Ancien milieu de terrain de l'ASSE et du Nîmes Olympique, Eric Bellus s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera les deux clubs ce dimanche après-midi à Geoffroy-Guichard.


Que deviens-tu Éric ?

J’habite depuis de nombreuses années dans la région de Montpellier. J’arrive à un âge charnière, j’ai passé le cap fatidique des 60 ans il y a trois semaines. Je l’ai franchi un jour avant Patrice Garande et quatre jours avant Jean-Louis Zanon, qui étaient au centre de formation avec moi à l’ASSE. Comme Jean-Louis, ça fait longtemps que je suis sorti du football. Je bosse dans l’immobilier. Mon intention est de ralentir un peu mes activités et prendre un peu de recul. J’ai travaillé dans le cadre commercial de l’immobilier mais aussi dans la promotion immobilière. Depuis quatre ou cinq ans je m’occupe d’une résidence de tourisme. J’avais aussi une brasserie que j’ai vendue il y a trois ans. Je n’ai plus de gros projet en tête, je veux ralentir la cadence qui était soutenue et assez rude.

Ancien Vert et ex-Croco, pour qui battra ton cœur ce dimanche après-midi ?

Y’a pas photo, je serai plus Vert que Croco ! Saint-Etienne reste mon club de cœur ! Je respecte bien sûr tous les autres clubs où je suis passé : Metz, Toulouse, Nîmes, Gueugnon. Je m’y suis donné de la même façon à fond. Mais mon histoire à Saint-Etienne est quand même bien particulière, c’est là où j’ai passé le plus de temps. J’ai porté le maillot vert pendant huit ans. J’ai joué deux belle saisons à Nîmes, on a raté à chaque fois la montée de peu avec les Crocos. C’était le retour de René Girard, c’est ça qui m’avait fait pencher un peu pour ce club-là après mes deux saisons à Toulouse. On avait un jeu plutôt offensif, c’était intéressant. Le public était assez chaud à Jean-Bouin, on était au taquet. Je garde plutôt de bons souvenirs de mon passage à Nîmes mais Sainté, ça reste définitivement à part !

Tu as joué avec deux anciens Verts chez les Crocodiles.

Oui. La première saison, j’ai joué avec Alain Bénédet. Je n’avais pas joué avec lui à Saint-Etienne car il a rejoint les Verts l’année où je suis parti, en 1986. Alain est devenu un ami, je l’ai assez souvent au téléphone. C’est une très belle personne. Alain est un super garçon. À côté de ça, c’était un bon joueur : il était puissant, très volontaire, toujours positif. C’était un coéquipier modèle, très agréable. Ma seconde saison nîmoise, j’ai retrouvé Jean-Louis Zanon. Jean-Louis, c’est comme un frère. On est arrivé ensemble à l’ASSE, à 16 ans. On était dans la même chambre. On a fait l’armée ensemble.

À un moment on était concurrents car il était ailier gauche au début puis il a reculé. J’ai beaucoup d’affection pour lui car on a vécu beaucoup de moments forts ensemble. Jean-Louis avait un pied gauche exceptionnel, il avait une grosse frappe. Je me rappelle que même Michel Platini par moment lui laissait tirer les coups francs. Ça veut tout dire ! Jean-Louis a marqué des buts incroyables sur coup franc. Humainement, Jean-Louis est aussi quelqu’un que j’apprécie. Je suis bien sûr resté en contact avec lui.

Tu es arrivé avec lui en 1977 à Sainté. Comment as-tu été repéré par l’ASSE ?

J’ai gagné la Coupe nationale des cadets avec la Ligue Méditerranée. Je me souviens que dans l’équipe il y avait beaucoup de joueurs de l’OM et de Nice : José Anigo, Gérard Buscher, Dominique Bijotat… J’étais quasiment le seul à jouer dans un club amateur car je jouais encore à Millau, dans le club de ma ville natale. J’ai eu près d’une dizaine de clubs pros qui m’ont sollicité notamment Bordeaux, le PSG, Nantes, Sochaux et Nîmes. Le Nîmes Olympique était à l’époque le seul club qui proposait du sport études. Mes parents étaient très axés sur les études, j’étais donc sur le point de signer chez les Crocodiles.

C’est alors que Monsieur Garonnaire est entré dans la danse. Il est venu taper à la porte, il s’est déplacé à Millau. Mon père lui a dit qu’il était d’accord pour donner son feu vert sous réserve que des profs viennent me donner des cours au centre de formation. On n’était que deux à faire ça. Cela a été accepté de cette façon-là. C’était énorme pour moi de signer à l’ASSE. C’était quelque chose d’inimaginable. J’étais un gamin de 16 ans qui jouait dans un club amateur de Millau. C’était impensable de rejoindre le plus grand club de l’histoire du foot français. C’était un rêve de côtoyer des gens ce niveau-là : les Curkovic, les Piazza, les Rocheteau, les Revelli, les Bathenay, les Santini, etc.

