Buteur lors des quatrième et sixième finales de Coupe de France remportées par l'ASSE, Alain Merchadier se livre à cinq jours de la septième (on y croit !).
Quels souvenirs gardes-tu de cette finale de Coupe de France 1974 remportée 2-1 aux dépens de Monaco ?
Le club avait donné une importance relative à l’organisation de cette journée. On est parti le matin en avion comme n’importe quel déplacement, on a rejoint l’hôtel à Paris. Collation, à 17h00 réunion et on va au Parc des Princes. C’était la première finale de Coupe de France pour Roby en tant qu’entraîneur mais aussi pour la plupart d’entre nous en tant que joueurs. Je crois que seuls Jean-Michel Larqué, Georges Bereta et Hervé Revelli l’avaient remporté quatre ans auparavant contre Nantes. Roby tenait à ce qu’on ne change pas nos habitudes, à ce qu’on aborde cette finale sans pression particulière. Cette façon d’appréhender l’évènement m’a servi par la suite dans ma carrière d’entraîneur et de directeur sportif. D’accord, c’est une finale mais ce n’est jamais qu’un match de foot ! Ce qui m’a marqué également c’est l’ambiance. Une bonne moitié du Parc était en vert.
D’une belle tête plongeante poteau rentrant, Christian Synaeghel a marqué le premier but d’une belle tête poteau rentrant sur un centre de Patrick Revelli. Georges Bereta était le capitaine de cette belle équipe.
C’est bien ça ! Georges, c’est Monsieur Saint-Étienne. Lui aussi nous a transmis tout son professionnalisme. C’est le patron. Quand Georges parle, on l’écoute ! Christian s’est bien jeté sur ce centre parfait de Patrick pour ouvrir le score de la tête. Christian, c’est mon vieux compère, un ami. Discret en dehors mais très précieux sur le terrain grâce à son énorme abattage au milieu de terrain. Jamais de plainte, jamais un mot plus haut que l’autre. Il venait du Nord, on pensait qu’il était muet ! (rires) Christian c’est la fourmi de l’équipe. Capable d’aller chercher le ballon dans les 18 mètres et de l’amener à proximité de la surface adverse, dans les pieds de Jean-Michel Larqué notamment.
C’est toi qui as inscrit le but du break à l’heure de jeu.
Oui, suite à un débordement de Gérard Farison. Tu me donnes l’occasion de remercier à nouveau Gérard car trois ans plus tard c’est sur son corner que j’ai marqué de la tête le but victorieux lors de la finale contre le Stade de Reims. Gérard Farison avait déjà deux ou trois titres de champion de France à son actif, il a fait la transition avec la jeune vague. C’était un peu le papa mais un papa très discret. Il nous a transmis son professionnalisme et a fait preuve de gentillesse envers nous, les jeunes un peu foufous, les « Marie-Louise » pour reprendre l’expression de Roby. Ce sont des joueurs comme Aimé Jacquet et lui qui nous un peu forgé sans nous le montrer. Ils montraient l’exemple calmement, sans exubérance.
Tu as scoré trois minutes après ton entrée en jeu !
Exact. A l’époque, il me semble qu’il n’y avait qu’un seul remplaçant. C’était moi en l’occurrence lors de cette finale. Je pense que Roby a fait ce choix car j’étais polyvalent. Je pouvais jouer latéral, milieu ou défenseur central. On était un peu multitâches. Je suis entré en jeu à la place de Dominique Bathenay car il commençait un peu à couiner. Je suis rentré sans appréhension car on était habitué à entrer, à se replacer les uns les autres. On n’était pas qu’une équipe mais un groupe.
Tu jouais en général défenseur, mais ce soir-là tu as marqué un but de renard des surfaces !
C’est le fruit de l’entraînement qui avait été mis en place depuis plusieurs années par Robert Philippe – la personne qui nous a formés – puis conforté et renforcé par Robert Herbin : chaque joueur n’a pas qu’une spécificité, il doit être en capacité de pouvoir jouer partout où on le fait évoluer. Vu de l’extérieur ça a pu paraître étonnant de voir un joueur plutôt défensif comme moi marquer un but d’avant-centre à l’affût lors de cette finale, mais c’est une situation que j’avais déjà connue à l’entraînement. Ce qui m’a davantage surpris, c’est d’avoir marqué du pied gauche, qui me sert seulement à débrayer ! (rires)
C’est donc Robert Herbin qui t’a fait entrer en jeu lors de cette finale. Il a été ton coéquipier en début de carrière avant de devenir ton entraîneur.
