Après avoir replongé dans ses souvenirs de joueur dans le premier volet de l'entretien, Jean-Philippe Primard répond aux questions des potonautes sur la formation.

Depuis que tu es au centre de formation, quel est le joueur passé sous tes ordres qui t'ait le plus marqué ? (Olaf)

Loïc Perrin, qu'on avait récupéré à 13 ans à Saint-Charles-Vigilante. C'est un garçon qui a eu une progression constante, pas de gros pic ni de baisse. Au- delà, lorsque l’on parle de qualité mentale, d’état d’esprit, c’est quelqu’un que l’on peut citer en exemple. Sur le terrain, en dehors, dans sa façon de gérer sa carrière, tout ce qu’il a fait en formation… Il a fait tout ce qu’il fallait faire pour y arriver. Ce n’était pas un joueur à 15-16 ans que l’on voyait forcément arriver. Il n’a pas été international, il n’a pas été sous contrat à un moment donné. C’est quelqu’un qui ne brillait pas pour celui qui le voyait pour la première fois mais pour l‘entraîneur que j’étais, on voyait toutes les qualités physiques, techniques, mentales, de métronome au milieu. Ce n’était pas flamboyant mais c’était d'une efficacité terrible. Moi, j’ai toujours cru en lui en l’ayant à l’entrainement tous les jours puisque je l’ai eu pendant 3-4 ans. Je sentais la puissance qui montait en lui. Cela a pu être une surprise pour certains, pas pour moi car je l’ai vraiment vu venir avec ses qualités mentales remarquables et puis finir capitaine de l’ASSE, ce n’est pas étonnant, c’est mérité et c’était son destin.

Le joueur qui t'a surpris : tu ne pensais pas qu'il allait réussir, et puis finalement si ? (Olaf)

Ce n'est pas une grosse surprise mais on peut parler dernièrement ne serait ce que de Néry et Ghoulam qui étaient deux joueurs en qui je croyais mais il n’y avait pas de certitudes. Moi je disais « Oui, ils peuvent y arriver » mais quand même, il y avait des "mais". Le petit Nery qui a commencé et après n’a plus joué pour diverses raisons. Le petit Faouzi Ghoulam quand tu vois la saison qu’il fait… Moi je l’avais vu quand il était jeune à l’âge de 15 ans et franchement je n’avais pas vu le potentiel qu’il a pu avoir après. Déjà, il jouait couloir offensif gauche, il avait déjà un bon pied gauche. Il avait une certaine lenteur et il manquait d’explosivité à son poste. C’est vrai que là, je m’étais dit « c’est moyen, cela va passer encore mais pour aller en pro, cela sera difficile ». Maintenant il était en 15 ans, je ne l’avais pas à l’entraînement et progressivement, dès que je l’ai eu à l’entraînement, on l’a repositionné au poste de latéral. Il a fallu que tactiquement il s’habitue et là j’ai senti, j’ai vu la puissance monter, sa puissance physique, une confiance en lui, une assurance qu’il a développée au fur et à mesure des mois et des mois et c’est là que j’ai dit « Ah tiens voilà » mais c’est une bonne surprise. J’y croyais mais je n’en étais pas persuadé. Loïc Perrin, j’étais sur qu’il y arriverait. Faouzi, mentalement, il avait de grosses aptitudes mais je suis demandé s'il allait franchir ce palier. J’avais envie d’y croire et je suis très content qu’il ait réussi parce qu’il est en train de faire une belle saison.

Celui qui au contraire t'as déçu : il avait toutes les qualités, mais pschitt ? (Olaf)

Il n’en a pas eu tant que ça. Certains avaient du potentiel mais on avait des doutes quand même et donc ce n’a pas été une grosse surprise. Il y en a un, c’est dommage mais là aussi on avait quand même des doutes, c’est le petit Samy Houri qui était un très bon footballeur, très très bon. Moi je l’ai eu, il a joué des matchs en pro à l’époque, il était très bon. Mes doutes concernaient l’aspect physique forcément et on se rend compte avec le temps qu’il n’a pas franchi ce palier par ce qu’il se retrouve en Belgique mais enfin c’est en Ligue 2. Il n’a jamais pu franchir ce cap de la Ligue 1 donc il n’aurait pas pu réussir chez nous mais c’est quelqu’un en qui on croyait. On avait quand même ces doutes sur cet aspect physiologique qui lui a été peut être handicapant. Globalement, il n’y a pas de joueurs que l’on voyait gros comme une maison et qui ce sont écroulés.

