Galette, Bompard, Nanard & Roro sont au menu du cinquième volet de l'interview du Nouz !


On continue de se livrer au jeu des comparaisons : on va te comparer, toi Robert Nouzaret, à Christophe Galtier. Il y a pas mal de supporters stéphanois qui ont noté des points communs : les origines marseillaises, le côté chaleureux, la capacité à insuffler un bon état d’esprit au groupe et un style de jeu tourné vers l’offensive - même si ce n’était pas marquant dans les premiers temps de Christophe Galtier car il est arrivé dans un contexte où il fallait sauver le club ; mais on a l’impression que maintenant il dispose de plus d’arguments et de joueurs pour porter un projet de jeu ambitieux. Est-ce que toi aussi, tu te reconnais en Christophe Galtier, et tu vois des similitudes ?

Je pense, que quand tu vois jouer une équipe, au travers du comportement de l’équipe, tu vois un peu la philosophie de l’entraîneur. Il y a ça ; il y a son attitude sur le banc de son touche (ou en dehors), et son attitude dans les conférences de presse. Donc dans son discours, dans son comportement sur le terrain, dans le style de l’équipe, c’est vrai que je pense qu’il doit un peu fonctionner comme moi. Mais pour affirmer ça, il faudrait y être tous les jours…

Dans le jeu tourné vers l’offensive, est-ce que tu as noté une évolution depuis qu’il est arrivé ?

Oui, on le voit au classement ! Il est arrivé dans une période difficile, à la place de Perrin… Il a eu l’intelligence d’aller à l’essentiel, c'est-à-dire, d’abord : ne plus perdre, retrouver une assise défensive. Et puis après, quand tout ça se consolide, soit on continue parce que c’est sa façon de faire ; soit, on va vers un jeu différent parce qu’on a une autre philosophie. Quand je suis arrivé, Saint-Etienne avait failli descendre en National, mais on a malgré tout fait une équipe tournée pour jouer vers l’avant. C'était notre leitmotiv, et ça nous a réussi : on a fait 20 matches sans perdre ! Donc ça nous a donné confiance. Et en première division, on a voulu continuer.

Tu as prolongé quelque chose que tu avais initié dès l’année de la remontée. C’est une philosophie que tu avais développée grâce à ton expérience en Côte d’Ivoire ?

Oui, j’ai un peu changé quand je suis rentré d’Afrique. Avant, j’étais un entraîneur qui basait souvent sa composition d’équipe et son organisation sur l’adversaire. Quand je suis arrivé en Côte d’Ivoire, connaissant moins les adversaires – à l’époque où j’y suis allé la première fois, c’était en 1996, il y avait moins d’informations qu’aujourd’hui – j’ai été obligé de baser mon équipe sur son comportement, ses qualités, sans me soucier de l’adversaire. Quand je suis rentré, j’ai voulu adapter ça aux équipes françaises avec lesquelles j’avais des responsabilités. Ca, comme la musique dans le vestiaire… J’ai compris en Afrique qu’on pouvait être concentré sur un match sans faire la gueule, sans être triste ; en dehors du terrain et sur le terrain, c’était avoir un style plus « tourné vers l’avant ».

Penses-tu que pour avoir de bons résultats, il faut forcément qu’il y ait à la base une mayonnaise qui prenne, et que humainement les joueurs se voient beaucoup en dehors ; ou bien est-ce possible d’avoir des résultats avec des joueurs qui ne sont pas forcément très potes, mais qui mettent ça de côté le moment venu ? Ce qui transpire de l’ASSE cette année, c’est que c’est une bande de potes, ils mangent régulièrement ensemble, ils se voient en dehors des matches… C’est quelque chose que tu avais constaté ou encouragé quand tu étais à l’ASSE ?

J’ai connu ça en tant que joueur. Par exemple, quand j’étais à Lyon, on savait très bien que Nantes, c’était une équipe de copains, qui bringuaient souvent ensemble, et qui le jour du match avait un jeu collectif au dessus de la moyenne. Le plus dur, on le voit avec Ancelotti au PSG : il a des difficultés, alors qu’il a des joueurs extraordinaires à chaque poste ; le résultat du jeu d’équipe, il est pas évident. On peut dire qu’on a vu le meilleur match de Paris contre Valence en Coupe d’Europe : individuellement et collectivement, c’était un rouleau compresseur. Mais peut-être que c’est la conséquence, et du travail bien sûr, et de ce qui se passe entre les joueurs. Je ne pense pas que si tu n’as pas une vie associative (sic) et une vie de copains en dehors du terrain, tu puisses avoir un jeu collectif au-dessus de la moyenne. Quand t’as envie de donner un ballon à un copain pour le faire briller, c’est que pendant la semaine t’as passé de bons moments avec lui. Et ça, ça se retrouve sur le terrain.

