Mon Cher Frédéric,
Je voulais partir, quitter cette ville sinistre. Je te l’ai dit. J’ai fait tout comme tu m’as dit de faire. Et ça a foiré. Je suis coincé ici. Mais , n’aie pas peur, je vais les avoir au virage ces agités de la couleur verte. Je leur prépare un de ces tours de con dont j’ai le secret. Et puis, j’ai plein d’amis maintenant pour m’aider : toi, Papaguy, Papaolas… Et j’en passe et des branleurs...
Monsieur Frédéric PIQUIONNE
Boulevard Alfred Hitchcock
Résidence « Les Oiseaux »
98000 PRINCIPAUTE DE MONACO
Mon Cher Frédéric,
Je voulais partir, quitter cette ville sinistre. Je te l’ai dit. J’ai fait tout comme tu m’as dit de faire. Et ça a foiré. Je suis coincé ici. Mais , n’aie pas peur, je vais les avoir au virage ces agités de la couleur verte. Je leur prépare un de ces tours de con dont j’ai le secret. Et puis, j’ai plein d’amis maintenant pour m’aider : toi, Papaguy, Papaolas… Et j’en passe et des branleurs...
Comment pouvais-je vivre dans une cité où les rues sont si étroites qu’il m’était pratiquement impossible d’y rouler avec mon Audi Q7, sans égratigner, rayer ou pulvériser les voitures ordinaires de ces Stéphanois non moins ordinaires, tellement ordinaires qu’ils n’ont même pas le goût de ce qui brille, c’est-à -dire toi ou moi. Surtout moi, d’ailleurs. De plus, j’étais tellement mal payé par les deux Picsou, que mon agent m’avait demandé de vendre ma Q7 pour réduire mon train de vie. Une Audi Quattro, tu le sais, Fred, est indispensable dans le Forez en raison des hivers rigoureux et des routes glissantes, et pour mener mes futurs enfants à l’école. Ainsi, je risquais de mettre en péril ma sécurité, mon intégrité physique, et celles de mes descendants à venir, en m’abîmant contre un arbre en décembre. Pourtant, cette voiture, je l’avais durement gagnée, en sacrifiant ma jeunesse par des entraînements pénibles, des brimades infligées par des coachs tyranniques. Je ne pouvais pas me résoudre à cette vente, et j’ai résisté en me privant et en réduisant ma consommation de viande, de caviar, d’herbes pharmaceutiques, et de plantes onéreuses en tous genres importées d’Iran et d’Ouzbékistan, que je fais pousser sur mon balcon. J’ai même dû céder mes actions sur le sucre pour en acheter d’autres de moindre valeur sur les édulcorants… J’ai vendu toutes mes chemises XXL pour en acheter des XL moins chères...
Le résultat de ces privations a été stupéfiant, si je puis dire : j’ai conservé la voiture, et j’ai maigri de la tête. Oui, je te l’assure Fred, je n’y croyais pas, mais j’ai bien maigri de la tête. Le médecin, spécialement déplacé à mon chevet par le Racing Club de Lens, me l’a bien confirmé. Pourtant, je ne pouvais pas le croire… La preuve : quand j’entrais dans ma Q7, j’avais toutes les peines du monde à m’asseoir derrière le volant, comme si l’airbag s’était déclanché. Une autre preuve : je ne pouvais plus entrer dans l’ascenseur qui conduit à mon appartement de douze pièces, culminant au sommet d’un immeuble misérable du centre-ville. Il me fallait monter par l’escalier de secours, et faire des manœuvres dans les parties courbes. Si je tenais ce con d’architecte qui a fait des virages dans l’escalier, il passerait un sale moment !… Même en Belgique les escaliers montent droit au ciel, merde !... Tu imagines, Fred… Une heure tous les soirs pour avaler les vingt étages quand j’étais dans un état second. Et tout de même trente minutes lorsque j’étais sobre. Je ne pouvais donc pas avoir maigri de la tête. J’avais plutôt le crâne pressurisé, et la soupape condamnée ne laissait plus évacuer la vapeur produite par mon intellect hors norme. Mais le médecin de Papaguy me l’a confirmé : en réalité, quand on maigrit de la tête, c’est l’intérieur qui rétrécit et l’extérieur qui enfle. Ce qui explique que je ne m’en étais pas rendu compte. Je me croyais sur le point d’accroître mon intelligence savamment entretenue, puisque ma tête enflait. Mais tout cela est clair, et le constat est amer : maintenant j’ai véritablement une grosse tête, démesurée, à tel point que Coachlolo voulait me transférer à Nice pour le Carnaval, et ma cervelle est devenue atrophiée, plus proche de celle d‘une moule que d’un footballeur inculte. Ce qui est un pléonasme, nul n’en doute, et surtout pas toi.
