Consultant de poteaux-carrés pendant toute la coupe du Monde, Sylvain Kastendeuch a accepté de répondre à une dernière salve de questions une semaine après la finale France-Italie.

Quel est ton sentiment sur la finale ? (Timick)

Une semaine après, c’est encore la déception qui prévaut. On avait la possibilité d’être champions du monde, et on a échoué d’un rien. Ma déception est à la hauteur des espoirs que j’avais en cette équipe. On a dominé l’Italie, on avait le niveau pour remporter le trophée. C’est une occasion extraordinaire de ratée. Une finale de coupe du Monde, ce n’est pas rien ! Ceci étant, les joueurs ne peuvent pas s’en vouloir, à l’exception peut-être de Zidane …Et n’oublions pas que les Bleus ont réalisé un beau parcours, quasiment personne ne les voyait aller aussi loin dans cette compétition avant la coupe du monde.

Qu’a-t-il manqué à la France pour qu’elle fasse la décision lors de la deuxième période et de la prolongation ? (Ynodu)

Il a manqué trois fois rien mais hélas les conséquences sont énormes. On a pourtant eu quelques belles occasions, mais on n’a pas réussi à les convertir par maladresse ou par manque de réussite : je pense notamment à la tête de Zidane sortie par Buffon ou au tir de Ribéry qui rase le poteau. Il faut reconnaître que le gardien italien a été excellent, très sûr dans ses interventions.

Qu’as-tu pensé de la fin de carrière de Zidane, avec cette « panenka », ce carton rouge et cette finale perdue ? (Timick)

Je pense que Zidane a bien fait de tenter cette « panenka ». Zizou a donné deux raisons à ce geste. Il a d’abord confié à Michel Denisot « je voulais que ça reste ». Cette première explication est la moins louable, et personnellement j’attache plus d’importance à la seconde explication, d’ordre technique : Zizou a tenté cette « panenka » car il savait qu’il avait en face de lui le meilleur gardien du monde. Buffon connaît très bien Zidane. Zizou s’est dit que s’il tirait le penalty comme il le fait d’habitude, Buffon risquait de dévier le ballon. Il a donc opté pour la « panenka », avec succès.

En ce qui concerne le carton rouge, j’ai été très choqué de ce que j’ai vu. Le geste de Zidane était violent, son expulsion est logique et méritée. Quelle que soit la teneur des propos de Materazzi, Zidane n’avait pas à se faire justice soi-même comme ça. Comme tout le monde, j’ai pris acte des explications de Zizou, qui a défendu son honneur. Je crois qu’il faut essayer d’être compréhensif, tolérant envers lui. Il ne faut pas l’accabler. Je m’interroge toutefois sur sa réaction. Je trouve quand même étonnant qu’un meneur de jeu comme lui ait eu 14 cartons rouges au cours de sa carrière ! Son coup de tête m’a vraiment choqué mais une fois encore il faut relativiser. Disons que le geste n’est pas si grave, ce qui est plus grave c’est son côté exemplaire : il ne faudrait pas que les jeunes ou les footballeurs amateurs, voire professionnels, se fassent justice eux-mêmes de la sorte. Pour en finir avec cette « affaire Zidane », il faut désormais faire en sorte de réprimer les provocateurs comme Materazzi. J’ai appris que ce dernier avait finalement admis avoir insulté Zidane. La FIFA a ouvert une enquête à ce sujet. Il est évident que le joueur italien devra être puni.

Comment se remotiver après une telle déception ? Je pense notamment à Thierry Henry, qui en quelques semaines a perdu la finale de la ligue des champions et la finale de la coupe du Monde ? (Obi-Wan Kenobi)

Un champion doit savoir se relancer après de telles déceptions. C’est le propre du sport de très haut niveau : il faut se remettre en cause, et constamment rebatailler pour gagner sa place et viser de nouveaux titres. Je pense qu’après quelques semaines de vacances, un garçon comme Thierry Henry va redonner le meilleur de lui-même dès la prochaine saison. Vous savez, même lorsqu’on gagne un titre, on savoure sur le moment mais très vite il faut se remobiliser pour se fixer de nouveaux objectifs. Thierry Henry a perdu récemment deux des matches les plus importants dabs la carrière d’un joueur mais il aura peut-être d’autres occasions de gagner la Ligue des champions. Pour la coupe du Monde, évidemment, c’est plus problématique car elle n’est remise en jeu que tous les quatre ans. Enfin quoi qu’il en soit, les déceptions s’estompent avec le temps, se digèrent et je ne me fais pas de souci sur l’état d’esprit de nos finalistes à l’orée de cette nouvelle saison.

