Troisième extrait du spectacle de Corine Miret et Stéphane Olry. Gerd Müller et Joshka Fischer sont àl'honneur !
Le musicien :
« En Allemagne, on a une blague. On demande :
-« C’est quoi le foot ? ».
On répond :
-« C’est un sport qui se joue avec deux équipes de onze joueurs et un ballon : le match dure 90 minutes et à la fin du match le Bayern a gagné. ».
Bon. Dans une compétition, les plus faibles sont éliminés, et les meilleurs gagnent. C’est comme ça une compétition. Dans les années 70, le Bayern a gagné la coupe d’Europe trois fois de suite parce qu’il alignait l’équipe la mieux organisée, avec les meilleurs joueurs. Gerd Müller par exemple. Gerd Müller a marqué plus de 600 buts durant toute sa carrière. Moi, je l’ai vu jouer quand j’étais petit. Mon grand cousin Karl-Heinz habitait Nördlingen, dans la même rue que les parents de Müller. Les Müller, c’était une famille pauvre. Ils s’entassaient à sept dans une sorte de sous-sol. Müller traînait tout le temps dans la rue. C’était après la guerre. Les villes étaient en ruines. Les enfants jouaient au foot avec des vessies de porcs ou des balles de chiffon. Mon cousin m’avait écrit : « Müller peut taper dans n’importe quoi, ça finit toujours au fond du but. Quand Gerd Müller tire, c’est pour marquer. »
En 1961, je suis allé passer quelques jours de vacances chez mon cousin à Nördlingen. Il m’avait écrit : « Quand tu viendras, on ira voir jouer Müller ». Quand on est arrivés sur le terrain du TSV Nördlingen, Müller était à la buvette, habillé en civil, en train de boire des bières. Mon grand cousin s’est approché de lui et lui a serré la main. Müller lui a dit : « Je ne joue pas aujourd’hui. Je me suis engueulé avec l’entraîneur et ils m’ont suspendu pour trois matches. »
À la mi-temps, le TSV Nördlingen était mené 3 à 0. Müller était resté à boire de la bière à la buvette. On a vu un joueur du TSV sortir des vestiaires, et chercher Müller au bar.
Ils lui ont trouvé un short et un maillot, mais il était en chaussures de ville quand il est entré sur le terrain. Il était pas bien impressionnant. Il ne bougeait pas beaucoup. Il se contentait de traîner dans les alentours de la surface. À un moment, il est allé vomir sa bière derrière la ligne de touche. Il est revenu en trottinant. Et soudain, il a jailli balle au pied, il a crocheté un joueur, il a trouvé un espace minuscule, il a tiré, et c’est rentré. Il a marqué quatre buts cet après-midi-là . C’est pour ça que le Bayern l’a engagé. Pour gagner.
Moi aussi je jouais au foot. Dans la ville de la Ruhr où j’habitais, après le travail, il n’y avait que ça à faire, jouer au foot. Comme j’ai perdu très jeune mes parents, il a fallu que je travaille tôt pour gagner ma vie. J’ai commencé comme apprenti-métallo dans une usine Opel. Ensuite, j’ai eu un poste sur une machine outil. Vous savez, les tourneurs-fraiseurs, c’est l’aristocratie de la classe ouvrière. Le samedi soir, dans les bars, je jouais du rock avec un groupe. Dans la ville d’où je viens, si on ne fait pas d’études et si on veut s’en sortir, on devient chanteur de rock ou footballeur.
Un jour en tournant une pièce sur une machine, j’ai réalisé que quelques millimètres de trop, clac, un tendon sectionné, et c’était fini la musique. Je me souviens du numéro sur mon bleu de travail. C’était le A 528. Ce jour-là , j’ai laissé mon bleu au vestiaire. Je ne suis jamais revenu à l’usine Opel.
J’ai vécu dans les squats de Francfort. Tous les samedis, dans les squats, on jouait au foot. J’ai joué avec Joshka Fisher, Danny Cohn-Bendit. Joshka Fisher disait : toi, tu joues avec moi, toi aussi, toi tu joues pas tu es trop mauvais. C’était une grande gueule. Il était assez lent et lourd sur le terrain, pas très habile avec le ballon. Un samedi, Joshka Fischer je l’ai passé une fois, deux fois, trois fois. Toujours la même feinte et Joshka Fisher scotché sur place. Ça me faisait sourire. Et au quatrième dribble, il m’a fauché par derrière. J’ai entendu l’os craquer. J’ai regardé ma jambe qui faisait un angle bizarre puis Joshka Fischer qui rigolait. J’ai pensé : « Celui-là , il ira loin ». Et vous voyez, il est devenu ministre des Affaires Étrangères. »
"Mercredi 12 mai 1976" (3/11)
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