Nous vous invitons à lire l'entretien que le jeune président de l'Olympique Strasbourg Aziz Soylu nous a accordé à une semaine de sa réception de l'ASSE en Coupe de France.


Aziz, peux-tu nous présenter ton club ?
L'Olympique Strasbourg est un club comptant 200 licenciés qui se trouve en plein cœur de Strasbourg, dans un quartier difficile, Cronenbourg. Je préside un club qui a été créé en 1997 par des gens de la communauté turque. Notre équipe première joue en R2, c'est-à-dire en 7e division. Notre budget annuel est compris entre 30 000 et 40 000 euros. Cette saison on a réussi un parcours historique en Coupe de France qui nous permet une belle affiche dans une semaine contre l'ogre Saint-Etienne.

L'ASSE fera à cette occasion son entrée dans la compétition mais ça fait un bon moment que vous l'avez débutée !
Oui, on a déjà passé huit tours. On en a joué sept, il y a un tour où on était exempt. On a rencontré deux équipes de niveau inférieur et trois ou quatre équipes de niveau supérieur. Surtout la dernière, Epinal, qui évolue en National 2, soit troix niveau au-dessus de nous. Un beau parcours en Coupe tient parfois à peu de choses. Contre la plus petite équipe qu'on ait eu l'occasion d'affronter, on était mené à deux minutes de la fin du temps réglementaire mais on a eu la chance d'égaliser avant de s'imposer en prolongation.

De quelles infrastructures disposez-vous ?
On est vraiment un tout petit club qui a à peine deux vestiaires. Notre club-house de 25 m2 est en Algeco donc modulable. On n'a pas de robinet et de lavabo dans notre club-house. On a juste un terrain et deux vestiaires pour nos 200 licenciés.

Peux-tu nous dire quelques mots sur ton staff et tes joueurs ?
Ce sont des gens tout à fait normaux, qui travaillent toute la journée et qui viennent s'entraîner le mardi soir et le jeudi soir quand ils ne sont pas trop fatigués de leur journée de travail. Pour préparer le match contre Saint-Etienne, ils s'entraînent tous les deux jours. Ce sont tous des bénévoles, il n'y a aucun salarié au club. Les joueurs ont des boulots variés : il y a des livreurs de pizzas, des conducteurs de poids lourds, des gens qui sont dans le bâtiment, dans la logistique. On a de tout !

L'ASSE, ça représente quoi pour toi ?
Les Verts, c'est mythique ! C'est l'un des meilleurs clubs de France même si deux ou trois autres ont beaucoup plus de moyens financiers que Sainté. L'ASSE a souvent brillé, c'est le club le plus titré, le seul à avoir été sacré dix fois champion de France. Et bien sûr Saint-Etienne c'est aussi un public magnifique, un très beau stade. Je n'ai malheureusement pas eu la chance de voir des matches dans le Chaudron mais l'ambiance a l'air énorme. Ce n'est pas une petite équipe, quoi ! Khazri, Cabella, M'Vila, Ruffier la légende... c'est du lourd, là !

Penses-tu malgré tout que ton équipe a une petite chance de créer l'exploit ? Comment-vois-tu ce match ?
On a créé l'exploit en sortant Epinal qui évolue en National 2 comme l'équipe réserve de Saint-Etienne. Contre les Verts on n'a strictement aucune chance. A moins qu'ils fassent jouer leurs U19 pour équilibrer les débats. Mais je n'y crois pas. On sait que la Coupe de France est une compétition importante pour eux. Pour moi ce match n'est plus une question sportive, c'est devenu un gros problème financier. Ma seule préoccupation, c'est de gagner le match financier. Il en va de la survie du club. Jouer ce match à La Meinau, ce n'est pas du tout un cadeau...

Pourquoi ?
Parce que ça a un coût énorme de jouer à La Meinau ! On rentre tout de suite dans une dimension immense pour des clubs aux moyens aussi modestes que le nôtre. Juste après le tirage, j'ai pris contact avec La Meinau pour voir à combien pouvait nous revenir l'organisation de ce match là-bas. On nous a annoncé des chiffres astronomiques. On s'est retourné ensuite vers le stade du Vauban, club strasbourgeois évoluant en National 3. Ce stade a une capacité de 1 500 à 1 700 places. Mais on a eu le véto de la fédé par rapport aux supporters stéphanois. Il n'y avait pas d'arrêté préfectoral et le stade Emile Stahl n'était pas habilité à accueillir des supporters stéphanois qui sont quand même connus pour être assez chauds.

Il a ensuite été question que le match ait lieu dans le Chaudron.
Faute de moyens financiers et pour des raisons de sécurité, on a effectivement décidé le 20 décembre d'inverser le match à Saint-Etienne. J'étais en contact avec les responsables de l'ASSE, on s'est arrangé pour que le match ait lieu à Geoffroy-Guichard car on ne pouvait pas le jouer à Strasbourg.

