S'il est bien une antienne qui revient à qui mieux mieux ces derniers temps, c'est la propension de Gasset à faire confiance aux jeunes. Enfin ! s'exclament de nombreux supporters lassés par des dernières années de Galtier pauvres de ce côté-là et par une saison dernière pas vraiment propice à cela, et où la mission sauvetage est plus passée par l'expérience que par la jeunesse. Pourtant, qu'en dit réellement la vérité du terrain ?
Les espoirs de l'été
Si cette idée d'un Gasset particulièrement favorable aux jeunes joueurs est dans tous les esprits, c'est grandement à mettre en relation avec l'été que nous avons vécu. Plusieurs phénomènes ont pu expliquer cette tendance.
La première raison tient en une série de déclarations faites en ce sens. Ainsi, Gasset déclarait en août que « Le projet est de mettre nos jeunes en valeur. L'ASSE est condamnée à former. » dans le sillage de Rocheteau qui déclarait le mois précédent « On veut un effectif de qualité mais pas trop important pour permettre aux jeunes de s’intégrer. […] Il faut que l’on arrive à faire confiance aux jeunes »et avant que Paquet ne souligne de nouveau cet objectif au début du mois de septembre (« Le club a atteint les quatre objectifs qu’il s’était fixé : [...] intégrer des jeunes formés au club »). Et si la rengaine semblait déjà plus ou moins connue, il ne s’agissait plus là des déclas à l'emporte-pièce de Nanard ni des interventions passionnées de Roro.
Par ailleurs, la constitution de l'effectif a également naturellement conduit à une plus grande confiance du staff envers la jeunesse. Finis les effectifs trop larges qui reléguaient les jeunes au rôle du remplaçant du remplaçant du remplaçant : la saison dernière avait débuté avec 21 joueurs de champ ''confirmés'', et ce sans compter Vagner et Katranis, qui comptaient tout de même respectivement 15 et 22 titularisations en professionnel avant le début de ladite saison. Cette saison ne devait être entamée qu'avec un groupe restreint de 16 unités dans le champ, Polomat et M'Bengue étant, à ce moment-là, bien loin de prétendre à apparaître en match avec les professionnels. Avec autant de joueurs de champ que de postes à pourvoir sur une feuille de match, les jeunes apparaîtraient donc nécessairement sur le banc et finiraient fatalement par se tailler une part du gâteau en termes de temps de jeu.
Autre élément allant dans le sens de cette argumentation, les matchs de préparation. S'ils sont souvent le théâtre de tests sur des joueurs qui finalement seront voués à ne jamais jouer en Ligue 1, rarement ils ne furent présents en de telles proportions. Ainsi, ce sont 17 jeunes dont 2 gardiens, qui ont eu l'occasion de faire partie de l'équipe se préparant aux joutes de l'élite. Plus frappant encore, si 6 d'entre eux n'eurent l'occasion de se frotter à ce niveau d'exigence qu'à une seule reprise, qui plus est contre une équipe bis d'Andrézieux, 9 des 11 autres se paieront le luxe de participer à l'un des 3 derniers amicaux, ceux où l'équipe semblait réellement prendre forme. Camara, Panos, Saliba et Kenny accumulant même plus de 25% du temps de jeu sur ces 3 rencontres, le premier d'entre eux étant même titulaire lors du dernier match de préparation.
Enfin, le début de saison s'annonçait sous les meilleurs auspices pour les jeunes. Lors du premier match, c'est Camara qui effectuait ses premiers pas à 9' de la fin du temps réglementaire. La rencontre suivante, c'était Gueye qui entrait en jeu, certes un poil plus tard, mais pour décocher lui-même le but de l'égalisation à 10 contre 11 à la Meinau. Et cela s'ajoutait aux 2 entrées lors des 3 premiers matchs de Nordin, certes bien plus expérimenté (48 matchs pro au coup d'envoi de cette saison) à peine moins jeune du haut de ses 20 ans.