Les Verts ont bercé mon adolescence, j’avais 15 ans en 1976. J’ai suivi tous les matches de l’épopée européenne, on les regardait à la télévision ou on écoutait ça au poste. C’étaient des moments forts. J’ai eu la chance après coup de vivre ça en tant que joueur. Je n’ai pas joué de matches de Coupe d’Europe avec les Verts mais à 18 ans j’étais remplaçant notamment lors du fameux match contre Eindhoven. On avait perdu 2-0 au match aller et on a gagné 6-0 au match retour. J’étais sur le banc et Robert Herbin m’avait demandé de m’échauffer, à l’époque c’était bien sûr Johnny Rep qui était titulaire. Au bout de cinq minutes on menait déjà 3-0, il y avait une ambiance incroyable. J’ai vécu là un truc inoubliable.



Comment s’est passée ton intégration à l’ASSE ?

J’ai attaqué pratiquement tout de suite en D3. A 16 ans et demi, tu te retrouves en équipe réserve. Ça peut paraître difficile, cet apprentissage est rude. On tombe sur des adultes, des gens plus matures, plus costauds. On a été formé à l’école de Guy Briet, qui était un ancien militaire. Il avait sa façon d’aborder la compétition. J’étais de la génération des Laurent Roussey, Laurent Paganelli, Jean Castaneda, Thierry Wolff, Patrice Lestage, Jean-Louis Zanon, Patrice Garande. On a été noyé dans ce groupe de 3e division. On a dû faire nos preuves.

A 16 ans, c’est compliqué de partir de chez soi et on s’aperçoit qu’on arrive dans un monde de dureté. Quelque part, c’est un peu la jungle. Il faut se battre en permanence. Il faut se remettre en question tous les jours. Le foot n’est pour toi qu’un jeu, ça reste toujours un jeu mais avec cette pression supplémentaire, cette rigueur qui vient se greffer à tout ça.

Te souviens-tu du moment où Robert Herbin a décidé de t’intégrer au groupe professionnel ?

Oui, même si c’était difficile de se faire sa place dans cet effectif vu le nombre d’internationaux qu’il y avait. Rien qu’en attaque, ce n’était que des internationaux. Je me disais « je ne vais jamais jouer », sachant qu’il y a des garçons qui ont évolué avant moi alors qu’ils étaient plus jeunes. Je pense à Laurent Paganelli, qui a deux ans de moins que moi, et à Laurent Roussey, d’une année mon cadet. Ils ont commencé plus tôt que moi en pro. Forcément, je me posais des questions.

Avec le temps, je me suis aperçu que cette période d’apprentissage était importante pour moi, cela m’a permis de durer pendant longtemps dans le monde professionnel là où les deux Laurent ont eu du mal après. Ils ont été cassés quelque part par cette attaque un peu trop jeune dans le milieu pro. Je pense qu’ils avaient beaucoup plus de talent que moi mais ils sont passés à travers dans le sens où ils n’ont peut-être pas fait l’apprentissage qui aurait dû être fait avant. C’était un peu trop tôt d’être lancé à 15 ou 16 ans dans une compétition qui est plus dense, où on demande beaucoup plus dans les efforts et dans plein de choses.

Robert Herbin ne t’aura fait jouer que 19 matches toutes compétitions confondues en trois saisons. Tu te souviens de tes débuts en équipe première sous le maillot vert ?

Oui, c’était en mars 1980, on avait gagné 4-2 à Geoffroy-Guichard contre Rouen. J’étais titulaire lors de ce match de Coupe de France. Huit jours plus tard j’ai fait mes débuts en première division lors d’un match qu’on a gagné contre Lens. J’étais entré en jeu à place de Johnny Rep. J’ai fait deux autres apparitions ensuite cette saison-là mais je n’étais pas prêt je pense, je ne me sentais pas encore à la hauteur. Je me suis affirmé davantage la saison suivante. J’étais en concurrence avec Johnny, un sacré joueur qui avait notamment gagné deux fois la Coupe d’Europe des Clubs champions avec l’Ajax et qui avait joué deux finales de Coupe du Monde. À un moment donné, il a été un peu moins sérieux à Saint-Etienne dans sa vie. Je pense que Roby a voulu un peu le punir et il a dit « je vais mettre le jeune ».

