Huitième extrait du spectacle de Corine Miret et Stéphane Olry. "Les déplacements, il peut pas tous les faire. Alors, il regarde la télé. C’est dur devant la télé."
L’actrice :
« Dans les années 70, c’était rare de perdre. Quand ça se produisait, les gens étaient dépités. Le stade était calme, sombre, silencieux. Les spectateurs sortaient sans parler. Revenir seul après une défaite, c’est triste.
Ils partaient les derniers. Après le match, ils montaient dans la DS, son père allumait l’auto-radio. Europe 1, elle s’en souvient, Eugène Saccomano. Elle a ce souvenir-là : elle est pelotonnée sur la banquette arrière, ils roulent dans la nuit en écoutant les commentaires du match à la radio. Sa maman soupire.
Quand il ne peut pas aller au match, il écoute Radio Scoop, la radio locale où ils commentent les matches des Verts en direct. Il enregistre. Il fait des montages. Il colle toutes les phases de but bout à bout. Dans sa voiture, il réécoute. Et à chaque but, il a à nouveau la chair de poule et des frissons.
Les lendemains de match, elle rassemblait toutes les coupures de journaux. Elle ne voulait pas louper un article sur les Verts, surtout pas en louper un. Elle découpait, collait dans un classeur. Aujourd’hui encore, son parrain descend acheter l’Équipe le matin, puis la monte à son père. Ils prennent un crayon de papier et entourent tout ce qui concerne les Verts, ils soulignent des phrases, ils font des croix qui renvoient à leurs commentaires notés en marge. Le soir même, elle récupère l’Équipe, elle lit où il y a des croix et des commentaires. Puis elle découpe l’article, et le colle dans son classeur. Et son fils fait pareil.
Bien sûr, il peut pas aller à tous les matches. Les déplacements, il peut pas tous les faire. Alors, il regarde la télé. C’est dur devant la télé. C’est dur. Hier il a quitté son travail un petit peu plus tôt pour être chez lui à 21 heures pour voir le match. Quand il est arrivé, son fils avait disposé son écharpe sur la table basse, devant la télé. Son fils lui a dit : « Tu n’as plus qu’à prendre ton écharpe ». En mangeant il a regardé la première mi-temps. Après, quand il y a eu le penalty, il ne pouvait pas rester assis, il parlait, il parlait aux joueurs : « Pascal, Frédéric a marqué, fais plaisir à ton copain, marque à ton tour, marque-le ce penalty ». Et Pascal Feindouno l’a entendu, il a marqué. Il était debout sur le canapé. Au but de Marin c’était encore pire. Comme sa femme aime bien Nicolas Marin, son fils lui a crié : « Maman, viens voir, il y a ton chouchou qui a marqué ! ». Avec son fils, ils s’étaient attrapés par les épaules, ils gueulaient, ils sautaient, comme au stade ! Sa femme les a regardés et il lui a dit : « Tu sais, plus j’avance dans l’âge, plus c’est pire ». Alors elle : « Et bien qu’est-ce que ça va être !
Vous voyez, elle, ce qui lui déplaît dans ces matches de foot, même les Verts, c’est ces embrassades. Alors ça elle ne peut pas le supporter. Ah non, elle ne peut pas supporter ça, de son temps il n’y avait pas ça. On marquait un but, on applaudissait, point. Ils n’allaient pas s’embrasser, se rouler dans l’herbe. Enfin, à quoi ça rime ? Et maintenant, paf, un petit niaque dans la cheville « Aïe, aïe, aïe » et « Maman au secours ! ». Avant, ça saignait, on les recousait sur le banc de touche et ils revenaient sur le terrain. Qu’est-ce que vous voulez, elle est comme ça. Elle aime les mecs, les vrais. Non, il y a trop de chichis maintenant au foot. Trop de chichis, trop de pognon, trop. Quand il y a un match, elle le regarde quand même à la télé. Le stade, c’est trop cher pour elle. Dans son immeuble, elle a neuf chaînes câblées, sans payer de supplément. Elle zappe, pour regarder où ils en sont.
Quand ils étaient en deuxième division, elle s’en fichait complètement. C’est vilain d’abandonner les gens quand ils perdent ? On devrait les encourager ? Mais, elle, elle est vilaine. Elle n’aime pas les perdants. Depuis qu’ils sont remontés en première division elle regarde à nouveau. Ce soir contre Strasbourg, elle va zapper sur la chaîne sportive, en espérant qu’il y aura pas trop de bisous. Les joueurs actuels, elle ne les connaît pas du tout. L’autre jour elle a fait la découverte du goal avec son tatouage tribal dans la nuque. Parce que là aussi quand même elle regarde les beaux mecs. Ben oui, même les mamies elles ont le droit ! »
"Mercredi 12 mai 1976" (8/11)
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