Après une maîtrise de procrastination et une vingtaine d'années à glandouiller dans la Grand Rue, il enseigne depuis cette année « le pas de côté » au bord du Lac Léman, à des gamins qui, à quatorze ans, ont déjà chacun l'empreinte écologique du Lesotho, et qui pensent qu'un maillot de foot a obligatoirement la couleur d'une bouteille d'eau minérale.
Il a dû pour cela mettre un terme, avec regret, à sa carrière de korfballeur aux Pyramides de Saint-Etienne, un club où la convivialité n'est pas un vain mot. Tous les sports menant à Saint-Etienne, la prochaine fois qu’il y reviendra, ce sera sans doute pour y faire du vélo. Peut-être pour le départ du prochain altertour, allez savoir ?
Pseudo : Lefab42
Localisation : Lac Léman
Premier match à Geoffroy - Guichard ?
C'était un match nul contre Bordeaux à la fin des années 80 ou au début des années 90. Je n'ai pas réussi à retrouver la date avec certitude. Je me souviens juste que pour mon deuxième match à Geoffroy, les Verts avaient perdu contre le PSG 1-2, peut-être l'année suivante. Des débuts extrêmement frustrants qui m'ont valu quelques chambrages en règle à la maison où ma famille était peu portée sur le foot. J'ai d'ailleurs trouvé cette période de vaches maigres bien longue. Mais c'est aussi cette « souffrance » qui a forgé ma passion des Verts !
Premier souvenir de supporter ?
Ce sont les beignes qu'on se mettait au lycée entre supporters de Lyon et Saint-Etienne. Il faut dire que la vallée du Gier était l'épicentre de la rivalité. Il y avait déjà des marqueurs géographiques et sociaux. Après Givors, à l'est de la N86, les petits bourgeois de la campagne étaient plutôt lyonnais, alors qu'à l'ouest, on était déjà sous l'influence stéphanoise avec une mixité sociale plus marquée. Je dois bien avouer que ce sont surtout les coups reçus qui ont ancré viscéralement mon choix pour les Verts.
Qui t'a fait découvrir ce club ?
J'ai l'impression d'avoir entendu parler des Verts avant d'entendre parler du foot. Les Verts, c'était d'abord un bruit de fond, comme la variété qui passe en boucle à la radio. Le foot, je l'ai découvert en demi-finale de la coupe du monde de 1982 : dans une maison où on ne s'y intéressait pas habituellement, j'ai assisté à l'apparition d'une excitation assez incompréhensible. L'autorisation de regarder uniquement la première mi-temps m'a permis de fantasmer la fin du match à partir des éclats de voix de mon père et de ma soeur. Un truc incroyable.
Difficile ensuite d'échapper à la liesse de 1984 avec la victoire des Bleus. C'est alors que s'est posée la question existentielle de trouver un club à supporter pour faire bonne figure dans la cour de récréation. Le jeu à la nantaise ne me laisse pas indifférent mais c'est surtout sur Max Bossis que se polarise mon attention. Mauvais timing, puisque celui-ci rejoint le Racing club de Paris, transformé en maison de passes de luxe, avec un marchand de canon pour maquereau.
C'est alors que mes voisins, père et fils, mordus de l'Asse vont me sortir de ce mauvais pas en me faisant partager leur engouement pour les Verts et son temple : Geoffroy-Guichard !
L'excitation de la première fois, les écharpes qui flottent aux portières des voitures remontant comme nous l'A47, les klaxons festifs, le flot populaire qui s'engouffre dans l'enceinte, la clameur du stade, l'acoustique qui donne la chair de poule, graveront de manière indélébile les Verts dans mes entrailles, comme une expérience initiatique... au-delà de toutes mes convictions qui m'inciteraient plutôt à renier cette passion !
Joueurs Verts préférés (toutes époques confondues) ?
