La séparation, tellement de fois pressentie, semblait inéluctable, souhaitable même selon certains. L’histoire tranchera. Mais il ne fait aucun doute qu’avec le départ de Sablé à Lens,  l’AS Saint-Etienne a perdu un des personnages majeurs de son histoire récente, une vraie figure qui incarnait le club, et aurait tellement mérité une sortie digne de sa fidélité au maillot vert.


Terminée dans la confusion l’histoire de Julien Sablé à l’ASSE avait démarré dans un grand frisson.

Flash-back. 8 Mai 1998, il y a 9 ans. L’ASSE vit son deuxième chemin de croix consécutif en d2. Quelques jours avant que toute la France se mette à fredonner du Gloria Gaynor, les Verts jouent une version plus pathétique d’ « I will survive Â». Ce n’est plus contre Troyes mais à Lille où les hommes de Pierre Repellini se déplacent pour la 42ème et dernière journée de championnat. Ils peuvent encore descendre en fonction du résultat de Louhans Cuiseaux premier relégable à 2 points des Verts. Malgré ce terrible enjeu, Julien Sablé, 17 ans, champion de France de sa catégorie et futur vainqueur de la Gambardella, est titularisé pour la première fois en Pro.

Dos au mur, face à leur destin, qui se souvient d’avoir vu les Verts brillants ?  Malgré un but de Pape Sarr ils s’inclinent 2-1, et sauvent leur tête uniquement grâce à la victoire du Mans sur le fil contre Louhans Cuiseaux.

La saison se finit pour la 2ème fois consécutive par une fête au goût étrange dont Juju se souvient bien «Etonnamment, nous avions sauvé le club avec une défaite. C’était bizarrement une grande fête parce que nous n’étions pas descendus en National»..

 

Première émotion forte pour Juju, l’homme des galères, de toutes les galères vertes de cette dernière décennie. Joueur emblématique, compagnon d’infortune, symbole comme J.Janot de 10 années où les sursauts aussi beaux fussent-ils ont toujours précédé de terribles rechutes.

Ainsi, dès la saison suivante, les Verts, dont les caisses sont vides, repartent en campagne sans pétrole mais avec des idées dont l’excellente de confier l’opération commando au Nouz. Flanqué de vieux grognards (Subiat, Revelles, Ferhaoui…) il va nous ramener comme dans un rêve en d1. Entré dans l’équipe lors de la 11ème journée de cette saison, le 9 Octobre 1998 contre le Red Star (terrassé par un mirage nommé Ponsard), Juju n’en sortira plus jusqu’en mai 2007. Les Verts sont alors 3èmes du championnat de d2.

 

Sablé a 18 ans, sa précocité, son poste et son style lui valent de flatteuses comparaisons, on lui prédit ainsi une carrière à la Deschamps. Bien sûr, son style n’est pas très académique, la fougue et l’envie sont indéniables, tel un chien fou, Juju jappe aux 4 coins de le pelouse. Il vient harceler le porteur du ballon, son activité est débordante, il ne connaît pas la transparence de ses tristes prédécesseurs à ce poste (Delpech, Soucasse…). Bien sûr il perd des ballons mais le chaudron apprécie une telle débauche d’énergie surtout chez un jeune qui ne jure que par le travail.

 

Julien et les Verts remontent en d1. Sablé, champion de France des moins de 17 ans en 97, vainqueur de la Gambardella en 98, et champion de France de d2 en 99 incarne à merveille le renouveau vert. Et le rêve continue. Sur un rythme de samba, l’ASSE offre à ses supporters la meilleure période de ces vingt dernières années : le spectacle est au rendez vous, les résultats sont là, et l’ASSE vainc ou tient tête à ses ennemis héréditaires (Lyon, Marseille). Que demander de plus sinon, par toutatis, que le ciel ne nous retombe pas sur la tête ?

 

Mais le ciel est cruel et fait pleuvoir dès la saison suivante sur Sainté faux passeports et vraies sanctions. Le Nouz est lourdé et gallois du milieu oblige, le nouvel entraineur a ses têtes. Il préfère celle de Laurent Huard à celle de Sablé, qui va tâter du banc. Le Gallois prend ses cliques, ses claques et son 4x4 et l’ASSE finira la saison avec les moyens du bord. Mais des torrents d’emmerdes se forment et emportent les Verts dans l’enfer de la d2. Contrairement à Mettomo ou Sarr son talent a sans doute moins sauté aux yeux des recruteurs que ses relances hasardeuses, alors Juju, comme Janot ou Diawara, sera un des seuls jeunes à ne pas quitter le navire.

Les Verts veulent remonter et en ont les moyens. Mais s’ils ont cette fois du pétrole, les dirigeants n’ont pas d’idées. Le casting est cataclysmique. L’amer Michel qui a perdu son challenge laisse vite sa place au père fouettard, Anto pour les intimes.

Juju pendant une saison et demi est au triste diapason de l’équipe : sans grand talent, sans ligne directrice, avec sa volonté pour seule arme. Pendant que l’équipe ,dessoudée par les Forgerons sous la neige, frôle le pire en visitant les dernières loges de d2, Juju sauvegarde miraculeusement sa place en EDF Espoirs, sa bouffée d’oxygène, celle qui l’aide à ne pas trop écouter les sirènes qui lui suggèrent d’aller voir ailleurs.

