Rising42 nous régale avec le deuxième épisode des Confessions d'Ilan : "De la nécessité de se cultiver."
José ALOISIO DA SILVA
São Paulo Futebol Clube
Estádio de Morumbi
CÃcero Pompeu de Toledo
Praça Roberto Gomes Pedrosa 1
01512-942 SÃO PAULO
BRASIL
Saint Etienne, le 24 septembre 2006
Mon Cher José !
Ce SaintEx est vraiment extraordinaire… Non seulement il a réussi à te transmettre ma lettre dans des délais inespérés, mais de plus, il est arrivé juste à temps dans l’Estádio de Morumbi pour assister au match retour de la finale de la Recopa Sudamericana qui opposait ton équipe à ces gauchos efflanqués de Boca Juniors... Et c’est avec tristesse que j’apprends par ta réponse que vous avez perdu cette Super Coupe… Je suis d’autant plus peiné que je suis obligé de subir tous les jours les sarcasmes de mes collègues argentins, à commencer par le grand Bilos qui, l’air de rien, me demande si j’ai des nouvelles du Brésil, si je connais São Paulo, parce qu’il a envie d’y passer des vacances, car il a entendu dire que les Argentins y étaient particulièrement bien accueillis... etc… Je te fais grâce des autres questions sournoises du même genre. Maintenant Bilos apprend le français… Pfff… Je peux te dire qu’on est pas sorti de la berge. Il passe son temps à me demander le sens des mots qu’il ne comprend pas. Son attitude me rappelle la mienne lorsque je suis arrivé en France. Je demandais sans arrêt la signification de tous les mots nouveaux que j’entendais, et comme ils étaient tous nouveaux puisque je n’en connaissais aucun, j’ai conduit nombre de Sochaliens à l’internement psychiatrique, et à la cure de sommeil pour se remettre de mon insistance permanente. Pour ce qui me concerne, Bilos ne me conduira pas à l’hôpital, mais avec toutes les âneries qu’il me débite à la seconde, je suis en train de perdre mon français, et je réutilise de plus en plus mes mains pour me faire comprendre. Il va me rendre analphabète.
Mon cher José, j’ai suivi tes conseils. Pour bien m’intégrer à Saint Etienne, j’ai entrepris d’apprendre à connaître l’histoire de cette ville et de ses habitants. Je me suis donc plongé dans tous les livres que j’ai pu trouver sur ce sujet, à commencer par ceux des grands écrivains stéphanois. J’ai ainsi dévoré des livres excellents comme : À la recherche du brassard perdu de Jean-Michel Larqué, Le Larios sonne toujours deux fois de Michel Platini, Pouchkine, sa vie dissolue, son œuvre et ses conquêtes de Pascal Feindouno, Liliane est au lycée du grec Homère Triantafilos, Descente au fond de l’enfer de Roger Rocher, et enfin le livre des aventures lyonnaises de Robert Herbin, Du vent dans les voiles à Gerland , et le tome deux, Les Adidas à bascule. C’est effarant, mon cher José, ce que j’ai pu lire. Maintenant que je connais mieux Saint Etienne, je vais me mettre à lire les œuvres des footballeurs des autres clubs. J’ai acheté un lot d'ouvrages aux puces, qui me paraissent passionnants. Je m’en gratte à l’avance. Il y a par exemple Assez parlé, Sarah toussa d’un jeune avant centre prometteur du centre de formation bavarois du Borussia Bestagenbertkestadt, superbe livre dans lequel il raconte comment sa jeune amie Sarah prend froid en le regardant s‘entraîner dans la brume givrée de Bavière, et termine en urgence au sanatorium de Davos, si bien décrit par le libéro du Hertha Berlin qui joue comme une saucisse de Francfort, Thomas Mann, dans La Montagne lubrique , celui-là même qui a écrit ce livre bouleversant La Mort de Denise ; ou encore le recueil de recettes marseillaises de José Anigo, Le Capitaine Rascasse, celui de Branck Ribéry, La Bouille à baise sous toutes les déclinaisons, et encore aussi Le Médecin maghrebin de Jean-Baptiste Zidane. Mais, surprise !… José, tu vas être ravi, je le sens, je t’ai trouvé, pour te rappeler l’air frais et vivifiant de la Russie éternelle, une édition rare, que je t’envoie par le prochain avion, des Frères Kalachnikov, par le stratège du Spartak de Moscou, Dostoievski .
À propos de littérature, je m’élève en faux contre ceux qui prétendent que Fred Piquionne passe son temps à flinguer les oiseaux que l’on retrouve morts à proximité des cages de Geoffroy Guichard. Fred lui-même a été très peiné par ces accusations infondées, et après de longues semaines d’investigations approfondies, et avec l’aide de l’avant-centre anglais ressuscité, Arthur Conan Doyle, spécialiste des disparitions de sportifs, et dont le livre le plus connu et le plus apprécié par Marek,le doberman du coachtchèque, est Le Chien des baskets vides, il en arrive à des conclusions évidentes qui prouvent que les oiseaux en question se sont suicidés, conclusions qu’il développe dans son premier et dernier ouvrage : Les oiseaux se crashent pour mourir.