Du coup j’ai joué 5 matches de D1 la saison 1980-1981 où on a fini champion de France. J’ai été titularisé les derniers matches de la saison. La première fois c’était à Bonal contre le FC Sochaux d’Albert Rust, Patrick Revelli et Bernard Genghini. J’ai enchaîné par une victoire à Tours et j’étais également dans le onze lors du fameux match de la dernière journée contre les Girondins. On a gagné 2-1 contre le Bordeaux d’Aimé Jacquet et Bernard Lacombe grâce à un doublé de Michel Platini.



J’ai joué ensuite la demi-finale de Coupe de France contre Strasbourg, j’ai marqué à cette occasion mon premier but en professionnel. C’était dans le Chaudron Un but assez exceptionnel quand j’y repense : Jacques Santini dévie le ballon de la tête, je suis en dehors des 18 mètres, je fais une aile de pigeon par-dessus le défenseur et je reprends de volée derrière, ça finit dans la lucarne du regretté Dominique Dropsy, un des tout meilleurs gardiens de l’époque. T’aurais pas les images de ce but ?

Danish t’a retrouvé ça…



Merci Danish, c’est un beau cadeau de Noël avant l’heure ! Le problème c’est que je me suis blessé lors de la demi-finale retour à la Meinau, j’ai dû céder ma place à la pause. J’ai donc raté la finale contre le SC Bastia de Roger Milla, qui allait devenir trois ans plus tard mon coéquipier à Sainté. Je me souviens que Robert Herbin avait déploré que Jean-Louis Zanon et moi soyons absent pour cette finale. On était en pleine bourre et Roby avait déclaré qu’on aurait pu apporter un peu plus de dynamisme à ce moment-là. J’ai dû déclarer forfait et j’avais commenté la finale avec Thierry Rolland sur la Une.

Sainté n’a pas réussi à remporter sa 7e Coupe de France cette année-là et n’y est toujours pas parvenu depuis. Mais tu as donc fait partie de l’équipe qui a gagné le 10e titre de champion de France de l’ASSE, le dernier hélas à ce jour pour les Verts. On ressent quoi quand on est sacré champion de France avec Sainté à l’âge de vingt ans ?

C’est un rêve ! J’étais entouré des plus grands joueurs français, il n’y avait pratiquement que des internationaux. C’était énorme. J’ai encore en mémoire les conseils que me prodiguait Michel Platini. Il m’a marqué. Michel était un joueur exceptionnel, il voyait le jeu avant tout le monde. Il ne me voyait pas, il me tournait le dos mais il me disait : « Écoute Éric, fais ton appel, même si tu penses que je ne t’ai pas vu, je t’ai vu ! » Avoir à tes côtés un joueur comme ça, c’est fabuleux et ça te fait progresser.

Michel était au-dessus du lot par ses qualités techniques et son intelligence de jeu. Mon premier match en pro contre Rouen, il a marqué un but hallucinant. Le terrain était très boueux ce jour-là à Saint-Etienne. Il a dû dribbler 9 personnes dans la surface de réparation avant de marquer derrière. C‘est exceptionnel ! Quand tu joues dans l’équipe d’un tel phénomène, tu es presque spectateur sur le terrain. C’est dingue ! Sur une surface réduite, alors qu’il y avait du monde partout, il a réussi à faire une action invraisemblable.

Tu as joué avec Platoche et tu as affronté plus tard avec Toulouse un autre joueur majeur de l’histoire du football.

Oui, cette double confrontation avec le Naples de Diego Maradona fait partie des autres moments forts de ma carrière. Au match aller, je ne sais pas si t’imagines le feu que c’était ! Diego venait d’être champion du monde. À Naples, c’était plus qu’une idole. On était arrivé la veille, les supporters napolitains ont réussi à trouver notre hôtel. On n’a pas fermé l’œil de la nuit tellement ils ont fait du raffut. Entre l’hôtel et le stade, notre car s’est fait caillasser de partout. On arrive dans le stade, et quand tu pénètres sur le terrain c’est une fournaise, il y a 85 000 personnes déchainées et tu rentres à côté de Diego.

La difficulté, c’est de rester concentré sur ton match et de ne pas se laisser envahir par cette émotion qui est tellement forte. Il y avait un tel engouement et Diego avait une telle aura… On a réussi à faire un bon match, on a bien tenu la route et on n’a perdu seulement 1-0. Au match retour, on fait un super match, Yannick Stopyra marque. Ça va en prolongation puis aux tirs au but. Le 5e tireur de Naples, c’est Maradona. S’il marque, c’est au 6e tireur toulousain d’y aller. Le 6e tireur, c’était moi. T’imagines un peu la pression ? Plus la séance avançait, plus le but rétrécissait ! (rires)

J’aurai donc eu dans ma carrière le privilège de jouer avec Michel Platini et d’affronter Diego Maradona, tu te rends compte ? Deux joueurs exceptionnels, chacun dans son registre. Michel faisait plutôt jouer les autres, il mettait en valeur ses attaquants. Diego faisait davantage la différence sur des exploits personnels. Ce sont deux immenses joueurs.

