Avant la finale, souvenons-nous de la demi. Nous sommes le 15 janvier 2013, et il est 20h55...
Une demi-finale de Coupe, c'est un évènement suffisamment rare pour qu'on s'y arrête. Quand en plus, il a lieu face à une traditionnelle bête noire et sur un terrain recouvert d'une mince pellicule de neige, on se dit que cette soirée pourrait bien rester dans les mémoires. Pourtant, malgré une forte intensité, le match reste bloqué pendant dix bonnes minutes – seul un coup franc vicieux de Mollo vient troubler ce calme initial (5’). Le jeu est même assez haché ; les équipes privilégient les passes directes avec beaucoup de déchets. Même l’ambiance est électrique (Galtier se fait immédiatement rappeler à l’ordre par M. Turpin). Pourquoi ? Nous sommes en présence de deux systèmes qui se neutralisent :
Compte tenu des absences conjuguées de Ghoulam, Gradel (CAN) et Hamouma (blessé), cette composition est classique - Cohade prenant son tour de banc. On est dans le dorénavant bien connu 4-1-4-1 / 4-3-3 instauré en fin de saison dernière.
En face : Rudy Garcia a fait des choix plus originaux.
Deux ligne de quatre pour quadriller le terrain ; Martin en individuelle sur Clément et Roux sur Perrin pour gêner la relance verte : les lillois veulent clairement empêcher les Verts de développer leur jeu. A la récupération, l’animation offensive lilloise est totalement asymétrique : Balmont se recentre et permet à Béria et Pédretti de monter d’un cran ; Roux ou Martin prennent le côté droit ; Payet dézone et libère le couloir pour Digne.
Exemple illustré de positionnement offensif lillois :
Comme on le voit, la tactique de Garcia apporte deux avantages : si Sainté reste rigide, le surnombre est créé à droite ; si les Verts suivent (comme sur l'image), ils libèrent des espaces de l’autre côté. L’action de la 35’ qui aboutit sur une frappe de Pédretti détournée en corner (la seule vraie occasion Lilloise jusqu’alors) découle de ce schéma.
Cet état de fait va poser beaucoup de problèmes aux stéphanois, le temps de s’y habituer. Résultat : c’est en contre que les ligériens brillent, comme à la 25’ : Brandao n’obtient pas de pénalty, mais Mollo continue et sert Lemoine, qui oblige Elana a se détendre superbement. Sainté va pourtant petit à petit prendre le dessus grâce à une arme maintenant bien maîtrisée : la « spéciale piston ». Exemple : Aubame dézone dans l’axe entre les lignes ; Guilavogui monte d’un cran. Soit le latéral joue l’individuelle, suit Aubame et laisse Guilavogui seul ; soit il joue la zone, et c’est Aubame qui est seul. C’est ce dernier cas qui arrive à la 29’ ; au bout de l’action, Mollo donne un amour de ballon sur la tête de Brandao…qui rate un but tout fait. La même chose arrivera à la 42’, de l’autre côté (Mollo/Lemoine). Cette fois, les Verts obtiennent un CF, qui mal renvoyé, permet à Clerc de centrer pour Aubame dont la reprise, difficile, n’est pas dangereuse.
Sans 6, pas d'assise
Au final, les deux animations offensives sont basées sur un principe commun : dézoner pour créer les espaces. Pourquoi ça marche plus pour Sainté que pour Lille ? Parce que Clément est là pour combler les trous. C’est par définition le rôle d’essuie-glace devant la défense, que de boucher les espaces découverts. Un rôle discret, mais indispensable, et dont Jérémy se tire à merveille. Sainté finit donc bien mieux cette première période au point que même Perrin tente des montées – mais le score reste vierge à la pause.
Au retour des vestiaires, le milieu stéphanois pivote, histoire de voir ce qui va se passer.
Guilavogui se retrouve n°10, alors que Lemoine et Clément sont sur la même ligne. Les lillois mettront un quart d’heure a réagir. Pendant ce temps-là, leur pressing est totalement désorganisé : Martin ne sait plus comment défendre ! En plus, les hommes de Galtier, intelligents, insistent sur le côté où, du fait des dézonages de Payet, le seul Digne se retrouve seul face à trois stéphanois… Avant l’heure de jeu, c’est pas moins de trois vraies opportunités (dont l’incroyable raté de Brandao à la 58’) que les stéphanois se créent, sans arriver à conclure.