Sa patience sera récompensée, encore une fois la 3ème année au purgatoire sera la bonne. Juju et les Verts remontent. Sablé n’a que 23 ans, il revient en d1 sous son éternel maillot à étoile. Il a la vie devant lui. Seule ombre au tableau, le chef de bande doit laisser sa troupe, Anto trop franc, et pas assez rond malgré les apparences est prié d’aller dodeliner de la tête ailleurs. Ce milieu est sans pitié. Juju est affecté.

Mais la d1 à Sainté ça ne se refuse pas et puis Baup le nouveau chef de bande a un joli CV. Enfin le nouveau taulier, qui a fait de la communication sa fortune, sait si bien évoquer la grande famille de l’ASSE que Juju y croit.

Et l’histoire verte bégaye, la saison de la remontée se conclut encore par une belle sixième place. Juju vit cette saison comme dans un rêve, cantonné sous Anto au rôle de pur demi défensif associé à Hellebuyck, il se retrouve, grâce à Zokora véritable libéro du milieu, dans une position plus avancée. Et il claque ! 5 buts en une saison, plus que durant les 8 autres saisons accomplies en Vert. Il se découvre un certain talent pour les coups francs et est souvent placé à l’entrée de la surface pour placer sa frappe du droit. Bref Juju est épanoui et marque l’un de ses plus beaux buts sur la scène européenne, face à Cluj. Ce n’est certes que l’Europe canada dry mais le stade est plein, et même si les Verts se font trop précocement sortir, l’état de grâce de Juju se prolonge jusqu’à la fin 2005. Les Verts tutoient les sommets de la d1, Sablé n’a jamais été aussi propre dans son jeu, et à l’heure où Domenech commence à racler les fonds de tiroir pour faire sa sélection il n’est plus acadabrantesque d’imaginer que Sablé soit appelé en équipe de France.

 

Le peuple vert a les yeux de Chimène pour le Steven Gerrard stéphanois qu’il imagine en rêve soulever le premier trophée du club depuis 1981. L’histoire serait si belle… Mais Domenech appelle Mavuba, Zokora file à la CAN, et Feindouno, malmené par le public, n’anime plus que les pistes de danse. Les Verts plongent début 2006. Sablé en capitaine zélé soutient Feindouno … jusque dans ses virées nocturnes, diront les mauvaises langues.

En coulisses, le torchon brûle entre Baup et les dirigeants, la démobilisation est générale, les rêves européens et Baup se font la malle. Sablé, qu’on dit aussi mal dans son couple que dans son club ne supporte pas cette énième révolution de palais. On l’annonce en visite à Toulouse puis en contact avec Marseille, sa ville. Probablement freinés par le montant du transfert, les acquéreurs potentiels n’insistent pas et Juju rempile pour ce qui sera sa dernière année à Sainté.

Orphelin de ses compères Hellebuyck et Zokora avec qui il formait un trio de demi-défensifs complémentaire et efficace, Sablé est associé à Landrin. L’axe du milieu de terrain a perdu une unité, et Sablé doit revenir, visiblement à contrecoeur, à son rôle de jadis : celui d’un pur numéro 6, sans possibilité de se porter vers l’avant. Malgré les résultats prometteurs, Sablé passe parfois à travers. A Lille, le contraste est saisissant entre la classe affichée par le duo Ilan/Piquionne et les approximations de Juju, dont la sortie en cours de match résonne comme une sanction, mais aussi comme un message : son statut n’est plus incontestable, sa statue plus indéboulonable. Tant au sein du club que chez les supporters, le désamour est patent. Et d’autant plus terrible à vivre que Janot, l’autre cadre historique du club, jouit d’une popularité exceptionnelle. Juju le vit mal et multiplie les déclarations malheureuses. Il ne comprend pas que son investissement dans le club ne soit pas payé en retour d’un amour inconditionnel du peuple vert. Face aux doutes exprimés sur sa valeur, il choisit de bomber le torse et de jouer la fausse assurance. Cela ne fait que creuser la faille.

 

Dans une fin de saison dont l’ASSE a le triste secret, les conflits éclatent au grand jour et les résultats sont au diapason de l’atmosphère au sein du club. Sablé est victime d’un turnover dont personne n’a saisi la finalité. Il participe à l’ultime victoire de la saison contre Lille, sa dernière image en Vert sera celle d’un capitaine venu le premier féliciter Moussilou après son doublé contre son ancien club. Juju verra les 3 derniers matchs du banc ou des tribunes. Sans lui l’équipe s’incline 3 fois. Le club avait contre Marseille l’occasion de donner aux adieux de Sablé le cadre grandiose qu’ils méritaient. Mais il faut croire que même dans les grandes familles, on fait des fautes de goût. Et Juju n’en sera pas et quitte donc le club sans adieu devant son public, sans l’ultime hommage qu’il aurait tant mérité.

 

Julien comme disait le chanteur à sarbacane, on t’aimait, on t’aime et on t’aimera. Mais putain, décidément, les histoires d’amour finissent mal, en général.

 

 

Julien Sablé a joué 302 matchs et marqué 9 buts en championnat de L1 et L2 à l’AS Saint-Etienne. Il a participé à 34 matchs de coupe et 4 matchs de coupe Intertoto.