Notre envoyé spécial, Jo Rouletaligue, affecté à la surveillance de Bafétimbi Gomis, dormait à poing fermé à l’arrière de la Maserati marquée aux couleurs de la multinationale radiophonique Poteaux Carrés Corporation. La voiture, ordinairement utilisée comme véhicule de fonction par les reporters chargés des retransmissions du week-end, restait stationnée devant le domicile de l’avant-centre félon, durant les jours ordinaires de la semaine, jours sans match, donc sans intérêt, si ce n’est celui, pour les supporters Verts, d’attendre le mercredi pour voir Lyon et Marseille se casser la gueule en Ligue des Champions…

Les uns en quart, pour faire perdurer le mythe des Quarts… Les autres dès le départ, pour donner raison à Marius, qui rêvait tout jeune de quitter sa ville de merde… L’appel du large sans doute… Comme Bafé Gomis, qui tout jeune rêvait de quitter son club de merde…. L’appel du barge, c’est certain…

Bref, les jours ordinaires se suivaient… La routine pour Rouletaligue qui terminait sa nuit d’insomnie en ronflant bruyamment, comme un tracteur tchèque, vautré sur les sièges de cuir fauve...

Zzzzzz ! Pfffff ! Zzzzzz ! Pfffff !

Lorsqu’il fut réveillé en sursaut par une voix de crécelle qui, sur un air de Brassens, avait fait fuir, dans un nuage de bruissements d’ailes, tous les petits oiseaux qui piaillaient joyeusement depuis le lever du soleil dans le tilleul voisin. L’arbre qu’ils avaient réinvesti depuis l’exil de Fred Piquionne vers des dollars toujours verts et des cieux toujours bleus, désertés depuis lors par les mouettes effrayées par ses tirs verticaux ou obliques.

Jo Rouletaligue baissa alors légèrement et discrètement la vitre arrière de la Maserati, et osa juste un œil pour voir qui était le coupable d’une tel désastre musical, de ce cataclysme qui, nul n’en doute, faisait se retourner l’ami Georges au fond de sa tombe de sable fin sur la plage de Sète, en massacrant de telle manière ses paroles et ses mélodies mythiques.

Notre reporter fut subjugué par le spectacle : Bafétimbi Gomis, en personne, le regard fixé sur une panthère noire écumant de rage, peinte sur la portière avant de la voiture, et qui brisait des cages aux poteaux carrés… Bafé Gomis, assis à même le sol, tapait du bout des doigts sur une vieille casserole cabossée… Bafé Gomis chantait, riait, pleurait, déblatérait des mots insensés… Bafé Gomis, en transe, s’agitait comme un pantin plein de tics nerveux, comme manipulé par un marionnettiste ivre, comme un Sicolas Narkozy au mieux de sa forme...

Jo Rouletaligue, comme tout fouille merde consciencieux, sauta sur son magnéto et enregistra la scène que nous retranscrivons ici.


Ci- gît au fond de mon cœur une histoire ancienne,
Un fantôme, un souvenir d'un coach que j'aimais...
Le temps, à grands coups de faux, peut faire des siennes,
Mon bel amour s’est enfui, et c'est à jamais…

La lala lalala…

J’ai perdu la tramontane
En trouvant Guy Roux.
Le coach au bonnet de laine, un sacré filou.
Si les tanches le long des routes
Se mettaient à marcher
C’est à coach Guy Roux sans doute
Qu’elles feraient songer.

Je lui ai dit : « de Al Capone,
Tu es le portrait ».
Le bon Dieu me le pardonne
Mais c’est un peu vrai…
Qu’il me le pardonne ou non
D’ailleurs je m’en fous,
J’ai déjà mon âme en peine :
Je suis un voyou…


Bafé s’arrêta net. Le silence régnait. La ville qui s’éveillait retenait sa respiration, comme abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre, et semblait s’accorder quelques précieuses secondes de silence, avant que la vie ne reprenne son cours. Bafé était figé à présent dans la position d’un discobole, qui n’aurait pas eu de bol, et regarderait perplexe partir son outil vers le ciel.