Que doit faire un jeune joueur de 14 ans motivé pour entrer à l'ASSE ? Y a t-il des critères ? Et quels sont-ils ? (cocoboy)

Il y a quelques critères à certains postes mais après, nous, on prend les bons joueurs. Les critères les plus importants, on essaye d'être le plus pointu là-dessus, sont déjà l’état d’esprit du gamin, ce qui est difficile à juger dans le recrutement car on ne l’a pas au quotidien. On essaye d’écouter les parents, les entraineurs, de se renseigner. C'est aussi de plus en plus l’intelligence de jeu, c’est un paramètre très important pour pouvoir réussir au haut niveau. Le mental, le coté gagneur, le goût de l’effort, l’investissement et l'intelligence de jeu sont les principaux critères. Les qualités techniques bien sûr mais j’insiste sur l’intelligence de jeu. Après, pour être détecté, c’est à travers des clubs, à travers des matchs de championnat, être en sélection. Nous avons des recruteurs qui voient toutes les sélections.Après c’est rentrer au club si on en a les moyens.

Comment procède-t-on pour recruter des jeunes évoluant hors région Rhône-Alpes ou département de la Loire ? (Greenwood)

Cela passe par notre réseau de recruteurs par région qui voient les matchs, par les sélections, par le réseau d’entraineurs qui nous donnent des tuyaux. Nos recruteurs les voient d’abord et ensuite quand ils estiment que ces joueurs sont aptes à pourvoir venir chez nous, on les voit, nous, en détection à Saint-Etienne où l’ensemble des entraîneurs, les recruteurs, le responsable du recrutement, on décide si le jeune peut rentrer ou pas au club.

L'entraîneur que tu es (et l'ensemble du staff du centre de formation) préfère-t-il mettre en place un système adapté aux qualités des joueurs qu'il a et le modifier pour les faire travailler d'autres positionnements et systèmes (rôle du formateur) ou mettre en place un système sur du long terme (toutes les équipes jouent comme les pros) et ce qu'elle que soit les caractéristiques des joueurs ? (Sylvain92)

Là, ça parle d’un projet club comme le Barça qui joue pareil des petits aux pros. Ici les entraineurs pros sont passés et partis, les formateurs sont partis aussi il n’y a jamais eu le temps de mettre en place cela sur le long terme. Mais depuis quatre ans que je suis directeur du Centre – deux ans et demi seul et un an et demi avant avec Alain Blachon, que je « couvrais » avec mon diplôme et qui était responsable de la formation – on a essayé de mettre en place une philosophie de jeu qui consiste à repartir de derrière, c’est à dire essayer de bien jouer au niveau de la maîtrise collective, le jeu collectif. On ne va pas dire que l’on copie le Barça parce que le Barça c’est beaucoup de maîtrise collective de derrière jusqu’à devant parce que même dans les trente mètres adverses ils sont toujours dans la maîtrise collective. Nous c’est une maîtrise collective dans la préparation du jeu et puis après bien sur plus de percussion et de finition dans les 30-40 derniers mètres pour aller plus vite devant le but.

Maintenant c’est un projet à mettre en place avec les pros aussi. Moi j’ai essayé de me calquer sur les pros même si les pros ont joué en 4-3-3 l’an passé puis en 4-4-2 puis en 4-3-3 en fin de saison donc moi j’ai essayé de me caler. J’ai joué en 4-4-2 pendant la longue période où ils ont joué en 4-4-2 sachant que lorsque des joueurs redescendent avec moi, c’est bien qu’ils jouent dans le même système que s’ils doivent rejouer en pros. On se rend compte que Christophe Galtier a joué en 4-3-3 sur la fin de saison, moi du coup j’ai fait quelques matchs en 4-3-3 sur la fin. En formation, c’est important qu’ils sachent jouer de différentes façons. Si un jour l’entraineur des pros part, et que c’est un autre entraîneur qui vient et qui a un système complètement différent, il ne faut pas qu’ils soient complètement perdus donc c’est important qu’ils connaissent plusieurs systèmes. Maintenant, on peut très bien aussi travailler plusieurs systèmes à l’entraînement et puis le jour du match travailler sur le système que les pros souhaitent nous voir travailler. Moi sur l’entraînement, on a fait du 4-4-2 du 4-3-3 et j’ai essayé de me caler sur la période des pros. Quand ils jouaient en 4-4-2, on jouait en 4-4-2.

