"Créer de l'inattendu, c'est bien là le secret des grands footballeurs. Rachid est le roi de l'inattendu". La formule de Robert Herbin est toujours d'actualité : après avoir fait les beaux jours de l'attaque stéphanoise, c'est à La Défense que Monsieur Mekloufi a accepté de se confier longuement à notre site. Sa carrière de joueur et son engagement pour l'indépendance de l'Algérie sont au menu de cette première partie.


Mekhloufi ou Mekloufi ? Lors de vos débuts à Saint-Etienne, la presse locale avait contourné le problème en vous appelant seulement Rachid…

En arabe, on utilise le « h ». En français on ne l’utilise pas. En fait, l’orthographe de mon nom dépend de celui qui l’écrit. Un arabisant l’écrira avec un « h », un francisant avec un « kl ». Je n’ai pas de préférence, pour moi ce n’est pas gênant de lire les deux formes. De toutes façons, je comprends la personne qui prononce ce nom, soit en français soit en arabe.

La presse locale a d’abord utilisé mon seul prénom. Ils ont pris le plus facile. Quand j’ai commencé à Saint-Etienne, on m’appelait Rachid. Un beau jour, mon père est venu et il m’a dit : « écoute, tu ne t’appelles pas Rachid, tu t’appelles Mekloufi. Il faut leur dire et faire changer ça ». Mon père a insisté, je l’ai écouté et la presse aussi ! (rires)

Votre père est-il à l’origine de votre passion pour le football ?

Ah non, mon père était le contraire d’un passionné de football. Pour lui, avant tout, c’est l’école qui comptait. Il en a vu des vertes et des pas mûres, c’est pour ça qu’il m’a poussé à étudier. Il a insisté pour que j’aille à l’école. Mais moi, j’étais passionné de football. Etant jeune, je délaissais l’école pour aller jouer dans les quartiers, dans les allées, etc. Mon père m’a mis dans la tête l’école avant toute chose. Et ça, je crois que c’est un acquis extraordinaire pour moi. Certes, je ne suis pas allé à l’école très longtemps, mais ce bourrage de crâne que mon père m’a fait a réussi à m’ouvrir les yeux. Le football est venu pour moi naturellement, dans le quartier. On habitait une ville où on était pas loin des terrains de jeu donc on était toute la journée à jouer avec les copains du quartier.

Vous avez commencé à jouer en club sous le maillot grenat de l’USM Sétif, un club né en 1933 comme l’ASSE…

D’abord, je tiens à apporter une petite précision qui a son importance : ce n’était pas l’USMS mais l’USFMS. Dans la législation française, il fallait mettre un « f » à tout club musulman. J’ai donc été formé à l’Union Sportive Franco-Musulmane de Sétif. C’était mon club préféré, quand j’étais gamin j’allais le voir jouer. Petit à petit, grâce aux copains et à la famille, je suis rentré dans ce club à l'âge de quatorze ou quinze ans. J’avais des qualités qui me permettaient de jouer dans les catégories supérieures : première année cadet, j’ai joué très vite en junior ; première année junior, je jouais en senior. Le football était vraiment ancré en moi. Je crois qu’une personne qui n’a pas le football dans le sang ne peut pas réussir une carrière professionnelle.

Le 8 mai 1945, Sétif fut avec Guelma le théâtre d’émeutes nationalistes réprimées dans le sang. « Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de Musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme » a écrit Kateb Yacine. Le futur président algérien Houari Boumédiène a pour sa part déclaré : « Ce jour-là, j’ai vieilli prématurément. L’adolescent que j’étais est devenu un homme. Ce jour-là, le monde a basculé. Même les ancêtres ont bougé sous terre. Et les enfants ont compris qu'il faudrait se battre les armes à la main pour devenir des hommes libres. Personne ne peut oublier ce jour-là. » Vous aviez à l’époque huit ans. Quels souvenirs gardez-vous de ces tragiques évènements ? Ont-ils été l’élément déclencheur de votre futur engagement ?

A huit ans, on est traumatisé par ce qu’on voit tout de suite mais ça s’atténue avec le temps. Personnellement, j’ai assisté à des scènes vraiment terribles. J’habitais un quartier qui était presque en dehors de la ville. Il y avait des champs énormes autour de notre quartier, et on voyait les fusils-mitrailleurs des militaires français tirer sur des gens qui voulaient s’enfuir. Ce jour-là, c’était jour de marché, et les gens des alentours venaient à Sétif pour vendre leurs moutons, etc. Ces gens-là ont été mitraillés et ça m’a bouleversé. Je voyais des personnes essayer de se faufiler à travers les champs de blé. Parfois les gars se relevaient, parfois ils restaient étendus. De telles scènes m’ont vraiment bouleversé. Mais j’étais gamin. Le nationalisme est venu par la suite.

Pouvez-vous nous rappeler le contexte de votre arrivée à Saint-Etienne en 1954 ?

