Robert Nouzaret passe à l'attaque dans le quatrième volet du long entetien qu'il nous a accordé.


Robert, comparons désormais les joueurs offensifs de l’équipe actuelle de l’ASSE avec ceux que tu as eu sous ta direction. Tu évoquais tout à l'heure Tchiressoua Guel, Sainté compte actuellement dans son effectif un de ses compatriotes, Max-Alain Gradel. Guel était un joueur talentueux et déroutant mais assez inefficace devant le but, non ?

On avait Pédron à gauche et Guel à droite. Pédron avait un rôle particulier, celui d’utiliser le couloir gauche pour faire huit centres sur dix actions. C’était une machine à centrer, que ce soit dans le jeu ou sur coup de pied arrêté. Tandis que Guel, lui ce n’était pas l’utilisation du côté droit pour aller centrer. C’était l’utilisation du côté droit au départ de sa position pour rentrer dans le jeu et être un peu le dépositaire de celui-ci. C’était un numéro 10 qui, au lieu d’être derrière les deux attaquants, partait du couloir. Moi, il m’a donné satisfaction.

Même si l’on se souvient qu’il avait parfois raté l’immanquable.

Ouais, personne n’est parfait. Pour moi, en fonction de ses qualités, il était le complément de Pédron. C’était un équilibre. Le plus dur dans une équipe de football, ce n’est pas de prendre des joueurs, c’est de prendre des joueurs qui ont un rôle précis dans une organisation, en l'occurrence en 4-4-2. Il fallait trouver des joueurs qui soient capables, chacun à leur poste, de faire ce qu’on attend dans une organisation par rapport aux qualités et défauts des uns et des autres.

Et ces joueurs (Guel et Pédron), te souviens-tu dans quel contexte tu les avais trouvés ?

Guel, je le connaissais avec la Côte d’Ivoire. Je l’avais déjà eu en sélection. Pédron, lui je le connaissais par sa carrière à Lorient. On avait la complémentarité des deux récupérateurs, la complémentarité sur les deux côtés. Et on avait une complémentarité dans l’axe avec un pivot et un joueur de rupture comme on avait avec Subiat et Revelles en D2. Kader à droite et à gauche c’était Christophe Robert. Eux ils étaient plus du même style. Parce qu’on avait pris à l’époque Lepaul, qui jouait à Auxerre. Lui, ça avait été un échec, l’un des rares échecs que l’on avait eus. Gradel, lui, c’est un ailier de débordement. C’est pour cela que je dis que Saint-Etienne joue plus souvent à trois attaquants. Alors que nous on jouait plutôt en 4-4-2. A l’époque c’était un système que j’appréciais. Donc je m’arrangeais toujours pour recruter des joueurs dans cet esprit là.

On se souvient aussi d’un joueur qui a moins joué, Alain Masudi.

Oui, lui on l’avait pris à la trêve pour compenser d’ailleurs le départ de Guel à la CAN.


Que penses-tu de Yohan Mollo, qui a rejoint Sainté au début du mercato hivernal ? On sait qu’il est très efficace sur les coups de pieds arrêtés. Cela répondait à un vrai besoin pour Saint-Etienne. Par contre il a la réputation d’être un joueur compliqué à gérer. Toi, j’imagine que tu en as eu une palanquée des joueurs comme ça, des joueurs un peu compliqués…

Oui, moi ce n’était pas un truc qui m’inquiétait. Si tu veux avoir des bons joueurs, il faut des caractériels.


Pas forcément, si ?

Non non, mais je veux dire, tu risques de tomber sur des caractériels. Si le joueur est caractériel, et que tu ne le prends pas alors que c’est un bon joueur, t'es con quoi ! Je veux dire qu’il vaut mieux avoir le bon joueur même si il est caractériel. Après il faut le gérer et ça c’est un travail aussi.

On pourrait objecter que Alex, qui était réputé pour avoir un caractère pas facile, tu as mis longtemps à le lancer.

