Longtemps on s’est cru maudits, condamnés, au mieux, à vivre d’espoirs vite douchés, au pire, à traverser des saisons en enfer. Et puis vint une première brèche dans cette noire destinée, la qualification en 2008 pour une très belle aventure européenne.
Samedi, les Verts ont l’occasion de corriger une deuxième anomalie de l’histoire.
Cette journée, on le sait ne sera pas tiède. On montera très haut ou descendra très bas. Contrairement à un match de championnat qui peut nous laisser au terme d'un match nul sur des sensations mitigées, ce match nous retournera, ivres de joie ou dévastés par la peine.
Cette journée, qu'on n'en peut plus d'attendre, je vous la livre en avant première. C'est la mienne, c'est sûrement un peu la nôtre. J’ai eu le temps de déjà tout rêver, tout visualiser, tout fantasmer. D’abord ce premier stress, surtout ne pas oublier le précieux sésame. Les tickets pour la finale, je les ai couvés, préservés, mis en lieu sûr depuis des semaines, comme des lingots, comme un fétiche, bien loin du rangement ordinaire que j'inflige à mes abonnements à GG. A coups de post-its savammment répartis j'ai balisé de mises en garde tout mon parcours avant de sortir de chez moi pour ne pas les oublier. Ils sont maintenant bien gissés dans le larfeuille, ce qui ne m'empêchera pas, comme des milliers de sups de vérifier dix-huit fois que je les ai bien sur moi. Puis préparer son bardas. On ne prépare pas un déplacement pour une finale à Paris comme une classique virée dans le Chaudron. On fignole, on sélectionne, on ne néglige aucun détail, on multiplie les combinaisons, avec tel calbuthe et telle écharpe, n'avais-je pas gagné le derby ? Chérie où as-tu mis mon pull de la qualif contre Lille ?
8h19 : C’est un grand classique. Les jours J, ces quelques jours spéciaux où un grand événement m’attend, j’ai l’habitude d'ouvrir l'oeil bien avant que mon réveil ne se manifeste. Donc sans surprise, j’ai devancé l’appel de 8h30. Je sonnerais bien le clairon, c'est jour de conquête, mais pas sûr que madame adhère à l’idée. Mon état est un savant mélange de grande lassitude et d’extrême excitation. J’ai joué le match toute la nuit (et les draps s'en souviennent). Ca s’est bien passé. J’étais sur le terrain, puis en tribune, puis les deux à la fois (oui, ça reste un rêve) mais in fine l’issue était toujours heureuse. Je n’en tire aucune conclusion, en rêve je n’ai pas perdu un derby depuis dix ans au moins…
10h5 : je suis énervé. J’avais prévu de partir à 10h et les enfants ne sont pas prêts. Déjà habillé, je transpire. La faute à l’écharpe verte, bien serrée, ostensiblement portée pour sortir dans ma rue lyonnaise, histoire de narguer ceux qui chaque année se plaisent à célébrer notre nouvelle année sans titre. Qu’ils en prennent plein la vue. Qu’ils s’agacent, qu’ils nous jalousent, et puis comme avant, comme toujours, qu’ils nous admirent. L’envie folle de défiler sur les quais du rhone façon cortège de mariage, avec tous les mastres verts que compte cette ville, me prend, ce serait énorme, et puis un peu d’effervescence, un peu de folie, ça les changerait, ces éternels endormis.
10h10 : enfin la voiture démarre, madame s’énerve de me voir à ce point survolté. Je suis intenable, insupportable, toute conversation ne touchant pas au match m’est impossible.
10h27 : sous fourvière, un indigène, probablement à la vue du drapeau étendu sur la plage arrière, me fait un doigt, auquel je réponds par un énorme sourire, l’idée que ce drapeau gâche une bonne partie de la matinée de ce demeuré me remplit d’aise. Je pense un instant au balcon de l’hôtel de ville lyonnais il y a onze mois. Les batards vous saluent bien.
10h51 : je l’attendais, ça n’a pas tardé, je double les premières voitures d’où dépassent des écharpes vertes. Je vibre. Affiche un sourire idiot. Avec au fond de moi cette fierté familière du sup qui croise un autre sup vert ailleurs qu’aux abords d’un stade. On sera toujours là , fredonne-je aussitôt dans le monospace en enchaînant par de frénétiques coups de klaxon sous les vivas de ma progéniture, toujours prompte à saluer mes 3P (puérils pétages de plomb).
12h21 : Puisqu'il est écrit que cette journée ne sera qu’une longue et progressive montée d’adrénaline, il est logique que notre pause déjeuner jambon frites, formule kids et nuggets à gogo se déroule dans l’ambiance surréaliste et jouissive d’un restauroute colonisé par le peuple vert. J’avale plus vite que jamais mon ordinaire et oubliable menu en écoutant mes voisins deviser sur la probabilité de voir Hamouma débuter, en pensant très fort qu’ils n’ont pas compris que l’immuable et prolifique triplette Mollo Brandao Aubame sera forcément alignée d’entrée, selon l’éternelle loi qui veut qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Ma fille, après s’être gavée de frites, refuse de toucher à son steack, il ne me vient pas une seconde à l’idée de lui adresser le moindre carton jaune. Quand y a foot, y a foot…
14h59 : la porte d’orléans s’annonce, et avec elle, les premiers ralentissements. Quoique cet encombrement n’ait rien d’exceptionnel, j’enrage de ralentir à l’approche de Paname, craignant désormais le moindre imprévu qui viendrait mettre à mal mon planning d’avant match. J’ai dans l’idée de m’échauffer aux bars parallèles avec les mastres durant l’après-midi, et rien ne saurait sy opposer.
