Troisième volet de l'entretien accordé par Thierry Cotte aux potonautes.


J'ai l'impression que les Verts sont nettement moins performants chaque saison en janvier-février. Pas seulement dans le ressenti du niveau de jeu, mais aussi plus objectivement dans le nombre de points pris en championnat et de fréquentes contre-performances en coupes. Alors, il y a eu certaines saisons des circonstances qui pouvaient expliquer ce phénomène (le nombre de joueurs à la CAN lors de la seconde saison de Baup, l'embrouille Piquionne l'année d'Hasek... - j'en oublie peut-être), mais il me semble qu'il y a tout de même au-delà de ça, une tendance forte. Autrement dit, je soupçonne qu'il y a un problème plus d'ordre structurel. Partages-tu ce point de vue ou suis-je à côté de la plaque ? (Gustav)

Je ne suis pas d'accord, même si la manifestation peut être de cet ordre. Je repense à l'année dernière, où on a été tout de même très lourdement impacté par "l'affaire Dimitri Payet". C'est une certitude : ça a déstabilisé un petit peu le vestiaire et il suffit de pas grand chose pour enrayer une belle machine. Je mets donc plus ça sur le compte de l'aspect mental que sur un problème physique collectif. Autant je pourrais comprendre que mes joueurs soient fatigués un jeudi parce que je les ai fait énormément travailler le mardi et le mercredi, autant je ne peux imaginer que tous les joueurs soient en méforme le samedi alors qu'ils ont "coupé" le jeudi et le vendredi. Enfin, je me comprends quand je dis ça mais je ne peux pas croire à la fatigue collective.

Et que penses-tu d'une hypothèse sur la particularité climatique de Sainté (par rapport aux autres clubs de L1) sur la qualité des entraînements au niveau technique (autrement dit, l'idée que le froid gêne la décontraction pour la répétition des gestes technique au quotidien) ? Cela ne gêne-t-il pas une préparation physique optimale ? (Gustav)

 

Ça, c'est une très bonne remarque. Une évidence à Saint-Etienne : on peut avoir de la neige ou en tout cas des froids assez soutenus. Le souci est qu'on doit s'entraîner sur des surfaces très différentes : on peut s'entraîner sur un terrain gelé, sur un terrain hyper gras, sur un terrain synthétique. Ça coûte très cher à l'organisme. Ces changements sont terribles. Il vaut mieux s'entraîner tout le temps sur la même surface pendant un mois et demi, quitte à ce que ce soit un synthétique. J'exagère un petit peu, ce n'est pas ce que je souhaite mais ce sera beaucoup moins impactant pour les organismes que changer tous les jours, avoir une fois un terrain très dur et, le lendemain, parce qu'on n'en peut plus d'un terrain gelé, aller s'entraîner sur un synthétique, et, après, sur un terrain qui a dégelé et est hyper gras. Ça, c'est terrible, terrible pour les organismes. Alors, effectivement, ça, ça peut faire partie des explications qui font que nos mecs, en janvier-février, sont un peu moins bien.

Il faut être hyper honnête. La préparation physique d'une équipe professionnelle, je ne vais pas dire que ce n'est pas dur, mais, en terme de contenu, ce n'est pas très compliqué à mettre en oeuvre. On fait quasiment tous les mêmes choses dans tous les clubs. Après, c'est la capacité qu'ont les joueurs à accepter ce message-là et, effectivement, le terrain fait partie des éléments qui vont rendre une séance plus ou moins bien ingurgitée.

Comment gère-t-on un joueur qui subit souvent des blessures ? Évidemment, on a en tête les exemples de Loïc Perrin et Yoann Andreu. Existe-t-il un programme spécifique ? Ces joueurs sont-ils préparés à part ? (peru42)
 
Bien sûr. Ce sont des joueurs que je surveille tout le temps. Ce que je n'ai pas dit tout à l'heure, c'est que, tous les jours, je note la charge de travail exacte faite par tous les joueurs de l'effectif. Je connais tous les jours la place du joueur dans l'effectif par rapport à la charge de travail qu'il vient de faire. Je m'applique toujours à ce que celle de Loïc Perrin soit 10% en-dessous de la moyenne. Et quand, par malheur - ou par bonheur - il joue tout le temps, il va être au-dessus de cette moyenne. À moi de faire très attention dans le contenu des séances, à ce qu'il soit allégé de temps en temps ou que cette partie-là soit remplacée par un travail individuel de prévention.