Ta dernière saison aux côtés de Platoche, Robert Herbin ne t’a fait jouer que 8 matches toutes compétitions confondues. Tu rongeais ton frein à ce moment-là ?

Oui, alors que j’avais bien fini la saison précédente, je n’ai pas eu le temps de jeu que j’escomptais cette saison 1981-1982. Le club a encore recruté un attaquant danois à l’intersaison, Benny Nielsen, ainsi qu’un Argentin, Raoul Noguès. Je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé, sachant que les deux Laurent étaient toujours là ainsi que Johnny Rep. La saison, j’ai été prêté au FC Metz. J’ai fait l’objet d’un échange avec Philippe Mahut.

Ce passage en Lorraine aura été très bénéfique pour moi. J’ai fait une saison pleine chez les Grenats, j’ai joué plus d’une trentaine de matches, j’ai marqué sept buts et j’ai délivré beaucoup de passes décisives. La concurrence était moins féroce qu’à Sainté mais on avait quand même une belle attaque avec deux joueurs qui ont porté plus tard le maillot vert, Tony Kurbos et Merry Krimau. L'entraîneur était Henryk Kasperczak que j'ai retrouvé plus tard à Sainté.

Tu ne l’as pas retrouvé dès ton retour à Sainté.

Non, Kasperczak n’est arrivé qu’en en 1984. Quand je suis revenu à l’ASSE en 1983, c’est Jean Djorkaeff qui venait d’être nommé entraîneur. C’était une période très compliquée pour les Verts car plein de joueurs sont partis à l’intersaison suite à l’affaire de la caisse noire : les Janvion, Battiston, Larios, Rep, Roussey, Paganelli ont tous quitté le club. Je me souviens qu’on avait eu une préparation particulière avec Jean Djorkaeff, c’était quelqu’un qui était très axé sur le physique.
J’étais personnellement en très bonne forme mais pas mal d’anciens n’ont pas supporté cette préparation-là, ils ont un peu explosé physiquement. On a vécu une saison 1983-1984 très difficile, ponctuée par une descente en D2. Jean Djorkaeff s’est fait virer à quelques journées de la fin, c’est Robert Philippe qui avait repris l’équipe. On espérait se maintenir mais on a perdu en barrage contre le Racing Paris. On avait fait 0-0 là-bas mais au retour on a perdu 2-0 à Geoffroy.

Comment as-tu vécu cette relégation ?

C’était une blessure. J’ai même ressenti une sorte de honte. Mes premières saisons à l’ASSE, on avait fini sur le podium : troisièmes en 1980, premiers en 1981, deuxièmes en 1982. Bien évidemment je ne m’attendais pas à descendre la saison de mon retour au club. Ça a vraiment été une grosse blessure. Mais ce que j’ai vécu les deux années suivantes a été tellement fort, même en deuxième division. C’était énorme ! Il y avait un engouement tellement fort par le jeu qu’on proposait. On pratiquait un jeu offensif, on marquait beaucoup de buts, on sentait que le public stéphanois se retrouvait dans cette équipe.
Je me souviens qu’il y avait eu plus de 42 000 spectateurs pour le derby contre Le Puy, une affluence incroyable pour un match de D2. C’est d’ailleurs de cette période-là que remonte le record d’affluence au stade Geoffroy-Guichard, plus de 47 000 spectateurs lors d’un quart de finale de Coupe de France contre Lille. C’était exceptionnel cette communion avec le public. C’est ce qui fait que mes deux dernières saisons en vert ont vraiment été très belles.

As-tu vécu à cette période-là tes plus belles années de footballeur ?

C’est là où j’ai vraiment pris plaisir à évoluer, où je me suis senti utile. C’est lié pour bonne part au schéma de jeu qui était différent. Je me souviens que la première année en deuxième division, on a eu du mal à démarrer. On avait perdu plusieurs matches d’affilée contre Bourg sous La Roche, Limoges, Gueugnon… Je crois qu’on était 15e. Mais je me souviens qu’à l’occasion d’un match à Roanne, en Coupe de France ou en amical, Kasperczak a décidé de me faire jouer en attaque non pas comme un ailier mais comme un vrai attaquant autour de Roger Milla. On était tous les deux devant, je tournais autour de Roger. De là j’ai trouvé un poste qui me convenait beaucoup et qui m’a permis de marquer pas mal. C’est à cette époque-là notamment que j’ai réalisé trois doublés, contre Gueugnon, Thonon et Grenoble.

Quels coéquipiers t’ont le plus marqué lors de ces deux saisons du renouveau stéphanois ?