Je me croyais luminescent, mais le docteur de Papaguy m’a annoncé que j’étais déjà idiot par la grâce de la Nature, et que mon club aggravait mon naufrage intellectuel en me payant comme un paria. Il fallait donc augmenter mon salaire d’une manière conséquente, pour enrayer cette dégringolade. Ce que Papaguy me disait tous les soirs au téléphone pour m‘endormir
Ah, tu verras, tu verras,
Tout recommencera, tu verras, tu verras,
Le Nord est fait pour ça, tu verras, tu verras,
Tu feras plus le con, tu apprendras ta leçon
Sur le bout de tes doigts, tu verras, tu verras,
Tu l’auras ta maison avec tes tuiles bleues,
Des croisées d’hortensias, des Sablé plein les yeux,
Des hivers crépitants, près du chat angora.
Et je m’endormirai, tu verras, tu verras,
Le devoir accompli, couché tout contre toi,
Avec dans mes vestiaires, mes caves et mes toits,
Tous les Euros du monde …
Cette histoire de Papaguy qui voulait coucher tout contre moi m’a interloqué. Je ne savais pas qu’il était Grec, et je dois dire que l’aventure avec lui m’a tenté. Mais les deux Piscou refusaient en me menaçant de me faire botter les fesses par le dessinateur russe de la Pravda.
Alors, j’ai tout fait pour m’en sortir. J’ai lu des livres que je n’ai pas compris sur les gens les plus pauvres du monde, les Intouchables de l’Inde. Je me suis dit, je suis comme eux, un intouchable. Le premier qui me touche, ça va fumer ! Je l’ai dit à Coachlolo, ce qui m’a valu une heure de pompes sans respirer, avec deux sacs de patates sur les épaules. Donc après j’ai fermé ma gueule. Et je suis allé m’entraîner quasiment seul avec les autres Intouchables du club.
Ah oui, tu ne le sais peut-être pas, Fred, mais le Coachtchèque a été transféré dans la région d’Auschwitz, pour parfaire ses techniques de persécution, et c’est Coatchlolo qui s’est vautré sur le trône délaissé... L’air de rien... On n’a pas gagné au change. C’est un véritable cerbère qui m’utilise pour préparer sa thèse de doctorat d’entraîneur ès football, thèse dont le sujet est :
De l’abrutissement en général, et dans le football grec en particulier :
Bafétimbi Gomis ou de l’inutilité d’un cerveau pour taper dans un ballon .
Je devine d’ici ton effarement, Fred... Oui, je suis d’origine grecque. J'ai fait des tas de recherches. Je suis remonté sur l'arbre de la génalogie. Il faut dire que je suis passionné par cette science majeure, comme toi-même tu es obsédé par l’ornithologie. Je t’explique… Un de mes lointains ancêtres est arrivé sur les côtes françaises, qui n’étaient encore que gauloises, à Phocée pour être précis, une ville peuplée de gens aux mœurs incertaines comme lui. C’était il y a deux mille ou deux cent mille ans, mais je ne peux pas te dire précisément, parce que je n’ai toujours rien compris aux Euros. Il s’appelait Cielmongomis. Et durant les siècles qui se sont écoulés depuis cette époque, les déformations populaires ont amputé mon nom de sa partie la plus noble. Quant à mon prénom, Bafétimbi, il vient du grec ancien : Bafécéphale, qui signifie : tête à claques. Là aussi, les ans et les partisans du moindre effort ont modifié ce prénom en Bafétimbis, puis en Bafétimbi, pour finir en Bafé, qui me va bien mieux, je trouve. Je devine ici encore la perplexité de ta réfléxion : pourquoi suis-je Grec tout en étant noir de peau ? C’est évident. Lors du déclin de la Grèce antique, les Romains ont pris le relais pour mettre le bordel dans le bassin méditerranéen, et ont déporté des Grecs, dont un de mes ancêtres, dans leurs colonies d’Afrique. Et la nature a suivi son cours. Ordinairement, le mélange des races apporte un plus aux générations futures, comme le Melting pot américain. Pour moi, ça a été un cataclysme au niveau des neurones.
