Je viens de recevoir une lettre de Bafétimbi Gomis. Découvrez la en exclusivité ! Bonne lecture !


Monsieur Bafétimbi GOMIS
Equipe de France de football
Hôtel Mirador Kempinski
CH - 1801 Mont-Pèlerin
Montreux / Vevey
Chuisse


Mon Cher Rising !

En ce jour de la Saint Bafé, Patron des têtes à claques, je vous écris en vous nommant mon Cher Rising parce que je suis chrétien, et que malgré toutes les sottises que vous avez écrites, et les méchancetés que vous avez accumulées sur moi, et sur l’insistance expresse de Sa Sainteté le Pape Benoît Turbo 16, exprimée lors de sa dernière homélie, je consens à vous pardonner . Enfin je consens à essayer, ou j’essaie de consentir. J’ai donc pris ma plume pour que vous en soyez informé, et que vous cessiez de proférer à mon égard vos sarcasmes.

J’essaie donc de vous pardonner, et j’y arrive assez bien, cela m’étant d’autant plus facile que, à l’instant où je vous écris, je vous imagine à 490 mètres d’altitude en train de vous casser le cul à faire pousser vos satanés géraniums sur votre balcon, tout en luttant contre le blizzard forézien de juin, violent et glacial, venu du Guizay tout proche, encore recouvert d’un manteau de neige glacée, zébré de congères.

Alors que moi, je suis en Chuisse, et je domine le lac de Genève depuis le balcon du palace où je loge, orienté plein sud. Et je me mire, et je me marre dans les eaux limpides du lac, très légèrement rougies par la naissance timide d’un coucher de soleil oblique, et striées de sillons laissés par les canards sauvages, tels ceux dessinées par les avions dans un ciel sans nuage. Le Paradis. Je me pince d’ailleurs pour être sûr de ne pas être mort. Et j’aperçois la France sur l’autre rive au loin : Evian et sa misère, Thonon et ses pauvres, et plus loin encore, Lyon, ses fumées toxiques, ses tuberculeux et ses sauteurs sur place, Monaco et ses esclaves… Et je me dis, comme le poète, qu’ici tout est luxe, calme et comptes en banque.

Avec ma suite de 22 joueurs, et moi, et moi, et moi, je suis donc descendu à l’Hôtel Mirador, le bien nommé, puisqu’on s’y mire et qu’on y dort. Ce sont nos seules activités, à l’exception de nos exhibitions sur le terrain du village, pour amuser les autochtones locaux, qui nous contemplent comme des animaux étranges, à la démarche nonchalante, et aux oreilles ornées d’un casque, pour ne pas écouter les conneries qu’on nous débite, et pour avoir l’impression qu’il y a au moins un bruit, autre que ceux du tiroir-caisse, du froissement de billet de 100 €, ou du crissement de la plume sur un chèque, un bruit, donc, qui puisse stimuler notre cerveau, si ce ne peut être celui des idées qui s’agitent. Moi, pas bête pour un sou, à la sortie de l’exhibition, j’enlève mon casque et je peux ainsi entendre les quelques jeunes femmes qui me supplient un autographe, et leur demander avant de le signer si elles sont certaines de ne pas vouloir un Nespresso, pour ne pas passer pour le con que je ne suis pas encore. Mais j’y travaille avec mon agent et mon argent.

Sinon, pour m’occuper, je parcours les innombrables couloirs, et je rêve en croisant d’autres jeunes femmes, celles-ci légèrement vêtues, dont les battements incessants et rapides de leurs longs cils décoiffent ma coupe « Cléopâtre Â», et dont les sourires carnassiers et goulus m’émoustillent. Je crois même qu’elles me prennent pour le George Clooney du Sénégal… What else ? Et au hasard de mes pérégrinations, je suis curieux et inquiets en voyant toutes ces portes closes que l’on m’a interdit d’ouvrir. Celle du Club échangiste qui, d’après les anciens, ne peut être franchie qu’en cas de victoire de l’Euro, en quelque sorte notre médaille du Mérite à nous. Il y a encore la porte du Bureau de change, pour tous ceux qui veulent négocier un transfert pendant le Mercato. Car bien sûr, si nous sommes des sportifs, des compétiteurs, nous ne sommes pas moins des hommes d’affaires qui doivent nourrir leur agent et leur famille. Il y a aussi la porte de l’infirmerie que l’on ne peut passer que si l’on perd le premier match, ceci pour y recevoir des soins d’urgence, consistant en des piqûres sur une grande échelle, tous à la queue leu leu dans le couloir, à ce que l’on m’a dit. Ce qui m’ennuie, c’est la grande échelle, car je ne crains pas de dire que je n’ai peur de rien, sauf de l’altitude ; et j’ai le sentiment que si je tombe, j’aurais beau battre des ailes, avec mon cul d’Airbus, je m’abouserais directement sur le carrelage. Vous voyez donc, mon Cher Rising, que pendant que vous passez votre pauvre vie insignifiante à vous demander ce dont le jour prochain sera fait, moi je me laisse vivre dans mon palace, en essayant de me convaincre que mon avenir est tout tracé, et en gérant quand même quelques petits tracas très bien rémunérés.

En fait, si je suis aujourd’hui en Chuisse, c’est assez miraculeux.

