir compagnie, et le cas échéant pour me fournir en substance illicite mais ô combien agréable quand on a le moral à Ushuaïa. Mais, mon Cher Maître, je dois vous avouer qu’à présent je suis très heureux, même d’un optimisme cubain, et que je n’ai plus vraiment besoin de la poudre, car elle me met dans un état de somnolence aggravée, ce qui n’est vraiment pas indiqué pour jouer dans ce style de tornade subtropicale que vous me connaissez . J’ai donc décidé de garder cette poudre miraculeuse pour en mettre dans les conduits d’air qui ventilent les vestiaires de nos visiteurs et tout spécialement pour la venue des voisins Lyonnais, car je viens tout juste d’un stage d’isolement, durant lequel on m’a bien bourré le crâne en me faisant ingurgiter par les deux oreilles des consignes anti-lyonnaises diffusées dans ma cellule par des haut-parleurs, ceci sans interruption durant trois jours et trois nuits.

Madre de Dios ! Suis-je bête ! Vous ne savez pas ce que c’est que Lyon. Je vous explique brièvement. Vous allez voir le tableau… Edifiant… Lyon, dont il est interdit de prononcer le nom ici sous peine d’amendes élevées ou de punitions corporelles, est une bourgade malheureusement voisine de San Esteban possédant un club de football qui essaie de se forger un palmarès. Lyon joue en rouge et bleu ou en bleu et rouge, ou en blanc, rouge et bleu, ou en noir, rouge et bleu, ou bien encore en caca d’oie, mais comme ils n’ont pas une bonne lessive, leur blanc est un blanc assez dégueulasse. En tout cas, ils font des essais de couleurs pour essayer d’en trouver une à laquelle s’identifier. Les Lyonnais mangent gras et boivent un breuvage qu’ils doivent mâcher avant de l’avaler, et dont ils se servent pour décaper les fourneaux. Quand ils éructent les mouches succombent dans un rayon de deux cent mètres. Leur nourriture leur procure une flatulence chronique, ce qui fait que lorsque vous êtes à 10 kilomètres de Lyon, vous n’êtes pas informé par des panneaux, mais par une odeur de gaz, mélange de porc en putréfaction et de pétrole. Vous voyez, cher Maître, que j’ai bien appris ma leçon. De toute manière, je n’ai pas de mal à haïr Lyon, puisque trois Brésiliens y jouent... En strings fabriqués par les remplaçants dans des ateliers clandestins.

Tenez, en parlant de Brésiliens, il y en a un ici aussi. Remettez-vous, Maître, je vous imagine dans votre lit à battre des bras et à arracher toutes vos perfusions. Ce Brésilien-là, je l’ai testé... L’air de rien… J’ai commencé à me mouvoir tout autour de lui en un mouvement concentrique, me rapprochant d‘un air innocent… Je l’ai bien examiné sous toutes les coutures… C’est bien un Brésilien. Quand il s’échauffe, il danse en faisant tourner son bassin dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, en remuant les jambes et le derrière tout en poussant des petits cris stridents suivis de bruits d’évier qui se vide. C’est indiscutable, n’est-ce pas ? Mais notre Brésilien est un Brésilien rare… Souriant… Pas bavard… Réservé… Et en plus il marque des buts. D’ailleurs, on a très vite sympathisé. Et maintenant, je veille sur lui. Car vous comprenez, Cher Diego, il est tout maigre, il claque des dents, et avant que j’aie terminé de le retaper en le gavant de bonne viande de la pampa que je fais venir par mail, je ne voudrais pas qu’il fasse une mauvaise rencontre dans les bars la nuit, ou dans les bois et les parcs lors des promenades d’avant match. Il y a déjà des camarades dans l’équipe qui l’ont remarqué et ont été attiré… Deux d’entre eux surtout…

Le premier, un grand maigre avec des balles de ping-pong dans les cheveux, qui s’évertue à se prendre pour Thierry Henry, à sauter en l’air en vrille pour dévier le ballon dans les mains du gardien adverse, ou encore à faire des centres en retrait à l’arbitre. Bizarre ce style de jeu. J’ai vu le même dans un documentaire sur les sauterelles amoureuses en Amazonie. Et depuis un certain temps, il échange même des passes décisives en cours de match avec le Brésilien. Un coup à toi… Un coup à moi… Si ça c’est pas bizarre !...