Comment était l’ambiance à Berlin lors de la finale ? (cédric 26)

Je ne peux pas répondre à cette question car j’ai finalement suivi ce match devant une télé à Paris ! J’avais pourtant un billet pour la finale mais l’avion que je devais prendre à Roissy n’a jamais pu décoller. J’ai attendu jusqu’à 18h00 à Roissy, mais finalement on nous a informés qu’il n’y avait aucun créneau de disponible pour pouvoir atterrir à Berlin. Mon vol a été annulé. Bien sûr, je n’étais pas le seul concerné, je sais par exemple que l’avion du président de l’ASSE n’a pas pu décoller. Mais c’est rageant de manquer de la sorte une finale de coupe du monde !

Quel est ton sentiment général sur cette coupe du monde en termes d’organisation et de qualité du jeu ? (Timick)

Je me suis rendu deux fois en Allemagne, pour France-Brésil et France-Portugal. Sur place, j’ai constaté que l’organisation était parfaitement rôdée, « à l’allemande » je dirais ! Vraiment, cette coupe du monde a été parfaitement organisée, les stades étaient magnifiques et il y a eu une belle ambiance pendant toute la compétition. Le peuple allemand s’est mobilisé pour l’occasion, il y avait une atmosphère festive dans tout le pays.

En ce qui concerne la qualité du jeu, j’ai entendu beaucoup d’observateurs faire la fine bouche. Personnellement, je vois les choses différemment et dans l’ensemble j’ai été assez content par le jeu proposé. Globalement, les matches se sont déroulés dans un bon esprit. Bien sûr, il y a eu quelques exceptions comme Portugal/Pays-Bas. Mais dans l’ensemble, les joueurs ont été fair-play, j’ai souvent vu de franches poignées de main après des contacts un peu rudes. Pour en revenir à la qualité du jeu proprement dit, j’ai été frappé par la puissance athlétique des joueurs et par la vitesse des actions. J’ai vraiment eu l’impression d’assister à une compétition très relevée. C’est ça le haut niveau international ! Je serais tenté de reprendre la devise de Pierre de Coubertin et de L’Equipe pour qualifier le jeu de cette coupe du Monde : « plus haut, plus vite, plus fort ».

Les équipes étant toutes bien préparées, elles se neutralisent souvent et certains regrettent un manque de spectacle et un jeu moins technique que par le passé. Je ne partage pas ce point de vue. J’ai au contraire été frappé par l’aisance technique de nombreux défenseurs pendants cette compétition. Comme je vous l’avait dit lors d’un précédent entretien, le football moderne évolue vers une polyvalence plus marquée : les défenseurs internationaux ont un bagage technique qui leur permet de contre-attaquer avec aisance. Quant aux attaquants, ils sont de plus en plus sollicités pour assurer leur part de travail défensif.

J’ai aimé cette coupe du monde car j’ai assisté à des matches dont l’intensité physique compensait grandement un léger déficit de buts marqués. J’ai pris du plaisir à regarder les matches. Un signe ne trompe pas : si le jeu n’avait pas été emballant, j’aurais été lassé après 15 jours / 3 semaines de compétition. Mais ça n’a pas été le cas. A partir des huitièmes de finale surtout, on a assisté à des matches haletants. Vous savez, la qualité du jeu ne dépend pas du nombre de buts marqués, de jonglages ou de coups de sombrero au-dessus du défenseur. Certains matches ont été beaux et plaisants à regarder alors que les deux équipes étaient bien en place. Il y a eu beaucoup de rencontres indécises, et j’apprécie les matches à suspense.

