Que le supporter - même le plus débonnaire, même le moins sanguin, même le plus honnête, même le plus fataliste - qui n’a jamais pesté contre un arbitre me jette la première pierre. Ce mercredi à Lorient, quatre jours après l’épisode montpelliérain, pour ne pas prononcer les noms d’oiseaux dont mes enfants se sont délectés, il eut fallu que je sois doté d’une sagesse ou d’un détachement dalaïlamesque.


On n’est pas fier

C’est terrible. C’est mal, mais c’est si tentant. Comment ne pas pester face à un hors jeu manifeste qui a forcément, vu l’équilibre des forces en présence, eu une incidence forte sur ce match ? Pester. Contre qui, contre quoi ? A chacun son collimateur : l’arbitre, un complot ourdi par Moustache et le Vilain d’outre A47, le mauvais sort (moins tentant, il faut dire que ça soulage guère)... 
Maudite télé. Sans elle il y a quelques années, seule la pommette d’Hamouma aurait pu témoigner de la délicatesse de Yanga Mbiwa. Sans elle, on aurait tancé mercredi soir ces défenseurs centraux incapables de décrocher la moindre caravane. Désormais la meute de caméras est à l’affut, plus rien ne lui échappe. Elle donne à tout fait de match un retentissement démesuré. Cela dit, comme dirait Marianne Mako, TV ou pas, pourrir l’arbitre c’est vieux comme mes robes. Le populaire et vengeur « l'arbitre salaud, le peuple aura ta peau » a juste laissé la place au plus crû et très 90ies « l’arbitre, on t’encule » qui lui-même s’incline désormais devant le plus factuel et finalement plus sympathique « arbitre de merde, arbitre de merde, arbitre, arbitre, arbitre de merde ». Ce trivial et définitif constat a donc avantageusement remplacé les menaces de représailles de jadis, sans qu’on sache si il faut y voir chez nos supporters la preuve d’une plus grande sagesse ou simplement l’aveu d’une absence de penchant pour les pratiques sodomites (sauf quand elles se pratiquent à coup de carottes à l’endroit d’un voisin).

Globalement, se laisser aller à vomir sur les arbitres reste une faiblesse qu’on assume mal, pour peu qu’on ait un tantinet fréquenté les bancs de l’école et lu quelques livres, bref dès lors qu’on a un minimum d’éducation. Pourquoi ? Parce que quiconque s’y est essayé un jour sait combien l’exercice est périlleux. Et si elle est inhumaine pour le supporter qui la subit, l’erreur d’arbitrage est bien humaine, totalement et définitivement. Enfin, verser dans la chasse au bouc émissaire n’est jamais très glorieux.

Dans ce grand barnum qu’est devenue la Ligue 1, chaque semaine nous assistons au spectacle misérable des dirigeants, entraîneurs, joueurs, consultants rejouant A mort l’arbitre ad-lib. Et si Sainté s’est distingué ces dernières années, c’est par une retenue louable sur ce sujet. Jusqu’à la fin de l’année dernière en toute occasion, nos dirigeants restaient étonnamment mesurés à l’endroit de l’arbitre sans qu’on sache si cette attitude prenait sa source dans cette fameuse bonne éducation ou dans un calcul qu’on pourrait qualifier de gagnant-gagnant (je vous ménage dans les coulisses, vous êtes bienveillants avec mon équipe sur le terrain).


Un mal nécessaire ?

Sauf que la tactique (si c’en était une) n’a pas forcément payé, l’ASSE semblant soumise comme tous les clubs à une loi universelle et intemporelle, qui s’impose au foot comme au monde et qui veut que les plus forts/riches/gros bénéficient du petit coup de pouce arbitral (selon que vous serez puissant ou misérable etc etc…)

Ainsi, quelques jours après l’épisode du Parc en mai dernier quand Marchal prenait un pénal pour s’être fait marcher dessus (!), Galette, salé comme jamais, explosait dans les couloirs de Marcel-Picot après la défaite à Nancy (et le pénalty non sifflé sur Aubameyang). 

Ce faisant, il changeait de registre, adoptant (par calcul ou colère) la stratégie que de nombreux sups réclamaient de leurs vœux : celle du ramdam systématique, de la gueulante à la moindre occase, de la pression constante. Attitude spontanée ou colère calculée ? Calculée car guidée par l’idée sous-jacente que dans ce football ultramédiatisé, la communication est primordiale : sur cent personnes vous entendant vous plaindre de l’arbitre, vingt vous donneront raison et quatre-vingts tort, la première fois. Si vous recommencez quelques jours plus tard (avec de solides raisons de vous plaindre), les vingt seront trente.. jusqu’à ce qu’un arbitre inconsciemment ou non intègre l’idée que vous avez été désavantagé et soit à la prochaine occasion tenté de ré-équilibrer la balance.

On me rétorquera que les arbitres ne raisonnent pas de cette façon. Qu’ils ne tiennent pas compte des décisions ayant impacté tel ou tel club les semaines précédentes dans leur façon de l’arbitrer. C’est pourtant bien ce qu’ils font régulièrement à l’intérieur d’un match quand ils décident de ré-équilibrer eux-mêmes leurs décisions (sinon pourquoi Mr Ennjimi n’a-t-il pas sifflé de pénalty pour Sochaux contre les Verts ?). Et l’arbitre qui officie sur un club dont le président ou l’entraîneur a remué ciel et terre depuis quinze jours sait que ses décisions seront, si elles prêtent à débat, nettement plus scrutées, commentées, mises en avant par les médias, ce qui n’est jamais plaisant pour une profession dont on mesure communément la qualité en proportion de la discrétion de ses prestations.


Alors ?

Alors oui les arbitres sont intouchables, parce qu’ils sont par nature faillibles ("yé soui pas oune machine" aurait dit mizou mizou), parce que leur tâche est simplement exceptionnellement ardue, parce que les dérives populistes de certains consultants à leur endroit sont insupportables, et parce que l’idée de faire dans la dérive aulassienne provoque une nausée immédiate. 

Oui … mais non. Ils ne sont pas intouchables, car dès l’instant où on joue à un jeu, il faut en adopter les règles. Et si ce foot business est à de nombreux égards gerbant, n’est-on pas contraint, pour arriver à nos fins (le succès) d’en exploiter les ficelles et d’abandonner cette posture certes digne et respectable mais qu’il serait tentant de lapidairement résumer d’un « trop bon trop con »

Le dilemme est là. "Tout, dans la vie est affaire de choix" disait Desproges. "Cela commence par la tétine ou le téton et se termine par le chêne ou le sapin". Que choisir ? La morale ou l’efficacité ? La colère ou la dignité ? Après Montpellier et Lorient, je tergiverse et n’attends secrètement et fébrilement –tel l’enfant guettant la cheminée pour en voir surgir le père noël- qu’une chose pour ne pas avoir à trancher et rester dans ma nuance ouatée : l’application concrète dès Reims du bon vieil adage qui veut que "sur une saison, ça s’équilibre".

Parasar