Il existe des « règles » qui régissent cette gestion. Évidemment, ce qui suit concerne un match-modèle, et la réalité entraîne forcément une modulation de celle-ci. La première d’entre elle est la distinction entre carton « obligatoire » et carton « important dans la construction du match », soit la gestion de l’anti-jeu et la gestion de l’engagement. Les exemples donnés ci-après doivent donc être envisagés dans des cas optimum (l’arbitre a vu exactement ce qui s’est passé, tout est clair), bref, de quasi-théorie.
Un carton obligatoire, c’est la sanction un peu binaire : « tel type de faute = carton », indépendamment du contexte. L’exemple le plus criant va être la main volontaire du gardien hors de sa surface pour empêcher un but d’être marqué. Que ce soit à la 5e ou à la 94e minute, que le score soit de 0-0 ou de 5-0 contre une équipe, c’est rouge. Autre exemple en train de s’imposer, la faute d’anti-jeu empêchant une contre-attaque de se développer où le jaune est mis de façon quasi-systématique. On peut aussi mettre la contestation dans cette « rubrique », à partir du moment où elle devient visible (ou audible) de tous.
Passons ensuite à la construction d’un match de foot. L’objectif est de maintenir un maximum de cohérence dans les coups de sifflet, tenir une ligne de conduite et graduer les sanctions. Donc, une gestion plus liée à l’esprit. En fait, tous les cartons pour des situations liées à l’appréciation de l’arbitre rentrent dans cette case. Le fameux rappel à l’ordre est le premier cran de sûreté avant la distribution et ces situations peuvent être modulées selon les circonstances – on parle entre arbitres de « gagner son match » ainsi – et une même faute peut avoir une sanction administrative différente selon le moment du match, le score… Concrètement, par le biais de cartons donnés ou non, on passe des messages aux joueurs. « Oui, Monsieur, ce tacle était un peu appuyé, mais sans réel danger et plus dû à une maladresse qu’à de la méchanceté. En plus, vous menez déjà 5-0, ce ne serait pas utile de donner un second carton à ce joueur, non ? » Cet exemple peut sembler hallucinant aux tenants de la lettre à tout prix, mais, dans le contexte d’un match, ce peut être faire preuve d’intelligence et calmer les esprits. Car un carton « mal donné », au lieu de calmer, peut faire disjoncter.
Trève de théorie, encore une fois, les exemples donnés ci-dessus s’entendent dans un monde idéal, où tous les acteurs du terrain suivent à la lettre le plan de bataille de l’arbitre qui pourrait se caricaturer ainsi :
- 10e minute, un croc-en-jambe plus maladroit que méchant au milieu de terrain : l’arbitre glisse un mot au joueur de l’équipe A coupable qui s’excuse et relève son adversaire.
- 18e minute, l’arrière latéral de l’équipe B monté le long de sa ligne rate un tacle et déséquilibre un adversaire loin de son but. L’arbitre le prend à part et lui fait un rappel à l’ordre « solennel », compréhensible de tous (par des gestes bien précis)
- 25e minute, tirage de maillot d’un attaquant de l’équipe A sur son vis-à -vis au poteau de corner. C’est déjà sa troisième faute du match. Là encore, rappel à l’ordre solennel. Chaque équipe a eu droit au sien, maintenant, tout le monde sait qu’on a atteint une limite.
- 42e minute, le même attaquant de l’équipe A veut aller contrer un dégagement et met une semelle en retard sur un défenseur. Il reçoit un carton jaune. Mi-temps.
- 50e minute, un joueur de l’équipe B tire le maillot d’un adversaire qui partait en contre. Lui aussi reçoit un carton jaune.
- Ensuite, soit il ne se passe plus rien, soit il faut continuer la distribution, mais on aura compris le cadre.
- … Fin du match, tranquille, avec des sanctions graduées et équilibrées.
Bien entendu, le foot n’est pas le monde des Bisounours, mais ce résumé peut vous donner un canevas et des exemples-types pour comprendre la gestion d’un match par l’arbitre.