Je ne m’attendais pas du tout à être transféré à Saint-Etienne. Il se trouve qu’un israélite qui avait un petit journal à Sétif, Monsieur Setboum, me voyait jouer régulièrement car il était supporter de l’USM Sétif. Il a écrit à son frère, qui était à Roche-la-Molière. Il lui a dit qu’il y avait un jeune Sétifien qu’il trouvait très bon, etc. Son frère en a parlé aux dirigeants de Saint-Etienne, qui m’ont envoyé un billet d’avion pour venir faire un test. C’est resté gravé dans ma tête, je me rappellerai toujours ! Je suis arrivé le 4 août, Monsieur Garonnaire m’attendait à l’aéroport de Lyon-Bron. On m’a emmené directement au stade, où j’ai trouvé Jean Snella. C’est ma chance. C’est mon avenir qui allait se dérouler avec ce Monsieur. Jean Snella était un entraîneur merveilleux.

Vous êtes-vous intégré sans difficulté à l’ASSE et à la ville de Saint-Etienne ?

Je vais dire quelque chose qui pourra peut-être vous choquer. Je fais une comparaison entre maintenant et quand je suis arrivé. A mon arrivée, j’ai trouvé les Français merveilleux, d’une gentillesse extraordinaire, d’une curiosité remarquable. Une ville comme Saint-Etienne qui était une ville noire, je l’ai trouvée belle parce que le contact humain était magnifique. Je ne voyais que de la gentillesse autour de moi, c’est ce qui m’a fait adhérer totalement à Saint-Etienne. Pourtant j’étais un illustre inconnu, un illustre Algérien, un illustre arabe. A l’heure actuelle, je pense que c’est très, très, très difficile pour un arabe, un noir ou un étranger. Heureusement qu’à mon arrivée j’ai été formidablement accueilli, heureusement que j’ai connu ça. C’est d’ailleurs pour ça que Saint-Etienne, pour moi, c’est sacré. C’est ma deuxième ville de naissance.

Vous souvenez-vous de vos premiers buts inscrits sous le maillot vert en match officiel, le 31 octobre 1954 contre Roubaix ?

Pas du tout ! De manière générale, j’ai oublié quasiment tous les buts que j’ai marqués. Disons que d’une certaine façon j’ai tout fait pour les oublier... Finalement, on ne vit pas avec le passé, on vit avec le présent. On essaie d’être toujours au top. Si on commence à raconter « de mon temps j’ai fait ci et j’ai fait ça », les jeunes vous délaissent.

Le lendemain de vos frappes victorieuses contre Roubaix, des membres du FLN vont également frapper mais sur un autre terrain que le rectangle vert. Des dizaines d'attentats ensanglantent Algérie. C'est la «Toussaint rouge», qui marque le début de la guerre d’indépendance… Comment avez-vous réagi en apprenant ces attentats ?

Je n’ai pas été étonné. Pour comprendre novembre 1954, il faut faire un retour en arrière et se pencher sur l’histoire de la colonisation et de l’occupation par l’armée française en Algérie. Il n’y a jamais eu de trêve durable en Algérie : tous les dix ou quinze ans, il y avait un soulèvement. Celui de 1954 est l’apothéose et le prolongement de tous les soulèvements antérieurs. Il y a eu Boumezreg, il y a eu Abd El-Kader, il y a eu beaucoup d’autres soulèvements. Malheureusement la France n’a pas compris la mentalité de l’Algérie. Au lieu d’essayer d’arranger les choses, au lieu d’essayer d’enlever les acquis des colons, … (il coupe). J’entendais dernièrement les Pieds Noirs parler dans une émission de télévision. Pour eux c’était la belle vie, « on était heureux, on était avec les Arabes, etc. » S’ils étaient heureux, pourquoi se soulever, pourquoi on a dit « il faut nous donner un petit peu ce que vous êtes en train de prendre ». En Algérie, pour les élections, il y avait deux collèges : un premier collège pour les Français d’origine et un deuxième collège pour les musulmans. Les historiens savent ça mais les populations françaises ne savaient pas ça. L’écriture arabe, la langue arabe étaient interdites dans les écoles. En Algérie on le savait, les colons le savaient mais en France on ne le savait pas. A Saint-Etienne, j’ai suivi le soulèvement de 1954 à travers les quelques flashs de la presse. Mais même le peuple français ne savait pas qu’il y avait une guerre en Algérie. Il n’était pas au courant, sauf les familles qui avaient des enfants militaires là-bas.

Revenons sur le terrain du football. Après avoir fini septième en 1955 et quatrième en 1956, l’ASSE a remporté son premier titre de champion de France en 1957. A l’évocation de cette saison historique, quelles images vous reviennent spontanément à l’esprit ?