En effet, j’ai toujours aimé le rouge. Cette couleur sied parfaitement à mon teint d’ébène. J’en ai parlé à mon demi-Président préféré, Roro le bayayet, en lui exprimant ma passion, et en lui expliquant que mon but dans la vie était désormais de porter un maillot rouge. Je lui ai alors parlé de Manchester United, de Liverpool FC, du Spartak de Moscou ou même de Rouen. Ce qui lui a provoqué des spasmes d’hilarité. Pas Arsenal, parce que je trouve ce maillot vulgaire avec ses manches blanches. Donc le rouge m’obsédait. C’est ainsi que lors de cet entretien, alors qu’il venait de siffler trois litres de rouge, justement, pour me faire plaisir, de ce rouge qui teinte les boyaux d’une manière indélébile, et le rend débile, son œil gauche se mit à clignoter comme un portique électronique qui aurait détecté une paire de menottes, et il me dit de ne pas m’inquiéter, qu’il allait téléphoner à une ganache de ses connaissances, le grand coach Raymond. Qui pouvait-il appeler d’autre qu’une épave comme lui ? Inquiet néanmoins, je lui dit que Raymond la Science a rejoint le paradis des entraîneurs et des frites depuis quelques années. Et il me répond du tac au tac que sa ganache à lui s’appelle Raymond la Tanche. Et voila, l’affaire était dans le sac, j’étais présélectionné en équipe de France, ces Bleus qui m’ont fait rêver en bleu, et qui jouent maintenant en rouge, suite à une idée rare de Raymond la Tanche. Je dis rare, car ce mec là on ne sait jamais s’il est intelligent ou s’il fait semblant d’être con. Et quand il lance une idée, tout le monde se tait en attendant la chute, et baisse la tête pour éviter de la prendre dans la gueule.

Me voici donc en stage avec des joueurs que je n’avais l’habitude de voir qu’à la une de ces journaux qui vous mentent. Ils ont tous été très gentils avec moi. Sauf Cissé, un gars coiffé comme une Renault 8 Gordini, un raciste qui passait son temps à balancer des peaux de banane sous mes pieds dans les escaliers de l’hôtel dans l’espoir d’un accident volontaire. Ca ne lui a pas porté bonheur, puisque, après mon premier match, ma première sélection où j’ai marqué deux buts admirables, comme c’est mon boulot de mettre des buts, et d’être admirable, et quand j’y suis d’être admiré, le pauvre Cissé, qui a passé toute sa première mi-temps à fatiguer la défense adverse, et sans le savoir à faciliter ma tâche, le pauvre Cissé, donc, a été renvoyé dans ses foyers par Raymond la Tanche, pour vivre entre ses parents, et cogner sur sa femme le reste de son âge. Il a mal pris la chose. Il a fait une crise de nerf tellement violente, que j’ai dû me réfugier dans le monte-plats où j’ai passé la nuit, et qu’il a fallu lui mettre une camisole de force, puisqu’il ne voulait pas l’enfiler tout seul, puis l’évacuer par hélicoptère chez les fadas de Marseille.

Vous voyez, mon Cher Rising, quand la chance s’acharne sur moi, tout ce qui m’arrive n’est que du bonheur. Ainsi, j’ai connu ma deuxième sélection en jouant tout une deuxième mi-temps contre le Paraguay, sans marquer de but malheureusement. Il faut dire aussi que je ne voulais pas rentrer sur le terrain parce que les Rouges jouaient en bleu. Et moi, le bleu ne sied pas à mon teint de pêche. J’ai tapé du pied, et j’ai arrêté de respirer pour bien montrer ma désapprobation. Jusqu’à ce que Raymond la Tanche m’expliquât que le bleu était la couleur de Chelsea, et il alla même jusqu’à me rappeler que le bleu mêlé au rouge, c’était la couleur du CF Barcelone. Alors j’ai arrêté mon caprice. Sur le champs.

Maintenant je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait. J’ai signé finalement une prolongation de contrat avec les Verts, le club de mon cœur, même que c’est que je vis que pour lui, ce club qui m’a nourri, qui m’a formé, que je vais qualifier pour la Ligue des Champions, avec l’aide de moi-même et de mon grand talent. Et puis, si Benzema et Henry marchent par bonheur sur les peaux de banane que je disperse sur leurs itinéraires, et qu’ainsi je devienne le meilleur joueur et meilleur buteur de l’Euro, je pourrais toujours revoir ma signature, pour aller voir ailleurs si j’y suis. Mais si par malheur le destin se tourne en travers, il me restera toujours les Verts pour vivre maigrement mais sûrement, et quelques mois à attendre pour que mon talent inné attire l’œil de quelques clubs argentés.

Je sais, mon cher Rising, vous allez me dire que je suis calculateur, qu’il faut laisser dans sa vie une grande place pour le cœur, et que l’on peut bien vivre et assurer ses vieux jours avec un salaire qui monte plus vite que le cours du pétrole, sachant que bien des gens qui viennent me voir vivent un mois avec ce que je gagne en quatre heures. C’est vrai sans doute, mais j’ai le temps de voir venir, j’ai le temps d’évoluer, de devenir un homme, et aujourd’hui, j’ai vingt-deux ans, mon Vieux Rising, et je t’emmerde en attendant.