Avant de devenir un immense entraîneur, Roby était déjà un très grand joueur. Après avoir battu Lyon en finale de Coupe Gambardella 1970, on a vu les pros contre Nantes. C’était en finale de Coupe de France et Roby a marqué d’un superbe coup de tête excentré. J’ai eu ensuite la chance de jouer à ses côtés. Dans la préparation des matches, il affichait de la sérénité et de la confiance. Pour avoir ça en soi, il faut bosser énormément, notamment sur les détails qui peuvent faire la différence. C’est ce que faisait Roby, et ça lui permettait d’être très performant sur le terrain. J’ai beaucoup appris en jouant avec lui et la transition s’est fait rapidement quand il est devenu entraîneur. Il imposait le respect car ses propos étaient toujours crédibles et justes. Roby était exemplaire en tout. Il n’avait pas besoin de faire de grandes causeries pour se faire comprendre. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on a passé beaucoup d’années avec lui mais on n’avait pas son numéro de téléphone ! (rires)
Roby m’a également marqué par son sang-froid, son calme, son flegme. Après mon but en finale contre Reims ou après le but de Dominique Rocheteau contre Kiev, il y a des photos où tout le monde se lève et lui reste assis. Ce n’est pas qu’il est froid, c’est qu’il sait qu’il reste quelques minutes à jouer et qu’un match n’est pas totalement gagné tant que l’arbitre n’a pas sifflé. Roby, c’est l’exemplarité. Au stade Geoffroy-Guichard, nous les stagiaires avions notre vestiaire et les pros avaient le leur. Pour aller chercher nos affaires, il fallait taper à la porte des pros. C’était bien souvent Roby qui nous donnait le feu vert. Il nous a transmis les valeurs du club. Je ne dirais pas que Roby était timide ou réservé, je dirais plutôt qu’il avait la capacité à se mettre dans un milieu et de respecter le milieu dans lequel il était.
Tu es le seul joueur stéphanois à avoir marqué lors de deux finales de Coupe de France remportées par le club.
J'ai en effet récidivé trois ans plus tard contre Reims. Avant la finale contre Monaco, j’avais déjà marqué en quart de finale contre Angers. La saison suivante, je n’ai pas joué la finale remportée contre Lens mais j’ai marqué contre Nancy. On avait gagné 3-2, c’est Michel Platini qui avait marqué les deux buts. On a eu souvent l‘occasion d’en reparler ensuite car j’ai joué une saison à Nancy avec lui, juste avant qu’il ne rejoigne les Verts justement ! En en quart j’avais aussi marqué contre Strasbourg.
En 149 matches disputés en équipe première sous le maillot vert, tu auras donc marqué 6 de tes 8 buts en Coupe de France. Comment t’expliques ça ?
Ce n’est pas pour rien qu’on m’appelé Monsieur Coupe de France à Saint-Etienne ! (rires) La Coupe de France, c’est tout simplement un éclair de lumière sur un moment de la saison. Mais j’ai du mal à expliquer pourquoi elle m’a réussi à ce point. Je l’aimais beaucoup la Coupe de France. C’est peut-être ça le secret, il faut l’aimer, la convoiter. Pour la conquérir, tu dois lui faire une cour assidue, y aller pas à pas. La Coupe, tu ne l’obtiens pas comme ça à la hussarde. Tu commences en 32e de finale, tu dois franchir des paliers, passer des tours. Ça t’oblige à rester hyper concentré et tu sais qu’au bout il y a la « casserole » à porter. La Coupe de France a un parfum à part, différent. Le public aussi est différent en finale, les spectateurs qui y assistent ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui vont voir leur équipe en championnat. La Coupe de France a un indéfinissable charme même si je viens d’essayer de te le définir ! (rires) Ce qui fait aussi sa beauté, c’est que c’est la seule compétition réunissant les clubs professionnels et les clubs amateurs de tout le pays.
Quelles images gardes-tu de la finale de 1977, la dernière remportée à ce jour par l’ASSE ?
Je garde des images assez fortes de cette finale, on a su s’arracher pour la gagner alors qu’on était mené 1-0 à quelques minutes de la fin. On a égalisé sur un penalty obtenu par Gérard Farison. Tu vois, lui aussi a su se transformer en attaquant pour forcer le destin ! Un latéral gauche qui s’infiltre plein axe dans la surface, ça illustre notre volonté collective d’attaquer. Quelque part ça témoigne un peu du football total qui a fait la force de l’Ajax. Dominique Bathenay a transformé le péno en force. Quel pied gauche il avait ! Dominique c’était un sacré joueur, il avait une très bonne vision du jeu, un excellent sens de l’anticipation. Il était calme, tranquille. C’est un mec bien. Comme tout le monde j’ai en mémoire le but qu’il met à Anfield. Pétard, quelle frappe !