Il est de plus en plus difficile de s'attacher à ces millionnaires, et pourtant mes joueurs préférés sont toujours ceux qui portent le maillot à l'instant présent et continuent d'écrire l'histoire de l'ASSE. Le meilleur symbole de cette continuité aujourd'hui, c'est bien sur le capitaine Loïc Perrin, réparé on ne sait trop comment et qui, lui, n'a jamais rêvé d'une carrière à la Ghoulam.
Les départs de nos idoles se font rarement sans fausse note et laissent un arrière-goût amer à l'évocation de leurs exploits. Plutôt que les joueurs, ce sont des anecdotes marquantes qui me reviennent en mémoire : la complicité du duo Tibeuf-Garande, les trop rares coups francs platinesques de Moravcik, l'efficacité diabolique de Wolfarth et ses abdos à la bière, Sagnol et [biiiip – mince, on a été coupé] qui viennent saluer les kop lors des années de vache maigre, les buts d'Alex la panthéra, le fabuleux coup de pelle de Mignot permettant au match contre Montpellier d'avoir lieu, la force de caractère de Bayal qui a mis son égo dans sa poche pour revenir à son meilleur niveau...
Autres clubs ou joueurs favoris ?
Aujourd'hui cette passion est exclusive. Il y a 20 ans, dans une moindre mesure, le Barça me fascinait. C'était avant que Messi, avec la caution des socios, ne mette ce club mythique sur le trottoir.
Ton plus grand souvenir avec l'ASSE ?
Le but de Grax en coupe d'Europe. J'ai su à ce moment-là que je ne reviendrais plus à Geoffroy-Guichard, suite à la trahison de Caïazzo, Romeyer, et Alain Perrin qui ont décidé de lâcher la coupe d'Europe. C'était surtout le point final d'un fabuleux parcours des Verts partagé dans les tribunes avec mes potes. La victoire au stade de France en coupe de la ligue manquait un peu de dramaturgie mais prise comme une suite logique de la demi-finale de 2007 contre Sochaux, elle restera aussi comme un aboutissement.
Ton match des Verts le plus marquant.
Le pastissesque 5-1 contre Marseille avec le show d'Alex et les supporters marseillais hystériques qui sortent du stade avant la fin. J'étais encore une fois avec des potes dans une ambiance de folie au Phénix, un bar-pub de Sainté dont on a même perdu les cendres depuis.
De manière moins rationnelle, la victoire 3-0 contre Martigues le 2 décembre 1994 : il régnait dans le stade une ambiance un peu irréelle de facilité et de joie, qui collait assez bien avec ma vie d'étudiant stéphanois de l'époque, en décalage avec le reste de la saison. Je porte d'ailleurs encore régulièrement l'écharpe verte qui nous avait été généreusement offerte à l'entrée du stade, tant les dirigeants et les joueurs avaient à se faire pardonner cette saison-là !
Enfiles-tu un maillot de Saint-Etienne quand tu vas au stade ou quand tu regardes le match à la télé ? Si oui, quel maillot ?
A l'époque de Moravcik, j'ai acheté le puma à manches longues avec le gros rond rouge et les étoiles en surimpression qui m'a suivi pendant quelques années à Geoffroy-Guichard...
Connais-tu par coeur les paroles de la chanson mythique ?
Je connais jusqu'à « on va gagner, ça, c'est juré, alleeeeeeee-eeez ! » Une fois que tout est dit, à quoi sert le reste des paroles ?
Carte blanche (quelque chose qui te tient à cœur ? une anecdote ? un coup de gueule ?....)
Fils naturel de la société industrielle et de l'empire colonial, le football ne possède aucune valeur qui mérite d'être sauvée. Ce qui permet avantageusement de se concentrer sur l'essentiel : la chorégraphie des corps humains en mouvement, et la maîtrise du taux d'adrénaline de chacun des acteurs du stade. A l'heure de la médicalisation du sport, des fantasmes post-humanistes, et de la numérisation du monde, c'est encore beaucoup. Je déplore enfin la disparition des clubs au profit des marques, premier symptôme de la disparition annoncée du supporter au profit des likeurs, ces eunuques numérisés qui se pavanent sur les réseaux sociaux, préservés du bruit, des odeurs, et des bactéries de la plèbe.