Deuxième extrait du spectacle de Corine Miret et Stéphane Olry. Les supporters voient la vie en vert...
L’actrice :
« Tout était vert dans la ville, même l’eau des fontaines était colorée en vert. Beaucoup d’automobilistes commandaient des voitures de couleur verte. Nous qui habitions la ville reconnaissions les joueurs dans la rue : chaque joueur possédait une Renault 5 verte avec son numéro de maillot inscrit sur la voiture. Sur la Renault 5 verte d’Oswaldo Piazza, donc, figurait le numéro 4. Le pâtissier de La Potinière, place Jean Jaurès, confectionnait des entremets verts en forme de terrain de football, des ballons en chocolat entourés de rubans verts. Les vendeuses les disposaient avec grâce dans la vitrine sur du satin vert.
Notre voisine de la rue Bergson s’habillait en vert des pieds à la tête. Elle avait teint ses baskets en vert. Elle s’était tricoté des chaussettes vertes qui montaient au dessus du genou, confectionné une minijupe verte, acheté un sous-pull vert. Un bob vert l’été, un bonnet vert l’hiver. Et elle habillait toute la famille en vert de pied en cap ; ses enfants, son mari, toute la famille était vêtue de vert.
Les chiens que les gens promenaient dans les rues arboraient aussi leur petit nœud vert. Et quand mes parents m’offrirent un caniche noir, je l’appelai Doudou parce qu’il était tout noir et tout frisé comme Janvion. Gérard Janvion, tout le monde le surnommait Doudou. Un jour où nous déjeunions avec ma copine à la cafétéria Casino, nous le croisâmes Gérard Janvion. Il avait un petit rire aigu, comme une fille. Nous le regardâmes discrètement. Il était athlétique. Nous vîmes les muscles de ses cuisses sous son jean.
Mais ma copine et moi, c’est de Dominique Rocheteau que nous étions amoureuses. Je le trouvais beau, il était différent, lui ne conduisait pas une Renault 5 verte, mais une coccinelle noire décapotable. Or, il était très ami avec une sœur d’un ami à moi, ça nous faisait rêver…. Il avait dix-huit ans, il jouait de la guitare, il portait les cheveux longs et il habitait un chalet à Saint-Héand. Mes parents avaient une maison de campagne dans le Forez. Sur la route, je suppliais : « Papa chéri, s’il te plaît, emprunte donc la route de Saint-Héand »…. Nous passions devant le chalet et je rêvais : « Si la voiture tombait en panne, nous serions obligés d’aller toquer à sa porte, il nous ouvrirait… ».
Ma copine et moi, nous portions le même béret vert. Je le portais très bien à l’époque, le béret vert. Ma copine le portait très bien aussi. La mère de ma copine travaillait dans un atelier de passementerie, au Crêt de Roc. Elle nous avait tissé des écharpes en soie dans des dégradés de vert, avec des franges vertes et blanches. Ma copine et moi, nous portions donc ces écharpes et puis des dessous verts. Nous étions très attentives à nos dessous. Nous cherchions des culottes vertes, des chaussettes vertes, et nous étions désespérées car jamais nous ne parvînmes à dénicher des soutiens-gorge verts. Oui, Saint-Étienne était tout vert. Des hommes se teignirent les cheveux et la moustache en vert. Oui, après Eindhoven, nous croisâmes des hommes comme ça. Place Jean Jaurès, un soir de victoire, nous vîmes dans la fontaine des filles nues qui s’étaient peint le corps en vert.
L’été, sur la route des vacances, les estivants klaxonnaient en voyant notre plaque « 42 ». Ils nous criaient : « Vous avez pas un truc ? quelque chose ! À nous donner ?! ». L’atelier où travaillait la mère de ma copine fabriquait des rubans brodés « Allez les Verts ». J’en emportais toujours un rouleau avec moi. J’en découpais un morceau que je leur tendais par la vitre de la portière.
Le mercredi 12 mai 1976, j’avais le ventre noué. J’étais restée tout l’après-midi dans ma chambre à lire des revues sur les Verts. Une femme avait écrit au président Rocher que si l’équipe se qualifiait pour la finale, elle lui sacrifierait sa chevelure. À la lettre était jointe la photo d’une très belle femme aux cheveux roux tombant jusqu’à la taille. L’équipe se qualifia et le président Rocher reçut un colis contenant la chevelure.
Le soir, à 21 heures, ma mère alluma la télévision. Je téléphonai à ma copine : « Regarde ! Danièle Gilbert aussi elle porte le maillot vert ! ». Et nous suivîmes le match à la télévision, mes parents qui portaient l’écharpe verte et blanche ornée de la panthère, mon petit frère coiffé de son bonnet à trois pompons vert et blanc, et moi avec mon écharpe, mon béret, et dessous, ma culotte verte. Quand les joueurs entrèrent sur le terrain, je dis à mon père : « Regarde Papa, ils portent un short noir. »
"Mercredi 12 mai 1976" (2/11)
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