Roger Milla était joueur exceptionnel. C’était un sacré buteur, il a mis presque une quarantaine de buts cette période-là. C’était un élément très important de notre jeune groupe. Jean Castaneda a joué également un rôle important, lui aussi était un joueur expérimenté, c’était notre capitaine. J’ai aussi été marqué par les nombreux joueurs de qualité un peu plus jeunes que moi : Jean-Luc Ribar, Jean-François Daniel, Patrice Ferri, Jean-Philippe Primard. De ma génération, il restait Thierry Oleksiak et Gilles Peycelon. On avait une belle équipe.

Avec Thierry, tu fais partie des rares joueurs à avoir connu le dernier titre de champion de France, la descente et la montée !

Oui, j’ai tout connu à Sainté, les galères comme les joies. Ça n’a pas été facile, il a fallu s’accrocher. Mon regret, c’est qu’il s’était amorcé quelque chose d’intéressant l’année du titre mais ça s’est un peu cassé derrière. Moi j’étais en équipe de France Espoirs à l’époque, je me souviens qu’avec Jean-Louis Zanon on avait fait une semaine avec les A. Michel Hidalgo avait fait appel à nous quelques jours car il y avait des blessés. Ce qui me chagrine le plus, c’est de n’avoir pas réussi à m’imposer la saison suivant celle du titre. Ce n’est pas la faute des autres, quelque part c’est de la mienne. C’est sûrement moi qui ai manqué quelque chose à ce moment-là dans ma carrière.

Pour quelle raison as-tu quitté l’ASSE en 1986 alors que le club s’apprêtait à retrouver l’élite ?

J’étais en fin de contrat. Mon intention, à la base, c’était bien sûr de rester. Mais la proposition de Saint-Etienne n’était vraiment pas à la hauteur de ce que je pouvais espérer. Trois clubs me voulaient davantage : l’OGC Nice de Jean-André Sérafin, le PSG de Gérard Houllier et le TFC de Jacques Santini. J’ai choisi Toulouse pour deux raisons : le club était européen et je connaissais bien l’entraîneur. Je pense que c’était le bon choix, c’est avec le Tef que j’ai joué ces deux matches exceptionnel contre Maradona.

Après avoir sorti Naples, on a failli éliminer le Spartak de Moscou. On avait gagné 3-1 à l’aller à Toulouse, Gérald Passi avait réalisé un triplé et je lui avais fait deux passes décisives. Sur l’ouverture du score, c’est sur mon corner qu’il fait ce magnifique enchaînement contrôle frappe. Et je fais une déviation sur son dernier but, où Gérald réalise un nouvel exploit personnel.

Au match retour, on a perdu 5-1 et je me suis fait expulser. Ça a été le tournant de ma carrière.

Tu peux nous rappeler ce qui s’est passé ?

Je me suis fait expulser en même temps que Khidiatouline, que j’ai d’ailleurs retrouvé à Toulouse l’année d’après. Quand tu revois les images, c’est scandaleux. J’ai pris sept matches de suspension en Coupe d’Europe, je crois que je détiens le record français. Khidiatouline avait faute sur moi, je voulais jouer le coup franc rapidement. Lui me prend avec ses mains et m’empêche de jouer le coup franc. Il prend mes jambes et il me tient. Je le pousse pour qu’il me laisse jouer le coup franc. L’arbitre nous expulse tous les deux. Je sors du terrain, il y a trois Russes qui viennent vers moi, ils avaient deux têtes de plus que moi. Ils me poussent dehors, ils m’agressent, ils me brutalisent. Je me débats et dans un réflexe je donne un coup de poing à l’un d’entre eux. L’arbitre voit mon geste à ce moment-là. J’ai pris sept matches de suspension, j’en ai encore trois à purger.

Du coup je ne sais pas si on va te faire revenir à Sainté quand on jouera la Coupe d’Europe la saison prochaine !

(Rires) J’en rigole maintenant mais j’ai eu du mal à m’en remettre, sachant que la même année j’ai aussi été suspendu trois mois en championnat. C’était contre Lens, l’arbitre était Jean-Pierre Blouet. Suite à un duel épaule contre épaule avec Eric Sikora, il siffle un coup franc. Je conteste. Il me met un carton et rigole en même temps. Cet arbitre a un rictus, t’as l’impression qu’il se fout de toi. J’ai l’impression qu’il se fout de ma gueule. Je n’apprécie pas, je le lui fais savoir et il me met le rouge. Et là je lui crache sur ses pieds. Je prends trois mois.

C’est ce même arbitre qui avait expulsé Eric Cantona lors d’un Nîmes-Sainté. Canto avait pris initialement 4 matches, puis 2 mois après avoir traité d’idiots les membres de la commission de discipline.

T’as connu d’autres expulsions dans ta carrière ?