Mon cher José, depuis ma dernière lettre, il s’est passé beaucoup de choses très bizarres.
Je t’avais laissé juste avant le match chez nous contre Auxerre. Eh bien, ce match, nous l’avons perdu lamentablement, après avoir été rejoints puis dépassés tout juste avant la fin. Il faut dire qu’Auxerre a joué à treize, avec l’apport de l’arbitre et de notre sous-marin lyonnais, Diatta, acheté en solde au Salon de l’espionnage et des barbouzes de seconde main. Pourtant nous l’avions bien préparé ce match. Comme je te l’avais expliqué, nos préparations se font sous forme de travaux pratiques et culturels. Ainsi, nous avions passé notre semaine à courir avec une barrique de Chablis sur les épaules. Mais le matin du match quelqu’un avait saboté notre matériel d’entraînement. En effet, nous avons retrouvé la barrique vide, avec Feindouno qui gravitait tout autour, en planant et en émettant des messages en morse. De là à dire qu’il en avait bu le contenu, il n’y a qu’un pas que je ne saurai franchir, surtout qu'il a un alibi en béton, des témoins l'ayant vu durant toute la nuit faire un Safari au New Paradise avec son copain Pouchkine. Mais quand même son attitude était pour le moins suspecte.
Tu te souviens d’Auxerre, mon cher José ? C’est un dur souvenir pour toi, je sais. Auxerre est toujours la même équipe, qui ne joue pas et qui attend le moment propice pour placer ses banderilles, mais son entraîneur a changé. Guy Roux n’est plus là . Mais son esprit et son corps tordus planent toujours au-dessus des terrains sur lesquels l’équipe se produit. Le nouvel entraîneur s’appelle Jean Fernandez. C’est un excellent entraîneur. Il a beaucoup de mérite. L’an dernier il s’était mis en tête de remettre Branck Ribéry sur le droit chemin. Il y était presque arrivé. Du moins en partie. Il lui a inculqué la propreté. Maintenant, avant chaque repas, comme avant chaque match, Branck Ribéry se lave les mains, puis il les regarde attentivement de son regard effaré, comme s‘il découvrait une réalité qu‘il ignorait jusqu‘alors, il a deux mains, puis il compte longuement… Une… Euhhh… Deux… Car il a du mal à compter jusqu’à deux. Il compte pour bien être sûr qu’il les a bien vérifiées… Puis il recommence car sa mémoire déficiente lui fait oublier, lorsqu’il arrive à deux, s’il est bien passé par le un… Et il n’en finit pas… Jusqu’à ce que l’arbitre le délivre de cette torture intellectuelle en sifflant le début du match. Ainsi, avant Jean Fernandez, Branck Ribéry était un sale con. Maintenant, grâce à Jean Fernandez, il est propre et il ne lui reste plus qu’un point à rectifier. Tout seul, puisque Jean Fernandez n’est plus à Marseille. Maintenant Jean Fernandez a retrouvé le sourire, car il a un nouveau but dans sa vie : celui de reconstruire Benoît Pervertti. Il a entrepris de commencer par l’intérieur en lui faisant ingurgiter des litres et des litres d’un liquide rougeâtre, spécialité de la Bourgogne. C’est un désinfectant et en même temps ça anime le regard. Pour ce qui est de l’apparence extérieure, la lèvre pendante, la bave qui dégouline sur le maillot, l’air absent et idiot demandent des années de travail intensif pour être rectifiés, et seule la chirurgie esthétique semble envisageable, car Jean Fernandez n’est pas certain d’avoir les dix ans nécessaires pour une thérapie de groupe sans anesthésie, risquant d’être transféré bien avant vers Metz.
Je te laisse imaginer le reste de la semaine. Nous avons subi des séances d’entraînement d’enfer, à creuser des tranchées, à traverser la Loire de nuit à la nage, ce qui est fort difficile à cause du niveau de l’eau qui n’excède pas dix centimètres, et à éviter les crocs de Marek, le doberman. Pauvre Marek ! Ce chien est tombé aux tréfonds d’une sombre dépression. Son comportement a commencé à changer depuis une quinzaine de jour. Tout a commencé lorsque Bilos lui a bouffé sous le museau sa viande dans sa gamelle. Puis les symptômes ont été de plus en plus nets, alors qu’il courait après le postérieur de Feindouno durant la séance de décrassage et de désintoxication éthylique, lorsqu’il a vu surgir encore Bilos, qui courait comme un dératisé, et qui le doublait dans les virages. Mais ce qui l’a le plus atteint fut l’arrivée d’une recrue tchèque, Marek Heinz, son homonyme, mais avec le ketchup en plus, et il a tout de suite compris le sens du discours du coachtchèque qui serine sans cesse depuis des semaines que la concurrence doit jouer à tous les niveaux. Depuis, lorsque le coachtchèque appelle : Mareeeeek ! Au pied !!! , on les voit rappliquer immédiatement en même temps tous les deux : le Tchèque et le chien. Ce qui met Janot dans un état proche de la crise d’hilarité hystérique.