Oyez, oyez, braves gens, l’histoire du pauvre Bafé qui fut trompé, lors d’un été torride, par un soleil de plomb qui lui enflamma la tête, et par la voix envoûtante de Papaguy à longueur de nuits au téléphone. Laissons à présent la victime s’exprimer.


Moi je lui avais dit à Papaguy que j’en avais marre de pourrir ici dans cette ville ordinaire et dans ce club qui courait après son passé pour construire son avenir, comme un chien perdu qui court après sa queue.

Moi je lui avais dit que je voulais à tout prix le rejoindre dans cette ville de Lens, pour enfin vivre dans une vraie grande ville européenne où l’on ne sait rien du charbon, de la mine et des corons, où les places florentines, les immeubles Renaissance fleurirent jadis, et par leur présence m’auraient permis d’évoluer dans un monde respirant la culture par toutes les fenêtres, et qui aurait embaumé ma cervelle en manque de savoir et de bon goût.

Je lui avait bien à Papaguy que, avec le nouveau pacte écologique du gouvernement et du clodo de Valenciennes, il me fallait acheter de toute urgence une seconde Q7, de façon à pouvoir rouler en ville tous les jours, l’une avec une plaque paire pour les jours impairs, l’autre avec une plaque impair pour les jours pairs, ou un truc dans ce genre. Je lui avait bien dit qu’il me fallait aller dans le Nord pour m’acheter quelques milliers d’hectares et y planter des betteraves à sucre pour produire mon méthanol, bientôt nécessaire pour mon écurie de Q7.

Je lui ai expliqué tout cela. Et Papaguy il m’a tout accordé : l’air pur et clair de l’Artois, les monuments historiques classés, les betteraves, et un salaire mirobolant pour acheter la voiture. J’y ai cru. Pire même, j’ai dépensé un an de salaire par anticipation. J’ai acheté le terrain. J’ai acheté la deuxième Q7 que j’ai payée cash et cul sec. J’ai équipé les oreilles de tous mes malabars, mon harem, mon secrétariat et mes journalistes attitrés, qui trouvent que je ressemble à Ronaldinho en plus grand, plus sombre, avec de meilleurs dents et un plus gros cul, j’ai donc équipé leurs oreilles de diamants clignotants, rouges à gauche et jaunes à droite, aux couleurs du club qui était déjà dans mon cœur, alors que je n’étais qu’un projet dans l’esprit de ma mère et dans le tirlipimpon de Papa.

J’ai cru à la gloire. Même qu’un jour j’ai reçu une lettre de l’EDF. J’ai tout de suite téléphoné à Papaguy pour lui dire que j’avais reçu ma première sélection en équipe de France. Pas idiot du tout, malgré son air con et sa vue basse, il m’a dit illico:  Bafé n’ouvre pas la lettre. Pose la sur ta table basse Louis XVI et regarde la de haut. Voire même, fais comme si tu ne la voyais pas. Donne lui le temps de s’habituer à toi, par ce que des éléments de ton niveau, de ta classe, de ton intelligence, je peux te dire, Bafé, l’EDF n’en a jamais vu . Jusqu’au jour où j’ai reçu une deuxième lettre de l’EDF. Là encore, même distance, même dédain... Zen le Bafé... La Gomis Attitude… J’ai posé la lettre à côté de l’autre, bien décidé à condescendre de mon deux mètres quinze avec la perruque pour ne répondre qu’à la troisième qui, j’en étais sûr, n’allait par tarder, et allait illuminer ma vie. Eh bien, pas loupé, en guise de lumière, on me l’a coupé. La lumière je veux dire. Un beau soir que je regardais ma vidéo préférée : Bécassine se régale au Sénégal, pooouuuf, tout s’est arrêté. En fait, en guise de sélection en équipe de France, c’était l’EDF qui m’envoyait sa facture d’électricité , et qui m’a coupé le courant, lassée de ne pas recevoir de règlement de ma part. Je ne me suis pas affolé. J’ai donc branché la télé et le magnétoscope sur mon vélo d’appartement, et j’ai fait pédaler un de mes esclaves pour alimenter la dynamo, de façon à me permettre de terminer mon film… Il faut dire que Bécassine, ça m’inspire, ça m’aide à réfléchir et à prendre les bonnes décisions.

