Quatrième extrait du spectacle de Corine Miret et Stéphane Olry. Paris, Paris, entends-tu ?

L’auteur :

« Quarante deux Stéphanois s’assirent face à moi dans le studio d’enregistrement installé dans le hall de la Comédie de Saint-Étienne. Ils me racontèrent leurs anecdotes de 1976. En les écoutant, des souvenirs de ces années-là me revenaient à la mémoire. Je me souvins que, comme pour beaucoup d’entre eux, mon joueur préféré était Oswaldo Piazza. Je me souvins qu’on prédisait la révolution le jour où y aurait un million de chômeurs en France. Cette enquête ranima le supporter des Verts qui someillait en moi.

À Paris, les samedis soirs je m’asseyais à la brasserie du Rond-Point pour suivre les matches des Verts sur écran géant. Le dimanche matin, j’écoutais Larqué-Foot sur RMC. À Saint-Étienne, j’allais au Centre de l’Étrat assister aux entraînements de l’équipe pro. Et surtout, je ne manquais aucun match à Geoffroy-Guichard.
Là, le spectacle des tribunes me captive au moins autant que celui du terrain.

Depuis toujours, la foule me fascine. À Paris, lorsque j’entends des chants dans un porte-voix, j’arrête toute activité pour descendre dans la rue. Je regarde le flot des manifestants envahir le boulevard. J’écoute les slogans lancés au micro par des militants assis dans des voitures roulant au pas.

Quand j’étais petit : « Giscard salaud, le Peuple aura ta peau Â», me plongeait dans des abîmes de perplexité. Le « Ratapo Â» ; je ne connaissais pas le « Ratapo Â». « Giscard salaud, le peuple au Ratapo Â». Le « Ratapo Â», malgré son nom un peu répugnant, devait être une sorte de paradis. Oui, Giscard est un salaud ; mais le peuple lui, veut aller au Ratapo : voilà ce que j’ai longtemps cru.

En septembre 2004, j’assistai au match Saint-Étienne-Auxerre à Geoffroy-Guichard, match gagné 3-1 par les Verts. À l’issue du match, j’entendis les Ultras scander : « Paris, Paris, entends-tu ? Â». J’admirai cette invective à un rival absent. J’appréciai l’homophonie avec le « Ami entends-tu Â» du Chant des Partisans.
Donc, quand le PSG est venu jouer à Geoffroy-Guichard, j’ai trahi sans vergogne ma ville et avec tous les anti-jacobins de Saint-Étienne j’ai crié : « Paris, Paris, entends-tu ? Â»
À la sortie du stade ma collaboratrice me regardait bizarrement. Elle finit par m’avouer qu’elle ne pourrait jamais crier durant quatre-vingt-dix minutes comme moi : « Paris, Paris, on t’encule Â».
J’ai eu beaucoup de mal à la convaincre de ma bonne foi.
Aujourd’hui encore je doute y être parvenu. Â»

L’actrice :

« Il habitait dans une cité Casino. Avec ses copains, il descendait de la cité, se postait sur le talus de l’autoroute, et regardait arriver les cars de supporters. Des files et des files de cars. Il agitait son drapeau. Il descendait sur la bande d’arrêt d’urgence. Il échangeait des trucs avec les supporters penchés aux fenêtres des bus. Lui, il leur donnait ce qu’il avait : une vignette Panini, un écusson, eux lui donnaient un fanion. Les cars venaient de l’autre bout de la France. Ensuite, avec la bande de la Cité Casino, il descendait vers le stade en suivant la voie de chemin de fer désaffectée.

Sa grand-mère polonaise habitait dans la rue Scheurer Kestner. Elle se souvient de cette vieille maison au fond d’une cour. Avec son père et ses deux cousins, ils se garaient dans la cour, ils mangeaient un bout chez la grand-mère et puis après ils partaient à pieds. Ils suivaient la voie de chemin de fer. Ils arrivaient vers les buvettes. Ils longeaient les cars. Ils se présentaient devant le guichet de vente des billets.

Oui, il se souvient, il a des souvenirs des trams. Les portes ne fermaient pas. Avant le match, des grappes de gens se tenaient aux portières. Un jour, un type est passé sous le tram. Sa jambe a été coupée. Lui, il y allait avec son père, ils y allaient à pieds. Ils longeaient la voie de chemin de fer. Beaucoup de gens suivaient ce chemin. Oui, ça lui revient. Il avait oublié ça, complètement, la voie de chemin de fer. C’était le trajet.

Derrière la foule en marche, il voyait les fumées rouges sortir des cheminées, les flammes, les lueurs des usines. Les jours où l’usine de métallurgie se faisait livrer, les trains chargés de barres de métal traversaient le parking. Il marchait vers ce stade d’où s’échappait déjà la rumeur de la foule. Â»

Le musicien :

« Partir tôt. Partir deux heures avant le match. Etre au stade dès l’ouverture des grilles. Mains moites sur le volant de ma voiture. Penser au match à venir. Rouler lentement vers le stade. Regarder la foule sur les trottoirs.

Me garer sur le parking de la cité artisanale. Toujours au même endroit. Entrée sud. Tourniquet des abonnés. Lever les bras. Me faire fouiller par le stadier. Première station près de la buvette. Manger un hot-dog. Regarder arriver les supporters. Bandes de jeunes. Hommes seuls. Pères avec leur fils. Familles nombreuses. Groupes d’enfants avec moniteurs. Drapeaux. Maillots de l’équipe. Produits dérivés. Écharpes. L’écharpe avec une panthère de 76. Celle des Green Angels ou des Magic Fans. Je ressens l’ambiance.
Électricité. Confiance. Inquiétude. Liesse. Insouciance.

Bon. Monter lentement l’escalier de béton. En haut des marches, nouvelle station. Redécouvrir le stade. Rectangle vert. Lignes blanches. Lumière froide des projecteurs. Clameur du public. Écouter. Regarder. Sentir.

Le stadier me dit de ne pas rester là, d’aller m’asseoir. C’est son boulot. C’est un problème de sécurité. Je m’assois. Â»