Par contre, il est évident aussi que selon les effectifs que j’ai, notamment sur une CFA où j’ai utilisé 54 joueurs cette année, j’ai des effectifs qui correspondent plus à un 4-4-2 et un week-end par exemple j’ai un effectif comme les deux derniers matchs que j’ai fait où j’ai joué en 4-3-3 alors que j’ai fait quasiment toute la saison en 4-4-2. Je m’adapte obligatoirement en fonction des joueurs que j'ai à disposition. Je ne vais pas forcément faire un 4-4-2 si je n’ai pas ce qu’il faut au milieu, si je n’ai pas ce qu’il faut devant. Lors des deux derniers matchs – Gap et Agde – j’ai joué en 4-3-3 parce que j’avais une équipe adaptée pour jouer en 4-3-3.

Le centre de formation de l'ASSE a nettement progressé ces dernières saisons et se place dans les 6-7 premiers centres en termes de qualité générale et d'éclosion à mon avis. Félicitations ! Quels sont les domaines où l'on doit progresser pour rejoindre les meilleurs clubs formateurs (Rennes, OL notamment, le PSG ayant la qualité mais ne sortant personne...) ? (Sylvain92)

On pense que dans l’ensemble on a une bonne formation, c’est vrai : on a des jeunes qui sortent, on a des résultats. Je pense que l’on travaille bien. En tout cas, on est tous d’accord, le responsable du recrutement également – Gérard Fernandez – que l’on peut toujours améliorer la programmation, la façon d’entraîner mais là où l’on peut surtout améliorer c’est le recrutement. C’est clair que plus on aura des bons joueurs recrutés à la base, plus on a des chances de sortir des joueurs, c’est une évidence. C’est quoi le recrutement ? C’est mieux détecter, c’est mettre les moyens aussi car l’on sait très bien que maintenant financièrement il y a des clubs qui donnent des primes à certains joueurs, que le côté financier entre en jeu. Pour progresser dans la formation, il va falloir aussi progresser dans le recrutement c’est-à-dire avoir les meilleurs. La progression du recrutement, c’est en terme de moyens au sens large du terme, les moyens humains, financiers. C’est un des axes mais il n’y a pas que cela car l’on peut très bien attirer des jeunes – ce que l’on fait déjà - sans forcément dépenser beaucoup d’argent. On parle de ces clubs, Rennes, Monaco mais c’est beaucoup d’argent chez eux et nous nous n’en sommes pas encore là. On ne veut pas devenir comme Monaco et Rennes. Par contre, il y a peut être des progrès à faire aussi mais on se défend avec les armes que l’on a actuellement et l’on arrive quand même à bien recruter et à former des joueurs, la preuve sur ces dernières années.

Le surclassement des meilleurs jeunes se fait dans chaque génération à l'ASSE (U15/U17/U19/CFA) ? Pourquoi d'autres clubs attendent le passage en U19 pour surclasser ? (Sylvain92)

Il peut y avoir une politique de club, il peut y avoir aussi la façon dont les effectifs sont construits. Nous, on a en U17 depuis l’année dernière 25 joueurs avec une seule équipe avec 12 première année et 12 deuxième année. On a des jeunes – Cros, Diomandé, Saadi l’an passé – qui s’entraînaient déjà avec les pros avant d’être pros… On joue jeune, on s’entraîne jeune, c’est une politique et la DTN est d’ailleurs favorable à cela. On joue avec des équipes jeunes et c‘est d’autant plus valorisant pour nos équipes en termes de résultats parce que l’on joue jeune. Mis à part la Gambardella où l’on essaie de mettre la meilleure équipe, dans les championnat avec les équipes jeunes que l’on a, de finir dans les 4-5 premiers – 4ème en U19, 3ème en U17, 7ème en CFA…On est dans la vérité parce que les jeunes progressent plus. C’est plus difficile mais ça progresse aussi. Maintenant, il ne faut pas le faire tout le temps parce que sinon on va droit dans le mur, mais on le fait au maximum. Par contre aux entraînements, les meilleurs sont déjà dans les groupes du dessus parce que l’on estime que le meilleur joueur de U17 doit déjà s’entrainer avec les U19 ou le U19 avec la CFA comme kurt Zouma qui est passé très rapidement des U17 aux U19, des U19 à la CFA et de la CFA aux pros. Il a "brûlé les étapes" mais parce qu’il le fallait. C’était pour son bien aussi parce qu’il en avait les moyens.