Nous avons donc pédalé jusqu’au matin. L’esclave en s’agitant sur le vélo, et moi agitant mes neurones en regardant mon héroïne en boucle. Et, c’est incroyable, juste au moment où je sentais une idée géniale percer sous la perruque, on a sonné à la porte… C’était l’huissier de justice, mandaté par ma banque, qui venait tout saisir, parce que je n’avais pas payé mes échéances pour la voiture, l’appartement, les malabars, mes journalistes, mon pop corn, mon herbe… Et depuis lors, je suis dehors. En guise de Stade de France, maintenant je suis SDF. Et je chante mon désespoir :

Je fume d’la mauvaise herbe,
Braves gens, braves gens.
C’est pas celle qu’on rumine
Et c’est pas celle qu’on met en gerbe.
On recruta Sablé,
Braves gens, braves gens.
Et on me laissa là,
C’est immoral et c’est comme ça.

Lala lalalala


Maintenant il me faut remonter la pente. Avec un salaire de misère. Avec un coach dérangé qui veut me faire perdre du poids et améliorer ma précision dans les tirs. Deux idées fixes. Il faut dire que je me suis tellement peu entraîné, j’ai tellement bouffé des frites et du ketchup, maintenant j’ai le cul qui traîne par terre... C’est la faute à Voltaire. Et j’ai tellement vénéré Fred Piquionne qu’à présent je flingue les petits oiseaux... C’est la faute à Rousseau.

Aaaah… Vous connaissez Rousseau, braves gens ? Un pote à moi qui jouait au Servette de Genève. Un brave garçon. Il voulait parfaire mon éducation. Il m’avait surnommé Bafémile. Il trouvait que ça faisait plus classe. Il me disait: Bafémile fait pas ci, fait pas ça, met pas tes doigts dans le nez… Dieu t’a doté d’un arrière train non pour te le gratter mais pour t’asseoir et réfléchir. Je n’ai pas tellement compris ce passage, ne sachant plus du coup s’il fallait réfléchir avec le cul ou avec la tête. Depuis cette question me turlupine, surtout quand je mange du cassoulet. Bref, que des interdictions. Mais surtout il me disait : Bafémile si un jour tu respectes la Nature, les fleurs, les herbacées et les petites oiseaux, alors, tu seras un homme mon fils. Je crois que le chemin est encore long. D’ailleurs, ce Rousseau m’a tellement bassiné que j’ai fini par suivre l’inverse de ses commandements.. Mais ce qui me trouble le plus, brave gens, c’est que Coachlolo lui ressemble terriblement, avec son côté schizophrène intégriste à manger du foin.

Maintenant, je suis seul au monde. Orphelin. Papaguy nous a quitté. Il a rejoint la maison de retraite tenue par les Sœurs Sainte-Thérése de la Miséricorde et des Pêcheurs réunis. Et je pleure...

Ecoutez vous qui passez,
La goualante du pauvre Bafé,
Que les coachs n'aimaient pas.
Mais n'oubliez pas :
Dans la vie y a qu'une morale
Qu'on soit riche ou sans un sou
Sans un coach on n'est rien du tout,
On n’est rien du tout….

Je vivais au jour le jour,
Dans la soie et le velours,
Je pionçais dans de beaux draps.
Mais n'oubliez pas :
Dans la vie on est peau d'balle,
Quand notre coach est au clou,
Sans Guy Roux je suis rien du tout.
Je suis rien du tout...

Esgourdez bien jeunes gens,
Profitez de vos vingt ans,
On ne les a qu'une fois,
Et n'oubliez pas :
Plutôt que d’être bohème,
Mieux vaut un club qui vous aime,
Sans amour on n'est rien du tout.
On n’est rien du tout.

Et voilà mes braves gens
La goualante du pauvre Bafé
Qui dit à vous qui passez :
Aimez-vous....