Ancien latéral des Verts et ex-entraîneur adjoint des Girondins, Patrick Guillou était dans le Chaudron dimanche dernier. Le commentateur de beIN Sports débriefe ce coup d'arrêt avant de se projeter sur la fin de saison.
A l’instar de Jean-Louis Gasset, sentais-tu venir cette défaite contre Bordeaux ?
Est-ce que je sentais la défaite de Sainté ? Je suis incapable de lire dans une boule de cristal ! Mais on a vu qu’il y avait des matches un petit peu plus compliqués à gérer ces derniers temps. Le match à Strasbourg notamment a été compliqué, il y’ a eu aussi des matches difficiles contre Troyes et à Montpellier. Sainté a moins maîtrisé ces rencontres que ces dernières sorties, avec d’autres valeurs morales, notamment. Les Verts sont tombés face à une équipe de Bordeaux plus organisée, plus fringante, au point tactiquement dans cette volonté de procéder par contres. Ce qui est passé contre Strasbourg, Troyes et Montpellier n’est pas passé contre Bordeaux qui a montré une dimension supérieure. On peut s’apercevoir que depuis quelques matches, on l’a vu notamment ce dimanche, il manque une certaine fraîcheur physique. Ça manque d’explosivité, de vivacité. Ça s’est vraiment ressenti contre les Girondins. On avait l’impression que cette équipe de Saint-Etienne avait du mal à retrouver son second souffle. Il y avait moins de disponibilité autour du porteur de balle, moins de mobilité. Les Verts se sont fait piéger à domicile alors qu’ils avaient la possibilité de jouer un gros coup dans l’objectif européen de cette fin de saison.
Tu penses comme Loïc que c’est un problème physique. Yann M’Vila pense plutôt que c’est un souci mental, un manque d’envie.
La lassitude mentale et le manque de fraîcheur mentale engendrent parfois aussi un manque de fraîcheur physique. On n’est plus capable de faire les efforts et surtout de les répéter. Là où on a l’habitude de piocher et d’aller au bout du bout, de dépasser certaines limites, ça devient un peu plus compliqué. Ça ne veut pas dire que quand on manque de confiance, on se cache. Ça veut plutôt dire qu’on se montre moins disponible parce qu’on est moins bien physiquement et moins apte à faire certains efforts. Il faut replacer le tout dans son contexte. Les Verts ont dû cravacher cette deuxième partie de saison, il faut se rappeler où était le club à la trêve hivernale. Dans la répétition des efforts, en pensant avoir fait la semaine dernière le pas décisif, on se relâche inconsciemment un peu plus. Il y a aussi une forme de fatigue. Dans ces matches-là, surtout contre des adversaires comme Bordeaux, ça ne suffit pas d’être à 60 ou 70%. Même à 80% ça ne suffit pas face à des équipes du calibre des Girondins. Il faut quasiment être à 100% pour que ça passe.
Sainté aurait pu malgré tout prendre un point si Rémy Cabella avait transformé son second pénalty.
Je pense que si on revoit le match dans son ensemble, surtout la première mi-temps, il aurait déjà pu être plié pour Bordeaux à la pause. Dire que Cabella avait la balle du deux partout, en l’occurrence ce pénalty, en emportant le point du match nul, vu le scénario de la rencontre on peut le penser. Mais si on prend le nombre d’occasions franches qu’a pu avoir Bordeaux notamment en première mi-temps…Peut-être qu’éventuellement un pénalty peut se siffler sur Malcolm, et les Girondins ont eu de grosses occasions derrière. En ce qui concerne le penalty raté par Cabella, bien sûr tout le monde se souvient de celui qu’il avait raté contre Paris. Il reprend la responsabilité de frapper le premier, le tire et le marque. Il est perturbé au moment de sa frappe par Sankharé, et malgré ça il garde sa concentration. Il le frappe fort et sereinement. Le deuxième penalty, c’est toujours le jeu du chat et de la souris avec le gardien. Est-ce que je tire du même côté, est-ce que je change... Costil est quand même sur les dernières années, le gardien qui a arrêté le plus de pénaltys, il a fait le job.
Tu n’en veux pas à Rémy Cabella ?
A un moment donné, le joueur qui prend la responsabilité de frapper, il se sent de le frapper, il ne s’est pas caché, a pris ses responsabilités comme il l’a fait durant toute la saison même quand Saint-Etienne allait mal. Cabella s’est montré un des seuls joueurs disponibles dans le jeu, il n’avait pas peur de récupérer le ballon et de se montrer, Il a beau avoir du déchet dans son jeu, il est toujours présent. Donc il ne faut jamais reprocher à un joueur qui frappe un pénalty de le frapper, parce ce n’est pas une démarche égoïste, c’est une démarche de prise de responsabilité. Il y a en d’autres où c’est une démarche égoïste, là c’est une démarche de prise de responsabilité. Il a frappé, il a manqué, dommage pour Saint-Etienne. Mais on voit qu’il a eu le coeur et les tripes d’y aller.