A ton époque, il y avait une particularité : des joueurs comme Adrien Ponsard et Bertrand Fayolle ont réussi à se sublimer grâce à l’environnement, et à hisser leur jeu à un niveau que peut-être eux-mêmes ne soupçonnaient pas…

Parce qu’ils ont eu la chance d’être entourés de mecs intelligents. On en a tiré le maximum, de ces deux mômes. Peut-être que s’ils avaient été entourés de connards, qui les prenaient de haut parce qu’ils venaient de DH, ils auraient rétréci au lavage et ne nous auraient pas fait ce qu’ils nous ont apporté – et ils nous apporté beaucoup de satisfaction.

Christophe Galtier était parti sur un 4-4-2 qu’il a fait évoluer vers un 4-3-3. Dans ta carrière, tu es toujours resté attaché au 4-4-2 ou il t’est arrivé d’évoluer ?

Quand je suis allé à Toulouse, j’ai évolué parce que je n’étais pas dans les mêmes conditions. C’était une équipe en échec, donc il fallait prendre les choses par le commencement.

On va peut-être pouvoir émettre une petite réserve sur Galtier, concernant les derbies. Il y a certes eu le centième, le hold-up réalisé à Gerland, mais au delà, on accumule les déconvenues qui sont mal vécues par le public stéphanois. Comment expliques-tu cette incapacité à gagner les derbies, notamment à domicile (aucune victoire stéphanoise depuis 1994) ?

J’ai connu les derbies du côté de Lyon à une époque où Sainté était plus fort que Lyon, et on arrivait à battre Saint-Etienne, mais pas souvent. Après, j’ai connu le derby en tant qu’entraîneur à Lyon, on a eu gagné, on a eu perdu… Mais je pense qu’il y a eu à une époque un sentiment de supériorité de Saint-Etienne sur Lyon et qu’il y a une époque où la supériorité a changé de camp. C’est très difficile à rétablir l’équilibre, sauf peut-être maintenant où les écarts se sont resserrés. Lyon a des problèmes d’argent, et une équipe plus « humaine » je dirais ; et Saint-Etienne, dans la situation où ils sont, c’est le meilleur moment pour inverser la tendance.

Malgré ça, Sainté ne réussit pas à taper les vilains. Toi, tu l’avais abordé comment, le derby, quand tu étais entraîneur à l’ASSE ? Tu en avais fait un match différent des autres, parce qu’aux yeux des supporters, c’est un match à part, ou bien tu l’avais dédramatisé ?

Ah non, je l’avais pas présenté comme un autre match. C’est un match particulier, et il faut se servir de ça, parce que tu es toujours dans la position du challenger. C’est pas une situation désagréable - sauf si ça perdure et que ça ne te rend pas capable de gagner un jour. Après, ça te met des sentiments d’infériorité et de manque de confiance. Je pense que la force de l’OL jusqu’à maintenant, c’est son extrême confiance en la valeur de son équipe.

Ensuite, on peut jouer au jeu des comparaisons entre présidents. A l’époque, c’était Alain Bompard ; aujourd’hui, c’est le duo Roland Romeyer / Bernard Caïazzo. Quelles sont tes relations aujourd’hui avec Alain Bompard ?

Je suis parti de Saint-Etienne beaucoup plus frustré par l’attitude de Gérard mon ami, que par l’attitude d’Alain mon président – et ami aussi. Quand je suis parti, je ne leur ai pas fait de cadeaux au travers des médias, parce que je pensais que je ne méritais pas ça. Ce qui a suivi, c’est qu’on a complètement fait disparaître les relations, alors qu’on avait vraiment le style de partir tous les trois en vacances ensemble, et on a pris beaucoup de plaisir. La situation m’a donné l’occasion… a failli me redonner l’occasion d’aller à Arles-Avignon dans un rôle bien précis l’année où Arles est monté en première division. Marcel Salerno [NDP² : président de l’ACAA] m’avait proposé le poste de manager général. Mais comme le club jouait à Avignon et que l’adjoint aux Sports s’appelait Bompard, il n’a pas voulu et empêché Marcel de me faire venir. C’est là que je suis parti en RDC. Quand j’en suis revenu, au bout de deux ou trois mois, Salerno m’a appelé pour me demander de venir voir jouer l’équipe ; j’y suis allé pour lui donner mon avis, il m’a demandé de lui filer un coup de main, et je lui ai dit OK. Et il n’a plus demandé son avis à Bompard. Alors moi j’ai fait l’effort de rapprochement. D’abord, parce que je pense qu’arrivé à un certain âge, il faut oublier certaines rancunes ; et puis je pense que la cohabitation club/ municipalité d’Avignon, autant que ça se passe bien. Alors je me suis rapproché de lui, on s’est retrouvé…

Les retrouvailles ont été froides, chaleureuses… ?