En fait, le titre de 1957 résulte d’une évolution. Quand je suis arrivé au club, on avait une équipe composée de joueurs âgés : de Cecco, Fellahi, Ibanez, Foix, etc. L’équipe n’était pas mauvaise mais ce n’était pas le top niveau. Petit à petit, la saison d’après, Jean Snella a intégré des jeunes comme Tylinski, Ferrier et Goujon. N’oublions pas l’apport de Rijvers. Ce Monsieur-là nous fait gagner le titre lors de la saison 1956-1957. La transition s’est faite à ce moment là, avec ces jeunes qui ont donné le vrai sens du style stéphanois. L’école stéphanoise est sortie de cette équipe, avec Jean Snella comme entraîneur. On a été champions de France avec plusieurs points d’avance, on pouvait en donner aux autres (rires). On avait une très grande attaque avec Njo Léa…

A vous deux, vous avez marqué 54 des 88 buts stéphanois cette année là ! Qu’avez-vous ressenti en apprenant la disparition de votre ancien coéquipier en octobre dernier ?

J’ai ressenti beaucoup de tristesse, car j’ai eu la chance de jouer plusieurs saisons à ses côtés. Il était étudiant à Lyon, et j’habitais dans la même pension que lui. Je me souviens qu’Eugène m’emmenait sur son scooter les matins d’entraînement. Avant d’apprendre son décès, j’avais été un peu choqué d’apprendre qu’il était en perdition. C’était un garçon extraordinaire : il était avocat, il a été attaché d’ambassade au Cameroun. Mais petit à petit il a connu la déchéance. Je trouve ça vraiment triste. Les autorités footballistiques devraient faire un rappel pour que les jeunes actuels ne soient pas attirés par cette fausse richesse et ne se retrouvent pas un jour à la dèche. Même si aujourd’hui les footballeurs gagnent beaucoup d’argent, il faut savoir économiser et penser à l’avenir.

Pour en revenir au joueur, Njo Léa était un ouvreur de coffre. Il était devant et il faisait le ménage. Il était dur, il était costaud, il était remuant, il était technique… Il marquait souvent des buts en force grâce à ses qualités physiques. Il m’a permis de mettre beaucoup de buts car il écartait les défenses, et moi j’en profitais pour pénétrer et marquer.

La saison suivante, vous avez marqué à Glasgow le premier but de l’histoire européenne stéphanoise. Avez-vous gardé des images précises de ce but et de ce match disputé à l’Ibrox Park contre les Rangers ?

Oui, ça fait partie des très rares images que j’ai gardées. Je me souviens qu’il y avait une ambiance de folie. Je n’avais jamais joué devant autant de spectateurs, il y en avait peut-être 80.000. J’avais été impressionné par cette foule hurlante. Le jeu très viril des Ecossais m’avait également marqué. Ils ne vous laissaient pas respirer, ils vous bouffaient ! On a perdu mais j’ai ouvert la marque. C’est vrai que mon but était assez beau (rires). On me donne un ballon, je suis à trente mètres. Comme je ne sais pas quoi faire de ce ballon, je tire et ça va juste dans la lucarne. Je crois que ça a enlevé la toile d’araignée (rires). Ce but merveilleux est resté ancré dans mon esprit. D’ailleurs, j’ai une photo de ce but chez moi.

Vingt ans plus tard, un autre match des Verts à Glasgow est entré dans la légende de l’ASSE. Avez-vous assisté à la finale de la coupe d’Europe des clubs champions à Hampden Park le 12 mai 1976 ? Comment avez-vous vécu cette finale contre le Bayern de Munich ?

Je n’ai pas assisté à ce match, je l’ai vu à la télé bien sûr. Pour moi, cette finale montrait la naïveté du football français qui existait encore à cette époque là. Permettre de tirer un coup franc comme ça, sans protection et sans tourner autour du ballon, ça m’avait un petit peu choqué. Arriver en finale et perdre sur une action comme ça…Heureusement l’équipe était bonne, elle a bien joué, ce n’était pas désespérant. Pour un entraîneur, pour des joueurs, pour des dirigeants, c’est désespérant si la défaite ne permet pas de s’accrocher à quelque chose de positif : une technique, un jeu d’ensemble, un courage, etc. Là il y avait quand même des motifs de satisfaction : d’abord le fait de s’être qualifié pour une finale, ensuite la valeur de l’adversaire, le Bayern de Munich. Et puis on a fait un bon match. On a perdu sur une bagatelle… une bagatelle qui compte et qui traduisait une forme de naïveté dans le football français. Mais c’était le commencement du renouveau du football français.

Le 14 juillet 1957, vous remportez avec l’équipe de France militaire le championnat du monde à Buenos Aires en écrasant l’Argentine 5-0. Comptant quatre sélections en équipe de France A, vous êtes pré-sélectionné pour le Mondial 1958. Or vous fuyez la France le 14 avril 1958. Etait-ce par honte d’avoir perdu la veille à domicile contre Béziers, qui finira la saison bon dernier ?