Des supporters se demandent si Rémy Cabella doit continuer de les tirer. Ils verraient plutôt un Jo Bamba par exemple - il a réussi ses quatre pénos – voire un Robert Beric.
Mais peu importe, je pense que cette décision est prise avec et par le staff. S’il y avait un tireur de penaltys, la question ne se poserait pas s’il y avait un tireur attitré. Le tireur attitré a été Cabella. Il en a marqué un, il a manqué l’autre. … Est-ce que ça remet tout en question, est-ce que lui-même se dira que le prochain pénalty, il le frappera ou il ne le frappera pas, c’est une question qu’il aura avec le staff. Tout ce qui vient de l’extérieur c’est du grain à moudre qui ne sert à rien. Que ce soit Bamba, que ce soit Machin ou que ce soit Truc, à partir du moment où dans la préparation d’avant-match, le staff technique et les joueurs décrètent que c’est Rémy Cabella qui frappe, il faut qu’il sente toute la confiance de ses coéquipiers et du public pour que ça se fasse.
Jean-Louis Gasset, après le match, a dit qu’on avait trop mal défendu. En tant qu’ancien défenseur, partages-tu ce point de vue ?
Il n’y a pas eu une grande discipline tactique, mais peut-être aussi parce qu’il y avait un problème physique qui fait que les joueurs n’étaient pas capables de faire les efforts et pas capables de réagir dans la transition offensive et défensive. Il y a eu des absences, des manques au marquage, c’est une certitude. Encore une fois, tous nos commentaires sont pris en fonction du résultat, et il ne faut pas oublier le contenu des six derniers mois. C’est un peu plus compliqué depuis trois ou quatre semaines, mais peut-être qu’à force de tirer sur la corde, certains sont sur les rotules, sur les jantes, ça complique un petit peu les choses. Il faut vraiment une grosse semaine de travail pour préparer sereinement le match contre Monaco, qui va être une nouvelle fois décisif et pour Monaco et pour Saint-Etienne. Il va y avoir un vrai match de Coupe d’Europe entre une équipe qui a joué la Ligue des Champions cette année et veut la jouer la saison prochaine, et un club qui aspire à nouveau à être européen. C’est à nouveau un match où on va se mesurer pour voir si on a ou pas le niveau.
Tu as eu sous tes ordres Mathieu Debuchy lorsque tu étais l’adjoint de Willy Sagnol à Bordeaux. Quelle image tu gardes de ce joueur ? Es-tu surpris de son niveau de performance à Sainté ?
Si je dis ce que je pense de Mathieu Debuchy, on va me taxer de manque d’objectivité. C’est un joueur que j’apprécie particulièrement. Alors on va dire « ouais, il surfe sur la vague de ses performances et tout ça» … Moi, j’ai vu son investissement au quotidien chez les Girondins de Bordeaux, j’ai vu la maturité et le professionnalisme de ce joueur. Il ne laissait absolument rien au hasard. C’est quelqu’un qui a surmonté ses périodes de blessure parfaitement. C’est quelqu’un qui a besoin d’un temps de récupération un peu plus conséquent mais tu sais que tu pourras compter sur lui à 100 % le week-end. C’est quelqu’un qui est capable de se fixer des objectifs. Il avait l’objectif de jouer l’Euro 2016 avant de connaître la blessure. C’est quelqu’un qui chaque jour quand il se lève, pense bien sûr à l’ASSE, mais pense aussi à l’équipe de France et aux échéances internationales. Il fait tout pour prétendre à ça et faire partie de la liste de Didier Deschamps pour la Coupe du Monde en Russie.
Son apport offensif t’a bluffé ? Il a déjà claqué 4 pions et a failli mettre le 5e ce week-end !
C’est son style de jeu. Mathieu Debuchy, c’est le modèle type du latéral moderne, aujourd’hui capable d’être rapide dans son couloir, aussi bien offensivement que défensivement, Ce qui est vraiment appréciable chez Mathieu Debuchy, et qui le différencie de bon nombre de latéraux du championnat de France et aussi d’autres championnats européens, c’est qu’il reste malgré tout un défenseur dans l’âme, qui a envie de gagner des duels, qui a envie de faire mal à l’adversaire – au niveau de l’impact, on parle pas de taper - , de se faire respecter dans son couloir. C’est quelqu’un qui est encore défenseur. Aujourd’hui on a la plupart des latéraux qui veulent jouer que les coups offensifs, mais qui ne vont pas réduire la distance avec leur attaquant, qui se placent d’une telle façon qu’ils peuvent se faire prendre de vitesse, qui n’acceptent pas le un contre un et où il faut que ce soit le milieu défensif ou la charnière centrale qui prenne l'ailier. Mathieu lui, il y va, il cherche, il réduit le temps de passe, il est brillant dans sa lecture du jeu…
Tu as eu également Paul-Georges Ntep quelques semaines sous ta direction lorsque tu étais l’adjoint de Valérien Ismaël à Wolfsbourg. Quel regard portes-tu sur ce joueur ? Il est décevant, nan ?