Cette égalisation nous a galvanisés et j’ai eu le bonheur de mettre le deuxième. Ce but victorieux à la 89e minute inscrit de la tête sur un corner de Gérard reste inoubliable. J’ai vécu ce soir-là l’une des plus fortes émotions de ma carrière. J’ai encore en mémoire l’explosion de joie dans les tribunes du Parc où le peuple vert était encore venu en nombre pour nous encourager. J’étais fou de joie, mes coéquipiers aussi. Moi je savais que nos épouses étaient à un endroit précis. J’ai couru avant de m’agenouiller devant mon épouse, tous les joueurs me sont tombés dessus. Je n’oublierai jamais ces moments de joie partagés.
On n'a plus soulevé le trophée depuis cette date. Va-t-on mettre fin à 43 ans de disette vendredi prochain ?
Je l’espère de tout cœur, d’abord pour le peuple vert. Moi je lui rends hommage. Les supporters stéphanois sont toujours derrière les joueurs. Il suffit d’être vaillant, d’en vouloir, et d’avoir de la technique et du talent. Tu réunis ces quatre éléments et le peuple vert il t’aime. Après, on peut penser en analysant les qualités intrinsèques des joueurs que le talent est en plus grande partie chez les Parisiens. Il faut l’avouer. Mais je pense que la Coupe de France ira à l‘équipe qui l’aime le plus. Ce ne serait pas désagréable qu’elle revienne un peu à Saint-Etienne.
J’ai collaboré avec Claude Puel sur le recrutement quand il était à Lille. J’ai été marqué par son professionnalisme et son perfectionnisme. C’est un peu le même profil qu’un Robert Herbin : on gagne des matches par des détails. Ces détails, il faut les travailler à l’entraînement. Je pense que Claude Puel a parfaitement préparé son coup. Cette année la finale se joue dans un contexte particulier à cause de cette sale bestiole, ce virus. Je suis l’ASSE, j’ai souvent le coach et le président, on a des relations d’amitié. Je sais qu’il y a une dizaine de jeunes qui ont signé pro, ceux qui ont gagné la Gambardella et deux ou trois joueurs encore plus jeunes. Les joueurs recrutés sont eux aussi de jeunes joueurs.
C’est un signe très clair envoyé par Claude. Que tu aies 17 ans, 20 ou 23, si t’es bon, que t’as des capacités, et que tu te bats, t'as vraiment ta chance avec cet entraîneur. Peut-être que cet engouement-là va donner une animation qui pourra perturber le talent parisien. Je pense que cette finale reste jouable pour nos Verts. Claude Puel est un mec hyper compétent, je suis convaincu qu’il va préparer au mieux ses joueurs et mettre en place un plan de jeu très pointu. Même si c’est une finale contre une équipe dotée de joueurs de très haut niveau international, il n’hésitera pas à faire jouer quelques jeunes en qui il croit sur ce match-là.
Cela ne doit pas être facile pour Claude de gérer l’effectif en l’état actuel des choses. Il y a encore 35 joueurs professionnels sous contrat à l’ASSE, tu te rends compte ? Je n’ai jamais vu ça. Il faut le vivre au quotidien ! A mon époque et même après, il y avait 16 ou 17 joueurs pros toujours avec 5 ou 6 stagiaires qui s’entraînent avec les pros. Nous, la chance qu’on a eue, c’est qu’a vécu huit ou neuf ans ensemble. On n’a pas toujours été d’accord, mais on ne s’est jamais engueulé ! Quand l’un d’entre nous prenait un coup sur le terrain, t’en avais toujours trois ou quatre qui accouraient. C’était tout un état d’esprit. Claude est capable par sa personnalité de pouvoir faire ressortir ça aux jeunes joueurs stéphanois.
Autant ça matche entre Claude Puel et les jeunes, autant sa relation avec Stéphane Ruffier est devenue glaciale. Que t’inspire la mise à pied de ce dernier ?
Déjà, il faut dire que Stéphane Ruffier fait partie des joueurs qui ont énormément marqué le club. Cela fait neuf ans qu'il est à l’ASSE, il a joué quasiment tous les matches. Il a été performant et contribué à ce que le club finisse plusieurs fois européens et ait gagné la Coupe de la Ligue. Maintenant, si Claude a pris cette décision-là, c’est qu’il doit y avoir une raison. Une raison qui est entre lui et le joueur. Cette décision a été construite. Justifiée, je ne sais pas mais elle a été réfléchie, ce n’est pas une décision prise à la légère sur un coup de tête. Que s’est-il passé ? La presse ne le sait pas, personne ne le sait.
Alain, concluons cet entretien par ton pronostic pour la finale !
Je n’ai aucune certitude sur le résultat. La seule certitude que j’ai, c’est que tous les Verts qui participeront à cette finale n’auront pas peur de l’ogre parisien. Mon prono, c’est une victoire des Verts 1-0. Le but sera marqué de la tête par un défenseur à la 89e minute ! (rires) Je miserais bien sur Fofana.
43 ans après, fais-le Wesley ! Ou bien Loïc, ce serait fantastique !
Merci Alain pour ta disponibilité