J’ai mis longtemps à le lancer pour deux raisons. La première, c’est que ce n’est pas moi qui l’ai vu, et j’ai fait confiance à Gérard. Quand il est venu, il n’avançait pas et il ne montrait rien. Alors quand Gérard m’a dit : « Robert, tu le connais pas mais moi je l’ai vu. », moi je lui ai répondu tout simplement : « Gérard tu as été je ne sais combien de fois attaquant international, tu connais le style de joueur que l’on doit avoir, c’est un joueur complémentaire. » Au départ, quels que soient les joueurs qu’on devait prendre, on voulait un pivot et un joueur de rupture. Le polonais et le norvégien qu’on devait prendre mais que l’on n’a pas pris, c’était le même style. Aloisio c’était un pivot et il lui fallait un joueur de rupture. Alors Gérard il va chercher Aloisio et il voit ce mec. Et ben je lui ai dit prends-le ! Le problème c’est qu’Aloisio il est arrivé et il a confirmé directement tout le bien que l’on pensait de lui. Alors qu’Alex il était fainéant à l’entraînement, aux matchs amicaux il ne montrait rien du tout. La seule chose que je n’ai pas su, c’est que c’était plus un compétiteur qu’un travailleur. Il a fallu le mettre au pied du mur pour se rendre compte que c’était un compétiteur. J’ai eu des joueurs comme ça moi. Mais après quand tu les connais, tu acceptes certaines choses. C'est-à-dire tu acceptes que le joueur soit à 50% la semaine parce que tu sais qu’il va être à 150% le jour du match.

Donc le jour où en discussion avec Rudi Garcia, on décide de le mettre dans les 16, pour jouer contre Nancy qui était une équipe avec un style défensif. On le fait rentrer à la mi-temps parce qu’on est mené 1 à 0 et que l’on pensait qu’il pouvait peut être débloquer quelque chose. Et là il a tout montré en 45 minutes … D’ailleurs j’ai failli le frapper entre guillemets [Rires]. Ce n’est pas possible qu’un mec soit aussi con ! Je veux dire, montrer cela maintenant alors qu’on était à deux doigts de le faire repartir. Mais ce n’était rien d’autre. Ce n’est pas parce qu’il avait du caractère. Non parce que moi je lui ai fait confiance. Gérard le prend, on le prend, je vais le faire jouer. La preuve c’est qu’après il a joué. Il a montré d’autres mauvais facettes de son comportement parce qu’il était comme ça.

C’est toujours pareil. Quand on dit des joueurs caractériels, il y a le caractériel sain et le caractériel malsain. C'est-à-dire, moi le mec qui a du mauvais caractère mais que ça rentre toujours dans l’esprit, qui fait la gueule parce que tu ne le fait pas jouer mais qu’à l’entrainement il est là, il est à 200%... Voilà, là tu n’as pas de problèmes. Mais quand tu as un caractériel malsain qui, parce que soit disant, croyant qu’il a du talent, et il a du talent, et Alex avait du talent… le mec il arrive en retard à l’entrainement, il sort tard les soirs et il choisit les matchs qu’il doit jouer. Attends, si tu ne rectifies pas ça, tu ne fais pas ton boulot ! Voilà c’est tout !

Est-ce qu’Alex fait partie en talent pur des attaquants les plus talentueux que tu ais eus sous ta direction ? Est-ce que ce n’est pas peut être même le plus talentueux ?

A Montpellier, j’avais un joueur comme Curioni, qui était le type même caractériel, impressionnant qui foutait rien de la semaine et qui le dimanche était à 200%. Je préfère avoir géré ce mec là qu’Alex. Alex te décourage plus qu’autres chos, malgré toutes les qualités qu’il a.

Et pourtant dans l’imaginaire collectif stéphanois, il a laissé une sacrée empreinte !

Ben, il a réussit les matchs qu’il fallait. Il avait un style de jeu technique, il était capable de faire des gestes qui te font lever un stade. Ça, c’est comme Feindouno. Feindouno… La chance qu’on ces joueurs-là, c’est qu’en un match ils te font oublier dix mauvais.

Ce n'était certes pas les joueurs les plus constants…

Je parle vis-à-vis des supporters du public. Vis-à-vis de toi qui es entraineur, tu n’oublies pas les dix mauvais matchs, et tu es obligé de faire attention quand tu fais une composition d’équipe par rapport à une concurrence. Tu regardes le bilan, tu comprends ? Les supporters ne regardent pas tout ça.

En même temps, Alex n’a pas brillé que contre des grosses équipes. Il a brillé aussi contre des équipes moins huppées comme Troyes...

Mais de toutes façons, il a fait dans son ensemble une bonne saison. C’est l’année d’après lorsqu’on a réattaqué qu’il a eu une attitude encore plus négative.

Est-ce que cette attitude négative était motivée par le fait que, pour le titiller peut être, vous aviez pris Panov à l’époque ? Ou ça n’a rien à voir ?