C'est pourtant bien à Strasbourg finalement que ce jouera ce 32e de finale. Peux-tu nous rappeler les raisons de ce revirement ?
Il y avait déjà un autre match de Coupe de France programmé ce week-end-là à Geoffroy-Guichard entre Andrézieux et l'OM. La préfecture de la Loire n'a pas autorisé que deux matches aient lieu dans le Chaudron à 24 heures d’intervalle. Il fallait au minimum trois jours d'écart or le programme de la Coupe de France ne permettait pas un tel décalage. Le président de la FFF Noël Le Graët a pris les choses en main et a appelé l'Eurométropole de Strasbourg, le maire de la ville et le président du Racing Club de Strasbourg. Il leur a demandé de nous mettre à disposition le stade de La Meinau pour qu'il n'y ait pas de souci. De l'autre côté, il y avait un risque d'inversion du match Andrézieux-OM et Andrézieux menaçait donc de déclarer forfait. Le 21 décembre au soir, on m'a imposé que notre match aurait lieu à La Meinau.

Cette solution ne semble pas te satisfaire ?
Non, aujourd'hui je ne suis pas content. J'ai un certain nombre de places à vendre, sans aucune garantie d'y parvenir, pour ne serait-ce que rentrer dans nos frais. Sinon, ce match risque de faire couler le club.

Ah, la magie de la Coupe de France... Mais on ne t'a pas mis gracieusement La Meinau à disposition pour ce match ?!
Si, l'Eurométropole de Strasbourg nous met gracieusement le terrain à disposition avec l'entretien, le nettoyage, l'éclairage. Mais la sécurite (secours, police, etc) reste à notre charge. Crois-moi, tout ça coûte beaucoup d'argent ! Je suis très inquiet pour la pérennité de mon club. On a 9 000 places à vendre, même si j'en vends la moitié, je ne suis même pas sûr de retomber sur mes pattes. Aujourd'hui, je n'ai aucune garantie de la part de l'ASSE qu'ils nous laisseront la billetterie même si je ne pense pas qu'ils la réclameront.

Ne te fais pas trop de soucis là-dessus, l'ASSE est réputée pour laisser sa part de recette aux petits clubs en Coupe de France.
Je l'espère, mais même si les dirigeants stéphanois font ce geste, mon club est loin d'être tiré d'affaires. On serait à peine dans nos frais si on arrive à vendre 4 000 ou 4 500 places. Si on parvient à vendre les 9 000 places et que l'ASSE nous laisse la billetterie, on arrivera à faire un gain supérieur à 20 000 euros. 30 000 euros grand maximum. Pour limiter les coût d'organisation de la rencontre, on a décidé de n'ouvrir que certaines tribunes. La Meinau a une capacité de 27 000 places mais pour ce match les tribunes qu'on ouvre auront une capacité totale de 9 000 places.

Tu mets en exergue les difficultés financières de ton club mais vous avez quand même l'assurance de toucher une somme rondelette grâce à votre beau parcours, non ?
La fédé a certes augmenté cette saison les dotations pour les 32es de finalistes de la Coupe de France. On va donc percevoir 52 500 euros par rapport à notre parcours. Mais cette somme-là, aujourd'hui on ne l'a pas. Elle va être versée en deux parties : la première après le 15 janvier, la seconde après le 15 février. Le problème, c'est qu'on a un match contre Saint-Etienne à organiser pour le 6 janvier ! Aujourd'hui, nous, financièrement, on n'a rien du tout. Il faut que l'on trouve 70 000 euros pour pouvoir organiser cette rencontre, alors même que je n'ai aucune garantie de pouvoir les payer aux créanciers. Depuis une semaine, je vis un enfer. Que ce soit moi ou mon staff et tous les bénévoles attachés à ce club, on court à droite et à gauche pour essayer de vendre un maximum de places. On est dans une incertitude totale.

Je te sens désabusé. Ce match devrait être une fête, c'est en fait un cadeau empoisonné ?
Exactement. Je vais te dire, honnêtement, j'ai bien fait de savourer une ou deux heures après notre qualification contre Epinal. L'organisation de ce match me met KO. Je suis monté à Paris pour le tirage au sort des 32emes. T'imagines, quand je suis rentré, j'ai couru à droite et à gauche pendant neuf jours pour essayer d'organiser cette rencontre. Comme je n'y arrivais plus, on a décidé de délocaliser le match à Sainté. Avec ma femme et mes enfants, je pensais pouvoir souffler pour voir de la famille et des amis sur Paris. On m'a appelé sur la route, j'ai dû m'arrêter sur une aire de repos pour une conférence téléphonique avec les représentants du Racing, de la fédé et de la ville. Moi je ne savoure rien du tout. Si j'avais su que j'allais vivre tout ça, je n'aurais même pas essayé de gagner le huitième tour. On est passé de la joie à la déception, à l'angoisse, à la peur. Ce devait être une fête, c'est un cauchemar.

Ça ne le sera pas si tu arrives à vendre les 9 000 places. Tu lances un appel à la mobilisation des Alsaciens ?
Si on arrivait à vendre les 9 000 places, ce serait vraiment une belle réussite. Mais je n'ai aucune garantie. A ce jour, on n'a même pas vendu 1 500 places. On n'a pas eu le soutien qu'a eu Andrézieux par exemple. Eux, en une après-midi, ils ont vendu 5 000 places pour leur match contre l'OM. Hier soir, ils étaient déjà à 8 000 places. On a une dizaine de points de ventes mais on n'a pas la billetterie de Saint-Etienne comme peut l'avoir à sa disposition Andrézieux. Je ne sais pas où on va, on attend de voir. On fera les comptes à la fin. Je crains qu'ils soient dans le rouge à cause de ce match contre les Verts...

Merci à Aziz pour sa disponibilité