Si Bilos se confie à son maître Diego, Ilan n'oublie pas son cher José. Merci à Rising42 pour ce texte savoureux !

José ALOISIO DA SILVA
São Paulo Futebol Clube
Estádio de Morumbi
Cícero Pompeu de Toledo
Praça Roberto Gomes Pedrosa 1
01512-942 SÃO PAULO
BRASIL

Mon Cher José !

Voilà bien longtemps que je ne t’avais donné de mes nouvelles.

La dernière fois que je t’ai écrit, j’étais encore à Sochaux, où j’ai passé quand même de bonnes années. Ce club, à l’extrême Est de la France, pas très loin de la Suisse, présentait des avantages pour faire fructifier dans les banques confédérales les primes de matches touchées au noir. L’argent y était en sécurité et se multipliait avec celui des gangs en tous genres, de l’UEFA, des dictateurs de tous poils et des trafiquants internationaux. Seulement voilà, depuis deux ans, la Suisse ne présentait plus aucun intérêt pour moi, si je puis dire, car, comme à Sochaux nous jouions comme des quiches, on ne touchait plus de primes de matches, ou alors lorsque cela arrivait elles étaient très faibles. Tu comprendras donc, José, que d’aller déposer chaque semaine 20€ à la banque, même pour un rapport de 15 % net, ne couvrait pas les frais d’essence, encore moins les pots de vin que l’on devait verser aux douaniers, ou le cas échéant le temps perdu à passer la nuit au lit avec le fonctionnaire des douanes de service, si c‘était une femme tu imagines bien. Et puis, les lendemains de match, après le décrassage, ces petites manigances m’épuisaient. Et je pense véritablement que le gros problème de Sochaux c’est d’être trop près de la Suisse et de ses douanières pasteurisées qui usent les joueurs.

Donc j’ai choisi de changer de club.

D’autant plus que le stade de Sochaux ressemblait à la salle d’attente d’une maison de retraite, avec son public endormi et soporifique, dont la léthargie se propageait sur nous comme la petite vérole dans le clergé, et qui ne se réveillait que pour s’en prendre à de jeunes joueurs, tels les pensionnaires d’un hôpital gériatrique vitupérant après les jeunes cons qui jouent au football dans la cour d’une école voisine. De plus, l’entraîneur me rendait neurasthénique. Il ne souriait que lors des éclipses de soleil. Un jour, je me suis même surpris à avaler une boîte de pilules hilarantes que j’avais trouvées en vente libre sur le site de la LNF, tellement j’avais besoin de soleil dans ma tête. Et que dire d’Isabey qui est roublard et franc comme un agent du KGB recyclé dans les relations humaines, civilisé comme le yéti népalais, et gracieux comme une vache montbéliarde des plateaux du Haut Doubs. De plus, il y avait le Président. Une espèce de gros truc amoché. Tu vas comprendre. Il y a longtemps, des ingénieurs de chez Peugeot se sont trompés, et l’ont pris pour le mannequin du banc d’essai de l’atelier qui étudie les déformations des carrosseries en cas d’accident. Ils l’ont sanglé dans une voiture, lui ont branché tout un tas de fils électriques sur la tête, et dans un endroit du corps que la bienséance m’interdit de décrire ici, puis ils ont lancé la voiture à 120 kilomètres heure contre un mur. Depuis, le Président est plein de tics nerveux. Il fume des cigares qui puent comme les bâtons merdeux des vachers du Jura, ce qui est pratique dans un sens, car, lorsqu’il arrive à l’improviste à l‘entraînement, on est prévenu par l’odeur et par le nuage de mouches à merde qui l’escorte. Le plus grave, le plus désespéré, c’est qu’il se prend même pour le Président de Lyon, avec qui il rêve de coucher. Peut-être même qu’il y a réussi. Du moins, ce sont les bruits qui courent. En tout cas, quand Lyon est venu jouer à Sochaux l’an dernier, lorsqu’il était assis sur son trône avec son collègue lyonnais à ses côtés, j’ai très bien vu ses mains baladeuses en action, et pas que les siennes d’ailleurs, ce qui tendrait à confirmer l’affirmation des kops stéphanois à propos des Lyonnais et de leurs mœurs incertaines. Mais ces derniers temps j’avais très peur, car le Président me posait des tas de questions bizarres sur nos compatriotes du bois de Boulogne, et comme je n’osais pas demander le numéro vert de SOS harcèlement, je m’arrangeais toujours pour être accompagné en sa présence.