C’est risible ça (rires). Plus sérieusement, ce départ des meilleurs joueurs algériens évoluant en France n’était pas innocent. Peu de Français connaissaient ce qui se passait en Algérie. Les représentants du FLN en France étaient en avance dans la publicité. Vraiment en avance car un coup comme ça a permis au peuple français d’ouvrir les yeux. Le lendemain de tous ces matches du championnat de France, dix joueurs de haut niveau partent de France avec le FLN. Les gens qui ne suivent pas trop la politique et l’information internationale se posent la question : « qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ils sont partis ? Ils étaient bien ici, ils avaient tout : la gloire, l’agent, etc… »
Notre départ amène les gens à s’interroger. Notre action les interpelle : « Ah bon, il y a la guerre en Algérie ? Ils sont partis parce que le FLN leur a demandé de partir, et peut-être pas pour jouer au football ». Notre départ démontrait que toute la population algérienne était avec le FLN, pas seulement des bandits et des mercenaires. On était bien en France, on avait des situations, la population nous aimait. On n’était pas contre la France mais contre le colonialisme, contre les gens qui sont en Algérie et ont accaparé les biens, etc. A partir du moment où il y a cette action, on s’est retrouvé à Tunis, à dix. Que faire ? Jouer au football. Heureusement pour nous qu’on était une équipe merveilleuse ! On ne se connaissait pas tous et on venait de clubs différents. On se retrouve ensemble et ça devient une équipe merveilleuse, une équipe de rêve.

Avez-vous hésité avant de partir ? Avez-vous fait ce choix librement ou à votre corps défendant ? En désertant la France, vous avez mis votre vie en péril et abandonné le confort de votre statut de vedette stéphanoise. Vous avez également mis une croix sur la coupe du Monde…

Personnellement, l’abandon de mon statut à Saint-Etienne et de mes perspectives en équipe de France étaient dérisoires comparées à l’indépendance de l’Algérie, quoique je n’étais pas politique. Il ne faut pas croire que les gens qui sont partis rejoindre le mouvement de libération nationale étaient tous des militants politiques. Deux garçons de Sétif, Kermali (Olympique Lyonnais) et Arribi (Avignon) sont venus me voir la veille du match contre Béziers. Ils m’ont dit : « demain on part ! ». Je leur ai demandé où on allait. Ils m’ont répondu : « à Tunis ». Je leur ai demandé si mon statut de militaire français posait problème. C’est la seule question que je leur ai posée ! Ils m’ont dit que ce n’était pas gênant que je sois militaire. Lors du match contre Béziers, je suis sorti avant la fin de match car je m’étais blessé à la tête. Le lendemain, ils sont venus me chercher à l’hôpital. On est parti tranquilles. Je les ai suivis. Chez nous, le respect de l’aîné est très important. Quand un garçon comme Arribi qui est de mon quartier, de Sétif, me dit de partir avec lui, je ne pose aucune question. Je ne demande pas par où on va, comme on fait, etc. Je ne me dis pas « et mon avenir alors ? ». Je me dis si lui me dit ça, c’est que c’est bon. Quand Arribi et Kermali venaient à Sétif en vacances, moi je les regardais avec des yeux émerveillés. Ils se promenaient en short, ils étaient bien bronzés et costauds. J’étais en admiration devant eux.

Avez-vous réussi à quitter le territoire français facilement ? Pouvez-vous nous donner des détails sur le périple qui vous a conduit à Tunis, où était installé le gouvernement provisoire de la république algérienne ?

On n’a pas eu de problème pour quitter le territoire français. Il y a cinq gars qui ont transité par l’Italie : quatre Monégasques (Zitouni, Boubekeur, Bentifour et Bekhloufi) et un angevin (Rouaï). Arribi, Kermali, les deux Toulousains (Bouchouk et Brahimi) et moi, on partait de la Suisse. C’était bien planifié, attention, ce n’était pas n’importe quoi ! (rires). Quand le premier groupe est passé, lundi midi peut-être, à treize heures la radio annonçait la nouvelle. Mais nous, on était encore en France ! On est passé à la douane à la frontière suisse. Le bonhomme n’était pas au courant. On lui a dit qu’on allait en Suisse pour des raisons professionnelles. S’il avait écouté la radio, peut-être qu’on aurait été bloqués !

Avez-vous agi en secret ? Aviez-vous informé certains membres du club avant de partir ?

Je n’avais informé personne, pour que l’opération marche il fallait agir en secret. Je n’ai même pas prévenu Jean Snella. Il ne m’a pas fait de reproches. Il m’a dit après coup qu’il avait compris les raisons de mon silence.

De 1958 à 1962, vous avez disputé 91 matches dans quatorze pays avec l’équipe indépendantiste du FLN. Quels matches, quels voyages vous ont le plus marqué ?

J’ai été marqué par notre séjour en Roumanie, à Bucarest. En principe, on ne devait faire qu’un seul match. On a fait un match devant 80.000 personnes, c’était merveilleux ! Un véritable festival de football. On a gagné 1-0. Les responsables roumains étaient tellement enchantés qu’ils nous ont obligés à jouer un deuxième match le lendemain ! Ah, il faut dire que ce premier match était un match de haut niveau technique ! Moi qui étais au milieu des gars, j’étais un peu euphorique. Il y avait des joueurs qui étaient meilleurs que d’autres, mais c’était un match plein et enthousiasmant.