Le fait de recruter des joueurs venant de loin (Paris/Bretagne) ne les met-il pas en difficulté pour réussir ? Est-ce que tu es particulièrement vigilant avec ces ados qui découvrent beaucoup de nouvelles choses en plus de l'exigence du centre ? (Sylvain92)

Complètement. La DTN l’a prouvé par les chiffres : il y a 99% de chances qu’un jeune qui est hors Ligue, hors région, et qui arrive dans un club se plante et ne réussisse pas pro. C’est énorme 99%. De toutes façons, il y a un règlement qui fait que l’on peut pas prendre pas prendre hors ligue avant 14 ans. Par contre, on les prend le plus tard possible et on essaie de les recruter le plus tôt avec le système des ANS [ndp2 : accord de non-sollicitation] qui peuvent les bloquer si on les recrute avant. Certains sont dans les pôles espoirs de la DTN qui sont faits pour cela. Ce sont des pôles où les jeunes s’entraînent sous l’égide de la fédé la semaine et jouent dans leur club de la région le week-end puis rejoignent les clubs pros à 15 ans. Tout est mis en place pour ne pas déraciner les jeunes trop tôt parce que c’est prouvé que c’est un échec. Cela a pu exister avant mais c’est fini. Désormais c’est le coté humain avant tout parce que l’on sait que l’on y gagnera pas, on y perdra. On essaye de repérer de plus en plus jeune, de plus en plus tôt les jeunes, il peut y avoir des ANS, du relationnel le temps que l’on puisse les recruter. On ne recrute plus trop jeune au centre de formation et en plus, quand ils arrivent trop tôt, ils sont déracinés et ils passent trop de temps au centre et à la fin ils n’en peuvent plus.

Que penses-tu des clubs qui alignent le carnet de chèques pour faire signer un ANS à un enfant de 13 ans ? L'ASSE sera-t-elle toujours en dehors de cette pratique, au risque de ne pas recruter les plus demandés (pas toujours les meilleurs) ? (Sylvain92)

Il y a une grosse concurrence, certains clubs mettent de gros moyens pour recruter très jeune. Nous on essaye certes de ne pas recruter trop jeune mais il existe des ANS. On ne sera jamais comme Rennes ou Monaco qui mettent des moyens considérables là dessus car on estime qu’à 12, 13 ou 14 ans, il y a une part d’échec qui est possible. Tu te rends compte qu’il faut 5, 6 ou 7 ans …il faudrait être Madame Soleil pour savoir si le jeune va réussir ! Cela recrute de plus en plus jeune sur les ANS car il y a de plus en plus de concurrence mais nous, on ne sera jamais pris dans cette spirale. On fera d’abord pour le bien des jeunes.

Les jeunes joueurs actuels sont-ils passionnés par le football ? N'en ont-ils pas trop mangé ? Sur ce sujet, est-ce que le fait de faire une préfo ou un pôle espoir n'est pas déjà être dans un cursus professionnalisant trop jeune ? (Sylvain92)

Forcément, il y a un risque. D’un autre coté, c’est à 13-14 ans que les acquisitions les plus fortes sur l’aspect technique se font. C’est une période charnière, c’est prouvé. Si le jeune est toujours dans son club jusqu’à 15 ans et qu’il s’entraîne une ou deux fois par semaine, le travail technique n’est pas toujours fait car souvent avec certains clubs ils ne font que du jeu donc le ballon ils ne le touchent pas tant que ça. Rattraper ce retard technique après, c'est très, très difficile donc il faut qu’ils soient dans des structures. Encore une fois, le pôle espoir est là pour ça pour faire ce travail la semaine mais le week-end ils rentrent chez eux. Chez nous en Rhône Alpes, tout ceux qui sont en préformation ont obligation de rentrer chez eux le week-end. Ils sont là du lundi au vendredi comme en internat, ils ont l’école, le foot mais dès le vendredi soir, ils rentrent chez eux. Ils reviennent jouer le match le week-end soit ici soit à l’extérieur et ils reviennent le dimanche soir ou le lundi matin pour l’école. Ça, c’est obligatoire, on ne garde aucun jeune le week-end au centre. Cela veut dire que le vrai centre de formation, la vraie entrée au Centre de formation où éventuellement ils y sont tout le temps c’est à l’âge de 15 ans jusqu’à 18-19 ans, ce qui peut faire 4 ou 5 ans. On estime que c’est beaucoup mais à la fois c’est faisable. Par contre s’ils rentrent à 11 ou 12 ans, ce qui ne se fera jamais chez nous et qui n’est pas réglementaire, c’est aberrant.


Merci au potonaute hcatteau pour la retranscription de cette deuxième partie de l'interview.