Domenech doit-il rester sélectionneur ? (Timick)

Bien sûr ! Il a été confirmé dans ses fonctions de sélectionneur, rien de plus logique au vu des résultats obtenus lors de cette coupe du monde. Il a rempli son contrat, il a même fait plus que ça quand on pense que dans la France du foot, rares sont ceux qui voyaient les Bleus aller aussi loin. Beaucoup d’observateurs estimaient que le sélectionneur aurait rempli son contrat s’il arrivait à hisser son équipe en quart de finale. Bref, la question du maintien de Domenech à la tête de l’équipe de France ne se pose pas. Et personnellement, ça m’agace d’entendre ici ou là que les Français sont arrivés en finale malgré Domenech. Soyons raisonnables, comment peut-on occulter le rôle du sélectionneur dans les bons résultats obtenus par l’équipe de France ? Il faut arrêter de constamment chercher la petite bête, de créer de fausses polémiques ! Au début de la coupe du monde certains ont affirmé que l’ambiance était délétère dans l’équipe, qu’aucun joueur ne pouvait encadrer Domenech, qu’Henry et Zizou se détestaient, et blablabla … Soyons sérieux que diable ! Raymond Domenech a eu le mérite de garder le cap malgré les critiques. Il a été efficace dans sa façon de faire jouer onze mecs et il a réussi à faire vivre 23 joueurs pendant un mois sans anicroche. Après on l’aime ou ne l’aime pas mais il faut arrêter de chercher des problèmes là où il n’y en a pas !

Si Fabien Barthez met un terme à sa carrière, le prochain gardien titualire sera sans doute Grégory Coupet. Qui sera le numéro deux selon toi : Landreau, Frey ou un autre ? (Cédric26)

A mon avis, il n’y a pas lieu de remettre en cause l’ordre établi pendant la coupe du monde. Si Barthez arrête de jouer en équipe de France, je pense que Coupet occupera le poste de titulaire et Mickaël Landreau sera le gardien numéro deux.

Comment va réagir Trézéguet après cette finale perdue ? Penses-tu qu’il aura plus de temps de jeu en équipe de France ? (cédric26)

Seul un devin pourrait répondre à cette question ! Déjà, je pense que ça dépendra de ses performances en club. Je ne suis pas sûr que Trézéguet restera à la Juve, si la rétrogradation de ce club en série B est confirmée. Quoi qu’il en soit, il faudra que Trezeguet continue de briller en club pour continuer de porter le maillot bleu. Mais même si c’est le cas, c’est vrai que sa situation risque d’être délicate. Je ne pense pas que Raymond Domenech change de ligne de conduite, or on a vu que dans un système à un seul attaquant de pointe, sa préférence va à Henry. Si ce dernier continue d’être aussi performant avec Arsenal, il aura de fortes chances de conserver sa place de titulaire.

Selon toi, que devrait faire faire Franck Ribéry ? Rester à Marseille, aller à Lyon, à Arsenal ou dans un autre grand club européen ? (cédric26)

Franck Ribéry a beaucoup de talents mais il est assez incontrôlable. Il a connu quatre clubs en deux ans : Brest, Metz, Galatasaray et Marseille. Je pense qu’il aurait intérêt à rester une année supplémentaire à Marseille, pour continuer de faire ses preuves. Mais j’ai l’impression qu’il est sous la pression, sous l’emprise de son manager. Vu de l’extérieur, je n’ai pas le sentiment que ce dernier prône la stabilité et ait un plan de carrière cohérent pour son joueur. Je pense que les motivations du possible nouveau transfert de Ribery seront avant tout financières.

Le statut de vice-champion de monde ne risque-t-il pas d’être une pression supplémentaire pour la future équipe de France, qui devrait être recomposée (départs de Zidane, Thuram, Makelele et Barthez) ? (Obi-Wan Kenobi)

Une petite précision s’impose tout d’abord : Zizou et Makelele ont annoncé leur départ, mais Thuram hésite et Barthez ne s’est pas encore prononcé à ma connaissance sur son avenir en équipe de France. Pour répondre à votre question, j’ai envie de dire : il vaut mieux avoir la pression liée à ce statut de vice-champion du monde plutôt que de gamberger après une compétition ratée. De toutes façons, ce type de pression, on l’avait déjà et le fait qu’on soit parvenu en finale ne change pas fondamentalement la donne. La France fait partie des grands pays de football, et à ce titre elle sera toujours attendue. Tout va dépendre des capacités du sélectionneur et des joueurs à se remettre en question. Lorsque les éliminatoires de l’Euro débuteront, les compteurs seront remis à zéro. Ce sera un nouveau départ, il faudra que les joueurs prouvent sur le terrain qu’ils peuvent relever ce nouveau défi. En principe, ils devraient aborder ces éliminatoires avec une confiance accrue. Les Bleus l’ont reconnu au sortir de la coupe du monde : au début, ils étaient un peu fébriles mais au fil de la compétition, ils ont gagné en confiance.