Est-il possible de prévenir des blessures comme ça ? Dans le cas de Loïc, on a l'impression d'une malédiction, avec des rechutes fréquentes. (veryvel)

La prévention existe. Il n'y a qu'à compter - ce que je fais - le nombre de blessures musculaires par an et regarder d'une saison à l'autre si c'est le même nombre ou pas. Nous, on a fortement réduit le nombre de blessures musculaires sur les dernières saisons. Pour cela, on fait énormément de prévention. Elle commence par la diététique : on fait manger les joueurs tous les matins avec nous, avant toutes les séances.

Es-tu à l'origine de cette décision qui a finalement été assez médiatisée ? (José)

Ça s'est décidé de manière collégiale parce qu'on trouvait que c'était cohérent par rapport au fait que des joueurs arrivaient chez nous en n'ayant pas mangé. On a constaté qu'ils arrivaient le ventre vide à la séance, ils prenaient deux barres énergétiques dans un placard, qu'ils nous dérobaient, en plus. Ils avaient un coup d'hypoglycémie pendant la séance. On ne peut pas s'entraîner comme cela donc on a pris la décision de faire manger les joueurs avec nous. Déjà, on contrôle cet apport alimentaire. Du coup, on ne sait pas si c'est ça, mais on a moins de blessés. En plus, on met en place des campagnes de prévention. J'ai des joueurs qui, à l'année, ont un programme de renforcement soit de cheville car ils ont une cheville fragile, soit de renforcement d'ischio-jambiers car on sait que c'est fragile. On fait des mesures en début de saison et en janvier pour vérifier l'équilibrage des pneus (sic) et on vérifie le gonflage toute l'année sur les parties les plus sensibles. On travaille beaucoup, dans tous les sens qui peuvent améliorer la prévention. La diététique en fait partie, le renforcement, la proprioception. Force est de constater que nos chiffres s'améliorent, c'est une évidence. En toute modestie, on a de très bons chiffres par rapport à la littérature internationale. On ne fait pas n'importe quoi, on essaie de connaître un petit peu les références dans les autres clubs et on se situe bien. Après, il est évident qu'il faut individualiser le travail. C'est ce qu'on fait avec des garçons comme Loïc, comme Yoann. Même s'il faut reconnaître qu'on n'est pas tous à égalité devant la nature. Des gars sont absolument robustes, ne se blessent jamais. Laurent Battles, il a 37 ans et est sur le terrain de foot. Il n'a jamais eu de blessure sérieuse. C'est une chance extraordinaire, mais la nature l'a fait comme cela. Il est robuste, ne se blesse pas. D'autres joueurs ont une plus grande fragilité. À nous préparateurs physiques de rapidement identifier ces personnes, en partenariat, bien sûr, avec le troisième homme dont on n'a pas encore parlé qui est le staff médical. Je travaille énormément avec lui, en qui on a une confiance totale avec le coach. Ce trio-là, le médecin, l'entraîneur, le préparateur physique, fait tout dans l'intérêt du joueur et donc, de l'équipe. On est prêt à alléger le travail d'un joueur pendant deux ou trois jours si, à la fin, c'est pour l'avoir au mieux le samedi au service de l'équipe. On est capable de le faire à l'AS Saint-Etienne, les Potonautes peuvent être contents.

À une époque, Fabien Boudarène enterrait tout le monde dans les tests de résistance. Qui est le plus performant de l'effectif actuel dans cet exercice ? (oswaldo)

Ce sont surtout les milieux de terrain relayeurs qui sont les plus gros coureurs. Donc Jérémy Clément, Fabien Lemoine, Christophe Landrin avant eux sont compliqués à prendre en course à pied, comme Blaise Matuidi.