A propos de banc d'essai de l'automobile, j'ai entendu dire que Ribéry était également passé par le supplice de la voiture lancée dans un mur. Maintenant quand il court, on dirait qu'il regarde ses jambes bouger avec le regard effaré de quelqu'un qui ne comprend pas ce qui se passe. Mais lui n'est pas président, donc il n'est dangereux que pour lui-même.

Alors, comme je déprimais, que je maigrissais à vue d’œil, que je n’écoutais plus que les chansons funèbres de Léo Ferré, et la marche, non moins funèbre, mais quand même plus euphorisante, de Chopin, surtout lors des nombreuses nuits de tempête rythmées par le hululement des chouettes, un collègue de travail, que tu connais bien et qui m’a dit au passage de te saluer, Lionel Potillon, m’a conseillé de partir et de rejoindre un club, que tu connais très bien également, club qui me faisait la cour depuis déjà pas mal de temps : Saint Etienne. J’ai bien réfléchi. J’ai cherché à te joindre pour te demander ton avis, mais tu étais en vacances chez Michel Strogoff dans la douce ville tatar de Kazan, où tu as joué et où tu retournes chaque année par nostalgie des grands moments de football que tu y as connus, des grands espaces et de l’air pur et frais de la Russie éternelle. Alors j’ai obtenu l’avis d’Alex Dias qui m’a dit le plus grand bien de Saint Etienne, mais qui m’a surtout dit que si je ne voulais pas avoir de problèmes là-bas, il me fallait avoir des papiers bien en règle. Comme je suis en situation parfaitement régulière : Brésilien par mon père, Italien par la cousine germaine d’une amie de mon arrière-grand-mère maternelle, Portugais par ma femme de ménage et Irlandais par mon chien, j’ai franchi le pas et me voilà aujourd’hui chez les Verts.


Lionel Potillon aurait bien voulu venir avec moi à Saint Etienne, mais les Verts ne le voulaient pas ; de plus avec son maigre salaire, il a tout juste de quoi payer le psychologue, le psychiatre, le psychanalyste, le professeur de yoga et le gourou africain qu’il consulte pour tenir le coup et résister à l’envie de se suicider ; et ayant encore à changer les pneus de sa voiture pour le rude hiver chronique qui s‘annonce, comme à régler l’amende que lui a infligée le Tribunal de Grande Instance pour présentation d’un faux passeport bourguignon, il a préféré rester à Sochaux en espérant y survivre jusqu’à sa retraite, et finir ses jours dans une abbaye retirée du pays de Saint Claude à tailler des pipes avec ses collègues. Lorsque j’ai voulu partir, il s’accrochait à moi, ses larmes giclaient à plusieurs mètres et ses hurlements couvraient même le bruit assourdissant des presses hydrauliques dans les ateliers d’emboutissage de chez Peugeot. Il m’a fait de la peine. J’ai même failli l’emmener avec moi. Mais, je ne pouvais pas le loger dans la malle de ma voiture occupée par les bagages et mon setter irlandais. Ainsi entre Lionel et le chien, j’ai choisi le chien, car lui au moins ne passe pas son temps à te pleurer dans les oreilles, et à ouvrir la moindre fenêtre à un étage élevé pour tenter de sauter et de mettre fin à ses jours.