Le second, un petit gringalet, la définition de la décontraction, une dégaine de chewing-gum, les cheveux dressés droits sur la tête, comme s’il avait croisé Ribéry, une nuit, au détour d’un vestiaire mal éclairé, et que l’expression de sa peur ait été figée sur sa coiffure. Oui, Maître, c’est bien celui auquel vous pensez… Je vous entends d’ici… C’est bien celui qui joue à Marseille comme une vache folle, et qui parle tout pareil, avec les mots dans le désordre. Il s’exprime comme un scrabble. Le même qui ne sait jamais, le matin quand il se réveille, dans quel club il se trouve, et qui est obligé de téléphoner à son agent pour être informé. Enfin, c’est surtout sa femme qui téléphone à son agent, car il est incapable de se servir de son téléphone, à cause des touches qu’il mélange. Il paraît même que quelqu’un l’a vu à Marseille en train de faire un numéro de téléphone sur le clavier d’un distributeur bancaire et qu’ensuite il criait comme un fou échappé de l‘asile: Allo ! Allo ! Allo ! dans la fente par où sortaient les billets. Mais Cher Diego, je m’égare… Donc ce camarade aux cheveux tout debout n’arrête pas de rigoler en roulant les yeux et en lançant des regards langoureux au Brésilien. Même que depuis peu, il gravite autour de lui en exécutant une danse charmeuse et envoûtante… On dirait même qu’il lui jette des sorts. Vous comprenez donc, Maître, que je ne vais pas laisser ces deux lascars dépraver mon Brésilien. Mais, ne vous inquiétez pas, je veille, je les ai à l’œil…

À part ça, tout le monde est bien sympathique dans le club Vert. J’ai été très bien accueilli. On m’a même attribué un traducteur interprète à mi-temps. Un Argentin, comme nous. Ignatio Piatti… On l’appelle Nacho… C’est un tout petit nom charmant, qui lui vient tout droit de ses parents… Il est bien gentil et très pratique… Quand il est à mon service, il ne me lâche pas d’une semelle. Ce qui est dangereux pour lui, car, vous connaissez, Cher Maître, mon goût pour les talonnades. Vous savez que je m’entraîne à les réaliser même en marchant. Et il arrive souvent que Nacho, qui supplée mon ombre, prenne mon 48 fillette dans le genou ou dans une cuisse, voire même ailleurs, ce qui fait qu’il est souvent indisponible pour jouer avec l‘équipe première. Alors le reste de son temps, il joue avec le Colombien en CFA, le Championnat de France des Aborigènes, ou quelque chose dans ce style, et il ne progresse pas. Pourtant il a du talent, c’est sûr… Je l’ai bien remarqué… Mais on lui préfère d’autres joueurs, car la concurrence est très vive, les Verts ayant une douzaine de milieux de terrain, un vrai chapelet qu’il faut débiter à longueur de matches, pour en choisir un qui soit en odeur de sainteté auprès du coachtchèque.

Mon Cher Diego, vous n’allez pas me croire, mais chez les Verts il y a une direction bicéphale. Vous avez bien connu cela à Naples avec le Président officiel et l’autre Président dans l’ombre qui officiait aussi aux destinées de la Maffia. Ici, c’est pareil, sauf que les deux Présidents sont tous les deux sous les projecteurs. La Maffia, elle, est à Paris… Ici on l’appelle LNF… Ce n’est pas très esthétique comme mot, mais les Français aiment bien les sigles. Donc, nos deux Présidents président et s’aiment pour la façade. Vous rappelez-vous, Cher Diego, nos lectures de jeunesse ? Tous les volumes de Tintin que nous avons dévorés, vous et moi comme tous les jeunes Argentins. Eh bien, ici j’ai l’impression de lire un numéro inédit qui pourrait s’intituler, Tintin chez les Verts. Vous souvenez-vous des deux jumeaux ? Les Belges ! Les Dupont ou les Ducon, si je me souviens bien. Eh bien, Maître, nos deux Présidents sont les deux Ducon d’ici, mais à la différence des deux sur le papier, les nôtres se repoussent, comme des aimants inversés, ou des amants opposés. Par exemple, lorsque l’un dit :  Le recrutement est terminé ! , l’autre rajoute : Je dirais même plus, il ne fait que commencer ! Ou bien encore, si le premier dit : Il nous faut un attaquant et un milieu de terrain offensif, le second s’empresse de déclarer : Je dirais même plus, nous avons besoin d’un Chilien pour tracer la pelouse, – je ne peux m’empêcher de dire ici qu’ils ne sont bons qu’à ça – d’un Bolivien pour faire le plein de l’avion, d’un Péruvien pour jouer de la flûte des Andes entre les publicités d’avant match et de la mi-temps, et s’il reste encore quelques sous, d’un Paraguayen pour cultiver les patates et remplir les sacs du coatchtchèque.
C’est à n’y plus rien comprendre… D’autant qu’on ne sait toujours pas qui est le premier des deux et vice-versa recto verso. Ainsi tout a était modifié au stade. La porte d’accès à la tribune a été élargie pour les deux Ducon, de façon à ce qu’ils passent en même temps sans rester coincés. Leur siège unique a été changé pour un sofa, car l’un était obligé de supporter l’autre sur ses genoux, et ils changeait de rôle à chaque match, ce qui n’était pas pratique et laissait supposer, vous vous en doutez bien Cher Diego, des mœurs incertaines incompatibles avec notre sport, viril, et tout, et tout… Il paraît même que les lieux d’aisance ont été revus en largeur, mais je n’ai pas encore pu vérifier. Moi je dirais que le premier est celui qui porte toujours une écharpe verte et qui parle sans arrêt, à se demander s’il comprend toujours ce qu’il raconte et si sa langue est bien connectée au cerveau. Quant au second, il me semble que c’est celui qui roule en véhicule blindé qui, si vous le voyiez, pourrait vous rappeler vos jeunes années et les grandes artères de Buenos Aires aux heures de pointe sous le règne de la junte militaire ; ce même second est aussi secoué que le premier , mais en plus, il sonne creux et résonne comme le coucou suisse que mon arrière-grand-père avait emmené en Argentine lorsqu’il a quitté la Croatie,