Reste qu’un carton jaune est un carton jaune, qu’il soit donné pour un mot de travers, un tacle appuyé ou parce qu’on fait coucou à Tata Suzanne quand on marque un but en retirant son maillot. Du point de vue du spectateur ou du journaliste, voire des hommes de terrain, un décalage de perception peut donc se créer. « Nous, on prend des cartons pour des conneries et eux, ils mettent des coups ». Bref, quand on veut parler de gestion d’un match, cette dimension d’équilibre est fondamentale. L’arbitre a en tête de sortir du terrain avant tout sans avoir influé de manière négative sur le score, ensuite en ayant fait preuve de cohérence dans ses cartons (éviter de terminer un match tranquille avec 8 jaunes et 3 rouges pour contestation, éviter qu’une équipe ayant défendu très (ou plutôt trop) physiquement termine avec moins de cartons que son adversaire, éviter des scores de 5 cartons à zéro…)
Le problème de ce derby, et c’est ce qui donne une impression un peu mitigée au final, et que l’équipe qui a commis 22 fautes contre 5 ramasse autant de cartons que son adversaire (3 au total). Pire, on observe deux cartons « obligatoires » pour les Verts (une simulation, qui n’en était pas une, on le sait et une faute d’anti-jeu au milieu de terrain) versus deux pour des fautes appuyées (un geste dangereux lors d’un duel aérien et surtout, un tacle épouvantable) lors d’une première mi-temps qui a conditionnée le match.
On l’a vu, la distribution des cartons, c’est un aller-retour perpétuel entre l’esprit et la lettre, une recherche d’équilibre aussi. L’important dans celui reçu par Bergessio – si l’arbitre ne voit pas le contact et seulement la chute à contre-temps de l’Argentin, le carton se justifie, même si c’est une erreur – et je serais presque tenté de dire que cette décision a foutu le plan de bataille du trio mené par Tony Chapron en l’air. Car, à partir du moment où on débute un derby – match traditionnellement musclé – par un carton jaune à la 3eminute, respecter le plan d’école devient difficile. Ainsi, la faute de Pjanic sitôt après aurait pu justifier plus que la remontrance « amicale », soit le degré 1 de la sanction. Un bon gros rappel à l’ordre m’aurait paru plus adapté, voire une biscotte, pour peu que l’arbitre ait pu saisir le côté volontaire de la faute (pas sûr qu’il l’ait vu). En plus, c’est un attaquant qui l’a faite, cette faute et un carton pèserait moins lourd que pour un défenseur. Bref, je pense que l’arbitre grenoblois manque littéralement une occasion à la 6e minute. Au final, de cette première mi-temps, c’est la retenue qui a prédominé : on sent que Chapron souhaitait conserver des cartouches pour le deuxième acte et a donc choisi de se retenir.
À la rigueur, c’est compréhensible : le début de match est très engagé et on peut décider de garder les cartons « pas obligatoires » pour le cas où la fin de match monterait en intensité, la fatigue aidant. Mais, dans ces cas-là , on tombe toujours sur des situations à la con, du genre qu’un observateur ne laissera pas passer. Exemple avec la faute de Landrin, et en partie avec celle de Bastos (qui est à la fois un carton obligatoire, car c’est une situation clairement identifiée depuis deux saisons et également une sanction liée à la gravité de la faute). Là , on est presque à la mi-temps et un joueur est sorti sur blessure mais les cartons n’ont finalement été donnés que dans le cadre de « la lettre » au détriment de l’esprit qui demandait sans doute que le premier tacle d’Ederson au milieu de terrain soit sanctionné d’un carton jaune. Pour deux raisons : primo, Lyon, qui avait défendu de façon plus musclée dans cette première mi-temps revenait au même niveau de sanction que l’ASSE, ce qui, symboliquement, est important (moindre sentiment d’injustice côté Vert), secundo, avec déjà un carton, il n’aurait peut-être pas taclé ainsi Mirallas deux minutes plus tard. Car ce deuxième tacle est juste épouvantable et n’aurait pas dû être sanctionné par autre chose qu’une exclusion de son auteur. En effet, il est commis avec un excès d’engagement, n’est pas du tout maîtrisé et met sévèrement l’intégrité physique de son adversaire en danger…