Il a marqué un but important contre Caen peu de temps après son arrivée donc on pouvait penser que c’était reparti pour Paul-Georges. Ses qualités on les connaît, c’est sa vitesse, son explosivité, ses situations de un contre un. Malheureusement il traîne encore comme un boulet ses blessures, les stigmates de ses blessures antérieures. Malheureusement pour l’AS Saint-Etienne, on n’a toujours pas revu le Paul-Georges Ntep d’Auxerre ou de Rennes. Donc c’est sur les cinq joueurs qui ont été recrutés au mercato celui qui a apporté le moins si on fait le constat minutes jouées et rendement. Il n’a pas perdu ses qualités mais il va falloir pour lui, et c’est ce qu’on doit lui souhaiter, qu’il retrouve très rapidement la plénitude de ses moyens, son meilleur niveau et son explosivité. A partir du moment où il n’a pas son explosivité, c’est quelqu’un qui a plus de difficultés à exister dans le un contre un. Et puis ce n’est pas dans sa nature de faire des efforts, on a l’impression toujours que sur les pertes de balle il y a une forme de nonchalance. Il faut aussi à un moment donné, quand on est mal offensivement, que l’on fasse au moins le strict minimum dans la transition défensive et faire en sorte de se replacer dans le bloc, de refaire les efforts nécessaires pour le replacement, pour aider son latéral et pour aider l’équipe au milieu de terrain sur les pertes de balle. Et même si ça marche pas offensivement, autant dans l’investissement, qu’il fasse au moins ces efforts-là pour que quand l’entraîneur le fait rentrer en cours de match, il n’y ait pas cette incertitude-là qui fait qu’en fin de match il risque de déséquilibrer son bloc.
En tant que fin connaisseur du football allemand, tu connaissais très bien Neven Subotic avant qu’il ne signe à Sainté. T'attendais-tu à ce qu'il devienne un des patrons de cette équipe et qu'il dégage autant de sérénité ?
Oui et non. Je mentirais si je disais uniquement oui. Le Neven Subotic qu'on a connu durant huit années à Dortmund où il était intransigeant dans les duels et lorsqu'il formait la charnière centrale avec Mats Hummels, qu'il existait par son calme, par sa qualité dans les duels aériens, les duels au sol, sa qualité de relance, ce Neven Subotic ne me surprend pas. Là où je suis surpris, c'est qu'il a connu une saison très difficile avec sa blessure en fin de saison 2016 à Dortmund. Ensuite, il n'a pratiquement pas joué à Cologne, peut-être parce qu'il n'avait pas retrouvé le rythme, ou parce que l'entraîneur Stöger, qui est maintenant à Dortmund, ne le faisait pas jouer car il jouait avec une autre charnière. Dans le roulement Neven n'avait pas le temps de jeu qu'il espérait. Il est revenu à Dortmund et n'a pas beaucoup joué quand il est arrivé. Il a eu la surprise de retrouver l'entraîneur qui ne l'avait pas fait jouer à Cologne. Pour lui c'était clair : ne jouant pas à Cologne ce serait encore plus difficile de jouer à Dortmund, car la qualité et l'effectif sont supérieurs à ceux de Cologne. Il a donc pris la décision de relancer sa carrière et d'accepter de venir à Saint-Étienne. Je ne pensais pas qu'il allait être aussi bien physiquement, aussi vite dans le rythme. Ça veut dire qu'il n'a pas triché dans les séances d'entraînement, que ce soit à Cologne ou à Dortmund : il s'est entraîné de façon continue et avec une grosse intensité pour être aussi performant aussi rapidement. Là où je suis surpris, c'est qu'il n'a pas été blessé musculairement et on va lui souhaiter une belle fin de saison, parce que, quand on reprend après une longue phase où l'on joue moins, on a tendance à tirer sur certains muscles et on se claque, on se fait une élongation ou une déchirure. Ça veut dire qu'il se connaît parfaitement, qu'il a parfaitement dosé ses efforts, fait le travail invisible. Il a fait un travail de professionnel avec une approche complètement différente de celle des joueurs français. C'est pour cela que je suis surpris qu'il ait pu avoir ce niveau de performance sur les cinq mois qu'il vient de passer à Saint-Étienne.
Comment vois-tu la fin de saison. Les Verts seront-ils capables d'atteindre l'objectif européen ?