Voilà mon Cher Maître un tableau brièvement brossé de mon nouveau cadre de vie.

Sur le plan purement sportif, le championnat avait bien mal débuté pour nous, car nous avons perdu le premier match à domicile dans un stade surpeuplé et joyeux, qui m’a fait bien plaisir, me rappelant les scènes de liesse de la Bombonera. Il nous a fallu concéder une défaite 1 à 2 contre une équipe d’australopithèques venus de Silésie orientale subcarphatique, Sochaux. Ce qui prouve que la France est un pays très variés dans lequel on trouve toutes sortes de civilisations, même des plus attardées. Nous avons perdu car notre arrière droit, qui n’a toujours pas connu l’âge du feu, n’a pas eu l’étincelle lumineuse justifiant sa place dans l’équipe. C’est fort dommage, car nous avions bien débuté avec un but marqué assez rapidement et des occasions non concrétisées.

Nous avons bien réagi pour le second match que nous avons joué à l’étranger, à Monaco, et que nous avons gagné 1 à 2. On m’a dit que Monaco avait accueilli de nombreux de nos joueurs comme Saviola, Gallardo, Onis, Trezeguet, ainsi que le grand entraîneur, représentant en pharmacie et testeur de seringues à ses heures perdues, Diego de los Campos. Monaco a aussi recueilli beaucoup d’argent sale de nos juntes diverses et variées, tellement sale que les banques de Montevideo ne le voulait plus. Tout Argentin est donc redevable envers Monaco, et c’est avec beaucoup de gêne que j’ai participé à cette victoire. Le Prince de Monaco a beaucoup d’argent et ses sujets sont tellement pauvres qu’ils ne peuvent pas se payer les billets pour aller supporter leur équipe. Ainsi, les Stéphanois, qui roulent tous sur l’or, ont empli le stade et nous avons joué à domicile sur terrain adverse. Un grand souvenir.

Et comme il convient de ne pas perdre les bonnes habitudes, nous avons enchaîné le troisième match par une victoire à domicile 1 à 0, contre une équipe de quiches, venue elle aussi du fin fond de la France glacière néanderthalienne. Le stade était un tout petit peu moins rempli que lors du premier match, mais l’ambiance a été bien supérieure, et c’est avant tout ce que je retiendrai de ce match, avec aussi un arbitre qui répondait au doux nom de Biton, sans doute d’origine lointaine chilienne, qui avait des circonstances atténuantes, car il doit être lourd de porter un nom aussi con que lui-même l’a été.

Voilà, mon Cher Diego, vous savez tout de mon nouveau monde. Je vais devoir arrêter ici ma lettre, car ma chandelle est morte et je n’ai plus de feu. Je n’ai en effet pas d’électricité, car comme je n’ai toujours pas marqué de but, le coachtchèque m’a mis aux arrêts au fond d’un puit de mine humide pour forger mon mental et m‘imprégner de l‘atmosphère du match de demain contre Lens, une ville minière. Ce coachtchèque est très perspicace… Il sait mettre ses joueurs dans les conditions idéales en les imprégnant de la culture de l‘adversaire. Maintenant que je connais bien leurs conditions de vie, je marquerai, vous pouvez en être sûr. Mais d’ici à ce que pour préparer le match suivant à Sedan il ne m’envoie pas à la chasse au sanglier !...

Donnez-moi de vos nouvelles. J’espère que cette hospitalisation sera brève et se bornera à de simples vérifications sans conséquences.

Je vous écris très bientôt.

Veuillez croire, mon Cher Maître, à l’expression de ma très haute considération et de ma profonde gratitude pour avoir donné à l’Argentin que je suis la fierté de voir ses couleurs flotter au plus haut.

Daniel Ruben Bilos.

Auteur : Rising42