Donc me voilà à Saint Etienne. Comme toi, il y a quelques années. Oui, je sais, José, tu dois t’inquiéter pour moi, car les problèmes que tu as connus ici t’ont bien fait souffrir. Je sais que ce n’était pas de ton fait, mais à cause des maffieux qui dirigeaient le club alors, et qu’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui toujours dans le football, à Canal Pluche notamment. Je te rassure, les maffieux ne sont plus là. Mais d’autres personnages ont pris leurs places. Plus intelligents, sans doute riches des expériences de leurs prédécesseurs. Du moins ils donnent cette impression. Surtout l’un des deux Présidents. L’autre aurait connu le banc d’essai de chez Peugeot que cela ne m’étonnerait pas du tout. Mon copain, Daniel Bilos, un Argentin qui ne parle pas français et qui comprend donc tout à l’envers, ce qui est logique pour un Argentin, donc Daniel les appelle les deux Ducons. Moi-même je ne sais pas leurs noms. Donc par commodité, je les appelle de la même manière. Ducon Premier et Ducon Second. Ce qui pourrait changer souvent car j’ai l’impression qu’ils disputent eux aussi un championnat, et que le classement pourrait bien évoluer. Le premier devenant le second, et vice versa. Mais, ne te fais aucun soucis, j’ai une grande expérience des comportements anormaux avec Sochaux et j’ai les deux Ducons à l’œil.

Il faut que je te parle un peu de mes nouveaux copains. J’ai été très bien accueilli dans le club. Le public, réputé comme tu le sais, est resté comme tu l’as laissé. D’ailleurs, à chaque fois que je discute avec un supporter, il me parle en grand bien de toi et de notre ami Alex. Il ne fait aucun doute que vous avez laissé ici un souvenir impérissable. Je ne te transmets pas les bonjours de chacun car sinon il me faudrait embaucher une secrétaire, mais je te transmets un grand bonjour général et la réelle affection de tout le monde. Avec une mention spéciale pour ton clone, José, membre actif et éminent du site Poteaux Carrés.

Ici il y a de très bons joueurs. Et des comiques aussi.

- Une question m’interpelle au sujet du capitaine: je ne sais pas s’il porte le brassard, ou bien si c’est le brassard qui le porte. En tout cas, il est capitaine de droit divin, pour services rendus, pour une rare assiduité même dans la douleur. Il court, il se bat. Rien à dire.

- Le gardien de but. Un type très bizarre. Quand il a su qu’un Brésilien arrivait au club, il a guetté mon arrivée jour et nuit, et lorsqu’il m’a vu, il s’est précipité vers moi en lançant des cris qui tuent, en soufflant fortement par les narines, puis il a entamé une danse rituelle tranchant l’air avec ses mains et avec ses pieds. J’ai failli prendre la fuite. Mais subitement il s’est calmé. Il m’a donné une grand tape sur l’épaule qui m’a fait avaler ma molaire en or du Minas Gerais et il est parti le poing en l'air, en sifflant et en chantant :

Venceremos, venceremos,
mil cadeias seremos necessário quebrar,
venceremos, venceremos,
Lyon saberemos vencer !
*

* Note du traducteur :

Nous vaincrons, nous vaincrons,
mille chaînes il faudra casser,
Nous vaincrons, nous vaincrons,
Lyon nous saurons vaincre !


- Mon grand copain Daniel Bilos, dont je t’ai un peu parlé plus haut. Un Argentin qui s’est pris d’affection pour moi. Il s’est mis en tête d’être mon ange gardien. C’est pour lui une sorte de bonne action, m’a-t-il expliqué, car après des années à dire et penser du mal des Brésiliens, il a décidé de s’acheter une conduite pour se faire pardonner ses péchés pas très chrétiens envers ses voisins. De toute manière, c’est un peu idiot, car ici, tout le monde lui a expliqué comment avoir des pensées et des propos impurs envers nos Lyonnais de voisins. Et il est très doué pour ça. C’est aussi un excellent joueur qui n’est pas encore assez utilisé, car il a une condition physique un peu limitée. Pas comme sa taille. Il est long comme une année sans samba. Il a des jambes si longues que quand il court il avance comme une fusée bien qu’il donne l’impression de courir au ralenti. Hier soir, lors du match à Sedan, qui s’est conclu par un match nul honorable, il a été accroché dans la surface de réparation en pleine course ; lorsqu’il a touché la pelouse après un vol plané, j’ai senti le sol trembler, les tribunes se sont fissurées, et s’il n’y avait pas eu les panneaux publicitaires au bord du terrain, il aurait roulé jusqu‘à Charleville. Le seul problème avec lui, c’est qu’il chante et danse des tangos tristes. Parce qu’un tango, comme tu le sais José, c’est une pensée triste qui se danse. Et je redoute, les longues soirées d’hiver, ou en plus du mauvais temps, il va nous refiler le cafard.