J’ai un un deuxième souvenir marquant. C’était à Belgrade, contre l’équipe nationale yougoslave. Enfin, on ne l’appelait pas « équipe nationale » car la FIFA avait interdit aux fédérations nationales de nous rencontrer. Mais l’équipe yougoslave qu’on a affrontée était bien composée de joueurs évoluant en sélection nationale. On a gagné 6-1 et je crois que cette victoire a marqué les esprits. Il y avait un avant-match, avec une équipe brésilienne qui roulait les mécaniques. Cette équipe a joué le match phare en premier. Nous, on a joué en deuxième. Le public commençait à sortir après le match des Brésiliens. Mais nous on commence notre match à cent à l’heure : en dix minutes, on marque deux ou trois buts. Les gens sont revenus et ils sont restés jusqu’au bout. C’était un match de très haut niveau contre une bonne équipe.

Dans son roman Le Vainqueur de Coupe, Rachid Boudjedra vous a décrit comme « le footballeur de la révolution ». Estimez-vous que l’équipe de football du FLN a joué un rôle important dans lutte pour l’indépendance de l’Algérie ?

Je crois qu’il faut avoir à l’esprit les paroles de Ferhat Abbas, le premier président du GPRA (Premier Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). Ils nous a dit : « vous avez fait avancer la Révolution de dix ans ». L’impact de cette équipe vis-à-vis du peuple français a été très fort. Les gens se sont interrogés sur les raisons de notre départ. Le peuple français a pris conscience lors de notre départ qu’il y avait une guerre d’Algérie, une guerre de libération. Quand on partait dans les pays de l’Est ou les pays arabes, les politiques étaient au courant de cette guerre mais pas les populations. Notre rôle était d’informer les populations des pays qu’on visitait. Attention, on ne faisait pas que jouer au football ! On allait visiter les usines, on discutait avec les populations, on expliquait ce qui se passait en Algérie, etc. On était le bras de la Révolution à travers le football. De plus, nos résultats et notre manière de jouer nous aidaient énormément. Les gens qui nous voyaient débarquer se posaient des questions: « c’est quoi cette équipe, d’où ils viennent ces diables ». On avait une équipe du tonnerre. Il y avait trois ou quatre internationaux français : Bentifour, Zitouni, Boubekeur, Brahimi, Bouchouk, Mekloufi. C’était pas une équipe de bras cassés !

En avril 2005, vous avez émis trois vœux devant l’assemblé populaire communale de Constantine : la création d’une fondation pour l’équipe du FLN afin que son action rentre dans l’histoire de l’Algérie au même titre que toutes les actions ayant conduit à la reconnaissance de l’Algérie ; l’organisation de tournois de jeunes pour que les générations montantes apprennent que le football peut être autre chose qu’un jeu ; la reconnaissance comme moudjahidine, et le versement de pensions associées pour les anciens joueurs de l’équipe du FLN . Avez-vous été écouté par les pouvoirs publics algériens ?

En ce qui concerne le premier point, on vient d’obtenir la création d’une fondation pour l’équipe du FLN. C’est une très bonne chose, ça va nous permettre de nous exprimer, de trouver des idées, etc. Le deuxième point, c’était en fait l’instauration d’une journée du football, officiellement, le 13 avril, en mémoire de la création de cette équipe du FLN. L’idée consiste à organiser dans toute l’Algérie des tournois ce jour là. Maintenant que la fondation est créée, on va faire en sorte de concrétiser cette idée. Il n’y a pas un ministre qui est venu à qui on n’a pas demandé ça. Mais bon, vous connaissez les politiques : c’est toujours « oui, oui, oui », et puis le bonhomme s’en va, il nous oublie, etc. Le troisième point consistait à améliorer le quotidien des anciens joueurs de cette équipe du FLN. On nous a longtemps oublié dans ce domaine, mais le problème a été réglé récemment : maintenant, on est à l’aise et tranquilles.

Etes-vous resté en contact avec l’ASSE pendant ces quatre années d’exil ?

Non. Je me suis d’ailleurs bien gardé de prendre contact avec les gens de Saint-Etienne durant cette période. J’avais beaucoup plus peur pour eux que pour moi. En ce qui concerne mes proches à Saint-Etienne, j’ai préféré faire le mort… Je sais que lorsque je suis parti, quelques uns ont été interrogés. Mon frangin qui était resté là-bas a été tabassé. J’ai préféré ne pas gêner mes amis de Saint-Etienne.

Une fois que l’Algérie a acquis son indépendance, vous avez décidé de reprendre votre carrière de footballeur professionnel. Vous avez évolué quelques mois au Servette de Genève. Pour quelles raisons ? Avez-vous été tenté de vous établir en Algérie dès cette époque ?