On parle d'objectif européen pour des clubs qui sont derrière Saint-Étienne et qui n'ont plus leur destin entre leurs pieds. Aujourd'hui, si Saint-Etienne négocie bien sa fin de saison, avec la victoire du Paris SG qui rend la 6ème place européenne, au moins pour les tours qualificatifs, on peut dire que c'est un ballottage favorable. Il ne faut pas se cristalliser sur cette défaite, il ne faut pas s'attarder sur cette fin de série. Parlons plutôt des treize matchs sans défaite et d'un incident de parcours face à Bordeaux, avec une fin de saison qu'on espère réjouissante pour tout le monde. Aujourd'hui, Saint-Etienne, dans la course à l'Europe, est dans un ballottage favorable et on va compter sur les choix judicieux du staff pour y arriver.
Tu as entendu le chant des Magic Fans à Geoffroy Guichard : « Il fait beau, il fait chaud, tous à Monaco ». Toi qui apprécie les ultras, qui a vibré dans les kops, que penses-tu des arrêtés qui frappent assez souvent les supporters stéphanois ?
Moi je suis assez surpris. On est devenu le pays de la déclaration des droits de l'homme. Avant, on était le pays des droits de l'homme. Aujourd'hui, pour certaines raisons, on sort des parapluies voire des parasols pour se protéger, pour éventuellement protéger certaines ambitions personnelles. Je ne veux pas rentrer dans ce débat-là parce que ça ne m'intéresse pas. Par contre ce que je peux dire, pour diverses raisons, en Allemagne que je connais le mieux, on est capable d'avoir des déplacements de 7000, 8000, voire 10000 personnes pour des matchs à l'extérieur. Aujourd'hui, il y a des raisons qui poussent à être ultra-sécuritaire : on empêche les supporters de supporter et de se déplacer pour aller voir leur équipe. Je fais juste la comparaison avec l'Allemagne où il n'y a pas eu d'arrêté interdisant les déplacements de supporters. Je trouve ça dommage dans le sprint final. Puisqu'on est dans une logique de vendre des droits à la télévision, je condamne fermement tous les débordements qu'il peut y avoir, mais quand les supporters supportent, qu'ils amènent de l'ambiance dans le stade, quand les stades sont pleins, que ça bouge, qu'il y a des tifos, des animations, le football ne devient pas un football de spectateurs. A force d'enlever un public de supporters, on a des ambiances moins chaleureuses. C'est à tous nos responsables, à tous nos élus, toutes les institutions, tous les groupes de supporters de se mettre autour d'une table et de trouver une solution pour que tout le monde puisse aller au stade, et la différence qu'il y a aussi, c'est d'aller au stade en famille et d'avoir la sensation quand on est père ou mère de famille, que quand on va au stade c'est pour voir un match de foot et pas pour voir des débordements.
Penses-tu que Jean-Louis Gasset va rester à l'ASSE comme l'espèrent beaucoup de supporters ?
La question, ce n'est pas à moi qu'il faut la poser, mais à Jean-Louis Gasset. Aujourd'hui il a beaucoup plus de paramètres et de cartes en main, lui, très certainement, que, nous, les extérieurs qui n'avons que des bribes. Donc, donner un avis, un sentiment ne change rien et n'apporte aucune chose au débat. La seule personne à qui il faut poser la question, c'est à Jean-Louis Gasset pour savoir ce qu'il souhaite faire dans son avenir.
Après tes expériences à Bordeaux et à Wolfsbourg, tu es redevenu commentateur sur beIN. Le terrain te manque-t-il ? Es-tu prêt à repartir avec Willy sur un prochain défi ?
Aujourd'hui, je suis consultant sur beIN, et je termine ma saison avec beIN. Ensuite, ça dépendra de notre volonté à continuer à travailler ensemble, ça dépendra des opportunités, ça dépendra de plein de choses. Aujourd'hui, la passion que j'ai pour le foot est intacte. Si une opportunité se présente, je réfléchirai avec attention. Mais j'aime aussi ce que je fais à la télévision. C'est une réflexion transversale, globale, qui se posera en temps et en heure. A l'heure actuelle, je ne suis pas dans cette réflexion-là.
Est-il envisageable de te voir dans le staff de l'ASSE, avec Willy ou un autre ? Cela fait-il partie de tes rêves ou de tes aspirations à plus long terme ?
Moi, mon rêve, je l'ai réalisé quand j'étais supporter de l'ASSE et que je suis devenu joueur de l'ASSE. Après, le football, c'est fait de rencontres, d'opportunités. Est-ce que cette opportunité de revenir à Saint-Étienne se représentera un jour, je suis incapable de le dire. On est complètement dans l'hypothétique parce qu'il n'y a rien de concret, rien de matérialisé.
Merci à Patrick pour sa disponibilité et aux potonautes Fourina et Stéphanois pour la retranscription