Fabien Lemoine est un joueur au parcours un peu particulier. As-tu individualisé sa préparation par rapport à ses antécédents, notamment la perte de son rein ou, d'un point de vue médical, il est traité comme un autre joueur ? (Aloisio)

Je le considère comme un joueur normal. Quand le joueur a signé chez nous, il a passé une visite médicale et je fais toute confiance au médecin. Je lui ai demandé si je devais faire attention dans mon approche du travail avec ce garçon, si je devais de temps en temps alléger. Et il n'y a aucun problème, au-cun problème.

As-tu déjà travaillé avec un joueur aussi rapide que Aubame ? (oswaldo)

Dans l'effectif, il y en a un qui est très rapide, c'est Bakary Sako. Ce n'est pas le même style de vitesse, mais Bakary est très, très rapide. Et puis j'ai travaillé avec quelqu'un d'aussi rapide, c'est Wayne Rooney...

... Que tu as la chance de le connaître quand il était tout jeune à Everton (José)

Oui. Mais, là aussi, ce n'est pas la même "vitesse" que Pierre Aubameyang.

Ce n'est pas le même genre de gabarit non plus (aloisio)


En effet. Mais Bakary Sako se rapproche de Wayne Rooney dans ce profil de vitesse. Ce ne sont pas des gars hyper rapides sur les premiers appuis, mais, par contre, une fois lancés, ils sont déroutants. Surtout, parce qu'ils sont lourds, ils sont impossibles à bouger. Wayne Rooney était dans ce profil. Aubame, effectivement, est très très rapide mais il est beaucoup plus frêle et donc, dans le contact, peut être un peu plus déséquilibré. À l'inverse, ça lui donne cette possibilité d'être un peu plus agile, un peu plus félin pour esquiver alors que Bakary est un gars qui, une fois qu'il est lancé, on peut venir au contact contre lui, il est indéboulonnable.

J'ai le sentiment que Sako à un compromis puissance/vitesse assez exceptionnel. Est-ce le cas ? (oswaldo)

Des profils comme ça sont très intéressants. À mon avis, ce sont les profils du futur. Avoir des joueurs d'une telle puissance est toujours intéressant. En plus, lourds, quand même, parce qu'il faut pouvoir tenir sur ses jambes. Dès qu'on vient au contact, on ne les renverse pas, quoi.


Sa méforme actuelle résulte-t-elle non pas d'une blessure, mais d'une petite gêne ? Attribues-tu un rendement sportif pas tout à fait au niveau de ce qu'il pourrait faire au fait qu'il n'est pas à son top physiquement actuellement ?

Les dernières fois où il a fait des matchs pleins de 90 minutes, on n'a pas trouvé d'altération de sa performance physique. Sur le volume de sprints, sur le nombre d'accélérations, sur le volume total à haute intensité, sur la distance totale parcourue, ça n'a pas autant rejailli sur ces paramètres-là. C'est plus dans ses choix qu'il se perd. Il faut le suivre aussi car lui aussi a ses points faibles sur son organisme. On y veille avec le staff médical mais, à chaque fois qu'il se présente sur le match, généralement, il est à 100% de ses moyens.


Quelles sont les qualités physiques de Banel Nicolita ? (oswaldo)

Tout à l'heure, je ne l'ai pas cité dans les "gros moteurs", tout simplement parce que, lui, je ne lui ai pas fait faire le même test qu'aux premiers cités. Il est arrivé alors que la saison était bien avancée et je n'ai donc pas eu l'occasion de le tester. Je pense qu'au test de résistance dont parlait le Potonaute précédent, il ne sera pas mal. C'est ce qu'on appelle les "gros moteurs", capables de courir longtemps à une bonne intensité et, qui plus est, il n'est pas embêté quand il faut faire de la haute intensité, ce qui est intéressant car c'est dans ces périodes-là que se fait la différence.