Faut-il reconstruire avec l’ossature actuelle de l’équipe de France et y intégrer quelques espoirs ou convient-il de rappeler quelques absents (Giuly, Micoud, Anelka, Pirès) ? (Obi-Wan Kenobi)

Tout est possible ! Tout dépend de la volonté de Domenech. Déjà, ça dépend des performances des joueurs dans leurs clubs respectifs. On ne décide pas de la composition d’une sélection nationale avant de voir les joueurs à l’œuvre. Il y aura comme d’habitude un travail pointilleux de suivi, d’évaluation des performances. Les joueurs devront être titulaires dans leur club, sinon ils risquent de ne pas être appelés en équipe de France. Domenech pourrait dans ce cas faire appel à des joueurs d’expérience qu’il n’a pas sélectionnés dans le groupe des 23 en Allemagne. Mais je pense qu’il sollicitera plutôt quelques Espoirs si ces derniers sont très performants en club.

Le fait d’être remplaçant sans jouer lors d’une coupe du monde apporte-t-il réellement une expérience importante ? (Obi-Wan Kenobi)

Non, ce n’est pas évident. C’est intéressant d’être associé à un tel événement, de vivre au sein du groupe sur un tournoi de cette importance. Mais le principal en termes de progression personnelle et d’expérience, c’est d’être sur le terrain pour faire ses preuves.

Quel a été le meilleur joueur de la coupe du monde ?(Obi-Wan Kenobi)

Franchement, c’est très difficile de ressortir un nom … Peut-être Zidane, malgré son vilain geste de la finale ! Mais des joueurs comme Buffon, Cannavaro ,Vieira et Thuram ont été également excellents.

Ne crois-tu pas que les prestations de Lilian Thuram sont sous-évaluées ? En 1998 comme en 2006, il a été énorme ! (Obi-Wan Kenobi)

A l’instar de son équipe, Lilian est monté en puissance pendant la compétition. Il s’est accroché et a élevé son niveau de jeu. Je l’ai trouvé impérial à partir des huitièmes de finale. Je me réjouis de le voir à ce niveau, car on a beaucoup trop glosé sur l’âge des joueurs de l’équipe de France pendant cette coupe du monde. A 34 ans, Thuram a montré sur le terrain qu’il avait un excellent niveau. En fait, ça ne m’étonne pas : je sais d’expérience qu’avec une bonne hygiène de vie et une préparation sérieuse, on peut encore être performant à cet âge là.

Es-tu ou étais-tu superstitieux quand tu jouais ? A défaut, peux-tu nous révéler les petites manies de tes anciens coéquipiers ? (Obi-Wan Kenobi)

Personnellement, je ne suis pas et n’étais pas superstitieux. Mais j’ai côtoyé beaucoup de joueurs superstitieux au cours de ma longue carrière. Celui qui m’a le plus impressionné, c’était le gardien colombien du FC Metz, Farid Mondragon. A domicile comme à l’extérieur, il transformait son vestiaire en petite chapelle : icônes, bibles, crucifix, etc. Avant les matches, il faisait toute une cérémonie, suivait tout un protocole en priant. Impressionnant !
Par ailleurs, plusieurs joueurs sont des fétichistes du slip (rires) : ils portent toujours le même slip les jours de match, même si ce dernier est troué ou déglingué. D’autres ne veulent pas voir la pelouse avant le match, et restent cloîtrés dans les vestiaires par superstition. Bon, sinon, y’a la fameuse supersitition : enfiler d’abord la chaussette droite avant la chaussette gauche ! (rires)

Un grand merci à Sylvain pour sa très grande disponibilité pendant toute la coupe du Monde.