Lorsque l’Algérie est devenue indépendante, j’avais seulement 25 ans. J’étais encore jeune et j’ai souhaité continuer ma carrière de footballeur professionnel. Je n’ai pas été tenté de m’installer en Algérie car le football professionnel n’existait pas là-bas à cette époque. Par contre, d’autres joueurs plus âgés comme Zitouni et Bentifour n’ont pas pu reprendre leur carrière professionnelle car ils étaient en fin de carrière. Mes camarades les plus anciens du FLN sont rentrés au pays pour construire le football en Algérie.

Jean Snella m’a contacté, il m’a demandé de le rejoindre au Servette de Genève. J’y suis allé. J’étais un peu grassouillet à l’époque, après ces quatre ans passés avec l’équipe du FLN ! (rires) Il m’a dit : « tu vas rester ici, tu vas signer ici et attendre ». Roger Rocher était de connivence. Tous les deux m’ont dit qu’il était préférable que je reste d’abord à Genève, pour que je me retape et en attendant que les choses se passent. Je leur ai fait confiance. Or il se trouve qu’à l’époque Saint-Etienne était en deuxième division. Les Verts étaient en tête en début de saison mais ils commençaient à décliner au fur et à mesure que le temps passait. Le père Rocher m’a dit qu’il fallait que je revienne à Saint-Etienne. En fait ils ont anticipé mon retour.

Quand êtes-vous retourné à Saint-Etienne précisément ?

En fait, je n’ai joué que quelques mois au Servette, de juin à décembre 1962. Je suis revenu à Saint-Etienne courant décembre.

Vous souvenez-vous de votre premier match ?

Je me souviens en effet de ce retour à Saint-Etienne. Je n’étais pas conscient de ce qui se passait. Pour moi, je revenais à Saint-Etienne, sans plus. Mais je crois que Roger Rocher a eu beaucoup de difficultés à gérer ce retour. Il a reçu beaucoup de menaces de la part de certaines personnes qui étaient à Saint-Etienne, dont un bonhomme – je crois qu’il est mort – qui s’appelait Rochouse. Un facho. Il l’a tarabusté, en lui reprochant de faire venir un fellaga, etc. Rocher a tenu bon. Moi je n’étais pas au courant de tout ça, je voulais jouer au football et puis c’est tout. J’ai fait mon retour contre Limoges. D’habitude, à cette époque là, en D2, il y avait sept ou huit mille spectateurs pour voir les Verts. Le jour de mon retour, il y avait quinze mille personnes. Ils étaient venus exprès pour Rachid !

Votre participation avait-elle été tenue secrète jusqu’au dernier moment ?

Non, il n’y aurait pas eu 15.000 personnes si on avait caché ma présence. Par contre, on avait sans doute pris des précautions sans me tenir informé. J’imagine que des mesures de sécurité ont été prises à l’extérieur pour éviter des troubles éventuels. Mais ça s’arrête là.

Appréhendiez-vous la réaction des supporters ? Quel a été l’accueil du public ?

Dès le début du match, j’ai fait quelque chose (je ne sais même plus quoi) qui a conquis le public et ensuite les supporters m’ont encouragé comme avant.

Champions de D2 en 1963, les Verts réussissent l’exploit de devenir champions de D1 en 1964 ! Une première dans l’histoire du championnat de France…

Je n’ai aucun souvenir de cette saison 1963-1964. Ce qu’on a fait cette année là était peut-être une première dans l’histoire du foot français, mais pour moi c’était logique et normal. A partir du moment où Jean Snella est revenu et qu’on a repris la route en même temps, on a reproduit ce qu’on avait fait quelques années auparavant, aussi bien à l’entraînement qu’en match. Dans l’équipe, j’ai retrouvé des joueurs que j’avais connu avant de partir en 1958 : des garçons comme Ferrier et Tylinski étaient encore là. Toutes les conditions étaient réunies pour que ça se passe bien. On continuait à avoir la joie de jouer sur un terrain. C’est ça qui était primordial avec Jean Snella et avec l’équipe de Saint-Etienne : la joie de jouer, régaler le public, nous régaler, faire en sorte que tout le monde soit heureux. Et ça, c’est une chose qu’on ne voit plus. Aujourd’hui c’est la guerre, c’est des tactiques… Nous on jouait pour nous amuser, et en nous amusant on gagnait.

Que représente Jean Snella pour vous ?

Je lui dois beaucoup. C’est un humaniste, un Monsieur… La bonté même. Il avait le sens de l’amour du football. Il nous a inculqué cet amour du football. On l’avait déjà, mais au contact de ce Monsieur, on a triplé ou quadruplé l’amour du football. Cet homme, pour nous, était un exemple. On ne voulait jamais le décevoir. En plus de ça, Jean Snella était d’une simplicité dans la vie de tous les jours comme dans la vie d’entraîneur. Quand il nous faisait une conférence, c’était pas du blabla pendant des heures ; c’était concret et efficace. Quand deux heures avant un match vous mettez les joueurs autour de vous et que vous commencez à raconter des histoires… Déjà le stress du match c’est quelque chose de terrible, en plus les joueurs doivent souvent subir des paroles d’entraîneur qui n’ont aucun sens, qu’on n’écoute même plus. Jean Snella, lui, était carré, sans fioritures, efficace. Il ne nous cassait pas les pieds et on rentrait sur le terrain décontractés. Voilà l’approche de Jean Snella. Et à côté de ça, les jours d’entraînement, il était toujours disponible.