Enfin, un dernier phénomène, cette fois-ci pas propre à l'été que nous avons vécu, véhicule cette image d'un Gasset s'appuyant sur les jeunes pousses de l'ASSE : le nombre de fois où des noms moins connus des supporters sont apparus dans les groupes communiqués par Jean-Louis Gasset. Ainsi, ce sont pas moins de 39 apparitions sur les feuilles de match qu'ont accumulé les bleus des Verts. Et plus encore si l'on additionne les matchs où des jeunes ont eu l'occasion de rejoindre la tribune après avoir figuré dans le groupe de la veille, à l'image d'un Chambost, toujours proche du groupe pro, mais toujours une marche en-dessous.
Un bilan contrasté
Pour bien comprendre de quoi l'on parle, il s'agit aussi de cibler ce que l'on entend par le fait de faire la part belle aux jeunes. Car (au moins) trois acceptations sont possibles. Il peut s'agir de ne déterminer cela qu'en fonction de l'âge des joueurs et de considérer l'analyse en fonction de la propension à s'appuyer sur un groupe plutôt jeune. L'analyse peut être approfondie, et affinée, en se centrant sur la question de l'expérience. Ainsi, faire jouer Mbappé, champion du monde et dans le top 5 du Ballon d'Or ne fera pas de vous le maître de la chance laissée aux jeunes joueurs. Ce n'est pas la même chose de jouer jeune et de lancer des débutants, en terme de prise de risque. Enfin, si l'on se penche sur les plaintes de certains supporters ces dernières années, mais également aux déclarations de Paquet, on remarquera l'importance donnée au fait de sortir des jeunes du centre de formation. Cette fois, la différence est moins marquante en terme de prise de risque mais la distinction est intéressante en matière de valorisation du centre, appelée de leurs vœux par toutes les parties de la direction du club. Et en l'occurrence, les chiffres ne disent pas la même chose de ce début de saison selon ces différents angles.
Commençons par ce qui fâche : seules deux équipes ont donné moins de temps de jeu à des joueurs nés après 1996, Montpellier et Amiens. Avec seulement 1022' cumulées pour notre jeunesse, Gasset n'obtient que la 18ème place du classement. Le bilan est à peine meilleur si l'on se limite aux joueurs issus de la formation stéphanoise. Ainsi, les jeunes pousses vertes, avec 773' au total, ne culminent qu'au 14ème rang, bien loin des pitchouns du Téf et leurs 2482' mais profitant de deux équipes, Lille et Reims, jouant plus jeune mais ne s'appuyant sur aucun élément de leur formation. Le bilan le plus positif est finalement celui qui s'attarde sur les débutants*. Les Verts sont en effet la 9ème équipe à avoir le plus lancé de jeunes cette saison. Le temps de jeu de ces bleus-verts s'élève à 509', à peine derrière celui des Girondins et dans un classement où seul se détache une ASM complètement décimée par les blessures. On pourrait donc affirmer que si Gasset préfère une base relativement âgée et expérimentée, il fait également partie, effectivement, des entraîneurs prêts à prendre le risque de lancer des débutants.
Cette dialectique se retrouve très bien dans trois chiffres qui s'entrecroisent. Tout d'abord, Saint-Etienne est l'équipe dont le 11 type de la première moitié de saison est le plus âgé, avec 28,91 ans, assez nettement devant Angers, Montpellier et Marseille, devançant eux-même très largement le reste de la troupe, avec également le plus grand nombre de trentenaires en son sein (Ruffier, Perrin, Debuchy, Monnet-Paquet, Subotic) ex aequo avec Angers. Pourtant, c'est également, dans les trois catégories citées précédemment, l'un des clubs qui fait évoluer le plus grand nombre de jeunes joueurs : 7 jeunes, dont 5 novices et 4 formés au club soit respectivement le 5ème, le 3ème et le 2ème clubs. Cela s'explique par la 3ème variable, qui complète le tableau contrasté. En effet, si l'on calcule la moyenne de temps de jeu par joueur, les jeunes Verts sont le plus souvent parmi les cancres avec à chaque fois moins de 200'.
Car c'est là le principal constat de cette moitié de saison, si les jeunes ont leur place dans le groupe professionnel, leur situation dans la hiérarchie les situe sur le banc, voire en tribunes en cas de groupe au complet. Ainsi, parmi les 7 jeunes concernés, seuls 3 ont déjà débuté un match, les 3 mêmes qui comptent plus de 90' de jeu. Or, parmi ces 3, on retrouve Nordin et Diousse, le premier n'étant pas un débutant, le second encore moins, et n'étant pas formé au club. Le seul tirant son épingle du jeu étant finalement Saliba qui, nouveau paradoxe par rapport aux chiffres exprimés plus haut, est le deuxième plus jeune joueur à avoir débuté un match en Ligue 1 cette saison.