17h25 : je mate l’heure toutes les dix minutes. La tension monte. Tels des Garande-Tibeuf ou Alex-Aloisio qui remettraient le flottant pour un jubilé improvisé, nous avons les mastres et moi retrouvé nos marques comme qui rigole. Chacun donne et prend des nouvelles. Les plus heureux prendront le RER. Les autres, mille fois hélas, devront se rabattre sur un troquet vert... On adule la Ligue. La diaspora verte a pris de l’âge, mais la passion préserve des ravages du temps. Chacun a pronostiqué, argumenté, trinqué, puis s’est emporté, a rêvé, re-trinqué, postillonné, balbutié, crié, évoqué le passé, Kiev ou Beauvais, les belles pages et les sombres définitivement tournées. On a re-re-trinqué, titubé, avant de se séparer, pour se retrouver, promis, à l'heure d'exulter.
19h23 : châtelet les halles, sous terre, ça pue, c’est Paris, son rer, ses écrans qui clignotent, ses murs aux couleurs seventies, sa triste misère du bas bien loin du faste d’en haut. Oui mais on s’en cogne. Le vert est là et je ne vois que lui, qui tranche sur le bleu et l’orange des carreaux abimés. Y a bien quelques zozos vêtus de rouge et noir qui déparent grave. Mais ils sont dominés. Outrageusement. de la tête, des épaules et de l'haleine. Ouhhhhhh. Et si on avait joué les Vilains m’interroge-je, nos têtes pensantes (c’est une image) de la ligue auraient-elles trouvé une solution pour que les deux publics ne se croisent pas sur les quais ?
22h32 : Aubame -qui d’autre ?- nous délivre d’une frappe sèche et croisée. Le stade explose. Si le pénalty de Di Biaggio m’avait envoyé par terre en 98, je parviens quinze ans plus tard à rester debout. Je fais voler mon fils dans mes bras, serre les poings et les monte au ciel, pousse trois, quatre, dix yesssssssss retentissants et contemple ce stade -pourtant si peu fait pour le foot- qui tremble, vibre, comme jamais, oui comme jamais, et comme on leur avait promis. Voila vous savez, vous toute la France du foot, ce que donne un stade vert, un soir de finale. Je goûte cette fierté d’en être, de participer à cette démonstration éclatante de la passion verte. De cette passion qui tout au long de la traversée du désert a continué à nous escorter, nous porter, et a constitué souvent notre unique mais précieux motif de fierté. Puis aussitôt monte en moi ce stress si familier. Serrage de fesses time ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, à 1/0 la peur est dix fois plus présente quà 0/0. C’est anormal et c’est normal. On n'a peur de se la faire piquer, quand on ne tient pas Monica Bellucci dans ses bras. Ne pas gâcher, surtout.
22h38 : c’est long douze minutes, mes yeux tanguent. Le terrain, l’horloge, l’horloge, le terrain. Comme il se doit, nos Verts reculent et déjouent et les Bretons ont soudainement retrouvé le goût des chevauchées offensives. Le ballon nous brûle les pieds, Sall dégage de la tête, dévisse du pied, Lemoine tacle. Coup franc, sifflets, mur, Ruffier crie, la main en porte-voix, toujours cette maudite image du derby de décembre me revient. Mais Feret est bien élevé, et le ballon aussi qui survole la transversale sous nos vivas.
22h52 : l’ivresse se prolonge. Loïc soulève la coupe. Je pense à Sablé, à Janot, que j’aurais tant aimé voir accomplir ce geste. Ce geste qui ferme un chapitre long de trente-deux ans. Demain la Pravda titrera sur le retour des Verts. Comme souvent depuis trente deux ans. Cette fois ce ne sera pas qu’un simple argument commercial.
Je les aime. Tu les aimes, nous les aimons. Paraît que c’est la crise, la pollution, les comptes en suisse, le cheval dans les lasagnes, les missiles en Corée. So what ? On a touché le Graal. Et dans huit jours, y a derby…
5h7 : Malgré la fatigue, malgré l’alcool, j’ai mis un temps fou à trouver le sommeil. Mais tel le Breton à bout de force cédant sous les coups de boutoir d’Aubame, mon esprit survolté a fini par rendre les armes. Je rêve. A quoi d’autre qu’aux Verts ? Pas de descente des Champs en voiture éléctrique ou à vélo pour Roro et les joueurs, mais m'apparaît en songe une réception guindée à l’Elysée. Roro en sort tout sourire, les flashs crépitent, on l’interroge. Il révèle qu’il est pressenti pour intégrer le gouvernement au poste de ministre du budget. Sa proposition d’installer des minuteries à Matignon et l’Elysée a séduit. Une sortie de crise semble possible. Il a bien un compte chez les 3 Suisses, mais, il a promis -faut juste remettre la main sur son maudit mot de passe- de le fermer. Bozzo, quant à lui, qui s'est toujours rêvé en deuxième Nanard, est pressenti pour le ministère de la ville.
9h12 : Le réveil a sonné. L'image de Roro vantant sa minuterie à Hollande est encore présente, et le président a eu le bon goût de passer Allez les Verts pour son économe hôte. Ah, non, c'est France Inter. Sur les ondes, le chant européen fait l’ouverture de tous les journaux. Manifestement toujours pas dégrisé, Roro déclare aux journalistes qu’un tour d’honneur, coupe en main est prévu dans huit jours à Gerland. Ben oui, la France est Verte, toute la France, comme avant, comme toujours. Quinze ans après Jacquet, elle doit son bonheur à un gars simple et à l’accent du crû. Bravache, mal dégrisé, follement heureux, j'interroge mon fils qui m'attend devant son bol de céréales. Tu seras prêt en 2028 ?