Dans l'ensemble auteur d'un match plus que correct, bien aidé par deux équipes d'une rare sagesse, Clément Turpin n'a distribué aucun carton et sifflé seulement 23 fautes mardi soir. Et pourtant, un tout petit détail aurait pu tout changer en terme d'état d'esprit, surtout avec un entraîneur comme Antonetti sur l'un des bancs. Explications en images (merci à Oswaldo pour les screenshots !).
C'est un grand classique du cinéma : au début du film, le personnage central domine la situation, mais, comme souvent, un détail fait tout basculer (la rencontre d'une femme attirante, une prise d'otages, un méchant qui décide de buter toute sa famille, la fin du monde, une main dans la surface...). Un moyen de susciter l'empathie du public en montrant que la vie ne tient qu'à un fil. Dans le football, quel meilleur personnage que l'arbitre pour ce rôle ? Au départ de ce "drame" larvé, un bête coup-franc à 45m des buts rennais. Un scénario digne des plus grands thrillers se met en place... Action !
Clément Turpin est l'un des sifflets français les plus prometteurs. Accédant à la Ligue 1 à seulement 26 ans, il a réalisé une très belle saison 2008-2009, valorisée par son calme et sa sérénité, ainsi qu'une maturité déjà confondante. Il est, depuis le 1er janvier, promu au rang d'arbitre international, une rareté à cet âge. Des matchs où je l'ai vu officier, je retiens un vrai sens du jeu, la confiance qu'il transmet aux joueurs, très enclins à jouer l'avantage sous sa conduite. Dans l'esprit, il ressemble beaucoup à l'exceptionnel arbitre allemand de Irlande-France (le match aller, hein !) et ne pensez surtout pas que le faible nombre de coups de sifflet mardi soir soit un hasard ou un fait à mettre seulement au crédit des joueurs. Bref, d'un point de vue corporatiste, Clément Turpin est vraiment très bon - ce qui n'empêche et n'empêchera pas, comprenons-nous bien, des erreurs "inévitables" et des "casseroles" qui finiront forcément par fleurir à son derrière, comme accrochés au pare-choc arrière de jeunes mariés : un grand arbitre, c'est avant tout une personnalité, ce n'est pas forcément celui qui commet le moins d'erreurs.
Trêve de digression. Après ce flash-back, classique et nécessaire dans la construction de l'intrigue, rentrons dans l'action. En cette fin de première mi-temps très difficile pour les Verts, Clément Turpin indique à son quatrième arbitre une minute de temps additionnel. À la 45ème minute plus cinquante secondes, une faute est sifflée pour les Verts très légèrement dans le camp breton. C'est là qu'une petite faute de goût est commise par l'arbitre. Soit qu'il ait oublié de consulter son chrono, soit - et ce serait sans doute à mettre sur le compte d'un manque d'expérience - qu'il ait souhaité absolument laisser la minute de TA indiquée, le coup-franc est exécuté alors même que, le temps qu'on se mette en place, le TA est déjà dépassé.
C'est un détail, une bricole et on peut m'objecter deux choses : d'abord, le fait qu'il est dans son bon droit - le speaker n'annonce-t-il pas "Temps Additionnel : 1 minute minimum - et que la justice même voudrait que le coup-franc soit joué, ensuite le fait que l'arbitre est le dépositaire de la montre dans un match. Ceci est entièrement vrai. Mais, dans l'esprit de ce match en particulier, siffler la mi-temps sur cette faute était sans doute la meilleure chose à faire. Je m'explique : Rennes n'a pas le ballon et ne va donc pas râler ; les Verts n'attendent sans doute rien d'autre que la mi-temps après (presque) 46 minutes à courir après le ballon et leurs supporters, vu le froid, ne rêvent probablement que de vin chaud. Franchement, qui se serait plaint que la mi-temps soit sifflée avec trois secondes d'avance ? La seule chose qui risque d'arriver pour l'arbitre est des ennuis évitables, car l'unique solution pour les Verts est d'envoyer le ballon dans le paquet et, là , tout peut se passer.
Loi de Murphy : "si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner". Une règle immuable au ciné, une réalité pour les arbitres. Citons les cas de figure possibles sur ce coup-franc, et les conséquences :
- But des Verts / Les Rennais sont indignés car le but est marqué 12 secondes après la fin du TA annoncé.
- Pire, Sanogo est grossièrement ceinturé et l'arbitre siffle penalty. La règle prévoit que le penalty est la seule raison de prolonger le temps de jeu. Il doit donc être exécuté. Les Rennais, ne connaissant pas la règle, sont furieux d'encaisser un but après la fin du TA ou, encore plus rigolo, Mirallas tire le penalty qui est repoussé par Douchez sur un Stéphanois qui marque. Les Stéphanois sont outrés que le but soit refusé car si un match doit être prolongé pour l'exécution d'un penalty, cette disposition ne concerne pas la suite et une éventuelle reprise !