*Sont considérés comme débutants des joueurs ayant joué moins de 10 matchs pros et comptant moins de 5 titularisations au début de la saison (y compris dans des divisions inférieurs à l'étranger, comme c'était le cas des Lillois Celik et Leao)
Une confiance pleine de paradoxe
C'est ainsi que les paradoxes semblent particulièrement marquer le rapport de confiance que Gasset entretient avec les jeunes stéphanois. Le premier étant donc dans ces chiffres précédemment cités mais aussi dans le fait qu'ils soient finalement assez proches de ceux de la fin du mandat Galtier, avec lequel il est pourtant régulièrement mis en contraste. C'est que, dans la pratique, il semble qu'il n'y ait que quelques points communs dans la gestion des jeunes par les deux hommes. D'une part, le temps de jeu que chacun leur accordait (il faut rappeler que Galtier, lors de sa dernière saison, fit débuter Nordin et propulsa réellement Pierre-Gabriel qu'il avait timidement lancé la saison précédente), d'autre part un réel pragmatisme semblant dire que les jeunes ne doivent être sur le terrain seulement faute de mieux.
Pour autant, alors que le premier bénéficiait d'un effectif large et que seules des hécatombes de blessés propulsèrent des jeunes sur le devant de la scène, un certain nombre de fois sans que l'on ne comprenne la cohérence (on se souviendra du passage éclair chez les pros de Keyta à la faveur de la décote de Roux aux yeux de Galette, mais aussi d'Aulanier squattant le banc, après Roussey et avant Ghezali, pour de rares minutes de jeu les trois additionnés), le plan de Gasset semble assez clair. Pas de place dans un XI type relevé, mais une volonté d'y faire appel immédiatement en seconde ligne, avec quelques individus bien identifiés (Saliba, le pari de la post-formation Gueye et Camara, principalement, malgré le faible temps de jeu du dernier).
Toutefois, même là réside un paradoxe. Car dans une équipe particulièrement forte et rodée, c'est enfin là où il est le plus dur pour un jeune de faire sa place. M'Vila et Selnaes, par exemple, sont quasiment indéboulonnables, non seulement du fait de leur niveau mais aussi de leur coffre qui leur permet de ne jamais tourner, ou presque. En parallèle, c'est également une baisse de la prise de risque que de baigner les quelques jeunes foulant la pelouse que de s'insérer dans pareil contexte parfaitement serein. C'est en fait tout l'exemple du Paris Saint-Germain qui est exposé dans cette dialectique. A la différence près que la marge dont dispose le PSG et la priorité mise sur la Ligue des Champions lui permettent d'offrir plus de temps de jeu à ses jeunes en championnat en limitant la prise de risque.
En réalité, et pour boucler la boucle, la philosophie de Gasset apparaissait dès ses interviews de l'été, desquelles furent retenues principalement ses déclarations en faveur des jeunes : « [Les jeunes] rendent bien service mais ce sont les pros qui doivent faire le travail. » allant même plus loin en affirmant ne pas encore compter pleinement sur eux « J’ai demandé 16 pros pour faire une saison et si les gamins ont de la qualité, ils ne sont pas encore prêts pour évoluer au haut niveau ». Trois choses expliquent donc que les attentes ne soient pas encore remplies, malgré la précipitation de certains à voir le verre plein. D'une part, un retard accumulé qui ne peut être encore rattrapé et se traduire par une jeunesse au niveau de la titularisation dans un club de notre ambition. Ensuite, un Gasset qui privilégie la certitude au risque, et qui semble aimer intégrer les jeunes dans un contexte d'assurance à leurs côtés (ce qui passe par une volonté de ne pas lancer tout le monde en même temps). Enfin, un relatif manque d'opportunités pour les jeunes en question de se montrer, quand Monaco croulait sous les blessures, nous n'avions des besoins que ponctuellement, en défense, avec Saliba, ou en fin de matchs, de quoi les laisser attendre sur la touche en préparant leur heure au mieux.