J’ai pris trois cartons rouges dans ma carrière. Je t'ai parlé des deux derniers. Le premier, c’était avec les Verts, lors d’un match de championnat à Sète. Je me fais agresser, je réponds et l’arbitre me renvoie aux vestiaires quelques minutes avant la pause. Pour l’anecdote, Dominique Bathenay jouait à l’époque dans cette équipe sétoise qu’il a par la suite entraînée.

C’est Henryk Kasperzak qui t’entraînait lors de ce match dans l’Hérault du début de saison 1985-1986. Il t’aura donné beaucoup plus de temps de jeu que Robert Herbin. Quels souvenirs gardes-tu du Sphinx ?

Roby, pour moi, c’est une icône à Saint-Etienne ! Il est intouchable. J’en avais peur de cet homme quelque part. Je le craignais. C’est quelqu’un qui ne m’a pas donné confiance dans le sens où c’était quelqu’un de froid, sa communication était très rare. Très rarement on était pris à part pour se faire expliquer certaines choses. C’est ce que j’aurais pu attendre de sa part. Mais il était comme ça. Il s’appuyait beaucoup sur d’autres joueurs, leur témoignait davantage de confiance. Je ne savais jamais ce que Robert Herbin pensait de moi. Je n’ai pas ressenti de chaleur chez lui. Ça m’a sûrement inhibé en partie mais quelque part c’est de ma faute, c’était à moi de m’adapter.

Quand Robert Herbin m’a donné sa confiance, j’ai pu monter à un moment donné que je pouvais répondre favorablement à ses attentes. Après, je n’étais pas dans sa tête, je ne sais pas pourquoi ils ont choisi de faire venir des joueurs supplémentaires attaquants sans me faire confiance. Peut-être que ce n’est même pas lui qui était décisionnaire. Je me souviens qu’à l’époque il y avait une polémique entre Roger Rocher et lui. Roby préférait davantage s’appuyer sur les jeunes et ne pas trop prendre de vedettes. Il n’avait pas été très favorable à la venue de Michel Platini.

C’était plutôt le président qui avait imposé Michel, Roger Rocher était plutôt enclin à prendre des gens d’expérience. Peut-être que Roby n’a pas complètement maîtrisé cette politique-là. Henryk Kasperczak, tout en étant lui aussi exigeant, dégageait un peu plus de chaleur humaine. Il transmettait un peu plus, avec moi en tout cas. Maintenant, j’étais peut-être un peu plus mature aussi quand je l’ai eu que lorsque j’ai évolué sous les ordres de Robert Herbin.

Lors de tes vertes années, quels joueurs t’auront le plus marqué, tant sportivement qu’humainement ?

Les gens qui m’ont marqué, obligatoirement, ce sont mes professeurs. Mes professeurs, ce sont les gens de la grande époque. Les Bathenay, Santini, Curkovic, Piazza, Janvion, Lopez. Chacun à sa façon m’a apporté énormément de choses. Rien que de les voir se comporter, ça m’a beaucoup appris. Humainement ce sont des gens simples, ils avaient une grosse volonté et avaient brillé tant sur la scène française qu’européenne. Ils étaient pour moi des héros, au top niveau de leur métier quand je suis arrivé à Sainté. Ce sont eux qui m’ont transmis le plus de choses.

Bien évidemment, j’ai ensuite été impressionné par des grands joueurs comme Michel Platini puis par Roger Milla. Et bien sûr humainement j’ai partagé beaucoup de choses avec les joueurs que j’ai côtoyés dès le centre de formation : Jean-Louis Zanon, Jean Castaneda, Thierry Oleksiak, le regretté Patrice Lestage, Thierry Wolff, Laurent Roussey, Laurent Paganelli. Je n’oublie pas non plus Yves Colleu, on n’en parle pas beaucoup.

Ce que je retiens aussi de mes vertes années, c’est la ferveur qui entoure ce club, dans le Chaudron notamment. À chaque fois que j’entrais sur la pelouse de Geoffroy, j’avais les poils dressés. Il y a une telle ambiance à chaque fois dans ce stade ! Le Chaudron, c’est mythique. Les supporters qui le font bouillir sont tellement passionnés, tellement investis dans ce club, que le joueur ne peut donner que le meilleur de lui-même. J’allais au bout de ce que je pouvais faire, je n’ai jamais triché.

Il arrive que psychologiquement et physiquement on soit moins bien donc on est moins bon. C’est là qu’on sent la pression du public, obligatoirement. Et c’est dans ces moments-là qu’il faut arriver à rendre cette pression positive, à ne pas vivre ça comme une chape de plomb qui te tombe dessus, sinon tu ne tentes plus rien. Ce public stéphanois était capable de te transcender, de te faire aller au-delà de tes capacités physiques. Et ça, nulle part ailleurs je ne l’ai connu. À Toulouse, à part le match contre Naples, je n’ai pas senti un public aussi investi, aussi chaud. Pareil à Metz. C’est différent.

