C’est un 15 juillet 1931 que naquit, au Cameroun, l’ingénu Eugène N’jo Lea, génial joueur africain. Il se définissait lui-même comme un footballeur professionnel « par accident », et comme un diplomate de formation. Il fut, dans tous les cas, l’un des premiers grands joueurs noirs africains à fouler les pelouses du championnat de France.

Eugène N’Jo Léa a commencé à assouvir sa passion comme un simple amateur au Cameroun. Espérant trouver l’eldorado en Europe, on le retrouve, mais toujours sous une licence amateur à... Roche la Molière.

A cette époque, Jean Snella veille sur le chaudron. L’AS Saint-Etienne est en pleine construction, sous la houlette d’un entraîneur de génie, qui n’à ni froid aux yeux, ni froid aux oreilles, malgré les rudesses du climat local. En 1954, sous la présidence de Pierre Faurand, il lance dans le grand bain les attaquants Rachid Mekloufi et notre héros du jour, Eugène N’Jo Léa, débauché sans peine de la cité minière. De 1954 à 1959, Eugène N’Jo Léa allait faire parler la poudre à la pointe de l’attaque verte. Ses statistiques sont, pour le moins, détonantes et éloquentes : 70 buts en 133 matches de D1, plus d’un but tous les deux matches. Il signe deux triplés (contre Sochaux et Sedan) sous le maillot vert, et y ajoute douze doublés. Pendant la saison 1954/1955, il contribue à la conquête du premier trophée de l’ASSE : la coupe Drago, réservée aux battus de la coupe de France. Il scorera sept fois seulement cette saison là. La saison suivante, les verts terminent quatrième, et son physique et ses neufs buts pèseront de tout leur poids dans la belle saison du club. L’ASSE sera éliminée en quart de finale de la coupe de France, après avoir sorti en 32° de finale... le WAC Casablanca ( !).


1956/1957 est l’année de la consécration. Pour la première fois de leur histoire, les Verts sont champions de France. L’infernal duo N’Jo Léa-Mekloufi marque 60 buts cette saison là !! Cette attaque « Rock and Roll » comme le spécifiait alors Jean Eskenazi dans les colonnes de France soir, devait marquer 54 des 88 buts des verts en championnat, avec quelques cartons mémorables (6-3 contre l’OM, 7-1 à Nançy, 6-2 à Sedan !!).


En 1957/1958, Eugène continue d’épater son monde avec 15 réalisations. Il sera de la partie des deux premières rencontres du club en coupe d’Europe des clubs champions contre les Rangers (défaite 3-1 à l’aller, puis victoire 2-1). En 1958/1959, Mekloufi n’est plus là. Mais N’Jo Léa continue de faire des ravages, avec 27 réalisations dans la saison, toutes compétitions confondues.

Durant l’été 1959, Snella quitte le Forez pour la Suisse. N’Jo Léa lui emboîte le pas, mais s’arrête à Lyon. Il restera chez les gones jusqu’en 1962. Après avoir été vedette dans le Forez, il sera plutôt « star sur le déclin » sur les bords du Rhône, malgré quelques belles réalisations encore. En tout et pour tout, il disputera dix derbys sous les deux maillots, record toujours en cours : sept sous le maillot vert et trois sous celui de l’OL. Il marquera cinq fois lors de ces rencontres épiques. Il poursuivra et terminera sa carrière au Racing Club de Paris, ancêtre du Paris Saint Germain.

Au-delà de ses fantastiques qualités de footballeur, Eugène N’Jo Léa avait la tête bien pleine. Ainsi, en 1961, il fut à l’origine de la création de l’UNFP, Union Nationale des Footballeurs Professionnels. Just Fontaine disait alors : « Il fallait une idée. Et Eugène N’Jo Léa en eut une : créer un syndicat de footballeur. Eugène, il avait une idée toutes les trente secondes ». Il fallait du courage, et tous en eurent pour emboîter le pas de celui qui fut, outre le footballeur que vous connaissez maintenant, un brillant étudiant en droit. Il y avait donc là Just Fontaine, icône planétaire, Jacques Bertrand, juriste passionné, mais aussi Jean Jacques Marcel ou Henri Biancheri. Nous étions le 16 novembre 1961.

N’Jo Léa dessinait alors les prémices de sa prochaine carrière. En effet, il se définissait donc comme un footballeur professionnel " par accident " mais diplomate de formation, le football en Afrique est loin d'être d'abord un divertissement, il joue avant tout un rôle politique : " Dans nos pays créés artificiellement par le congrès de Berlin, l'état a précédé la nation, rappellait-il. Pour développer une conscience nationale dans ces mosaïques, il faut vivre des émotions communes ». Eugène N’Jo Léa épousa alors une carrière de diplomate pour son pays de naissance. Il tenta, également, de structurer quelque peu sa fédération, mais a fini par se heurter à quelques vieux dinosaures, tenant à leur pouvoir.

L’un de ses enfants, William N’Jo Léa (PSG, Lens, Caen notamment) fit une apparition, discrète, sur les terrains de l’hexagone.

Le 24 octobre 2006, une triste nouvelle allait assombrir l’horizon bleuté du peuple vert. On apprenait, de Douala, le décès de cette icône du foot stéphanois. Les grands clubs ne meurent jamais, mais les légendes, elles, disparaissent. Car soyons en tous bien conscients, anciens ou jeunes supporters, le joueur et par delà l’homme qui vient de disparaître à l’âge de 75 ans, après une année passée sur un lit d’hôpital, est une réelle légende du foot stéphanois, une panthère avant toutes les autres panthères, et sans doute le premier grand idéaliste du football en général. Et même si les légendes disparaissent, elles restent toujours présentes dans nos cœurs et dans notre esprit. Et comme disait un adversaire des verts une veille de match : « Geoffroy-Guichard est si particulier qu’on a l’impression qu’à tous moments, on pourrait y voir ressurgir des fantômes »… Nul doute que les plus passionnés d’entre nous verront encore longtemps les grandes courses de cet attaquant félin et racé.