Sacré meilleur joueur du championnat de France à l’issue de la saison 1966-1967, vous avez gagné pour la troisième fois le championnat de France. Cette année là, Hervé Revelli a terminé meilleur buteur du championnat. Pouvez-vous nous dire quelques mots du seul joueur à avoir marqué plus de buts que vous dans l’histoire du club (211 buts contre 163 toutes compétitions confondues) ? Etes-vous resté en contact avec lui ? Avez-vous discuté de ses déboires à la tête du Mouloudia d’Oran et de l’Entente Sportive de Sétif ?

Hervé était un buteur né. Il était aux endroits voulus pour marquer des buts, il était bon techniquement, il avait un bon jeu de tête. Il s’intégrait dans l’équipe facilement et avec joie. En ce qui concerne son expérience en Algérie, je crois qu’il a fait l’erreur de ne pas me contacter. Avant d’aller en Algérie, si tu as un garçon qui a joué plusieurs années avec toi, qui est Algérien, tu poses des questions, tu l’appelles. Bon, il a fait abstraction de tout ça. Ce n’est pas pour ça que je lui en veux, mais j’aurais peut-être pu l’orienter, le guider, lui expliquer des choses, etc. Disons que ça me chagrine un petit peu, parce que son expérience algérienne n’a pas été concrète, concluante. C’est dommage, j’aurais pu lui donner un coup de main vis-à-vis des dirigeants et des joueurs pour lui mettre le pied à l’étrier, d’autant plus qu’on était amis. Il était déconneur quand il jouait, on rigolait, on plaisantait.

Vous avez évoqué les qualités d’attaquant d’Eugène Njo Léa et d’Hervé Revelli. Intéressons-nous maintenant aux vôtres. Dans son livre Vive le football ! , Bernard Bosquier célèbre votre talent : « Tout ce qu’il faisait était lumineux et d’une simplicité enfantine. Il avait le génie d’embarquer la défense sur un côté du terrain, les yeux fermés, puis de renverser le jeu à l’opposé. C’est ce que Jean Snella appelait les fausse pistes. »

Disons que j’avais un registre de jeu un peu spécial. Pour faire ce jeu des fausses pistes, il faut avoir un champ visuel très large. Et ce champ visuel, j’avais la chance de l’avoir. C’est quelque chose d’inné. Lors de ma première période stéphanoise, j’étais beaucoup plus un fonçeur, un buteur, qu’un technicien ou un meneur de jeu. Cette vision de jeu me permettait d’embarquer la défense à droite, et je voyais comme une ombre passer de l’autre côté, et c’est là que l’adversaire était pris par surprise. Roger Lemerre, actuellement sélectionneur de la Tunisie, s’en souvient encore. Je l’ai rencontré il y a quelques années, il m’a demandé comment je faisais pour le surprendre à chaque fois que Saint-Etienne rencontrait Sedan ! (rires) En fait, je crois que c’est un don, on ne peut pas l’acquérir. C’est venu comme ça, spontanément. C’est venu petit à petit. Mon jeu a évolué en ce sens vers 1959 ou 1960, à l’époque ou je jouais avec l’équipe du FLN. Au contact des mes camarades expérimentés comme Bentifour, Brahimi, Bouchouk, j’ai beaucoup appris et j’ai créé ces fausses pistes.

L’été 1967, Albert Batteux succède à Jean Snella au poste d’entraîneur de l’ASSE et vous prive du brassard de capitaine. Dans un article publié dans Miroir du Football en février 1968, Georges Pradels affirme que l’ancien entraîneur du Stade Reims n’avait pas digéré votre défection pour la coupe du monde de 1958 et n’avait pas apprécié une interview que vous aviez accordée à L’Equipe. Vous souvenez vous de cet épisode et de la polémique qu’il a suscitée dans la presse sportive de l’époque, certains journalistes insinuant que vous aviez été déchu du brassard de capitaine en raison de votre nationalité algérienne ?

J’ai plutôt le souvenir d’un journal tunisien qui avait déformé mes propos à propos d’une comparaison entre Jean Snella et Albert Batteux. Je reproche à l’ASSE et peut-être à Batteux de ne pas avoir écouté les deux versions et se fier uniquement à cet article. J’aurais aimé qu’ils m’écoutent vraiment, au lieu de m’enlever comme ça d’un coup le brassard de capitaine. J’ignore si Albert Batteux me tenait encore rigueur de ma défection pour la coupe du monde 1958. Mais certaines déclarations quand on est partis et surtout quand Maouche [ndlr : ancien joueur du Stade de Reims et de l’équipe du FLN] est parti font que ce n’était peut-être pas innocent tout ça.