À Sainté, tu ressens tellement l’histoire, tu touches du doigt le mythe. Quand j’ai porté le maillot vert, l’épopée européenne c’était encore tellement chaud ! J’ai gardé ça en mémoire. J’ai vécu à l’ASSE la fin de la grande époque, la relégation et le renouveau mais j’ai été imprégné à 200% de la glorieuse histoire des Verts. Quelque part ça te pèse quand même sur les épaules. Tu te dis qu’il faut être à la hauteur, être digne de porter ce maillot vert. C’est un sacré challenge !

Quel est ton rapport avec les Verts aujourd’hui ?

J’ai encore un lien fort avec eux. Je suis en contact avec Roland Romeyer, que je connais mieux que Caïazzo. Dernièrement j’ai fait une demande pour une assoc’, j’ai demandé un maillot pour une gamine atteinte d’une maladie. Le club m’a tout de suite répondu favorablement, c’est le président Romeyer qui m’a écrit. Je suis fier de ça, de voir qu’il y a encore des gens qui ont ces valeurs-là. Je pense que ce président est imprégné de ça. Ça fait du bien, il continue de garder le club dans ces choses-là même s’il le foot a évolué et n’est plus le même que celui que j’ai connu pendant ma carrière.

Beaucoup de choses ont changé, ce n’est pas facile de garder son identité par rapport à ce phénomène argent qui s’est amplifié. J’ai encore beaucoup d’affection pour l’ASSE, je suis toujours les Verts. J’ai joué avec Jacky Bonnevay, qui est l’adjoint de Claude Puel. J’avais joué en équipe de France avec Jacky, c’est quelqu’un que j’apprécie. Il est de ma génération, on a le même âge [Un peu plus jeune, Jacky deviendra sexagénaire le 1er juin prochain, ndp2]. On a pris une grosse branlée ensemble en équipe de France cadets. On a perdu 6-1 devant 60 000 spectateurs à Wembley contre l’équipe d’Angleterre.

On a plein d’anecdotes avec Jacky, on a passé notre brevet d’état ensemble. On a eu l’occasion de se croiser plusieurs fois ces dernières années car il habite à La Grande Motte. À l’ASSE il seconde Claude Puel, l’un des plus rudes adversaires que j’aie connu dans ma carrière. À chaque fois que j’affrontais Claude, je savais que ça allait être compliqué. C’était souvent mon adversaire direct, il valait mieux être en forme physiquement pour éviter les contacts car Claude pouvait faire quelques dégâts ! (rires).

Quel regard portes-tu sur son action à Saint-Etienne ?

Claude a repris en cours de saison un club en difficulté, je trouve qu’il a été courageux. Il a fait montre de courage aussi dans sa volonté de faire table rase du passé et surtout de se séparer de joueurs qui avaient quand même un potentiel fort. Rien que le cas Ruffier en est une bonne illustration. Stéphane Ruffier représentait beaucoup de choses au niveau des qualités de joueur. Maintenant, on a toujours entendu que l’homme était difficile à gérer. Je pense que Claude a privilégié le collectif à l’individualité.

Il y aussi le fait que par rapport au budget d’un club aujourd’hui, c’est compliqué de gérer autant de personnes. Je l’ai vécu moi à titre personnel. Quand t’arrives en fin de carrière, que tu n’as plus les capacités physiques pour être à la hauteur de ce niveau-là, tu as tendance à ne plus être dans la performance, dans la totale efficacité parce que tu as perdu certaines facultés. Du coup il faut être assez lucide par rapport à ça et accepter certaines choses.

Le problème quand tu as des anciens – je ne parle pas de Ruffier, je pense qu’il était encore compétitif mais qu’il s’est grillé sur sa façon de se comporter avec le groupe ou avec son coach – c’est dur de s’en séparer car ils ont des gros salaires. Comme ils ont des gros salaires, tu pourrais te dire : « il faut peut-être les faire jouer ». Claude n’a pas raisonné comme ça. Il a dit qu’il souhaitait bâtir un projet en mettant des jeunes.
Oui, c’est une cassure. Oui, c’est dur à vivre au sein du club car ça crée des conflits. Les choix de l’entraîneur ne font pas que des heureux. Mais au bout du compte, Claude avait un objectif bien précis, c’est de construire une équipe basée sur des qualités de vitesse, de générosité. Sa tactique demande des joueurs de ce genre-là. Quand il est arrivé au club, il a subi l’effectif qu’il avait car il ne l’avait pas choisi.