Au milieu de la semaine, nous sommes allés jouer à sept en Coupe de la Ligue. Comme j’avais ressenti une petite douleur à la cuisse et que j’étais un peu fatigué, je ne suis pas parti là -bas, d’autant que comme nous jouions à sept ma présence n‘était pas indispensable. Nous avons gagné brillamment devant une équipe qui a triché en jouant à onze. Nous avons marqué quatre buts. Deux de Bilos, qui en profite, dès que j’ai le dos tourné ou sitôt que je ne suis pas là , pour marquer. Tu connais les Argentins, José ? Des faux culs de première… Et deux buts fabuleux de Gomis, l’espoir qui marque à chaque fois qu’on envisage de le prêter à un club désespéré.
Le reste de la semaine a été rythmé par des stages de survie la nuit sous la pleine lune et les hurlements des loups et de Marek, le chien, je précise. Puis un jour, pour bien comprendre la psychologie de Rennes et des Rennais , nos prochains adversaires, nous sommes tous allés au cinéma pour voir un très bon film : Le Procès de la Reine Marinette. C’est l’histoire d’une autruche qui était devenue Reine de France, et qui s’était fait gauler par la Ligue pour avoir cultivé du maïs transgénique dans son jardin à Versailles. Entre nous, José, cette Ligue ferait bien de continuer son inquisition en s’occupant du cas de Branck Ribéry qui a un regard génétiquement modifié, voire même totalement loupé. Il s’ensuivit donc son procès à l’issue duquel elle fut condamnée à mort. Nous étions tous en larmes lorsque la Reine Marinette arriva devant l’échafaud, et quand le bourreau - une photocopie de Ribéry sans retouche, tout à fait la gueule de l’emploi – lui trancha la tête, l’émotion fut à son comble. On entendit Ilunga pousser des cris déchirants, très vites stoppés par un coup de pied bien placé de Janot, qui en redemandait. Contrairement à Jésus Christ qui nous laisse nous démerder avec ses paraboles, à la fin du film, le coachtchèque nous en a expliqué le sens : pour vaincre à Rennes, il faudra jouer comme des barbares, la bave aux lèvres et l’arme au poing. Ce que nous n’avons pas fait. Déjà , je le sentais mal ce match. Surtout lorsqu’on a visionné une vidéo du dernier match des Rennais, et que le coachtchèque a demandé à Diatta s’il avait bien vu Monterubio… Diatta a répondu tout net qu’il n’avait vu monter personne. Il a d’ailleurs appliqué en plein match son sens aveugle de la compréhension du jeu, et sans Janot et sa prestation digne du sanctuaire de Lourdes, nous aurions subi une défaite pesante et sans appel. Nous sommes donc revenus de Rennes avec un match nul dans tous les sens du terme.
Nous avons aussi assisté à un coup d’Etat à la tête du club. Ducon Second a saisi une opportunité, l’absence de Ducon Premier - opportunité qu’il aurait pu saisir bien avant puisque Ducon Premier n’est jamais là habituellement - pour prendre possession du trône présidentiel. Il en a profité pour vendre Geoffroy Guichard à des hommes d’affaires saoudiens qui voulaient y faire un harem en libre service avec karsher et caisses automatiques, et pour passer commande d’un stade tout neuf, le Stade Ibrahim Al Jazzira Ben Salem, qu’il voulait faire construire dans la banlieue proche de Saint Etienne, c’est-à -dire à Lyon. C’est alors que le Hezbollah de Ducon Premier veillait, et a rameuté la garde rapprochée du maire de la ville, Michel Tripatouillère, et le coup d’Etat a échoué. L’ordre a été rétabli. Ducon Premier reste le premier, sans trop de peine d’ailleurs, et Ducon Second le talonne, en roue libre. Le talent est inné.
Voilà , mon cher José, je t’ai à peu près tout raconté. Je vais arrêter ici ma lettre car les lumières de la salle vont s’éteindre pour laisser place au spectacle. Ah, suis-je bête. Je ne t’ai pas dit. Ce soir nous sommes au Moulin Rouge. C’est notre soirée de travaux culturels pour bien aborder la prochaine rencontre à domicile contre le Paris Saint Germain. Les bons à rien des matches précédents vont devoir danser le French Cancan toute la nuit, et lever ainsi la jambe jusqu’au plafond en sautant sur l’autre dans le rythme endiablé de la musique d’Offenbach, un allemand en situation irrégulière, recherché par la police hongroise du Minsitre de l'Intérieur. Je ne te dis même pas. Aux répétitions j’ai vu Feindouno et Sablé, vêtus d’un tutu, Sablé en tant que capitaine à vie portant même une jarretière verte bien utile pour différencier les deux danseurs. Si avec ça on ne bat pas Paris, je prend la nationalité tunisienne comme Santos.
Je t’envoie mes meilleures pensées, et tu voudras bien en transmettre la moitié très exactement à Alex Diaz.
À très bientôt.
Ilan Araujo Dall'Igna
Auteur : Rising42