C’était dans l’esprit d’avoir 22 gars en concurrence. La première année on avait des remplaçants qui faisaient partie de l’équipe qui était montée. Je me souviens qu’un jour on avait tellement de blessés et de suspendus qu’on avait fait jouer presque 90% de cette équipe là. Et ils avaient battu Metz. Ça, c’était bien.
Après, l'année d'après, il y a des gars qui partent et on prend d’autres joueurs. La concurrence ça ne fait jamais de mal si les joueurs la comprennent et que ça leur permet de progresser. Si vous arrivez, le gars il dit : « Mais moi je suis ci, je suis ça… » … Et ça c’est toujours ce que ne sait pas le public. On ne peut pas le dire toutes les jours dans la presse. Quand tu as le joueur tous les jours à l’entrainement et tout et que tu prends des décisions avec lui, il faut que les gens te fassent confiance. Moi quand je prends une décision qui ne correspond pas à ce que les supporters souhaitent, c’est pour l’intérêt du club. Parce que si tu fais jouer le joueur tout simplement parce qu’il plait aux supporters, parce qu’il est capable de, et puis qu’il n’est pas bon pendant x temps, on va te reprocher de le faire jouer, de faire du favoritisme. Ça, c’est un équilibre à trouver.

Pourquoi il n’y a jamais eu ce problème avec Aloisio ? Parce qu’Aloisio il n’a pas toujours fait des bons matchs mais il était présent. La différence entre des gars comme Alex et Aloisio, c’est qu’Aloisio te donnait envie de l’aider quand il était en difficulté. Alex ne te donnait pas envie. La seule chose qui te donnait envie de l’aider c’est qu’il était capable de gagner un match à lui tout seul. Et j’ai eu le même sentiment avec Feindouno que j’ai eu en sélection. C’est un gaspillage monstre. Ça correspond au même comportement.

Qu’est-ce que ça t’inspire de voir Féfé maintenant ? Il est remplaçant dans un club relégable du championnat turc !

Il finit sa carrière pour arrondir son compte en banque et puis voilà.

As-tu le sentiment d’un gâchis avec des joueurs comme ça ?

Oui bien sûr … Il est plus dur d’avoir des joueurs de la valeur de ces types là que de trouver un joueur comme Sablé. Même si ce joueur (Sablé) a son importance, c’est plus facile de le former, de former des joueurs comme ça. Alors que des joueurs comme Feindouno et Alex tu ne les formes pas, ils sont comme ça dans le ventre de leur mère.

Alex c’était le numéro 7 à l’époque, c’était le buteur. On a un autre numéro 7 qui marque beaucoup de but en ce moment, c’est Pierre-Emerik Aubameyang. On voulait avoir ton avis sur ce joueur …

Pour moi c’est un phénomène, Il sait tout faire. Et puis, il a l’air d’avoir un bon état d’esprit. Saint-Etienne a eu la chance que le Gabon ne soit pas qualifié pour la CAN. C’est la meilleure chose qui pouvait arriver à l'ASSE !

On a l’impression que c’est un joueur qui éclate à Sainté alors qu’il a eu un parcours assez chaotique…

Galtier est obligé de le faire jouer de temps en temps sur le côté. Et je ne pense pas que c’est son meilleur poste. Mais il le fait et il le fait bien. Ça dénote un bon état d’esprit. Moi, Brandao et Aubameyang, je les fais jouer ensemble dans un 4-4-2. Après, chacun voit midi à sa porte…

Deux mots sur Brandao…

Faire comme il fait… ça se passe bien. Il les fait jouer ensemble, un sur le côté et un dans l’axe. Brandao parce qu’il est plus âgé dans l’axe et Aubameyang sur le côté car il est plus puissant.

Pour toi, il y a une bonne complémentarité ?

Ah oui oui…

Brandao te rappelle-t-il un peu Aloisio ?

Oui, c’est le même genre, sauf qu’Aloisio il est meilleur techniquement. Mais c’est le même genre de taureau, des gars qui n’ont peur de rien, des courageux.

Justement, cet esprit compétiteur, est ce que tu penses que c’était l’un des points recherchés par Christophe Galtier ? Même s'il est parfois moqué pour sa maladresse, Brandao est un gagnant !

Christophe est un bon entraineur. Le comportement de Brando et les résultats lui donnent raison. Et puis il le sait très bien Christophe, quand il prend Brandao, il l’a vu jouer avec Marseille. S’il le prend tout en sachant qu’il lui manque ça et ça… c’est qu’il a ses raisons. Et dans le contexte stéphanois, je pense qu’il est mieux que dans le contexte marseillais. Marseille ne lui pardonne rien alors que Sainté lui pardonnera tout car ce n’est pas un mec qui lâche.

Est-ce que tu penses que ça, c’est justement une différence que l’on peut faire entre le public, enfin l’environnement stéphanois et marseillais ?

Oh oui ! Si à Sainté tu mouilles le maillot et que tu ne réussis pas toujours sur le plan technique ce que tu dois faire, ils vont toujours t’aider. A Marseille il y a une exigence plus haute.

Merci à Guigui43 pour la retranscription de ce quatrième volet