Peux-tu nous expliquer la "haute intensité" ? (Poteau droit)

Tout ce qui se passe en sprint. Nous, on définit un certain seuil de vitesse au-delà duquel on est à haute intensité. Classiquement, c'est 21 km/h et lui n'est vraiment pas mal dans ce registre-là.

On a l'impression, lors des derniers matchs, qu'il a une capacité à réitérer les efforts sans signe de fatigue apparent (Poteau gauche)

Tout à fait. En fait, il a deux choses. Il a le support physique. Moi, le préparateur, je peux confirmer qu'il est très robuste de cet aspect-là. Après, il y a l'aspect mental et c'est majeur. C'est vraiment un combattant. Une fois qu'il est sur le terrain, on peut être tranquille, il va "mourir" sur le terrain. Et puis il faudra le sortir quand il n'en pourra plus, mais ce n'est pas quelqu'un qui va tricher, il ne va pas compter ses efforts. Cette qualité mentale lui permet d'exploiter le gros moteur qu'il a. Du coup, ça donne des prestations qu'on lui a vu faire qui sont magnifiques.


Certains supporters s'interrogeaient de voir que cette recrue, les premiers matchs, ne jouait pas. On s'est demandé si, indépendamment du côté "intégration, changement de culture, de pays", il n'y avait pas aussi tout simplement une considération d'ordre physique. En terme de préparation, il n'a pas rejoint le club en même temps que les autres qui avaient suivi les stages de préparation. N'a-t-il pas fallu un temps supplémentaire pour combler ce retard accumulé, cqui expliquerait qu'il arrive aujourd'hui, en décembre, à son top ? (Aloisio)

J'ai une remarque à faire par rapport à l'arrivée de ces nouveaux joueurs. Je parlerai aussi de Max Gradel. Je trouve admirable qu'on les ait à ce niveau-là maintenant. Je trouve que c'est très rapide. On voudrait toujours que ce soit plus rapide mais il faut bien se rappeler que parfois, il faut une année avant qu'un joueur s'adapte. Nous, ils se sont adaptés en quelques mois.


À quoi attribuer cette adaptation ? Déjà, ce sont des joueurs qui changent de club, qui changent d'entraîneurs. Donc ils n'ont pas les mêmes repères dans le travail, ils n'ont pas les mêmes repères sur des terrains qui ne sont pas tout à fait les mêmes. C'est très important. Comme le préparateur physique n'aime pas les changements de terrain en janvier. Un joueur est habitué à s'entraîner au Portugal sur un terrain sec, il arrive ici à Saint-Etienne, sur un terrain gras, ce n'est pas facile. Il faut digérer ça et digérer la méthode d'entraînement qui n'est pas toujours la même. Il faut comprendre le message du coach. C'est d'ordre tactique et ça n'est pas toujours simple. Le coach ne fait jamais les choses au hasard. Il fait venir un joueur parce qu'il estime qu'il va avoir le profil pour intégrer la conception qu'il a, lui, du jeu. Quelques fois, le joueur est en décalage, il n'arrive pas à comprendre tout de suite. Ça prend du temps.

Au début, quand il est arrivé, Banel était compétitif physiquement. Je n'avais aucun doute sur ses capacités physiques. Il aurait pu tout de suite être mis sur le terrain, il nous aurait fait les mêmes prestations, mais dans la compréhension du message et de la philosophie de jeu du coach, on n'avait pas de certitude. Il fallait qu'il se familiarise davantage avec le jeu et l'attente qu'on avait dans le jeu. Peut-être que de la tribune ou derrière son téléviseur, on voit onze joueurs qui courent de manière désordonnée sur le terrain, mais c'est hyper structuré. Il faut que le joueur s'intègre comme le onzième élément de cette structure pendant 90 minutes. C'est du boulot, il faut rabâcher, répéter, quand on a le ballon, quand on n'a pas le ballon, dans telle zone du terrain, etc.