- Voire, compte tenu de l'exécution des coups de pied arrêtés stéphanois depuis quelques années : le ballon est maladroitement envoyé trop court plein axe sur Briand qui a un boulevard devant lui. L'arbitre siffle la mi-temps et les Rennais sont mécontents de voir un si beau contre annulé pour quelques secondes ou il laisse l'action se poursuivre, les Rennais marquent sur le contre et les Verts sont ulcérés d'encaisser un but 21 secondes après la fin du TA annoncé.
- Citons aussi la possibilité d'une arcade ouverte suite à un duel aérien sur le CF...
Bref, la Loi de l'emmerdement maximum. Mais le plus grand risque est que le ballon soit dégagé en corner, car on ne peut décemment pas terminer une mi-temps sans laisser jouer un coup de coin et que ça prolonge encore de quelques secondes le jeu. Un arbitre le sent venir à des kilomètres. Pire que Bruce Willis en enfilant les pompes du terroriste qu'il vient de dessouder. On sait pertinemment que ce dernier a les pieds plus petits que ceux de ma soeur. Et... devinez quoi ? Bingo ! C'est évidemment ce qui se passe : corner pour les Verts. Du coup, on a complètement explosé la montre, le temps que le corner soit joué. Et, là , Clément Turpin prend la bonne décision, la seule possible, en désignant faute d'un Stéphanois. Entendons-nous bien, il y a faute de Sanogo sur Hansson - au moins autant que faute de Hansson sur Sanogo - vu le tango dans lequel l'Ivoirien et le Suédois se sont lancés, mais l'arbitre aurait tout aussi bien pu laisser jouer si ce corner a lieu dix minutes avant. Mais, à ce moment-là du match, Turpin ne peut pas prendre le risque qu'un but soit marqué, ni même que le jeu soit prolongé une seconde de plus. Si j'avais été chez moi pour voir ce match, je pense que je me serais probablement levé pour aller chercher une bière avant même que le corner ne soit tiré : l'issue était ferme et inéluctable.
Au final, cette situation illustre bien un message que je passe régulièrement : l'arbitrage de football n'est pas uniquement une affaire de justice. Au-delà de l'équité et du strict respect des règles, beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte, parmi lesquels la psychologie et l'adaptation à la situation. D'un point de vue règlementaire, l'arbitre a raison de laisser le coup-franc se jouer. Pourtant, dans la conduite de ses troupes, et au vu du contexte du match et des dispositions des acteurs sur la pelouse, la sagesse aurait nécessité de siffler la mi-temps là -dessus.
Petite pastille pour terminer : en fin de match contre Grenoble, Janot est sanctionné d'un coup-franc indirect dans sa surface de réparation. Si ce fait de jeu est, au final, sans conséquences pour les Verts, l'application rarissime à ce niveau de cette règle nécessite quelques explications. Comme d'habitude, petit rappel de la règle pour commencer : "Un coup franc indirect est accordé à l’équipe adverse du gardien de but qui, se trouvant dans sa propre surface de réparation, touche le ballon des mains sur une passe bottée délibérément par un coéquipier" . Ensuite, comme souvent, une petite notion d'interprétation est nécessaire. On peut penser qu'en envoyant le ballon en retrait, Diakhaté ne cherchait peut-être pas la passe à son gardien, mais simplement à écarter le ballon de son adversaire. Ce serait oublier que la règle sanctionne non pas le passeur, mais bien le gardien ! En clair, le terme "délibérément" sert simplement à indiquer qu'une erreur technique du "passeur" (contrôle raté...) ou la simple déviation d'un ballon ne doit pas être considéré comme une passe. Pour bien comprendre la subtilité, l'application est la même que pour le hors-jeu : un joueur en position de hors-jeu ne sera pas sanctionné si le ballon lui est envoyé "délibérément" par l'adversaire ; par contre, le hors-jeu sera signalé s'il reçoit le ballon après qu'un adversaire ait simplement dévié ou contré un ballon envoyé par un partenaire du joueur hors-jeu.
Là , la situation est on ne peut plus claire : Diakhaté envoie bien le ballon volontairement vers l'arrière et Janot ne devait pas le toucher des mains (d'autant qu'il avait sans doute suffisamment de temps pour dégager du pied gauche).
Au milieu de la deuxième mi-temps contre Rennes, un ballon est envoyé en retrait (pas franchement volontairement, mais "jugeable" ainsi) à Jérémie Janot, que l'on voit distinctement (oui, oui, malgré le brouillard) se pencher pour ramasser le ballon puis se raviser et finalement le jouer du pied... Si on apprend de ses erreurs, on peut avoir de l'espoir en 2010 !