Après il faut avoir le courage aussi de tenir tête à ses dirigeants. Ils devaient être mal à l’aise car lorsque tu payes 200 000 ou 300 000 euros par mois à des joueurs, c’est dur de les voir mis de côté car ils ne servent plus à grand chose. Mais ces joueurs n’ont pas forcément envie de partir car avec un tel salaire, personne ne les veut. Quand t’as la garantie de toucher ton gros salaire, tu restes même si tu ne sers plus à rien.
Dans ces périodes-là, je pense qu’il faut faire accepter à l’ancien qu’il jouera de temps en temps. Il faut avoir un discours positif des deux côtés. Il faut que le coach et le joueur soient capables d’accepter cette chose-là clairement. Moi j’aurais eu un coach comme ça qui m’explique « tu n’es plus en capacité de faire un match complet, tu vas jouer une demi-heure » … Si tu es honnête vis-à-vis de toi, tu te dis « oui, c’est vrai. »

Tout est dans cette relation de communication. Après, je ne sais pas comment communique Claude. Peut-être qu’il est assez dur, qu’avec lui « c’est comme ça et pas autrement ». Il ne rentre peut-être pas dans la discussion aussi facilement que d’autres. On ne connaît pas son style de management, on n’est pas à l’intérieur du groupe. Aujourd’hui les joueurs dans le foot sont difficiles à gérer, il y a de l’ego. Certains joueurs ont un sacré caractère, il faut se les coltiner !

Que t’inspire le parcours des Verts cette saison ?

Leurs trois premiers matches étaient vraiment énormes, ils étaient impressionnants à tous les niveaux notamment physiquement, cette équipe était alors en avance sur d’autres dans ce domaine. Ensuite l’ASSE a connu une longue série de défaites. Elle a dû faire face au départ de Wesley Fofana, à de nombreuses blessures. Il y a un bon mois, au cœur de cette série de mauvais résultats, quand j’avais eu Jacky au téléphone, je lui avais dit : « mais qu’est-ce qui se passe ? Vous n’êtes pas bien, là ! » Je l’avais senti serein quand il m’avait répondu « ça va revenir dès qu’on va récupérer quelques joueurs. »

La suite a donné raison à Jacky, je constate que Sainté a stoppé l’hémorragie. Certains joueurs comme Mathieu Debuchy sont revenus. Après avoir enchaîné trois matches nuls, l’ASSE reste sur une belle victoire à Bordeaux. C’est mérité. Tant en termes de résultats qu’en termes de contenu, il y a une réelle amélioration. Comme quoi de l’intérieur le staff ressent des choses que nous de l’extérieur on ne perçoit pas, tout simplement parce qu’on n’est pas au cœur du groupe, on n’est pas aux entraînements.

Comment vois-tu le match qui opposera les Verts aux Crocodiles ce dimanche après-midi à Geoffroy-Guichard ?

Alors que Saint-Etienne a repris des couleurs et des points depuis quatre matches, Nîmes est relégable après avoir perdu ses quatre derniers matches. En plus j’ai lu que ce club a de gros problèmes financiers, je crois que c’est celui qui dépend le plus des droits télé donc qui est le plus impacté par ce qui se passe avec Mediapro. Même si les Verts seront hélas privés encore de leur fabuleux 12e homme à cause du Covid, ils seront logiquement favoris. Ils ont plus d’atouts et sont sur une bien meilleure dynamique que les Crocodiles.

En cas de victoire ce dimanche, les Verts mettront les Nîmois à huit points, ça créera un écart assez conséquent. Si en plus Lorient ne parvient pas à battre une équipe de Rennes qui vient de renouer avec le succès, l’ASSE accroitra aussi son avance sur le barragiste. Ce serait vraiment tout bénef pour les Verts. Quels que soient les autres résultats des mal classés, gagner un deuxième match consécutif, ça permettrait aux Verts de gagner en confiance et de libérer le groupe.

Je vois donc une victoire de Sainté contre Nîmes et je verrais bien Denis Bouanga retrouver le chemin des filets aux dépens de son ancien club. Je me souviens que je l’avais vu jouer avec Nîmes contre Saint-Etienne. J’étais au stade avec Philippe Gastal à côté de moi. J’avais dit à Philippe : « Il est très bon ce joueur, pourquoi vous ne le recrutez pas ? » Quelques mois plus tard il signait à Sainté. Cette saison, il est un peu en baisse, il est nettement moins efficace que la saison dernière même s’il se crée toujours des occasions. Peut-être qu’il est un peu en manque de confiance. Elle peut revenir, sans doute dès ce week-end !

On lui souhaite de marquer et gagner contre Nîmes à GG comme tu avais su le faire en 1985 !

 

Merci à Eric pour sa disponibilité