Je pense que ça lui a fait plaisir ; moi, ça m’a fait plaisir. C’est comme récemment, j’ai eu Gérard Soler au téléphone, grâce à Marcel Salerno… Il doit avoir la faculté de réunir les gens qui sont fâchés, parce qu’il m’a permis de renouer des liens avec Nicollin au bout de 7 ans, il m’a permis de renouer avec Bompard, de renouer avec Gérard… J’ai eu Gérard au téléphone, on s’est appelés comme si on s'était quittés hier.

La donne a changé par rapport à l’interview que tu nous as donnée il y a 6-7 ans.

Là, j’étais méchant : j’étais frustré parce que je sentais qu’on avait pas joué le jeu avec moi, et que c’était dangereux même pour le club. Ces types-là ont gâché quelque chose ! Peut-être qu’on y serait encore, dans des rôles différents, mais on y serait encore, parce qu’on était vraiment sur la bonne voie. Et malheureusement, c’est la conséquence – encore une fois ! – d’un manque de pouvoir, d’égo mal placé par rapport à une situation qui n’est pas si catastrophique que ça, et qui n’aurait jamais dû nous arriver à nous trois ! On était vraiment dans des dispositions intelligentes dans le fonctionnement.

Si on regarde maintenant le mode de gouvernance à l’ASSE (Romeyer, président du Directoire ; Caïazzo président du Conseil de surveillance en lien avec les instances), est-ce que ça te semble une organisation qui tienne la route ? Quelque part, cette nouvelle organisation explique-t-elle la bonne santé actuelle du club ?

Ca explique autant la situation actuelle, parce que la situation entre eux à dû se clarifier grâce à Rocheteau, ou à l’intelligence des deux ou je ne sais pas ; que la situation d’avant qui était dangereuse quand ça ne se passait pas de la même manière. Je connais trop le football pour savoir que dans l’environnement d’un président à Saint-Etienne et l’environnement d’un président qui est à Paris, selon les périodes qu’on gagne ou qu’on perde, il y a beaucoup de malsains qui tournent autour pour profiter de la situation. Et ça, c’est très dangereux pour un club. Et si l’on fait les statistiques du comportement des dirigeants à Saint-Etienne depuis beaucoup d’années, souvent les échecs ont été la conséquence de problèmes de dirigeants, plus que d’entraîneurs ou de joueurs.

Est-ce que tu trouves que Sainté est sur la bonne voie avec une politique salariale assez stricte, avec un fixe assez bas, et qui joue beaucoup sur les primes pour stimuler les joueurs ? Est-ce un modèle ?

C’est un modèle que beaucoup de clubs aimeraient suivre, mais n’osent pas. Mais je pense qu’on va y arriver. Sur le plan économique, au niveau des partenariats, les clubs français ne pourront plus donner les salaires qu’ils donnent. A l’heure actuelle, il y a des salaires des joueurs qui ont des contrats, ou qui ont eu des contrats de longue durée, qui sont encore valides un certain temps, donc les joueurs ne veulent pas baisser leur salaire. Mais quand ils seront en fin de contrat, la plupart des clubs vont tenter ce modèle. Et si les joueurs ne comprennent pas ça, ils vont tout droit à la catastrophe. Ce qui est logique, même si on dit toujours, avec raison ou pas, que la carrière d’un joueur est tellement courte qu’il est normal de gagner plus par rapport à d’autres professions. A vouloir perpétuer ça, on risque de tout foutre en l’air un jour. L’esprit compétitif du football professionnel doit donner envie aux joueurs d’être plus respectés, notamment des supporters, parce qu’ils vont gagner des primes énormes parce qu’ils vont atteindre des objectifs plutôt que parce qu’ils vont gagner des salaires énormes sans atteindre d’objectifs. Et cela leur donnera peut-être une obligation supplémentaire à bien faire leur métier.

Donc tu penses que Saint-Etienne est dans le vrai.

A mon avis, tous les feux sont verts : le stade vient d’être amélioré, ce qui va améliorer l’ambiance qui était déjà bonne ; l’équipe est sur de bons rails ; y a un bon recrutement, un bon état d’esprit, un bon entraîneur, les dirigeants ont compris certaines choses, les supporters sont toujours là…

 

Merci à Olaf pour la retranscription de ce cinquième volet