J’ai donc tout tenté.
J’ai suivi des cours intensifs le soir comme Ribéry. Mais je ne comprenais rien à l’allemand. Pourtant, pour progresser, je mangeais de la choucroute et buvais de la bière par tonneaux entiers, mais rien n’y fit. Il faut dire aussi que j’avais cru acheter un berger-allemand, et que je me suis fait rouler par le vendeur qui m’a refilé un berger-belge. Donc, j’ai été recalé lors de l’entretien d’embauche à Stuttgart, à cause de l’accent. Et à Munich, c’est Ribéry qui a été recruté par le Bayern, car il aboyait la langue mieux que moi, et a surtout conquis son nouvel employeur par les mouvements élégants de ses oreilles et de sa langue pendante. Et moi qui suis bien plus lumineux que lui, ma modestie dût-elle en souffrir, je suis là , aujourd’hui, encore à végéter au pied des crassiers. Si ça continue, je vais bourgeonner avec les acacias. Et je me retrouve plus con que con parmi les cons, à rester dans la Loire. Un con supérieur en quelque sorte. Un super con paradoxalement sous-payé.
Puis, il y’eut Valence. J’ai refusé tout net... Comme un con persistant... Classique… Si mon abruti d’agent m’avait précisé que c’était Valence en Espagne et non dans la Drôme, je serais parti. Trop tard. Les Espagnols sont fiers. On ne peut plus les rattraper.
Alors, comme j’ai senti que les deux Picsou allaient m’interdire de partir là où je voulais en France, et m’ont menacé de me faire jouer en CFA durant toute la saison à venir, je me suis inquiété. J’ai aussitôt contacté mon banquier pour lui demander le cours du Franc CFA. Lorsqu'il m'a précisé que c'était une monnaie qui sonnait creux, j’ai immédiatement compris que je risquais de perdre la Q7. Donc, j’ai pris mon air le plus contrit que possible... Je me suis confessé, et j’ai demandé pardon, aux deux Picsou, aux supporters, à ma famille, sans en penser un mot. Il faut dire que j’ai été bien aidé en lisant les Correspondances de Kouchner et Talleyrand, deux faux-culs experts en mensonges. Et ça a marché. Coachlolo était tout émoustillé. Les deux Piscou n’en revenaient pas. Ils ont tellement été effarés qu’ils m’ont doublé mon salaire de misère, sans que je ne leur demande quoi que ce soit.
Et moi, pour montrer à tout le monde que j’étais un homme nouveau, je jouais hier à Annecy contre mes ancêtres marseillais, match durant lequel j’ai marqué un but sur un pénalty imaginaire. J’ai posé le ballon sur le point blanc. J’ai réfléchi. Je me suis dit : Bafé, tu es comme Fred, tu es un homme de gauche. Pense aux pauvres, et tire à gauche. J’ai tiré à gauche. J’ai marqué. Comme quoi, il y a toujours une justice sociale. Et puis, comme je suis vicieux , j’ai envoyé Dernis, un concurrent direct, à l’hôpital sur une superbe ouverture pourrie qui s’est terminé sur Carasso dans un craquement de bois mort. Il ne me reste plus qu’à m’occuper du cas d’Ilan, et je serai tranquille jusqu’au Mercato d’hiver, où je leur réserve une vacherie qui mijote sur le coin de mon gaz.
Mais d’ici là , Saint Etienne, c’est mon club de cœur. Mon cœur ne bat que pour lui. Il n’a d’ailleurs battu que pour lui, même si l’or n’y étincelle pas. Mais, moi, je n’ai pas besoin d’or. Jouer ici devant ce public en or est la seule richesse qui m’intéresse.
Je te tiendrai au courant de l’évolution de mon triste sort très régulièrement.
Mon Cher Fred, je te souhaite une bonne saison, et je te rappelle que ton Titi d’amour n’est plus à Arsenal, mais à Barcelone. Donc, il serait plus judicieux d’arrêter tes cours particuliers d’anglais pour les transformer en cours particuliers de catalan.
Avec mes grecques amitiés.
Bafécéphale
Lettre de Bafétimbi Gomis à Frédéric Piquionne...
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