Lors de votre dernière saison à l’ASSE, vous avez été mis en concurrence avec Salif Keita. Quelles étaient vos relations à l’époque ? Etes-vous resté en contact avec lui ?

Il ne faut jamais oublier, entre Africains, le côté respect de l’aîné. Ce garçon m’a toujours respecté et quand il arrivé à Saint-Etienne, il est venu vers moi. Pour ma part, j’ai tout fait pour le mettre dans le coup, dans l’ambiance. C’est un garçon qui venait directement de Bamako, on se souvient tous de l’épisode de son arrivée en taxi depuis Paris. On a eu de très bons contacts l’année qu’on a passée ensemble à l’ASSE. Par la suite, je suis bien sûr resté en contact avec lui. Il y a quatre ou cinq ans, on a fait une réception à Alger et je l’ai fait venir avec sa femme et Bereta aussi, le p’tit Georges (rires). Je sais qu’il occupe actuellement la présidence de la fédération malienne de football et qu’il est toujours disponible. C’était l’approche de l’école stéphanoise de l’époque : les jeunes respectaient vraiment les aînés. C’est une éducation qui a tendance à disparaître petit à petit. Le respect des supporters pour l’équipe existe toujours, mais dans l’équipe, j’ai l’impression que le respect entre tel ou tel n’existe plus vraiment.

Vous avez terminé votre carrière stéphanoise en apothéose : sacré champion de France pour la quatrième fois, vous avez grandement contribué à la victoire des Verts en coupe de France. Quels souvenirs gardez-vous de la finale contre Bordeaux, en mai 1968 ?

Imaginons une seconde une finale de coupe de France où j’aurais vraiment flambé d’une façon extraordinaire techniquement et où j’aurais fait un très grand match. Que resterait-il de cette finale ? Rien à mon avis. Mais là, regardez le destin de quelqu’un qui est droit et honnête. Non seulement je marque une reprise de volée sur un ballon en or donné par le rouquin, mais en plus je tire deux fois le penalty : je marque une première fois mais l’arbitre me fait retirer car il n’avait pas sifflé. Ça ne peut que rester dans les mémoires pour les gens qui ont vu le match ! Ce jour là, le destin m’a dit « merci Rachid pour ta carrière ». Ce jour là, j’ai eu la preuve que Dieu existe. Mais je n’ai pas voulu assister à la fête. Je me suis sauvé après le match, je n’ai pas assisté à l’émission de télé et je ne suis pas aller voir le Crazy Horse. Je n’ai pas non plus assisté au défilé à Saint-Etienne. Ils m’ont cherché. Mais à partir du moment où le plat s’est cassé, c’est terminé. C’est pour ça que suis parti la saison d’après. Je n’en voulais pas aux supporters stéphanois. Rocher n’a pas su me défendre, Batteux n’a pas su être au-dessus de tout ça. J’aurais aimé terminé ma carrière à Saint-Etienne et me reconvertir comme formateur ou entraîneur là-bas. Peut-être que maintenant je serais entraîneur des Verts (rires).

Dans quelles circonstances êtes-vous parti à Bastia en 1968 ?

Je vais vous dire quelque chose de plus grave même si ce ne sont que des suppositions. Comme par hasard, alors que je marque deux buts en finale de la coupe de France et que je suis encore assez bon, seul Bastia se serait intéressé à moi. Comme ça, par hasard. Aucune autre équipe n’aurait été intéressée par moi. Pourquoi, hein, pourquoi ? Je crois qu’on m’a fourgué à Bastia pour que je ne flambe plus. C’est mon analyse. Même si j’avais 32 ans, j’avais encore le niveau pour jouer dans d’autres clubs, excusez-moi ! A mon avis, on a tout fait pour que n’aille pas dans un club où je risquais de montrer que j’avais encore mes qualités.

Qu’avez-vous retenu de cette expérience en Corse ?

A Bastia, malheureusement, presque tous les joueurs avaient mon âge. En plus, on avait un entraîneur qui était « super béton ». Lucien Jasseron avait des qualités, mais son truc c’était jouer défensivement. Je me suis retrouvé au milieu de cette équipe de Bastia, où je voyais passer les ballons au-dessus de ma tête. Moi je voulais les ballons dans les pieds. Au bout de six mois, les dirigeants ont souhaité remplacer Jasseron et je suis devenu entraîneur-joueur. J’ai pris l’équipe en main, on a commencé à pratiquer un meilleur jeu, avec des ballons dans les pieds. On n’a pas mal terminé la saison en assurant le maintien en première division. Pour préparer la saison d’après, je comptais m’appuyer sur de très bons jeunes joueurs corses que j’avais repérés dans l’équipe de CFA. J’ai liquidé tous les anciens, certains me l’ont reproché mais je ne pouvais pas repartir avec une équipe qui risquait de me péter dans les doigts. J’ai intégré quelques jeunes Corses dont certains sont devenus par la suite internationaux : Claude Papi, Georges Franceschetti. Finalement, je garde plutôt de bons souvenirs de mon passage à Bastia.