Enfin, le LOSC prend la mesure de ce changement. Mavuba recule d’un cran, et adopte un milieu symétrique à celui de l’ASSE ; de plus Garcia sort un Pédretti dépassé pour Gueye (64’). Dans le même temps, Galette sort Brandao, visiblement dans un mauvais soir. Le brésilien rejoint directement les vestiaires sans un regard pour son coach, vexé de sa mauvaise prestation.
Sauvés par le poteau
Comme toujours, la sortie de Brandao empêche les stéphanois de conserver leur positionnement très haut sur le terrain. A défaut, cela leur permet de retrouver l’attitude de la saison passée : le cocktail pressing fort dans son propre camp + explosivité à la récupération. Chaque équipe retrouve sa disposition de début de match. Tandis qu’Aubame prend l’axe, Cohade entre pour occuper l’aile droite. Mais l’ex-valenciennois va beaucoup bouger pour apporter le surnombre. Il provoque ainsi bon nombre de permutations avec les collègues du milieu. A ce moment-là, on voit bien l’intelligence de jeu : tous, Cohade, Clément, Lemoine, Guilavogui et Mollo, savent qu’il faut reformer une ligne de 4 adossée à un numéro 6 dès la perte de balle. Peu importe alors celui qui doit bloquer tel ou tel endroit du terrain… Le football est cependant un sport d’équilibre ; chaque surnombre apporté dans une zone de jeu se traduit par l’affaiblissement d’une autre. Ainsi, le côté droit (celui duquel dézone Cohade) est par moment délaissé. Les Verts prennent donc le risque de laisser le champ libre à Digne, qui sur un contre rapide, peut directement aller défier Clerc – ce qui arrivera à la 73’, sans danger cette fois-là. On voit donc l'ambivalence de ce côté Clerc-Digne : chaque équipe y est plus fragile, tout en pouvant y trouver plus d'espace pour attaquer.
Même si Cohade permet à Elana de briller (77’), Lille finit mieux. 83’ : nouveau décalage de Digne, seul face à Clerc. L’action aboutira sur la tête de Balmont, pas loin de trouver le cadre. Galette sent bien qu’il ne faut pas jouer avec le feu : à la 84’, Mayi remplace un Lemoine qui n'a pas ménagé ses efforts. Sainté retourne donc à une animation plus sobre, semblable à celle de début de match. Dans le même temps, Garcia sort Roux pour Rodelin. Mais les Verts ont beaucoup donné – la fatigue pèse lourd. A la 86’, Basa monte balle au pied, et n’est pas pressé. L’action se développe rapidement : au bout du compte, Payet touche le poteau. La douche froide est évitée de peu, comme sur la tête de Chedjou à la suite d’un corner trois minutes plus tard. La fin du temps règlementaire arrive à point nommé.
Dilatation temporelle
Galtier harangue ses troupes, avec la passion et l’énergie qu’on lui connait : « C’est le moment, les gars ! ». L’effet est immédiat : le début des prolongations voit un regain de forme pour les Verts, qui font en sorte d’empêcher Mavuba de participer à la relance. Ca presse haut, mais pas de réelle occasion à se mettre sous la dent avant la 105’ : la spéciale piston frappe encore – Mayi seul dans l’axe, sert Cohade qui a pris l’espace, mais Elana est encore décisif. La deuxième mi-temps repart sur les mêmes bases. Les Verts poussent : Elana sort devant Aubame (109’), Cohade frappe encore sans succès (110’). Mais, encore une fois, Lille finit mieux et se paye à la 120’ sa seule occasion des prolongations : Ruffier sort loin de son but pour devancer Rodelin.
Arrivent les pénalties. Les Verts commencent. Le deuxième tireur, Mollo, rate totalement son essai. Lui, qui aurait pu finir le match avec deux passes décisives, est au bord des larmes. Tous les tireurs suivants marquent. Arrive le pénalty décisif. C’est Balmont qui s’avance. L’ancien lyonnais écrase sa frappe. Ruffier est pris à contre-pied. Le ballon se dirige vers le but, lentement. Très lentement. Pour tous les supporters stéphanois, chaque seconde en vaut mille. La balle rebondit sur le poteau. Les équipes sont à égalité. L’espoir a changé de camp. Les cinq tireurs suivants (trois stéphanois, deux lillois) supportent la pression et font trembler les filets.
Arrive alors Idrissa Gueye. Le jeune milieu de terrain lillois, une des révélations de la saison dans le Nord, se présente face à Ruffier. Jeunesse ? Inexpérience ? Fatalité ? Le ballon s’envole, haut, très haut, dans les étoiles ; ces étoiles qui brillent dans les yeux d’un peuple Vert qui peut enfin exulter. Saint-Etienne est en finale. 1982, 2013 : 31 ans. Une éternité.