- Il y a aussi un attaquant que j’aime bien. Il s’appelle Piquionne. Combattif, collectif, bon de la tête… Que des qualités. Il a juste un problème au freinage. Hier, il a mis un but magnifique d’une tête plongeante, et lorsque sa tête a touché la pelouse, il a glissé sur plusieurs mètres la bouche ouverte, avalant en même temps un mètre carré d’herbe et le point de penalty. Heureusement que le penalty que nous avons obtenu en seconde mi-temps était à tirer de l’autre côté, sinon l’arbitre aurait été bien embêté pour le désigner. Il est très obéissant et met constamment en pratique les plans que le staff dessine sur des tableaux blancs dans les vestiaires après l’entraînement. Ainsi, pour bien comprendre les schémas, il a pris, avec moi, des cours de géométrie dans l’espace. Et ensuite, il a poussé la conscience professionnelle jusqu’à reproduire les dessins physiquement en sautant en l’air durant les matches pour être plus le près que possible de l’espace.

- Dans le rôle du comique de service, il y a Feindouno, un joueur du Calvados, qui a un copain russe, Pouchkine, avec qui il danse le Casatchok toutes les nuits. C’est l’homme à tout faire de l’équipe. Il chante, il danse, il fait la sieste, il traîne les pieds, il a toujours mal quelque part, il fait la gueule, il ne me laisse pas tirer les penalties pour être meilleur buteur du championnat à la trêve hivernale et ainsi partir au soleil avec un bon contrat à la clé. Bref il a un sens collectif très personnel.

Il faut aussi que je te parle du coach. Un Tchèque. Remarque bien qu'on aurait pu avoir un Tchouk. Le coachtchèque, comme l’appelle Bilos, qui n’a encore rien compris. Pfff. Donc le coatchtchèque a une méthode très particulière pour nous faire appréhender nos futurs adversaires. Non seulement il faut se taper des heures et des heures de vidéos pour observer leur jeu, mais il nous faut également ne rien ignorer de leur culture. Ainsi, avant le match de Lens, il nous a fallu apprendre toutes les chansons à boire du Pas-de-Calais, et je peux te dire, José, que là-bas ils crèvent de soif ; avant d’aller jouer à Sedan, il nous a fallu lire toute la collection d’ Astérix le Gaulois, car Obélix, qui est un grand spécialiste du sanglier, nous y expliquait comment s’y prendre avec ces bestioles. Durant toute la semaine à venir, avant de recevoir Auxerre, il va nous falloir nous coltiner des énormes tonneaux de Chablis, un vin de là-bas. Je t’arrête tout de suite, José. Les tonneaux, on ne les boit pas. On parcourt dix tours de terrain avec un tonneau sur les épaules, histoire de bien secouer et mélanger le vin, comme le Porto qui part dans les cales des bateaux chez nous avant de revenir au Portugal pour être consommé. Et une fois qu’on se sera bien crevé, on sera à même de battre Auxerre, car nous serons bien imprégnés de leurs vapeurs culturelles. Et les deux Ducons vont se taper le contenu des tonneaux, avec le recruteur dans les bureaux. Une honte… Euh, José... Je veux dire que le recruteur aussi va se taper les tonneaux, et non pas que les deux Ducons vont se taper le recruteur en plus des tonneaux... Je tiens quand même à apporter cette petite précision.

Voilà, mon Cher José, je crois que tu sais l’essentiel. Il va me falloir arrêter ici ma lettre car j’entends le clairon qui sonne et qui annonce la séance de décrassage de trois heures du matin à la lumière des projecteurs. Je remets ce courrier à un type que j’ai rencontré, un certain SaintEx, un Lyonnais, il ne faut pas le répéter. Il rentre en avion sur Rio. Enfin, s’il ne tombe pas en panne d’essence dans le désert et qu’il n’y reste pas à cultiver des roses et à bouffer du mouton, comme cela lui est déjà arrivé, à ce qu’il m’a dit.

Tu salueras bien Alex Dias pour moi. J’attends de vos nouvelles par retour. Je suis impatient. Je te raconterai de temps en temps ce qui se passe ici.

À très bientôt. Bien amicalement.

ILAN ARAUJO DALL’IGNA

Auteur : Rising 42